Sur la confiance en soi…

Si la confiance en soi se gagne dans l’amitié, les relations avec les autres, et en particulier avec les personnes de l’autre sexe, le travail… que faire lorsque l’on éprouve un manque dans ces domaines, me demande un jeune à travers quelques questions autour de la confiance en soi…

 

Je n’ai hélas – ou heureusement – pas réponse à toutes les questions que tu as posées sur ces sujets… S’il y avait une réponse, nous serions bien heureux de l’appliquer comme recette du bonheur.

Ce qui rend les choses complexes, c’est que l’on a à la fois besoin du soutien, de l’amitié, de la confiance, de l’amour des autres, des parents, d’amis, et en particulier d’amis de l’autre sexe, pour avancer, grandir en confiance en soi ; et en même temps, que notre valeur véritable ne dépend pas des autres, de leur soutien, confiance, regard, affection etc… Des parents, un(e) ami(e), un employeur, en te faisant confiance, ne font que te donner un déclic, t’aider à découvrir ta valeur qui est intrinsèque et ne vient pas d’eux. Il y a même des personnes qui ont été privés de cette confiance de la part des autres, et qui, en particulier en suivant le Christ dans sa Passion, ont pu découvrir leur dignité infinie au coeur même de l’expérience du déficit d’amour des autres.

Cette valeur de chacun vient ultimement de ce qu’il est enfant de Dieu, et qu’avec ou sans handicap, en menant une vie « intéressante » ou non à ses yeux, aux yeux des autres ou de la société, sa valeur est en réalité au-delà de toute appréciation, au-delà de la somme de ses qualités moins celle de ses défauts. Cette valeur est infinie et inaliénable. La vraie confiance en soi découle de cette découverte-là, à savoir que Dieu trouve sa joie à ce que tu existes, à ce que tu vives : il se réjouit de toi. Lorsque tu prends cela au sérieux, te voilà libre à l’égard de la tentation d’attendre des autres leur approbation, leur confiance ou leur affection. Aimé de Dieu, le chrétien ne cherche pas tant à être aimé, qu’à aimer ; ni à recevoir d’autrui, qu’à rendre à travers lui l’amour qu’il a reçu en plénitude du Seigneur. C’est la prière de Saint François d’Assise :

Seigneur, faites de moi
un instrument de votre paix !
Là où il y a de la haine,
que je mette l’amour.
Là où il y a l’offense,
que je mette le pardon.
Là où il y a la discorde,
que je mette l’union.
Là où il y a l’erreur,
que je mette la vérité.
Là où il y a le doute,
que je mette la foi.
Là où il y a le désespoir,
que je mette l’espérance.
Là où il y a les ténèbres,
que je mette votre lumière.
Là où il y a la tristesse,
que je mette la joie.
Ô maître, que je ne cherche pas tant
à être consolé… qu’à consoler ;
à être compris… qu’à comprendre ;
à être aimé… qu’à aimer ;
Car c’est en donnant… qu’on reçoit ;
C’est en s’oubliant… qu’on trouve ;
C’est en pardonnant…
qu’on est pardonné ;
C’est en mourant…
qu’on ressuscite à la vie éternelle.

L’enjeu du travail n’est donc pas premièrement de prouver une capacité d’intégration (être apprécié d’un patron, de ses collègues), de trouver une reconnaissance sociale (être reconnu par la société) surtout manifestée par une rémunération, de se prouver sa valeur (s’aimer soi-même à travers ce que l’on réussit)… mais d’aimer, d’employer ses talents – et ses faiblesses – au service des autres, peu importe que ce soit reconnu (rémunéré) ou non. Cela vaut donc le coup de persévérer à chercher un travail où puisse se déployer ton désir d’aimer, de servir, d’être utile… tout en ne te focalisant pas à l’excès sur le fait de l’obtenir ou non, comme si de travailler ou de ne pas travailler devait décider de ta valeur. Je dirais la même chose des amitiés à cultiver de son mieux, avec ce qu’il faut de recul et de désintéressement, pour ne pas attendre d’elles ce qu’elles ne peuvent que donner imparfaitement, ou simplement comme avant-goût de ce que l’on ne reçoit en plénitude que de Dieu seul.

 

Deux ordinations à Rodez

Les dernières ordinations de prêtres pour le diocèse de Rodez avaient eu lieu en 2003 (Jérôme Lemouzy), 2002 (Christophe Battut, Patrick Tourolle), 2000 (Raphaël Bui), 1992 (Daniel Boby) et 1988 (Bruno Houpert, Jean-Claude Lazuech). Une ordination est donc un événement rare, trop rare. Aussi, c’est très nombreux que nous nous sommes retrouvés le jour de la Pentecôte en la Cathédrale de Rodez, dimanche 4 juin, par une après-midi ensoleillée, pour participer à l’ordination d’Aurélien de Boussiers comme prêtre, et de Joseph N’guyen Quoc Sy comme diacre en vue du sacerdoce : avec Mgr Bellino Ghirard s’y sont joints plus d’une centaine de prêtres et de diacres, une pleine cathédrale de fidèles, de nombreux membres de la communauté vietnamienne, des séminaristes, des jeunes – en particulier de divers mouvements scouts, ainsi que le chœur diocésain récemment constitué… de quoi manifester davantage l’universalité de l’Eglise. Ces ordinations ont aussi été l’occasion pour l’Eglise de montrer sa foi et sa joie, avec solennité ou avec chaleur, dans le déploiement liturgique d’une grand-messe, ou dans la simple convivialité d’un banquet fait de ce que chacun partageait aux autres. Si le Père vous appelle… Aimer, Evangéliser, Servir…Devenez ce que vous recevez… Les chants traçaient le programme de la vie chrétienne : accueillir sa vocation, l’appel que Dieu adresse à chacun ; répondre par la conversion, le service, l’amour, cette charité qui trouve sa source en Dieu, se porte sur chacun, et retourne à Dieu. De fait, le mot de remerciement d’Aurélien et de Joseph, n’a omis personne, tout en ne s’adressant qu’au Seigneur, dans une vaste action de grâce pour tout ce qu’ils ont reçu de lui à travers les autres. Tous deux continuent d’attendre que nous prions pour eux, pour que leur ministère soit fécond, de la fécondité qui procède de la sainteté.

Quelques photos de ces ordinations – et de la fête vietnamo-aveyronnaise qui a suivi – se trouvent sur le site de la marche des 3èmes-2ndes entre Belcastel et Rodez, au cours de laquelle une vingtaine de jeunes ont pu rencontrer séminaristes, prêtres, diacre pour goûter davantage ces ordinations.

Pâques

Voici 4 pages sur le Mystère Pascal, écrites pendant mes années de séminaire. Une série d’images en PDF les accompagne et actualise les schémas manuscrits (du devoir originel).

1- Pâques dans l’Ancien Testament
2- Premières attestations chrétiennes
3- Les Evangiles et les Actes des Apôtres
4- De l’événement pascal vers la théologie chrétienne

On peut aussi changer de page en cliquant sur les numéros en bas à droite.

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BIBLIOGRAPHIE

[1] H.U. von Balthasar, Le Mystère Pascal, in Mysterium Salutis n°12, p. 9-264, Cerf 1972.
[2] X.L. Dufour, Résurrection de Jésus et message pascal, coll. « Parole de Dieu », Seuil 1971.
[3] B. Sesboüé, Pédagogie du Christ, coll. « Théologies », Cerf 1994.
[4] R. E. Brown, Jésus dans les quatre Evangiles, coll. « Lire la Bible » n°111, Cerf 1996.
[5] J. Schmitt, La genèse de la christologie apostolique, in Initiation à la pratique de la théologie, tome 2, p. 129-183, Cerf 1982.

Pâques (1)

PÂQUES DANS L’ANCIEN TESTAMENT

Pâque est pour Israël le mémorial annuel de la première Pâque, de la libération de la captivité en Egypte par l’intervention décisive de Dieu pour son peuple. Cette délivrance de l’Exode qui s’actualise dans chaque Pâque annuelle est aussi invoquée chaque fois qu’Israël subit d’autres esclavages et qu’il fait l’expérience d’un salut qui ne lui vient que de Dieu. Aussi, l’Ancien Testament, en tant qu’histoire de salut apparaît comme une succession de relectures, de réinterprétations de cet événement fondateur aux implications présentes et futures. De par sa fidélité, ce qu’il a fait dans le passé, Dieu le fait et le fera encore.

Israël a fait preuve d’une grande liberté pour donner de nouvelles versions au récit de l’événement pascal, à travers les différentes couches rédactionnelles de l’Ecriture elle-même, mais aussi dans ces commentaires théologiques que sont les targum, ou les midrash qui semblent négliger la vérité historique des faits passés pour accentuer la valeur de leur sens actuel ou futur. Cette liberté dans l’usage du passé résulte de l’orientation foncière d’Israël vers l’avenir, qui fait mettre le mémorial du passé au service de cette ouverture, et qui autorise bien des enjolivements à motif théologique ou moral. La littérature apocalyptique (AT et intertestamentaires) fonctionne dans le même sens, en soutenant l’espérance des croyants persécutés, par le rappel du passé pris comme modèle de ce qui doit advenir. Cet eschatologisme propre à Israël puisqu’il est entouré de cultures à temps cyclique, va dans le même sens que son refus viscéral de toute idolâtrie : l’attente du Dieu qui vient, de son intervention définitive pour Israël ne saurait être comblée par une représentation temporelle ou une manifestation historique du divin. Dans cette attente messianique qu’aucune réalisation historique (juge, roi, prophète…) ne satisfait pleinement, Israël s’ouvre toujours plus à une récapitulation de toutes ses expériences de rencontre avec Dieu, mais telle qu’elle ne peut être conçue qu’à la fin des temps, au delà de l’histoire. On attend celui qui sera à la fois le nouveau Moïse, le nouveau David, le nouvel Elie, le nouveau prophète… mais aussi le serviteur souffrant, la sagesse en personne etc… Devant l’impossible synthèse de ces figures juxtaposées dans l’Ancien Testament, et attendant leur unité dans le Messie eschatologique, la tentation existe d’avoir une conception si transcendante de Dieu qu’on lui refuse la possibilité de se manifester historiquement, et qu’on ne puisse avoir accès à lui que par une « élévation » au dessus de l’histoire qui rendrait négligeable tout ce qui a lieu dans ce monde. On risque alors d’être tellement polarisé sur cette glorieuse fin des temps, qui sera aussi la résurrection des justes, que l’on en devient inattentif à l’humble présence de Dieu à l’œuvre dans le temps. Il en sera ainsi lorsqu’Israël ne saura reconnaître le Christ présent en Jésus de Nazareth dans son histoire. A cette tendance spiritualisante, s’oppose le courant sapientiel, mais aussi celui du judaïsme pharisien qui valorise les œuvres concrètes de la vie de tous les jours ou du culte, de la fidélité à la loi comme lieu sinon comme condition d’accès à Dieu. Cependant l’attente eschatologique reste entière : les thèmes et les figures, les mots et les récits bibliques sont paroles de Dieu, certes, mais en tant qu’ils pointent tous en direction du Messie à venir. A ce titre, ils lui sont relatifs ; ils ont beau être inlassablement mis en relation les uns avec les autres, être analysés via targum, interprétation allégorique, rabbinique ou cabalistique… de manière toujours plus complexe ou imagée pour leur faire donner du sens, Israël les conserve en fait comme autant de trésors sans rapport évident les uns avec les autres, comme autant de pièces détachées dont il manquerait le plan d’assemblage. Et le Talmud, qui est l’équivalent juif du Nouveau Testament, ne change rien à cette attente liée à une vision de l’histoire que l’on pourrait schématiser ainsi :

Dans ce schéma, l’événement de la vie et de la mort de Jésus de Nazareth n’a pas de place – sauf quelques mots dans le Talmud – sinon comme événement historique contingent qui ne saurait désigner la venue du Messie de la fin des temps, et encore moins signifier sa venue dans le temps.

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Pâques (2)

PREMIERES ATTESTATIONS CHRETIENNES

Les premières attestations chrétiennes sont celles que l’on discerne dans le NT sous la forme d’hymnes ou de formules de confession de foi rapportées telles quelles dans les épîtres et antérieures à la rédaction de ces dernières, ou sous la forme de catéchèses pré-lucaniennes dans les Actes.

Les plus anciennes (1Co 15,3-7 ; Ac 2,24.31-32…) suivent la formule « Christ est ressuscité » qui applique à un individu de l’histoire, Jésus, le langage juif de la fin des temps pour les justes : l’événement eschatologique est arrivé ; Jésus est le Christ, le Messie, car Dieu l’a ressuscité d’entre les morts. L’événement pascal confirme la prétention de Jésus d’être « la figure eschatologique par laquelle triomphe le salut final de Dieu » ([4] p.99) et il autorise la première communauté à l’attester à travers diverses titulatures au sens de plus en plus riche. Par exemple, le titre de « fils de Dieu », qui avait un sens métaphorique et collectif dans le judaïsme apocalyptique, est relu par la communauté judéo-chrétienne dans le sens plus élevé du messianisme judaïque (cf. 2S 7,12-14 et Rm 1,3b-4a) ; enfin, le titre de « fils » avec saint Paul (Rm 8,3.29.32 ; 1Th 1,9-10 ; 1Co 1,9…) est accueilli comme titre de révélation (Ga 1,16) de la filiation divine du Christ ([5] p.163-179). Fidèle au schéma juif d’une histoire orientée, on affirme qu’avec Jésus, avec la venue du Messie, la fin des temps est arrivée, d’où l’attente fiévreuse de la parousie du Christ, de son retour imminent et de la résurrection des morts (1Th 4-5). On en a quelques brefs témoins dans le NT (Ac 3,19-21 ; 1Co 16,22 ; Ap 22,20). « Cette brièveté est théologique. Le christianisme est une religion d’espérance, et ce qu’il reste encore à faire à Dieu, dans et par Jésus, demeure un aspect important de sa vision théologique. Néanmoins l’essentiel du message chrétien annoncé au monde réside dans ce que Dieu a fait en Jésus (…) l’importance de ce que Dieu a fait pèse plus lourd que l’importance de ce qu’il fera. » ([4] p.158) Rapidement, l’attente de la parousie du Christ sera convertie vers une parousie retardée (2Th 2,25) tout en conservant la nécessité de la vigilance*.

L’autre formule, « Jésus est Seigneur », exalté dans la gloire (Ph 2,6-11 ; 1Tm 3,16 ; Ep 4,7-10 ; Rm 10,5-8 ; 1P 3,18-22…) rend mieux compte de ce que toute la suite de l’histoire après l’événement pascal constitue les temps nouveaux. La seigneurie de Jésus signifie sa présence et son règne universel : la parousie est réalisée ; la résurrection n’est plus seulement un à-venir mais un déjà-là ; en Jésus-Christ, par la vie sacramentelle, nous sommes déjà ressuscités (Rm 6,4s ; Col 2,12). La vision de l’histoire correspondante est celle-ci :

La perspective juive y est accomplie (Jésus est le Messie qui récapitule tout l’AT) ; elle est élargie en une fin des temps qui a déjà commencé mais qui est dilatée pour « durer » jusqu’au jour où le règne de Dieu sera total (1Co 15,24s). Selon la formule de W. Pannenberg, « il y a un aplatissement de l’eschatologique au niveau de l’histoire universelle ».

Ceci dit, on peut trouver dans ce schéma des inconvénients analogues à ceux évoqués dans la perspective vétéro-testamentaire : l’événement pascal lui-même pourrait s’y retrouver relativisé, comme événement de salut, certes, mais comme événement passé ; le retour du Christ peut alors lui prendre la place d’unique pôle d’attention du croyant, au risque même de négliger le déjà-là de sa présence. La vie historique de Jésus et la Pâque du Seigneur pourraient ne plus être considérées comme ce qui est donné à contempler par le croyant, comme le lieu absolu de la révélation du Père en son Fils, mais comme la condition de possibilité de ce qui suit et de ce qui seul importerait, la vie dans l’Esprit. On risque alors de ne comprendre le message de Paul « si le Christ n’est pas ressuscité, notre message est sans objet et votre foi est sans objet » (1Co 15,14) que sur le seul plan intellectuel ou logique, au lieu de le recevoir au plan du fondement et du contenu, de l’ « objet » même de la foi. A plus forte raison, les événements de l’AT peuvent apparaître comme inutiles désormais, en tant que préparatifs provisoires et dépassés du véritable événement pascal et du règne de Dieu qui le suit. Enfin, ce schéma pose le problème de l’historicité de l’événement pascal. Les deux formules de la « résurrection » ou de l’ « exaltation » de Jésus entraînent chacune un rapport différent du Christ post-pascal au Jésus pré-pascal. La résurrection accentue la continuité en marquant l’identité entre le crucifié et le ressuscité, au point qu’on soit tenté de relater l’événement pascal sur le seul plan historique ; ainsi d’un évangile apocryphe comme celui de Pierre, qui prétend raconter la résurrection… Inversement, l’exaltation accentue la discontinuité, l’entrée dans l’éternité, le retour au Père de celui qui s’est abaissé dans le monde et dans l’histoire ; ce sont alors les apparitions historiques de Jésus après Pâques que l’on a peine à comprendre.

 

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* « Paul a dû mettre les Thessaloniciens en garde contre tout calcul précis de la date fatidique. C’est peu à peu, sous la pression de l’expérience, que l’on a pris conscience de l’allongement des « derniers temps ». Mais l’imminence du retour est restée une composante essentielle dans la psychologie de l’espérance. » – VTB, article « Temps », p. 1284.

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Pâques (3)

LES EVANGILES ET LES ACTES DES APÔTRES

Les rédacteurs des Evangiles dépassent les problèmes posés par le schéma 2 de différentes manières. Ils font de l’événement pascal, de la passion et de la résurrection du Christ le sommet de leurs oeuvres, montrant que c’est là que se situe la révélation ultime de Dieu. Ils exposent cet événement ainsi que la vie de Jésus comme le point d’aboutissement de toute l’histoire du salut. Ils le font en utilisant l’Ecriture de l’AT elle-même pour le présenter, non pas seulement à titre illustratif ou apologétique vis à vis des juifs, mais comme s’il n’était pas possible de le présenter autrement. Aux yeux d’un non croyant, une telle construction littéraire pourrait sembler une création arbitraire de l’Eglise primitive cherchant elle-même à donner sens aux événements. Les récits de résurrection ne seraient alors que des mythes invraisemblables à visée étiologique. La formule de R. Bultmann « Jésus est ressuscité dans le kérygme de la communauté » illustrerait ce point de vue, s’il n’y avait la subsistance d’Israël comme témoin crédible de ce qui reste pertinent dans le premier schéma : l’impossibilité d’accéder humainement – sans révélation – à une synthèse de toutes les figures de révélation de l’AT. « Ce qui est décisif, c’est que l’Ancien Testament tout entier ait été amené à déboucher sur une synthèse transcendante qui ne pouvait être construite à partir de lui. » ([1] p.219) L’usage obligé de l’AT dans les Evangiles manifeste ainsi la relation entre l’événement pascal et toute l’histoire du salut qui le précède : la seconde conditionne le premier comme préparatifs et comme figure, mais c’est le premier qui détermine la seconde, comme cause finale.

Les Actes de Apôtres décrivent les débuts de l’histoire de l’Eglise comme le déploiement de l’événement pascal dans l’histoire : avec Pierre, avec Paul dont la vie est obéissance et imitation du Christ, c’est la puissance de l’Esprit Saint qui est à l’œuvre. Matthieu, lui, « a écrit ses « Actes des Apôtres » en surimpression au récit évangélique » ([4] p.169) donnant avant Pâques aux disciples de Jésus la foi d’après Pâques qui leur permet de le reconnaître comme le Seigneur, le Fils de Dieu (Mt 16,13-23). Ce qu’il y a alors de remarquable, c’est que le cœur de l’événement pascal lui-même, la résurrection du Christ, le point central de toute l’histoire du salut, passée (AT) et future (Ac, Mt), ce centre n’est pas décrit. Contrairement aux apocryphes, les évangélistes gardent une sobriété d’expression convenant à l’objectivité de la rencontre, en n’appuyant leurs récits que sur des événements historiquement tangibles : ceux qui précèdent la mise au tombeau et ceux qui suivent le tombeau vide. Ils ont fait un choix normatif de « concepts et moyens d’expression convenables [en juxtaposant] des traditions différentes et en partie contradictoires (…) des affirmations limites » qui n’ont pas à être conciliés à tout prix sur le plan terrestre (chronologie, topographie…) mais à être rattachés à « la source commune transcendante qu’elles expriment » ([1] p.245-246) , sans pour autant verser dans l’anti-historisme de Bultmann*. Le schéma est alors le suivant, qui donne tout son sens au mot Pâque – passage :

Un saut doit être fait, que seul le Christ peut réaliser, et qu’il n’est pas donné à l’homme, fût-il évangéliste, de décrire par une description qui supprimerait le saut nécessaire de la foi. Le chemin décrit par les évangélistes est normatif pour le croyant ; il s’agit de passer du « voir sans croire » (condition des disciples auprès de Jésus avant la résurrection), au « ni voir, ni croire » (pendant la nuit du tombeau et l’indescriptible résurrection), au « voir et croire » (les apparitions du Christ ressuscité) et enfin au « croire sans voir » (Jn 20,29).

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* « Que la frontière marquant l’entrée dans le mythe ne soit pas franchie, en d’autres termes, que la dite image mythique du monde reste sans valeur par rapport à l’intention théologique de l’exposé fait que les affirmations bibliques gardent pour nous leur importance, par delà tous les changements que l’histoire a entraînés dans les conceptions du monde, sans que soient requises nulle part de suppressions ni d’altérations importantes (par démythisation). Les « faits nus » (…) sont présentés de telle façon que leur portée théologique apparaît sans que, derrière le kérygmatique, l’historique devienne méconnaissable. » [1] H.U. von Balthasar, Le Mystère Pascal, in Mysterium Salutis n°12, p.246

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Pâques (4)

DE L’EVENEMENT PASCAL VERS LA THEOLOGIE CHRETIENNE

Si le schéma 3 rend bien compte de la cohérence de l’économie du salut, cohérence entre AT et NT manifestée par la structure typologique du langage de la foi qui a émerveillé les Pères de l’Eglise, et cohérence que le Christ seul, par sa passion et par sa résurrection pouvait donner, il subsiste cependant le risque de se placer non plus au niveau de la foi, mais au niveau d’une connaissance qui, une fois connu l’enchaînement de l’histoire du salut, prétendrait le surplomber, en démonter le mécanisme, en se servant même du schéma présenté pour « dépasser » l’événement pascal. Le « il fallait » de l’accomplissement des Ecritures (Lc 24,25-27) serait l’expression d’une loi universelle de l’histoire, à laquelle le Christ lui-même serait soumis ; une loi qui, une fois connue, suffirait au « croyant », le Christ n’étant qu’un cas particulier exemplaire d’application de cette loi, un symbole en référence à une « valeur » plus haute. Sont alors possibles de multiples approches non théologiques de l’événement pascal, qui le « spiritualisent » en des valeurs abstraites et le ramènent en même temps à un niveau purement humain : une sagesse psychologique de reconnaissance positive de la limite et de la mort, l’inauguration d’une civilisation de l’amour-qui-pardonne comme vrai principe des relations humaines, un fondement à l’affirmation de la dignité infinie de la personne humaine, une réconciliation possible de l’homme avec lui-même et avec le cosmos, une espérance de survie après la mort… autant de thèmes qui pourraient nourrir une apologétique s’appuyant sur les « oeuvres » du Christ (Jn 10,38), voire inspirer tel « credo » humaniste ; mais des thèmes qui, une fois affirmés pourraient à la rigueur se passer du Christ, en prenant le statut de « valeurs » autonomes, de fait moins absolues, mais dégagées de toute révélation. Si une telle dégradation du christianisme en morale ou en philosophie est possible, il peut en être ainsi du fait même de la kénose du Christ qui lui fait abandonner à autrui jusqu’à la fécondité de sa vie et de sa mort, au point de laisser aux hommes la possibilité d’en user sans se référer à lui. Mais le chrétien au contraire perçoit l’origine divine de cette fécondité et affirme l’identité divine et humaine de Jésus-Christ, identité qui dépasse ce en quoi nous percevons qu’il nous comble, et cela, dans le fait même d’être totalement « pour nous » ! Celui qui décide d’ignorer cela succombe à la même tentation que celle évoquée avec les autres schémas, celle de spiritualiser les événements ; en s’abstrayant de l’histoire pour en donner le sens lui-même ; en évitant la rencontre personnelle avec le Christ, avec l’Emmanuel, Dieu-avec-nous ; en méconnaissant le fait que « depuis la résurrection de Jésus par le Père et le don de leur Esprit commun, Dieu est tout entier et définitivement présent pour nous, il nous est révélé jusque dans les profondeurs de son mystère trinitaire, bien que cette profondeur qui nous a été révélée (1Co 2,10s) manifeste d’une façon toute nouvelle, absolument saisissante, son mystère insondable (Rm 11,33). » ([1] p.209) Ce qui est en cause ici, c’est donc l’attitude de celui qui accueille le témoignage de l’Evangile :

– s’il veut rester au centre du jugement sur la crédibilité de ce qui s’offre à lui, en voulant accéder par lui-même au « sens » à partir des « faits » relatés, il restera incapable de poser un acte de foi. Il ressemblera à un spectateur de cinéma qui resterait « en dehors du film » pour juger du tournage en ne s’interrogeant que sur la cohérence et la vraisemblance du scénario, à la recherche de garanties pour donner son adhésion ; or, celles-ci lui manqueront toujours : la résurrection n’est pas décrite ; le tombeau vide n’est pas une preuve.
– s’il veut au contraire entrer dans un dialogue, en se laissant emmener par la Parole de Dieu qui s’exprime dans l’Evangile, il accédera mystérieusement au fait de la résurrection, par le sens donné à sa propre vie dans la rencontre avec le ressuscité.

« Le jugement « Jésus est ressuscité d’entre les morts » n’est ni un constat empirique ni le résultat d’une preuve scientifique. » ([3] p.117) On n’accède donc pas à la résurrection comme à un fait historique qui conduirait à croire, mais comme à ce qui donne sens à l’histoire, dès lors que celle-ci est déjà expérimentée elle-même comme une histoire rendue sensée par la rencontre personnelle avec le ressuscité. Ainsi, chez Marc, il n’y a pas d’apparitions – en dehors de la finale (Mc 16,9-20) d’une rédaction d’origine différente. L’expérience des femmes au tombeau est celle de la peur devant le mystère, pour signifier que la rencontre avec le Christ, à son initiative, est le préalable à l’accueil même de l’Evangile : « celui-ci n’est pas une Bonne Nouvelle que l’Esprit humain peut accepter sans être déconcerté profondément ; pour surmonter cette frayeur, une parole angélique ne suffit pas, un texte d’évangile ne suffit pas davantage : il faut se taire, et attendre l’illumination de Dieu en personne. » ([2] p.181) Il faut se taire « afin de mieux accueillir la Parole de Dieu qui se laisse entendre au creux de l’absence. » ([2] p.186) Il en est ainsi pour tout croyant, comme pour ces croyants qui nous ont légué les Evangiles : « sans nier aucunement la priorité objective de l’événement arrivé à Jésus (…) la réception de la résurrection dans le témoignage des apôtres appartient à son sens et donc à son fait, en tant que celui-ci a une portée historique. Tel est l’élément de vérité de la formule « Jésus est ressuscité dans le kérygme de la communauté », à la condition de reconnaître que l’événement arrivé à la personne de Jésus est médiateur de l’événement arrivé à la communauté, avec lequel il forme une unité indissoluble. Il y a là toute la solidarité qui va du corps ressuscité de Jésus au corps ecclésial suscité par la résurrection. » ([3] p.119) On peut alors comprendre le projet des évangélistes et de l’Eglise qui a défini le canon des Ecritures : donner non pas une description exhaustive qui dirait le tout de Dieu et de sa venue dans le monde en Jésus-Christ ; cela est impossible (Jn 21,25) ; mais une invitation à rencontrer le Christ à la lumière de Pâques, l’unique Jésus-Christ ressuscité, rencontré déjà de diverses manières parfois apparemment contradictoires (à Jérusalem, en Galilée…) mais qui suffisent pour baliser toute nouvelle rencontre, sachant que c’est par l’Esprit Saint répandu sur l’Eglise qu’il appartient à chacun de faire cette rencontre (Jn 14,26). Ainsi, une accumulation de témoignages de rencontre n’est pas utile, ni ne suffirait à en épuiser le mystère. Chez Mt, les apparitions sont limitées à celle aux femmes au tombeau, et à celle aux disciples dans la scène finale – « Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde » -, en inclusion littéraire avec la promesse contenue dans le nom d’Emmanuel donné à Jésus au début de l’Evangile. On peut illustrer cela par une analogie graphique (avec effet de perspective) faisant du croyant, non un observateur qui surplomberait l’histoire du salut, mais un être impliqué dans cette histoire.

Les schémas qui précèdent se récapituleraient alors en celui-ci, comme autant de routes vers le Christ :

Tout converge vers la croix du Christ, l’AT comme le NT, de même que les vies des croyants qui témoignent de leur rencontre avec le ressuscité, et dont les témoignages nous proviennent pour ainsi dire de l’avenir, parce qu’ils nous parlent de ce que sera notre propre rencontre avec Dieu : l’ouverture vétéro-testamentaire vers l’avenir qu’est le Christ, subsiste en régime chrétien, mais polarisée sur la rencontre avec le ressuscité ; et cette rencontre est toujours ce qui « ad-vient » de manière imprévisible comme un événement de grâce, ce dont témoignent les Evangiles dans leur discrétion respectueuse du mystère de la résurrection, mystère sans analogie malgré ses préparatifs bibliques. « Quand (…) le chrétien affirme dans la foi la résurrection de Jésus (…) il comprend suffisamment le sens de cette affirmation pour en vivre, en communion avec la parole des premiers témoins ; mais d’autre part, il ne sait pas encore ce que ressusciter veut dire, puisque sa parole a un contenu eschatologique qu’il ne découvrira pleinement que lorsqu’il sera lui-même ressuscité. » ([3] p.121) Les expériences religieuses de l’AT et du NT n’en ont pas moins un caractère normatif pour indiquer la voie de cette rencontre. Cependant, le Christ étant l’unique sauveur, et le « chemin » lui-même, on peut comprendre : (1) la non nécessité d’une liste de chemins de rencontre plus complète que celle du canon des Ecritures pour permettre l’accès au Christ, (2) la possibilité d’une convergence progressive vers lui d’autres voies religieuses, qu’à vues humaines on considérerait plutôt comme parallèles et sans point de concours. Un tel schéma, avec le Christ pour avenir, est complémentaire de celui qui considère « le mouvement de la christologie du Nouveau Testament » (B.Sesboüé [3] p.76), où le temps de l’histoire, entre l’Alpha et l’Oméga est « embrassé » par l’éternité divine, avec le Christ au centre de l’histoire. Tant du point de vue théologique qu’iconographique, la perspective occidentale « à un point de fuite » (schéma 4), tendue vers le Christ, serait complémentaire de la perspective « inversée » orientale dans l’accueil de la vie divine :

Aucun exposé sur Pâques ne saurait remplacer la contemplation croyante du mystère, à travers les témoignages de ceux qui, les premiers, ont fait l’expérience de la rencontre avec le ressuscité. L’Ecriture elle-même ne vaut que comme invitation à cette rencontre avec un Dieu qui vient au devant de l’homme. De la sorte est possible un discours sur Dieu.

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A nouveau sur la vocation

Si tu savais le don de Dieu, Allume ton cœur… En mettant côte à côte le thème de la 43ème journée mondiale de prière pour les vocations (7 mai 2006) et celui d’un récent pèlerinage des collégiens de l’AEP à Lourdes (28 avril au 1er mai), on obtient… un beau résumé de la vie chrétienne. Car celle-ci consiste autant à « recevoir » qu’à « donner » en retour. C’est comme s’il nous était dit : « Si tu savais le don de Dieu, si tu étais davantage réceptif et disponible à l’amour que Dieu te donne sans compter en Jésus-Christ, tu percevrais aussi son appel à vibrer à ses attentes pour le monde ; à allumer ton cœur pour aimer à ton tour, pour te donner ; à mettre en œuvre tes talents pour servir, en particulier les plus petits, les plus faibles, les mal-aimés ; à témoigner de façon rayonnante de l’amour de Dieu pour le monde ; à prendre aussi les moyens de recevoir davantage encore du Seigneur, par l’écoute de sa Parole, par la prière, par l’Eucharistie… »

Les collégiens des aumôneries de l’enseignement public de Midi-Pyrénées en ont fait l’expérience à Lourdes pendant 3 jours : cette attention qu’ils ont consacrée à découvrir et à accueillir la présence du Seigneur dans leur vie, d’un Dieu qui marche à leurs côtés, qui les encourage dans ce grand pèlerinage qu’est leur vie, d’un Dieu qui les porte parfois aussi, qui les réconcilie avec leurs frères, mais aussi avec eux-mêmes… ce passage « par Dieu » n’était pas un détour rallongeant leur parcours, ou une diversion du concret de l’amitié, de l’amour, ou du service à vivre entre frères. Non, c’était au contraire le chemin le plus direct vers cette joie qu’ils ont su se partager dans les moments de fête, de jeux, de célébrations. Lorsque l’on est branché sur le Christ, un rassemblement ne peut qu’être joyeusement fraternel, alors qu’il pourrait aussi donner lieu à chauvinisme, agressivité, excitation collective…

Comme prêtre, ce fut une joie profonde que d’accompagner ces jeunes à Lourdes, d’y redécouvrir avec eux et comme à neuf la vie de Bernadette, les lieux de sa vie, la juste place de la lumière et de l’eau à Lourdes, la prière du « Je vous salue Marie »… J’ose espérer qu’une telle expérience sur un temps trop bref et en un lieu exceptionnel, puisse ouvrir ces jeunes sur ce qui se passe de façon ordinaire dans le beau risque et la belle aventure qu’est toute vocation, qu’il s’agisse de mariage, de consécration religieuse ou de ministère ordonné : un passage « par Dieu » ; une réceptivité accrue à l’égard de l’amour inconditionnel que le Seigneur a pour chacun, et donc pour soi, et donc aussi pour tous ; une réponse personnelle par des choix quotidiens et des exigences à se donner, qui préparent un engagement total, exprimant que nous nous sommes tout entier laissés saisir par cet amour infini, non seulement en actes à l’égard de nos frères, mais à travers le don du tout de notre personne. Ce sera une joie de voir Aurélien de Boussiers et Joseph Sy nous donner le témoignage de ce don par leur ordination, Dimanche de la Pentecôte (4 juin, 16h, en la Cathédrale).

Conversation sur la vocation

En lien avec la journée mondiale de prière pour les vocations, voici une conversation (fictive) rédigée à partir de (vraies) questions posées sur MSN et poursuivie dans le fil des commentaires. Pour les collégiens, voir aussi ici ; pour les lycéens et étudiants, voir aussi .

PAUL – Mon Père, éclairez moi… J’ai une question à vous poser….

JEAN – …

PAUL – Que vais-je devenir ?

JEAN – ???

PAUL – Je ne sais pas ce que je veux faire… et il faut que je prenne une décision…

JEAN – Le choix t’appartient, et si ta décision est prise dans un climat de liberté et de confiance, ta volonté sera celle de Dieu. Deux questions peuvent alors t’éclairer pour discerner si une voie te convient, parmi les multiples qui te conviendraient aussi : (1) y seras-tu heureux ? (2) y feras-tu du bien ?

PAUL – Comment puis-je le savoir ?

JEAN – Répondre à ces deux questions passe par la connaissance que tu acquiers de toi-même à travers [a] les expériences que tu as pu faire, en particulier dans le même registre que celui de la voie que tu choisis – t’être occupé de telle personne âgée de ton entourage, s’il s’agit de discerner une voie dans le médical, avoir fait du soutien scolaire, s’il s’agit d’une voie dans l’éducatif etc… – [b] le retour que t’en donnent ceux qui t’entourent, et qui te connaissent souvent mieux que toi-même… Quel bonheur, quel bien reçus ou donnés… ?

PAUL – Est-ce qu’un voyage, une mission auprès des plus pauvres aiderait au discernement ?

JEAN – Un voyage vaut encore plus le coup s’il est sous-tendu par un projet déjà vérifié à petite échelle, plutôt que pour évaluer l’intérêt d’une voie à partir de rien. Le fait de partir, le dépaysement apporte un plus, certes, en obligeant à aller au bout de soi-même, en révélant des talents peut-être ignorés, mais il ne peut en lui-même indiquer ce qui pourrait être ta vocation et qui aura à se vivre dans la vie ordinaire. Aussi, il y a déjà un premier discernement à faire sur ce qui t’anime, à partir de ce que tu vis déjà ordinairement, et dont une mission, un voyage, une année de service exceptionnel servira à vérifier la profondeur. La vie des saints est assez éclairante à ce sujet. Des saints comme Ignace de Loyola, Charles de Foucauld ont souvent cherché leur voie dans l’héroïsme ou dans une voie extraordinaire. Et ils y ont renoncé, pour revenir à l’ordinaire et y devenir saints… Alors entre partir dans une mission lointaine auprès des plus pauvres, et rester auprès des siens, le choix n’est pas simple : il n’y a pas de réponse absolue, qui ferait dire que partir est bon – ou à l’inverse que rester est bon. C’est à toi de le vérifier, en envisageant sereinement chaque option, et en mesurant intérieurement celle qui t’apporte le plus de paix et de joie. Une précision cependant : il n’y a pas à opposer la recherche du bonheur, de ton bonheur, et la réalisation du plus grand bien, parce que les deux se confondent. Mais il arrive que l’on prenne pour un bien supérieur ce qui n’en a que l’apparence, parce qu’il se présente comme plus héroïque ou exigeant. Le bonheur, avec la paix et la joie qui l’accompagnent coïncide avec le fait d’être à sa juste place. Toujours ces deux critères : être heureux, faire le bien.

PAUL – Comment pourrais-je vérifier que mon choix est le bon ?

JEAN – Il faudrait que je retrouve quelques textes issus de la tradition ignatienne, qui donnent des indications pratiques sur la manière de discerner… Mais en gros, cela part de la première expérience spirituelle de Saint Ignace qui sur son lit de soldat en convalescence, se faisait des films dans sa tête en imaginant soit (1) ce qu’il ferait s’il gagnait tel combat, s’il séduisait telle princesse etc… soit (2) ce qu’il ferait s’il suivait la voie de tel ou tel saint. Les ‘films’ de type (1) le mettaient en joie quand il y pensait mais le laissaient dans une sorte de tristesse ou d’abattement lorsqu’il revenait à la réalité, tandis que les ‘films’ de type (2) le gardaient dans la joie pendant et après le travail de son imagination, même une fois revenu à la réalité. De là il a déduit différentes règles pratiques pour vérifier intérieurement si telle ou telle voie est ou non inspirée par le Seigneur, ou au contraire représente une tentation que l’Adversaire met sur notre route pour nous faire dévier de notre vraie vocation…. Si le fait d’envisager intérieurement telle option du choix, de l’imaginer, te laisse en paix une fois revenu au réel, et même t’aide à vivre plus heureusement et plus courageusement la réalité présente, même si elle est encore différente de ce que tu projettes de faire – c’est que tu es sur la bonne voie.

PAUL – Est-ce qu’il n’y a qu’une seule « bonne voie » ?

JEAN – Je ne pense pas qu’il y ait une seule réponse à la question de la vocation, car je ne crois pas que l’on soit prédestiné à une voie, comme si Dieu avait préécrit ce que nous devions faire, ou comme si l’on pouvait déterminer objectivement ce pour quoi quelqu’un est fait. C’est un peu comme dans l’amour : ce n’est pas quelqu’un de l’extérieur qui peut dire si deux personnes sont faites l’une pour l’autre, car c’est à elles de le dire ; mieux, c’est à elles de le décider ! Car la vocation est autant affaire de se laisser attirer par une voie (parmi plusieurs qui conviendraient aussi), que de la choisir, de la préférer aux autres voies. D’où ces quelques recommandations : garder ouverte la question de ta vocation ; te réjouir de te poser cette question – signe que tu prends la vie au sérieux, et que tu ne te contentes pas de vivre au jour le jour ; avoir assez confiance en Dieu pour croire qu’il saura bien mettre sur ton chemin les personnes et les événements pour t’aider à choisir la manière dont tu voudras aimer au maximum de toi-même ; faire une relecture chaque jour des occasions d’éprouver l’amour de Dieu et de tes décisions d’aimer en retour, qui procurent les plus grandes joies, à toi et aux autres ; ne pas y réfléchir seul, mais accepter d’en parler à un vis à vis, à un accompagnateur qui par son écoute, t’aidera à une relecture plus objective de ce qui t’anime.

PAUL – C’est alors à moi de décider, de choisir cette voie parmi d’autres bonnes voies possibles ?

JEAN – Oui. A ce titre, il n’y a pas de grandes et de petites décisions. Bien sûr, devenir prêtre, s’engager dans la vie religieuse ou se marier et fonder une famille représente une décision majeure dans une vie, et qui pourrait induire un certain stress, du fait de l’incertitude et de l’enjeu ; mais en réalité, une telle décision est prise sans inquiétude et presque naturellement, si elle est préparée par l’habitude de prendre ordinairement des décisions, grandes ou petites, qui vont dans le sens de la joie et de la paix évoquée ci-dessus… Par exemple, un jeune pour qui l’Eucharistie devient progressivement indispensable, qui choisit de lui consacrer du temps en semaine, parce qu’il a vérifié que c’était un chemin de vie… quelqu’un pour qui trouve sa joie à partager sa foi, avec ce que cela suppose de réflexion préalable sur cette foi, d’attention aux attentes des hommes, ce jeune peut envisager avec une certaine liberté intérieure une vocation sacerdotale. De même quelqu’un qui vérifierait au quotidien sa joie d’être auprès des malades pourrait envisager une vocation dans ce domaine, ou la vocation religieuse pour quelqu’un qui découvre concrètement la prière comme ouverture à l’absolu de Dieu qui seul suffit…

PAUL – Parfois j’essaie de faire le « bilan » de la journée et de le remercier pour celle-ci, mais ce n’est pas toujours évident. Comment je pourrais m’y prendre ?

JEAN – Une attention pratique aux joies quotidiennes et à leur origine peut déjà être un exercice spirituel suffisant pour le moment. On en reparle bientôt. D’accord ?

 

Une question de regard

Voici quelques textes et photos (issues de dpchallenge, un excellent site de photos de concours) sur « le regard », en complément du message de Carême de Benoît XVI, et qui ont servi de support à un temps de partage entre lycéens et étudiants…

Être compris

Lumière dans la prisonAppel à l'aideAide

Parmi les accusés de l’affaire d’Outreau, plusieurs de ceux qui ont été innocentés ont trouvé soutien et réconfort en des lieux inattendus. Témoignage : « Après avoir crié des mois, après m’être heurté à des murs, j’ai eu ce sentiment de n’être compris par personne, même pas écouté. Pour moi la justice s’est montrée non seulement aveugle mais aussi totalement sourde ! Le seul rayon de lumière dans ma nuit est venu d’où je l’attendais le moins : la prison. J’ai eu la chance d’être incarcéré dans une maison d’arrêt où j’ai rencontré des gens formidables ! Le Directeur, les surveillants m’ont aidé à vivre. Ils m’ont dit : si vous êtes innocent, tenez bon, vous verrez, la vérité éclatera au procès ! Là-bas je suis redevenu quelqu’un. Malgré ma colère encore aujourd’hui, je veux leur dire merci. Merci à ceux qui m’ont aidé, merci à ceux qui m’ont forcé à sortir de ma cellule, merci à ceux qui m’ont calmé lorsque j’avais la haine, merci à ceux qui m’ont regardé comme un homme. »

Devenir ce que l’on est

FamilleLe meilleur ?Ballons

Ronaldinho, joueur de Barça et de l’équipe nationale du Brésil, ballon d’or 2005, s’est confié dans une interview à un journaliste français. Les questions fusent entre les matchs européens à Barcelone et notamment contre Chelsea, et l’équipe du Brésil où il est titulaire indispensable : « Pour espérer aller loin en coupe du monde, il faut savoir respecter ses adversaires. Sans exception, il n’y a pas d’équipes faciles. Nous avons tous conscience que sans travail nous n’arriverons à rien. Nos joueurs possèdent un immense talent mais essaient de ne surtout pas écouter tout ce qui se dit autour de nous : que nous sommes les meilleurs… » Le journaliste : « On a l’impression que vous êtes toujours aussi heureux de jouer au football. Votre famille y-est elle pour quelque chose ? ». « La famille c’est très important. Tous les jours, tout le temps. Je ne vois pas pourquoi j’évoluerais dans le mauvais sens. Je suis tel que je suis. Et j’espère le rester encore très longtemps. »

Passer les frontières

Egalité-différenceDialogueMartyre

Marietta Santoro, la mère du prêtre italien assassiné en Turquie le 5 février dernier a demandé au ministre italien des Affaires étrangères de transmettre à la Turquie l’assurance de son pardon pour Ouzhan Akdin, le jeune musulman de 16 ans qui a tué son fils. Le p.Andrea Santoro était prêtre du diocèse de Rome mais « prêté » à l’Eglise de Turquie, au service de l’Evangile et des personnes marginalisées. Il était un ardent promoteur du dialogue entre chrétiens et musulmans, connu et apprécié pour son engagement social et sa disponibilité à l’écoute et au dialogue. Hikmet Akdin, le père d’Ouzhan a alors déclaré : « Je voudrais réunir suffisamment d’argent pour venir en Italie et baiser les mains de cette femme bonne et courageuse. » « J’ai appris, dit le père d’Ouzhan, que la mère du prêtre lui a pardonné. Je voudrais la rencontrer et lui baiser les mains en signe de gratitude. Sa bonté m’a bouleversé. Pour moi, un chrétien et un musulman sont deux hommes égaux, qui prient un Dieu différent ». (d’après l’agence de presse catholique Zenit)

Être apprécié pour soi-même

Appréciée pour soiComme un soleilMercedes-Benz

Chloé, 23 ans, est selon son patron une jeune fille « avenante et bien dans ses baskets ». Elle travaille à l’agence parisienne de Mercedes-Benz comme assistante de financement, embauchée en CDI en juin 2005 après un an de stage. Rien que de très banal, sauf que cette embauche relève d’un projet innovant de la part de l’entreprise, d’une démarche déterminée de la part de la direction qui a impliqué tout le personnel. Certains ont eu peur ou ont considéré qu’accueillir Chloé était trop lourd. De fait, Chloé est atteinte de trisomie 21. Pourtant, « elle nous a tous surpris » dit Annick, chef des ventes. « C’est un rayon de soleil. Elle pose des questions de bon sens. Elle nous permet de relativiser. Elle est toujours positive. Elle a conscience qu’elle est différente, mais cela ne la gène pas dans son rapport avec les autres. » A la question : quelle est votre fonction, Chloé répond : « J’assiste la conseillère en financement, je vérifie les dossiers de financement, je réponds au téléphone, j’accueille les clients, j’assiste aussi aux réunions avec les vendeurs, je suis la « reine des fax ». » Si on lui demande comment elle vit sa trisomie : « Chez Mercedes-Benz, je suis une fille normale. Je ne me sens pas jugée. Je veux que l’on m’apprécie pour moi. » (d’après un article de la fondation Jérôme Lejeune, repris par Zenit)

Accueillir Son regard

EnvolSeul contre tousAccusateursPéché

Au premier siècle de notre ère, dans la Palestine sous domination romaine, une femme est prise sur le fait en flagrant délit d’adultère. La Loi juive exige qu’elle soit exécutée, mais Rome interdit la peine de mort dans les tribunaux juifs. C’est l’occasion de piéger ce Jésus que les foules voient comme un nouveau prophète. Les docteurs de la loi traînent la femme et la jettent aux pieds de Jésus. Va-t-il rejeter la Loi juive, et contredire les règles de son peuple ? Ou va-t-il transgresser la Loi romaine et risquer d’être accusé devant les Romains ? Dans les deux cas, il se trouve en tort. Jésus fait alors appel… à la conscience de ses interlocuteurs : « Celui d’entre vous qui est sans péché, qu’il soit le premier à lui jeter la pierre. » Sur cette réponse, tous s’en allaient l’un après l’autre, en commençant par les plus âgés, laissant Jésus seul avec la femme en face de lui. Il se redressa et lui demanda : « Femme, où sont-il donc ? Alors, personne ne t’a condamnée ? » Elle répondit : « Personne, Seigneur. » Et Jésus lui dit : « Moi non plus, je ne te condamne pas. Va, et désormais ne pèche plus. »