Sur le dialogue avec les musulmans

A la suite d’un débat sur le « Forum Philo-Théo tala » (facebook) à propos du Dieu des chrétiens et du Dieu des musulmans…

 

Pas facile d’entrer dans le débat sur le rapport entre Christianisme et Islam… Je suis tenté de donner plusieurs réponses pas forcément compatibles entre elles :

D’une part, ma rencontre avec de jeunes musulmans il y a 16 ans à Villefranche de Rouergue, quand j’étais séminariste, a été un grand moment de fraternité, d’hospitalité, d’émulation spirituelle et morale, avec notamment Kader, un étudiant en maîtrise d’anglais, avec qui nous avons eu de longs échanges théologiques le vendredi soir ou en route vers Toulouse quand je covoiturais des étudiants villefranchois d’origine marocaine. Cela a aussi été le cas avec des habitants de confession musulmane du quartier du Tricot que je visitais comme supporter de l’équipe de foot du quartier, ou chez qui je venais pour du soutien scolaire. J’y étais alors invité pour les repas de fêtes religieuses, et je pense, apprécié comme un frère. J’y ai moi-même goûté ce qu’il peut y avoir de profondément humain dans la culture, la civilisation inspirées par l’Islam, notamment chez les marocains. J’ai aussi été percuté par l’interpellation de mes interlocuteurs musulmans, en vue d’une foi qui ne soit pas affaire de discours, d’opinion, mais qui se traduise en pratiques, et il m’arrive encore de mentionner, y compris en homélie ce que Kader m’a dit à propos de la messe (à partir de 1’44 sur l’enregistrement), telle qu’il la voit pratiquée par nombre de chrétiens. Il faut bien dire cependant que cet Islam que je côtoyais se définissait surtout par des pratiques (plus ou moins complètes) de l’interdit alimentaire du porc, du jeûne du Ramadan et des fêtes en lien avec le Ramadan, mais plusieurs s’autorisaient l’alcool… et que très peu priaient, lisaient le Coran, ou considéraient la foi comme relation personnelle avec Dieu. Quelques années plus tard, à partir de 2002, en participant régulièrement aux rencontres islamo-chrétiennes sur Rodez, dans le cadre des « Religions pour la Paix », j’ai fraternisé avec les responsables musulmans de la mosquée de Rodez, continuant d’apprécier l’humanité, la douceur et la cordialité de mes interlocuteurs – et leur thé à la menthe – et partager avec eux des préoccupations communes jusqu’à la rédaction de prises de positions co-signées – en particulier sur le plan de la morale. Tout cela m’interdit de faire un quelconque amalgame avec l’extrémisme musulman, qui est aussi une réalité ailleurs (voir plus bas) et qui oblige justement à persévérer coûte que coûte dans le dialogue avec l’Islam modéré. C’est ce que nous ferons samedi 29 septembre prochain à Rodez, au centre social Saint Eloi (cf. affiche ci-contre ou événement facebook).

D’autre part, je ne peux m’empêcher de sentir que sur le fond, lorsque qu’avec des musulmans nous évoquons des sujets de foi, je perçois chez mes interlocuteurs même modérés comme une rigidité liée à la certitude de détenir la révélation de Dieu, ultime et non déformée. Cela se traduit par la récitation incessante d’un texte, le Coran, ou le renvoi répété à la figure, aux paroles ou à l’exemple d’un homme, Mohammed, qui pour moi, pardonnez-moi de le penser, ne suscitent pas d’admiration, et n’ont de valeur que culturelle ou historique – je me ferais lyncher au Pakistan pour de tels propos, que je tire aussi de la lecture de livres sur l’Islam, certes pas tous favorables, mais toujours informés (A.M. Delcambre, Fr. Jourdan, J. Ellul, A. Besançon, M.A. Gabriel, Chr.de Chergé, Chr. Delorme…), et notamment d’une biographie – rédigée à partir d’un de ses premiers biographes (Ibn Hicham) et d’un grand recueil de hadiths (le Sahih al-Bukhari). L’effort de s’intéresser à l’autre et d’en être affecté, me semble difficile chez mes frères musulmans à propos du christianisme, tant la certitude de l’origine divine du Coran empêche d’entendre l’autre à partir de ce qu’il dit de lui-même : toute similitude entre Christianisme et Islam confirme le processus de révélation affirmé par l’Islam, où juifs et chrétiens ont bien reçu une révélation ; mais toute différence entre les deux religions est par avance assumée dans l’affirmation du travestissement de la révélation par les juifs et les chrétiens (cf. Jésus tel que les chrétiens l’ont reçu, et dont la vie – et surtout la mort – diffère de celle de l’Issa de l’Islam…). Quand tout ce que dit l’autre de compatible et d’incompatible est intégré par avance dans son propre discours, c’est que l’on a affaire à de l’idéologie, et que l’on est dans un cercle. Ici, il s’agit d’un cercle autour du Coran, dont on ne peut sortir si on le présuppose d’origine divine… C’est pour cela que le débat sur les différences entre le Dieu des chrétiens et le Dieu des musulmans ne me semble pas viser le problème le plus crucial. Même si j’adhère à la position du p. François Jourdan qui insiste davantage sur ces différences, ce n’est pas un problème de savoir si nous avons des manières proches ou éloignées de considérer le Dieu unique, Créateur, provident et miséricordieux, car c’est déjà un énorme acquis que de le considérer ensemble comme tel, notamment par rapport à d’autres manières de croire, en particulier le Bouddhisme, si différent de nous. A la rigueur, nous aurions la même théologie, le même contenu de foi, le même discours sur Dieu – si tant est que des mots puissent approcher de l’indicible – ce qui en fait pose problème pour moi est le statut du texte sacré dans nos religions. En Christianisme, il s’agit de paroles humaines inspirées, traduisant l’expérience du Christ qu’ont eu les prédécesseurs, les apôtres et les disciples du Christ, et qui nous permettent d’authentifier l’accès que nous pouvons avoir aujourd’hui à sa personne, lui qui est LA Parole vivante de Dieu, le Verbe fait chair, Dieu-fait-homme, celui tel qu’en le voyant, nous voyons le Père. Cette authentification passe par une interprétation du texte sacré, où la raison humaine a la part belle, avec l’aide de l’Esprit qui a inspiré ce texte. Dans l’Islam, le Coran est parole divine dictée par l’ange Gabriel à Mohammed : un texte incréé ne se discute pas, mais appelle à une obéissance où la raison humaine doit se soumettre à plus grand qu’elle. C’est en gros le sujet de la conférence de Benoït XVI à Ratisbonne en 2006, qui a fait couler tant d’encre, et même du sang !

Enfin, dans la foulée de ce qui précède, les manifestations de violence ou d’intolérance religieuse insensées, de la part d’extrémistes se réclamant de l’Islam, et dont l’actualité se repaît, pose quand même le problème de la compatibilité de l’Islam avec de telles pratiques. Certes, il ne suffit pas de se déclarer musulman pour l’être, de même qu’il ne suffit pas à Anders Breivik de se déclarer chrétien pour l’être : c’est la conformité ou non des actes avec la foi qui détermine leur caractère chrétien ou non, musulman ou non. Ainsi, avec Jésus qui préfère subir jusqu’à en mourir la violence plutôt que l’exercer, et qui appelle à tendre la joue gauche à ceux qui frappent la joue droite etc…, l’Evangile et la non-violence sont intrinsèquement liés. Aussi, les chrétiens fanatiques pratiquant la violence ou maltraitant leur prochain, ne peuvent invoquer l’Evangile au service de ce qui en est une trahison. A l’inverse, la vie de Mohammed remplie de batailles et de guerres, de razzias et de conquêtes (et pas seulement de défense contre les attaques extérieures), la violence de certains versets coraniques (s.9 v.29) abrogeant d’autres versets empreints de tolérance (s.2 v.256 « Nulle contrainte en religion ») interdit de refuser au fanatique musulman la conformité de ses actes avec l’Islam. La persistance d’une opinion publique pakistanaise majoritairement favorable à la loi anti-blasphème qui amène tant de chrétiens – notamment Asia Bibi qui croupit encore en prison -, mais aussi et surtout de musulmans, au lynchage ou à la prison à vie, l’impossibilité pratique pour un musulman en terre d’Islam de se convertir au christianisme sans être menacé dans son intégrité physique, la situation des chrétiens en Arabie Saoudite (notamment des philippins), en Irak ou dans le nord Nigéria, des animistes des monts Juba au Soudan… cela n’est pas seulement le fait d’extrémistes minoritaires ayant une lecture déformée du Coran, ou d’une instrumentalisation politique de l’Islam : des foules de musulmans sincères et cohérents avec leur foi y adhèrent.

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