Aimer Dieu (Ps 63)

2 Dieu, tu es mon Dieu, je te cherche dès l’aube :
mon âme a soif de toi ;
après toi languit ma chair,
terre aride, altérée, sans eau.

3 Je t’ai contemplé au sanctuaire,
j’ai vu ta force et ta gloire.
4 Ton amour vaut mieux que la vie :
tu seras la louange de mes lèvres !

5 Toute ma vie je vais te bénir,
l
ever les mains en invoquant ton nom.
6 Comme par un festin je serai rassasié ;

la joie sur les lèvres, je dirai ta louange.

7 Dans la nuit, je me souviens de toi
et je reste des heures à te parler.
8 Oui, tu es venu à mon secours :
je crie de joie à l’ombre de tes ailes.
9 Mon âme s’attache à toi,
ta main droite me soutient.

10 [Mais ceux qui pourchassent mon âme,
qu’ils descendent aux profondeurs de la terre,
11 qu’on les passe au fil de l’épée,
qu’ils deviennent la pâture des loups !

12 Et le roi se réjouira de son Dieu.
Qui jure par lui en sera glorifié,
tandis que l’homme de mensonge
aura la bouche close !]

(Traduction liturgique – Copyright AELF
Paris – 1980 – Tous droits réservés)

 

L’« amour de l’homme pour Dieu » dans l’AT, s’exprime le plus souvent dans le contexte juridique d’une réciprocité à l’égard de Dieu et de son amour pour l’homme, au moyen de l’observance de ses commandements. L’AT comporte pourtant bien des pages où la relation entre l’homme et Dieu s’exprime explicitement sous la forme d’un sentiment amoureux. Ainsi en est-il du psaume 63 (62), qui dans le psautier exprime parfaitement l’intime relation d’amour que peut connaître le fidèle à l’égard de son Dieu (v.2a) : « Dieu tu es mon Dieu, je te cherche dès l’aube » (trad. liturgique). Les sentiments exposés dans ce psaume 63, et les mots pour le dire, ne sont pas isolés dans l’AT, mais résonnent avec d’autres passages bibliques. L’image spatiale de l’âme qui cherche Dieu (v.2a), et celle de la mémoire nocturne de l’Aimé (v.7 : « Dans la nuit, je me souviens de toi ») est la même que celle du Cantique des Cantiques (Ct 3,1 : « Sur ma couche, la nuit, j’ai cherché celui que mon cœur aime »). De même, le terme « se presser » contre Dieu, ou s’attacher à Dieu (dabaq v.9 : « Mon âme s’attache à toi ») se retrouve dans des textes deutéronomiques pour exprimer la relation d’intimité spécifique du croyant avec Dieu (Dt 10,20 ; 11,22 etc… Js 23,8) : le psalmiste – ou le roi David errant au désert de Juda, poursuivi par ses ennemis – s’éprouve loin de Dieu et aspire à le retrouver, en particulier au sanctuaire du Temple (v.3a). Ce sentiment est exprimé sous la forme radicale d’un besoin, la soif, éprouvée par tout l’être du croyant dans son unité d’âme (v.2b) et de chair (v.2c) : « Mon âme a soif de toi ; après toi languit ma chair ». Il s’exprime aussi sous la forme du désir d’être rassasié de Dieu (v.6) : « Comme par un festin je serai rassasié ». La formule de St Augustin sur le « cor inquietum », le cœur sans repos tant qu’il ne demeure en Dieu, la formule de St Thomas d’Aquin sur le « désir naturel de voir Dieu », ou leur réapprofondissement dans le débat sur le « surnaturel » au milieu du XXème siècle (Henri de Lubac) trouvent ainsi dans le psaume 63 une base scripturaire sûre. Besoin, désir, attachement, il importe de voir dans ce psaume ce qui caractérise l’amour du croyant pour son Dieu, ce qui le motive et la manière dont il l’exprime.

Un des moyens pour le voir est d’en analyser le plan. Certes, une proposition de plan d’un texte biblique est toujours un peu arbitraire. John S. Kselman et Michael L. Barré (New Jerome Biblical Commentary) proposent pour ce psaume le plan suivant :

v.2 :  exposition (le psalmiste loin de Dieu),
v.3-4  prière pour voir Dieu dans son Temple, (en parallèle aux v.5-6, puisque l’on retrouve les mêmes expressions « oui », « lèvres », « vie »)
v.5-6  prière du psalmiste pour qu’il revienne bénir Dieu,
v.7-9  expression d’intimité avec Dieu,
v.10-12  malédiction contre les ennemis et bénédiction des justes.

 

Un tel plan permet d’interpréter ce psaume dans le contexte cultuel d’une préparation au pèlerinage annuel à Jérusalem : le croyant redit son désir de retrouver la présence du Seigneur au lieu où par excellence elle se trouve : le Temple de Jérusalem. Amour cultuel, analogue à celui exprimé dans les psaumes « des fils de Coré », probablement des lévites au service du Temple, exprimant leur regret d’être éloignés voire chassés du Saint des Saint (Ps 42-49 ; 84-88). De fait la thématique du psaume 63 est très proche de celle des psaumes 42 et 43, avec des expressions identiques (Ps 42 v.3a : « Mon âme a soif de Dieu » ; v.5.7a : « Je me souviens de toi. »).

Pour préciser cet amour cultuel, et avec autant d’arbitraire, un plan différent peut être proposé, en chiasme ABCDC’B’A’, qui repose sur des similitudes de sens entre groupes de versets et sur le réemploi de mêmes racines hébraïques en plusieurs versets, mais qui – avouons-le – vaut surtout pour les conséquences qu’il permet de tirer :

Quelques racines vont par paire (elohim, erets) liées au chiasme, mais les réemplois indiquent surtout une direction vers ce qui apparaît comme le verset central (v.6) qui reprend les racines principales (nephesh, saphah, ranan, halal, peh) et polarise tout le psaume. Ce verset 6 permet d’identifier le cœur de l’attitude du psalmiste, consistant en un amour pour Dieu, qui culmine dans le fait de se rassasier de lui (v.6a) et en l’action de prononcer de vive voix et avec joie sa louange (v.6b) : « La joie sur les lèvres, je dirai ta louange », chantons-nous dans la traduction liturgique… Cela répond à la recherche de Dieu exprimée au début du psaume (v.2), et consacre la valeur de la parole, de l’oralité (lèvres et bouche) pour le croyant : la parole est en lui ce qui le met le plus intimement en rapport avec Dieu, parce qu’elle lui permet de rendre grâce à Dieu, et de répondre ainsi à son amour. La parole humaine est faite pour cet office, cet opus Dei de répondre à la Parole de Dieu. La traduction liturgique est allée plus loin au v.7b que celle de la Bible de Jérusalem, en dépassant une simple méditation sur Dieu par la formule : « je reste des heures à te parler. » La parole est ici destinée à faire pénétrer l’homme dans le dialogue initié par Dieu dans sa révélation, à lui faire connaître le privilège connu de Moïse seul : pouvoir parler à Dieu comme à un ami. La réciprocité d’amour de l’homme pour Dieu est certes cultuelle, mais elle peut s’exprimer en tout lieu, et en tout usage de la parole. A l’inverse, les menteurs du dernier verset (v.12c) qui n’auront pas su employer cette parole, auront la bouche fermée. Leur sanction est celle de ne plus pouvoir louer Dieu ! En paraphrasant St Augustin, le psaume 63 exprimerait la formule suivante : « Tu nous as fait pour toi, Seigneur, et notre bouche, nos lèvres, notre langue sont au repos forcé, vaines, inutiles, tant qu’elles ne te louent pas. »

Une telle louange verbale s’appuie sur deux pôles cultuels complémentaires, C et C’ :

C : Le culte du Temple (v.3-5) à travers lequel se manifeste la puissance, la gloire (v.3b), et l’amour de Dieu pour le croyant, et où le croyant peut jusqu’à l’oubli de soi (v.4a) prononcer l’éloge de Dieu aimé pour lui-même (v.4b), par une vie consacrée à bénir Dieu (v.5a). Si pour les fils d’Israël, la vie est le bien suprême, nous avons en ce verset 4a la seule fois dans l’AT où un bien autre lui est préféré, et ce bien supérieur est l’amour de Dieu. Une telle affirmation contient en germe celle d’une extension de cet amour de Dieu au-delà de la mort du fidèle (Rm 8,38-39). La louange en parole est réponse à cet amour reçu au cœur même de la louange à Dieu. Elle est liée au geste sacerdotal d’élever les mains (v.5b), mais elle peut s’exprimer aussi en toute la vie du croyant (v.5a). L’amour pour Dieu est ici le plus désintéressé, car en C, Dieu est aimé pour lui-même, ce qui répond à la soif de Dieu, purement intérieure, décrite en B (v.2b-d).

C’ : Le mémorial (zakar : v.7) des actes de secours et de protection de Dieu à l’égard du croyant (v.7-8), et en retour la reconnaissance du croyant, auxquels – c’est une hypothèse – correspond(ra) le culte synagogal. Cet acte de mémoire caractérise la foi au Dieu d’Israël : rappel des merveilles qu’il a accomplies pour le peuple d’Israël, qu’il continue d’accomplir aujourd’hui, mais qui est aussi et surtout une manière de lui dire notre amour. Le mémorial au sens biblique du terme n’est pas d’abord anamnèse pour les croyants, acte de mémoire pour eux, mais rappel à Dieu. Certes l’amour pour Dieu répond ici à l’attente de salut vis à vis d’une persécution extérieure décrite en B’ (v.9-11), incluant un souci de soi marqué par la répétition de « mon âme » (napheshi : v.9a, 10a). Mais il s’agit aussi d’un acte de confiance renouvelé à l’égard de Dieu.

L’ordre BC suivi de C’B’ importe et a une profonde valeur spirituelle : la soif de Dieu pour lui-même (B) et son assouvissement cultuel par la louange (C), précèdent la reconnaissance à Dieu pour ses dons (C’) et la demande de délivrance (B’). Les premiers donnent même aux seconds leur sens d’acte d’amour, de gratitude et de confiance plutôt que d’instrumentalisation de Dieu au service de l’homme, de réduction de Dieu à un moyen. Lorsqu’au contraire Dieu est aimé pour lui-même, et que tout n’est que moyen au service de cet amour, nos propres manques dans l’ordre temporel peuvent tout à fait être mobilisés pour l’affirmation de cet amour sous la forme d’une prière de reconnaissance et de demande. Commencer par l’action de grâce – qui à la différence d’un remerciement, consiste à rendre grâce à Dieu pour lui-même et non pour tel ou tel de ses bienfaits – aimer Dieu de tout son cœur, de toute son âme, de toute sa force (Dt 6,4) va jusqu’à cet ordonnancement. Les principes et fondements de St Ignace de Loyola au début de ses « Exercices Spirituels » ne disent pas un autre ordre. Cet ordre fondamental est aussi celui du Notre Père, dont la première partie loue Dieu parce qu’il est Dieu, avant une deuxième partie de demandes que le croyant lui adresse.

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