Croire…

Un covoiturage récent Rodez-Paris m’a donné l’occasion d’une discussion passionnante avec l’une de mes passagères. Six heures de trajet, cela donne du temps pour parler de beaucoup de choses : de l’AC (ou ‘art contemporain’, qui me semble surtout celui de faire mousser du vide, et de spéculer là-dessus), de l’éducation populaire, de nos histoires familiales, de la foi également.

Interrogé sur l’hypocrisie supposée des croyants, non seulement parce qu’ils ne mettent pas leurs actes en conformité avec ce qu’ils croient, mais plus encore, parce que leurs pratiques miment la foi et qu’ils ne croiraient pas vraiment ce qu’ils croient, j’ai répondu que l’enjeu n’est pas tant d’être sûr que Dieu existe, mais d’y croire, au sens d’être tendu vers lui, de ne pas se résoudre à ce qu’il nous échappe, et de préférer la pauvreté d’une foi qui trime, à la médiocrité de se contenter de biens relatifs. Agir ou penser autrement serait verser dans l’idolâtrie, car ne pas croire en Dieu, ce n’est pas croire que Dieu n’existe pas, c’est se donner un autre objet d’attachement, et l’AC démontre que du néant, du transgressif, du noir… peuvent sembler faire l’affaire.

Croire en Dieu, c’est être dans une quête qui donne de mettre tout bien à sa juste place, sans l’absolutiser. C’est se disposer à une rencontre certes rare, mais dont la survenue de loin en loin a tellement de valeur qu’elle suffit à faire persévérer fidèlement aux gestes et pratiques qui disent à Dieu notre disponibilité à l’accueillir.

Pour quoi combattre…

Un siècle après le début de la guer­re de 14-18, nous éprouvons un sentiment d’étrangeté devant le patriotisme, l’abnégation des français de l’époque, qui a pu les engager dans cette boucherie que fut la « Grande Guerre ».

Notre mentalité actuelle si éloignée de la leur, rendrait impossible un tel sacrifice. A l’inverse, le fondamentalisme islami­que en Irak et en Syrie, mais aussi au Nigéria et en d’autres terres d’Islam, attire certains dans le djihad, dont l’extrême violence, la barbarie à l’égard des minorités religieuses révoltent les hu­ma­nistes de tout bord.

Le sens du sacrifice serait-il aujour­d’hui le monopole du fanati­que ? Fa­ce au fanatisme, sommes-nous prêts à traduire nos convictions huma­nis­tes en actes, en lutte, en don de soi, sans lesquels ces convic­tions ne seraient que postures ? Notre pacifis­me actuel est-il ce­lui du courage de chercher la paix quoi­qu’il en coû­te, ou celui de la lâche­té de refuser de défen­dre quoi que ce soit, parce que l’on ne croirait en rien ?*

Ni fanatisme, ni relativisme, un autre mode de conviction est possible, assez épris de la vérité pour ne pas s’en croire propriétaire, pour la rechercher dans le dialogue avec l’autre, et la défendre lors­qu’elle est menacée. Le pape François, le 17 août der­nier, dans son dis­cours aux évêques de Corée le disait : une identité chrétienne for­te est néces­saire pour dialoguer. Cultivons cette identité-là ! Nous essaierons de le mettre en pratique avec nos frères musulmans, le 27 septembre à Rodez.

* Une pétition que j’ai signée : http://www.aunomdelhumanite.fr

Attitude philosophique

« La philosophie ne donne pas de réponse : elle complique les questions » disait Henri Couleau, professeur de philo au séminaire de Toulouse. Non pas que la philosophie soit une discipline oiseuse qui coupe les cheveux en quatre, mais plutôt qu’elle révèle la profondeur, la richesse des questions existentielles que nous sommes tentés, soit de réduire à des problèmes (avec une solution), soit d’éluder comme insolubles, deux manières d’arrêter de penser, alors que le fait même de persévérer à se poser ces questions témoigne de ce qu’il y a de plus humain en l’homme.

Si l’attitude philosophique dispose à l’accueil de la Révélation chrétienne, ce n’est pas du fait que la foi chrétienne donnerait « la » réponse aux questions que l’homme se pose, mais plutôt en ce qu’elle les garde ouvertes, par la promesse – certaine bien qu’encore inaccomplie pour nous – qu’elles trouveront leur réponse définitive en Christ, dont la question : « Que cherchez-vous ? » continue de résonner au coeur de ses disciples.

Les soirées-débats mensuelles organisées à Baraqueville depuis 3 ans – et à Naucelle depuis l’an dernier – veulent donner à goûter quelque chose de cela, à travers un dialogue intergénérations sur des thèmes existentiels tirés de titre d’émissions télé ou de films, à partir de questions de morale, de sens, de foi.

Bon été, en amoureux de la sagesse, en philosophes !

Principe et fondement

L’homme est créé pour louer,
respecter et servir Dieu notre Seigneur
et par là sauver son âme,
et les autres choses sur la face de la terre
sont créées pour l’homme,
et pour l’aider dans la poursuite de la fin
pour laquelle il est créé.

D’où il suit que l’homme doit user de ces choses
dans la mesure où elles l’aident pour sa fin
et qu’il doit s’en dégager
dans la mesure où elles sont, pour lui,
un obstacle à cette fin.

Pour cela il est nécessaire de nous rendre indifférents
à toutes les choses créées,
en tout ce qui est laissé à la liberté de notre libre-arbitre
et qui ne lui est pas défendu ;
de telle manière que nous ne voulions pas,
pour notre part, davantage
la santé que la maladie,
la richesse que la pauvreté,
l’honneur que le déshonneur,
une vie longue qu’une vie courte
et ainsi de suite pour tout le reste,
mais que nous désirions et choisissions uniquement
ce qui nous conduit davantage
à la fin pour laquelle nous sommes créés.

 

1h sur ce porche d’entrée des Exercices Spirituels de Saint Ignace (conférence END 5/2/2011). Pour aller plus loin, cliquer ICI.

Question(s) de discernement…


50′ d’une conférence sur le discernement, donnée aux équipiers Notre-Dame du diocèse de Montpellier (5 février 2011), à partir des questions et de la prière suivantes :

Que faire ?
Recul pour prendre une décision, réussir vs rater, liberté (que puis-je faire ?) / simple évaluation des possibles

Qu’est-ce que je veux faire ?
Indécision, marque de la conscience (+ vs instinct) / une étape à surmonter, avec 3 écueils possibles (abstention, activisme, volontarisme)

Que dois-je faire ?
Peser le pour et le contre, + vs -, bonheur vs malheur (Dt 30), devoir (double sens : fait et droit) / solitude, subjectivisme, question indépendante de la présence d’autrui et du monde

Que dois-je faire de bien ?
Bien vs mal, devoir moral, prise en considération d’un ordre objectif / morale du devoir (kantien vs catholique), conflits de valeurs (sauf cas d’interdits moraux, impossibilité de faire reposer une décision libre sur un calcul du pour et du contre, y compris moral)

Que dois-je faire en tant que chrétien ? 
« Bon maître, que dois-je faire pour avoir en héritage la vie éternelle ? » (Mc 10,17), conseil, effort de former ma conscience grâce à l’expérience d’autrui, de la tradition de l’Eglise, enjeu existentiel et spirituel, rapport à l’éternité / devoir, faire, avoir… je, ma (le moi au centre, non relation, non évangélique) ; réponse de Jésus a/s « bon maître » (relativité à Dieu)

Seigneur, que veux-tu que je fasse ?
Relation, confiance, foi en Dieu qui s’intéresse à l’homme, qui veut avoir besoin de l’homme, qui attend quelque chose de moi, vocation / hétéronomie, prédestination absolue, volonté de Dieu différente, obscure, « âme soeur »…, idolâtrie de la bonne décision : discernement  comme recherche de lumière supérieure, Dieu au service de mon discernement, peur de se tromper, primat du faire (vs amour inconditionnel de Dieu : le bon larron… ; commandements de Dieu en forme de promesse, loi donnée à Israël, pour donner à l’homme la possibilité d’inventer une réponse d’amour au don gratuit de Dieu…

Seigneur, que ta volonté soit faite !
Abandon, confiance d’un enfant à l’égard de son Père, désencombré du souci de bien faire, mais qui suppose tout le positif de ce qui précède, sinon, lâcheté, démission, refus de la décision, de la responsabilité, de sa liberté

Prière du « Suscipe » (Saint Ignace de Loyola)
Prends, Seigneur et reçois, toute ma liberté,
ma mémoire, mon intelligence et toute ma volonté ;
Tout ce que j’ai et possède,
c’est Toi qui me l’as donné :
à Toi, Seigneur, je le rends.
Tout est à Toi, disposes-en
selon Ton entière volonté.
Donne-moi, ton amour et ta grâce :
c’est assez pour moi.

Voeux 2011

Depuis quatre mois que je suis à Baraqueville, j’entends souvent la question : « Alors, vous vous habituez ? » C’est parfois plusieurs fois par jour qu’elle revient, avec différents sens auxquels je souscris :

– la sollicitude de paroissiens à l’égard de leur nouveau prêtre, parce que l’hiver est rude en Ségala, qu’il y a de quoi faire en pastorale, et que pour un curé débutant, le risque est avéré de trop embrasser, de mal étreindre, et de verser dans l’activisme ;
– l’étonnement aussi devant l’étrangeté d’un parisien d’origine vietnamienne, à l’œuvre dans ce haut-lieu de ruralité aveyronnaise, l’un des grands foyers de la JAC ;
– l’attente enfin à l’égard de l’institution-Eglise, d’une inculturation, d’une familiarité, d’une communion croissante avec les lieux et les personnes, dans un pays où tout le monde se connaît, et où déjà au plan civil, humain, on met haut la barre de la vie communautaire.

Eh bien, malgré tout ce qui précède, je fais le vœu, qu’en 2011, ni moi, ni les paroissiens de Notre-Dame du Haut Ségala, ni vous, nous ne devenions des « habitués » !

Qu’en 2011, nous ne nous habituions pas aux appuis sur lesquels nous nous reposons « habituellement » : moyens, savoirs, talents, relations, foi… Aucun ne va de soi. Rien n’est dû. En période de changements, voire de crise, la vie prend davantage la forme d’une aventure, avec ses chutes et ses relèvements. Que cela même qui nous dérangera cette année, nous donne de découvrir LE véritable appui, autre, toujours Autre : le Christ, sans qui nous ne pouvons rien faire, ni croire, ni espérer, ni aimer.

Que nous ne nous habituions pas à ce qui devrait toujours susciter notre indignation, mais avec quoi nous composons le plus souvent : la faim et la misère dans un monde qui produit assez pour tous ; la guerre à laquelle nos appétits ou nos peurs déraisonnables ne sont pas étrangers ; le manque de liberté, d’égalité et de fraternité, d’abord là où nous sommes, où il incombe à chacun de les faire grandir, mais aussi là où des croyants, des chrétiens pour la plupart, sont persécutés pour leur foi.

Il reste cependant quelques bonnes habitudes à garder, dont celle de souhaiter à tous une joyeuse et sainte année 2011 !

A propos de la mort…

En réponse à un message reçu sur facebook :

Je ne crois pas en dieu mais pourtant quand je pense à mon père, je prie dieu pour qu’il le fasse revenir. Je ne sais plus où j’en suis. Est-ce que l’au-delà existe ? Comment puis-je savoir si mon père est heureux là où il est ?

 

Je peux d’abord proposer une réponse humaine, avant d’être une réponse croyante, et même chrétienne :

Dès qu’il y a de l’humain, il y a l’intuition inaltérable que ce qui a été vécu ici-bas, les relations, les liens affectifs, les projets, les engagements… doivent bien avoir un prolongement, ou un accomplissement, ou une sanction (positive ou négative) au-delà de la mort. C’est là une exigence de justice inscrite dans le coeur de l’homme, et l’on ne trouve pas cette intuition chez les animaux. Cette intuition est à l’origine des marques de respect que seuls les humains donnent à ce qui reste de ceux qui sont morts, c’est-à-dire aux corps des défunts : les rites funéraires (enterrement, crémation, etc…) sont le signe de ce respect, et sont propres à l’homme, y compris préhistorique. Pourquoi respecter ce qui n’est plus qu’un corps destiné à se dissoudre, s’il n’y a pas l’intuition d’un au-delà de la mort ?

Mais si c’est là une attente inscrite dans le coeur de l’homme, on a le choix entre deux attitudes :

– Refuser cette attente, et la considérer comme une illusion ; croire que la réalité est en fait contraire à notre attente, qu’il n’y a en fait rien à espérer au-delà de la mort, que cette vie mène à une tombe, au néant, au rien, et disparaît progressivement du souvenir de ceux qui restent, que cette vie est donc à proprement parler insensée, absurde. La sagesse serait alors d’en prendre acte, sans se bercer d’illusions « opium du peuple ».

Des penseurs passés et présents (André Comte-Sponville fait partie de ceux-là) ont pris ce parti du désespoir, en affirmant que le sens de l’existence ne peut se trouver qu’à l’intérieur de cette courte parenthèse entre notre naissance et notre mort, et pas au-delà. On pourrait leur objecter que c’est là une optique de « nantis », de gens qui ont la possibilité de diriger leur vie ici-bas, d’en faire quelque chose… Que dire alors à ceux qui ont vécu toute leur existence prisonniers de la misère ou du dénuement, victimes innocentes de l’injustice et de la guerre ? Quel sens trouver à cette vie si tout se joue uniquement ici-bas ? Que dire aussi à ceux qui doivent se résigner à la disparition totale de ceux qu’ils ont aimés ?

– Croire que cette attente humaine correspond à une réalité existante, bonne, désirable, et que le scandale du mal, de l’injustice, de la souffrance et de la mort vient paradoxalement confirmer : car si ce que ces maux contrarient n’existait pas, de quoi ces maux nous priveraient-ils ? pourquoi nous feraient-ils tant souffrir ? C’est justement parce que nous sommes faits pour cette vie pleine, éternelle, juste, affranchie de la mort, que l’expérience de la mort physique et du mal fait scandale. Même si nous n’en pouvons avoir qu’une intuition, même si elle reste un mystère, cette réalité désirée que les philosophies évoquent seulement en termes d’ « immortalité de l’âme », les croyants – et tout particulièrement les chrétiens – osent l’affirmer à partir d’une autre expérience que celle de l’attente du coeur humain : l’événement de la Résurrection du Christ, fêté chaque année à Pâques comme le centre de l’histoire, ce qui lui donne son sens.

Accompagnement spirituel

L’objectif de l’accompagnement spirituel pourrait être résumé par la formule de Saint Ignace de Loyola : « voir Dieu en toutes choses ».

Dans le flot de pensées, de paroles et d’actions, dont on est l’auteur ou le destinataire, le fait de mettre des mots sur ce que l’on vit, pense, prie, décide… et d’en garder une trace pour en faire périodiquement un récit auprès d’un tiers (l’accompagnateur spirituel, c’est-à-dire un chrétien, une religieuse ou un prêtre ayant une vie spirituelle un peu éprouvée), permet de repérer ce qui vient de Dieu – ou pas -, ce qui est signe ou non de la présence de Dieu dans sa vie, ce qui fait grandir ou non le Royaume de Dieu, aussi bien en soi (mesurable par les fruits de l’Esprit Saint : amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, foi, douceur, maîtrise de soi) que dans le monde avec lequel on interagit.

On apprend ainsi à ordonner sa vie et les décisions que l’on prend, non pas seulement au gré des sollicitations ou des envies, mais pour réaliser pleinement sa vocation au service de Dieu et de son prochain, ou comme le disait Saint Ignace, « Ad majorem Dei gloriam » (pour une plus grande gloire de Dieu).

En pratique, une rencontre d’1/2 heure à 1h mensuelle permet de faire le point sur sa vie de chrétien, pour une fécondité plus grande dans ce qui seul compte : l’amour de Dieu et l’amour du prochain comme soi-même. La diffusion actuelle du coaching personnel ne fait que reprendre cette tradition qui date des premiers siècles de l’Eglise, mais que les disciples de Saint Ignace ont développée. Cela dit, le coaching vise surtout le plan de l’efficacité professionnelle et du développement personnel, c’est à dire pas assez haut et pas assez profond.

Dispute sur la foi et l’amour avec un jeune…

Pas facile de converser avec un jeune en bisbille sur la foi et sur l’amour… même avec MSN, comme hier soir. On croit que la question est théologique ou philosophique, alors qu’elle est existentielle…

Lui : Êtes-vous là ?

Le prêtre : Oui !

Lui : C’est quand même rare que nous profitions de votre présence sur MSN.

Le prêtre : En fait, je suis plus souvent sur facebook, et ce soir tout particulièrement avec des 3èmes qui préparent leur confirmation dimanche.

Lui : Oulala… Ne leur mettez pas trop d’idées dans leur tête ! C’est pas bien.

Le prêtre : A les entendre, après la retraite de confirmation que nous leur avons concoctée, j’ai plutôt l’impression que cela les a rendus plus heureux et responsables d’eux-mêmes.

Lui : Mon cher. Disons que par expérience, ils verront vite que les choses ne sont pas ce qu’elles sont ou que l’on donne.

Le prêtre : Tu parles au futur. Eux et moi voient au présent les fruits de ce qu’ils ont reçu.

Lui : Le problème, c’est que j’ai vu comme eux, et que maintenant, je vois l’avenir pour eux. Leur mettre des illusions dans la tête, n’est-ce pas les mettre dans le mauvais chemin.

Le prêtre : On peut tous se tromper de chemin, et de critère pour choisir ce chemin.

Lui : Quel critère ?

Le prêtre : Il y a celui de la cohérence intellectuelle de la foi chrétienne que je pense avoir plus creusé que toi – pardonne-moi d’user d’un argument d’autorité parce que je n’ai pas le temps de développer. Mais il y a aussi le critère du fruit que la foi produit en nous. S’il y a des chrétiens malheureux, fermés et irresponsables, je constate que le fait de considérer la foi comme une illusion ne rend pas plus heureux, ouvert et responsable, au contraire.

Lui : Ne croyez-vous pas à un moment donné que – en parlant concrètement – nous vivons dans un monde fait pour ne plus croire.

Le prêtre : Pardon, je ne comprends pas ton message.

Lui : Je vais reformuler. Comment croire en quelque chose lorsque tout nous montre le contraire. Y croire encore, n’est-ce pas une erreur ?

Le prêtre : Le contraire de quoi ? Je vois un monde tout à fait conforme à ce que l’Evangile et la révélation biblique me dit. Non pas un monde où « tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil », mais au contraire un monde injuste, violent, immoral, où le juste est bafoué, où l’amour est crucifié, où Dieu accepte de subir de plein fouet les conséquences de cela. C’est cela la Passion du Christ.

Mais cela commence bien avant, avec une Création, assez belle, assez immense, assez admirable pour que l’on en puisse espérer le meilleur, et qui induit une désillusion d’autant plus grande que les fruits que nous lui faisons produire sont plus contraires.

Voilà le monde de la Bible, qui nomme dans son énormité le scandale du mal, de la souffrance et de la mort. C’est le discours athée qui nie ce monde, qui endort les consciences, parce qu’il ne prend pas la mesure – infinie – du décalage entre ce qui est espéré et ce qui est atteint. Pour l’athée, le mal est fini, puisqu’il ne nous prive pas d’un Bien avec un grand B. Il ne fait que raccourcir un peu une existence limitée.

Seul le chrétien voit le monde tel qu’il est, dans son horreur, comme négation de Dieu, de l’absolu, et donc scandale infini. Mais il voit aussi au coeur du monde la présence de celui qui en est le Sauveur, non pas comme un magicien invulnérable ou extérieur au monde, mais comme celui qui vient assumer avec l’homme ce scandale, et la vulnérabilité qui va avec.

Lui : ça ne répond pas trop à ma question. Bon, ne nous basons pas sur la religion. Prenons un exemple concret. Voilà : un type sort avec une fille ; le truc classique ; celle-ci plante le gars, ce qui arrive de nos jours de plus en plus ; d’après votre philosophie, le gars, ayant vécu un truc de malade ne peut pas arrêter de penser à elle ; et là, il fait vraiment de la m**** ; mail il lui dit quand même qu’il l’aime, un truc de malade ; et il y croit, alors que tout lui montre le contraire. Est-ce que le pauvre bougre a encore raison d’y croire plus que tout. N’est-ce pas une erreur d’y croire.

Le prêtre : Dans ton exemple, « tout lui montre le contraire », parce que la fille ne l’aime pas. Mais je ne vois pas en quoi il m’est montré le contraire de la révélation d’un Dieu aimant l’homme au point de plonger avec lui dans son enfer.

Le gars n’a pas de raison d’y croire si tout lui montre le contraire. Tout comme je n’ai pas de raison de croire aux martiens, ou au monstre du Loch Ness etc…

Lui : On va dire qu’un lourd sentiment lui dit d’y croire.

Le prêtre : Mais je redis que pour ce qui est de la foi chrétienne, ton point de départ : « tout lui montre le contraire » est faux !

Lui : Donc, il a raison d’y croire.

Le prêtre : Dialogue de sourds ! Pour ta petite histoire amoureuse, le gars n’a pas de raison d’y croire, et c’est lui qui se berce d’illusions à continuer d’y croire, alors que « tout lui montre le contraire ». Une sorte d’obstination dans l’erreur.

Mais je re-redis que je ne vois aucun rapport entre une telle histoire et la foi en Jésus-Christ, où « rien ne me montre le contraire » !

Lui : Donc tu n’y crois pas.

Le prêtre : ?

Lui : Alors, le type a-t-il vraiment raison de continuer à aimer cette personne plus que sa propre personne ? Et de croire en ce sentiment qui lui dit d’y croire.

Le prêtre : La réponse se trouve dans la compréhension que l’on a du verbe « amour ».

Pour les grecs, il y a 3 mots :

– Eros : attirance, désir amoureux, passion… en gros, le fait que la personne aimée te séduit, t’attire de par ses qualités, son charme etc… et c’est ce dont tu parles dans l’histoire précédente. C’est là un état que l’on subit – dans passion il y a « passif » – et qu’il peut être difficile de maîtriser. Difficile, mais pas impossible : le pilote dans l’avion, cela reste moi-même. Cet état ne peut non plus durer. Il ressemble davantage à un feu de paille : rapide, violent, mais peu durable.

– Philia : amitié, réciprocité… comme dans une équipe, où l’on s’aime moins l’un l’autre, que du fait de vivre ou de viser ensemble quelque chose. Cet amour-là est moins violent que l’Eros, mais tient plus la durée, car il repose sur un projet commun.

– Agapè : amour désintéressé, de don de soi, où il s’agit moins d’aimer l’autre pour le bien qu’il m’apporte (ça, c’est l’Eros), que de vouloir faire son bonheur…

A la limite, quand on aime de cet amour-là, on préfèrera voir l’autre heureuse avec un autre, que malheureuse avec soi.

Il ne faudrait s’engager pour la vie avec quelqu’un que si l’on assume les 3 formes d’amour : un sentiment amoureux, un projet de vie à deux, du désintéressement. Ce n’est pas le cas du gars qui s’illusionne sur l’amour de l’autre, car il est plutôt dans un Eros frustré.

Lui : En clair, tu me dis que cette personne a tort d’y croire encore et d’attendre.

Le prêtre : On n’est pas dans le registre du « avoir tort », « avoir raison », mais dans celui de la qualité de l’amour que l’on veut offrir à (et recevoir de) l’autre. Il y a des couples qui se contentent d’un amour Eros à deux, où chacun consomme l’autre pour ce qu’il lui apporte : ça ne dure pas longtemps (2 à 5 ans en gros). Il y a des couples où un projet – par exemple de fondation d’un foyer – donne plus d’ampleur à leur amour, mais qui se séparent après 10 à 20 ans de mariage, quand la réalisation effective du projet ne semble plus exiger le même engagement dans la durée.

A mon – humble – avis, je préférerais vérifier que l’amour que je donne et reçois comporte toutes les dimensions d’un amour 3 étoiles, c’est à dire avec Eros, Philia et Agapè, pour ne serait-ce que commencer une relation amoureuse.

En faisant le contraire, en pensant que l’amour passionnel, le sentiment amoureux seul est suffisamment fort pour fonder le couple, beaucoup s’abîment le cœur.

Lui : Donc il ne faut pas croire en aucun de ses sentiments.

Le prêtre : Je n’ai pas dit cela, puisque l’Eros fait partie de l’amour. Mais il a besoin d’être régulé par les 2 autres formes d’amour.

Par exemple, puisque tu veux du concret : un gars follement amoureux d’une fille, à la limite, si son sentiment amoureux n’est pas régulé, il pourrait en arriver à l’avoir pour lui de force (viol), voire à la tuer par jalousie plutôt que de la laisser à un autre. Moins dramatiquement, il pourrait négliger voire piétiner ses projets à elle, pour l’avoir tout le temps avec lui et pour lui.

Au contraire, si la Philia régule l’Eros, il pourra comprendre la nécessité d’attendre que l’autre soit prête, envisager non pas l’autre comme un bien à conquérir, mais voir avec l’autre le bien qu’ils peuvent faire ensemble. Si l’Agapè régule le tout, il pourra laisser l’autre vraiment libre de lui répondre oui ou non, acceptant d’avance la réponse, quelle qu’elle soit.

Lui : Hum, ça ne répond pas trop à ma question, mais bon, je m’en contenterai.

Le prêtre : @ plus !

Lui : @ +

 

Réaction à un message sur facebook

En réponse à un lycéen écrivant sur son « mur » sur facebook :

« La vie pose le problème du poids de la fatalité inhérente à toutes destinées humaines. La confrontation avec l’absurde condamne l’homme à être la victime du hasard. »

Aux mots fatalité, destinée, absurde, victime, hasard… je préfère ceux-ci :
liberté : détermination de soi pour ce qui est vrai, bon et beau, non pas contre mais en tenant compte de ce qui me conditionne ;
vocation : réponse à un appel personnel venant de plus loin que de moi-même ;
sens : a priori de confiance en la cohérence de mon histoire, fût-elle perçue après coup ;
sujet : personne, susceptible de consentir – ou pas – au statut de victime ;
mystère : non ce qui est incompréhensible, mais ce dont notre compréhension toujours croissante ne saurait épuiser la richesse…