Quelques mots sur la politique

La politique est « forme éminente de la charité », « champ de la plus vaste charité » (Pie XII) en ce qu’elle vise un ordre social juste, humain, responsable, et qu’elle est un art de gouverner et d’organiser au mieux la société. Si elle requiert de conquérir et d’exercer le pouvoir, ce dernier ne peut être recherché comme une fin, mais comme moyen de servir la société : inverser fin et moyen est le signe de ce que l’on n’est plus dans la charité, que l’on s’est dévoyé de la politique.

La politique ne peut promettre une société parfaite, du fait de cette faille au cœur de chacun – à ne pas faire le bien que l’on veut, et à faire le mal que l’on ne veut pas – et que la tradition chrétienne appelle « péché originel ». « Qui veut faire l’ange fait la bête » (Pascal) et les utopies politiques dégénèrent souvent en totalitarismes sanguinaires de par leur prétention à une perfection. La meilleure organisation de la société, si tant est qu’elle existe, ne compense pas le péché ou l’égoïsme de ses membres, et notamment de ses dirigeants. Une bonne politique peut cependant contribuer à en limiter les effets, et mieux, elle peut favoriser la mobilisation du meilleur de ce dont l’homme est capable, au service du bien commun.

La politique est affaire de compromis. La modestie en politique vient de ce que le bien qu’elle vise a plusieurs dimensions, qu’il s’évalue sur de multiples critères qui peuvent être en concurrence, conduire à des disputes. Cela interdit d’absolutiser un critère au détriment des autres, ce qui est le cas dans tout extrémisme. Plutôt que d’avoir à choisir de manière binaire entre le blanc et le noir, le vrai et le faux, le bien et le mal, le débat politique oblige à choisir entre des nuances de gris, ce qui relativise la passion avec laquelle on peut s’y disputer. Contrairement à un monde parfait, où les idéaux de justice, de vérité, de bien, de beauté, d’unité… convergent harmonieusement en Dieu – ce qu’en termes médiévaux on appelait la « convertibilité des universaux » -, ici-bas, la priorité donnée à telles ou telles dimensions du bien conduit à des projets politiques différents, qui seront meilleurs sur tel point, et moins bons sur tel autre, et inévitablement, meilleurs pour telles catégories de la société, et moins bons pour telles autres.

La politique s’appuie sur un vouloir-vivre-ensemble. Pour être mis en œuvre d’une manière non purement coercitive, un projet politique suppose chez les concitoyens un consentement minimal à faire prévaloir le bien commun sur leurs intérêts catégoriels ou particuliers. Aucun projet politique ne peut prétendre réaliser le bien de la société dans toutes ses dimensions et d’une manière qui satisfasse tous ses membres de façon égale, mais il peut promouvoir un bien commun en s’appuyant sur cette solidarité minimale fondée sur le sentiment d’appartenir à une communauté de destin. Pas de projet politique possible avec une société atomisée – ou « liquide » – où n’existerait pas ce consensus de base. C’est la tâche première du dirigeant politique de favoriser ce consensus, à l’inverse d’un processus électoral qui ferait de la relation électeurs-élus un rapport de clients à fournisseurs, où les candidats prétendraient répondre aux besoins catégoriels des électeurs, plutôt que de les motiver à s’en décentrer.

En politique, l’économie est au service d’un projet commun. A l’inverse de Saint Simon et de tout technocratisme, la politique est davantage le gouvernement des hommes que l’administration des choses. Elle n’est pas que la gestion économique d’une collectivité, mais l’art d’entraîner un collectif vers un avenir désirable. Elle doit pour cela s’incarner en des hommes qui, en leur personne, par leur histoire autant que par leur projet, donnent envie d’un avenir commun.

La politique est affaire contingente. Je peux préférer tel candidat, en étant lucide non seulement sur ses limites ou celles de son projet, mais aussi sur les miennes, sur mes œillères, sur la possibilité de me tromper : je ne me définis pas par mon vote ! La politique doit « faire avec » les limites de ceux avec et pour qui elle s’exerce. Elle doit tenir compte de l’écart entre l’élaboration du projet, et ce que permettent la relative adhésion qu’il suscite dans le peuple, et les contraintes extérieures – économiques, géo-politiques, écologiques…

Quelques convictions personnelles : en me voulant chrétien, je préfère l’altruisme social, le partage des richesses, mais ceux-ci ne valent que s’ils sont librement consentis, personnellement d’abord, puis collectivement par un choix démocratique ; ils ne peuvent être imposés par une nomenklatura à la manière du communisme ; contre l’économisme, la recherche effrénée de la compétitivité, et la financiarisation de la société, je préfère une certaine décroissance – qui commence à l’échelle personnelle en acceptant de consommer moins, plus éthique du point de vue social et environnemental, quand bien même ce serait plus cher (et moins compétitif), pour s’étendre à toute la société par contagion, imitation puis réglementation, voire protectionnisme ; la souveraineté n’est pas une affaire de taille (à moins de n’en rester qu’au plan économique : celui des « économies d’échelle », de la taille critique face à la concurrence mondiale), mais de confiance en son identité : pour la France, pour le meilleur et pour le pire, cette identité inclue une prétention historique à l’universel – comme Fille aînée de l’Église et comme Patrie des Droits de l’Homme et des idéaux de la Révolution, par l’évangélisation ou par la colonisation – et donc à la laïcité qui les distingue sans les séparer ; j’assume un conservatisme à la fois sociétal et environnemental, car « tout est lié » (pape François, Laudato Si) : « Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse. » (Camus) Cela se traduit dans une éducation qui privilégie l’enseignement de savoirs, la transmission d’un patrimoine culturel dont l’histoire a trié le meilleur, plutôt que l’acquisition de compétences up-to-date qui relèvent de la formation ultérieure.

Enfin
…je ne crois pas qu’un homme providentiel puisse changer un pays,
…un pays ne vaut pas en fonction de ce qu’il produit, gagne ou consomme, mais de ce pour quoi il est prêt à se dévouer, des causes pour lesquelles il est prêt à s’engager,
…un bon dirigeant politique est moins un gestionnaire de talent que celui qui oriente le mieux la générosité, la capacité de don du pays vers les plus grandes causes,
…pour cela, il favorise le sentiment d’appartenance, la communauté de destin des citoyens qui leur permettent de se décentrer de leur individualisme, de viser plus haut, plus collectif,
…il ne peut le faire qu’en incarnant lui-même ce dévouement, ce décentrement, en donnant l’exemple,
…mon choix est tout récemment fait, sur les candidats à l’élection présidentielle et leur projet,
…ce choix est complètement discutable, critiquable, et je serai peut-être le premier à le contester dès après les élections,
…cet avis est d’autant plus relatif que je suis prêtre catholique, et que certains fidèles pourraient « bêtement » me donner un rôle d’éclairage des consciences que je n’ai pas sur une question contingente – le choix électoral – sur laquelle je n’ai ni plus ni moins à dire que chacun !

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