Leçons magistrales dominicaines

L’après-midi du samedi 20 octobre, les trois pères dominicains Jean-Michel Maldamé, Serge-Thomas Bonino et Benoît-Dominique de la Soujeole, ont donné une leçon publique à l’occasion de la réception du grade de « maîtres en sacrée théologie » au couvent des dominicains de Toulouse. Ayant eu la chance d’avoir eu les deux premiers comme professeurs à la Catho de Toulouse, je vous transmets ci-dessous les notes que j’ai été heureux de prendre à ces conférences – ces notes n’engagent pas les conférenciers, car j’ai pu mal entendre ou mal interpréter. Elles portaient sur :

– les premiers mots de la Bible (J.M.Maldamé)
– être un « défenseur de la foi » (S.Th.Bonino)
– la possibilité d’une concélébration eucharistique entre catholiques et orthodoxes (B.D.de la Soujeole)

Les conférences elles-mêmes peuvent être écoutées directement sur le site des dominicains : ICI.

 

Les premiers mots de la Bible

Commençons par le commencement : Bereshit bara Elohim et hashamaïm vehet haarets. Cette phrase forme un tout, avec un sujet, Dieu ; un verbe, créer ; un objet, la totalité ;mais aussi un premier mot : Bereshit. Comment le traduire ? Tous s’accordent pour dire qu’il est formé à partir du mot rosh, tête, et Chouraqui traduit sans traduire par « en tête ». Les traductions habituelles des bibles BJ, TOB traduisent par « au commencement ». C’est exact, mais insuffisant. La LXX traduit par en archè, la vulgate in principium, et là, c’est plus que le commencement. C’est considérable : les 5 premiers mots forment un porche d’entrée au récit, sans faire partie du récit (La terre était informe et vide, et l’esprit planait sur les eaux…). C’est un porche pour la Genèse, mais aussi pour toute la Bible, NT compris. C’est cette exigence qui invite à voir dans Bereshit autre chose qu’un banal « au commencement ». C’est ce mot qui a inspiré Saint Jean dans le Prologue, reprenant le premier mot de la Bible grecque, et saint Paul dans son hymne du 1er chapître de l’épître aux Colossiens, auquel sera consacrée cette leçon.

 

Rendons grâce à Dieu le Père, qui vous a rendus capables d’avoir part, dans la lumière, à l’héritage du peuple saint.
Il nous a arrachés au pouvoir des ténèbres, il nous a fait entrer dans le royaume de son Fils bien-aimé,
par qui nous sommes rachetés et par qui nos péchés sont pardonnés.
Il est l’image du Dieu invisible, le premier-né par rapport à toute créature,
car c’est en lui que tout a été créé dans les cieux et sur la terre, les êtres visibles et les puissances invisibles :
tout est créé par lui et pour lui.
Il est avant tous les êtres, et tout subsiste en lui.
Il est aussi la tête du corps, c’est-à-dire de l’Église.
Il est le commencement, le premier-né d’entre les morts, puisqu’il devait avoir en tout la primauté.
Car Dieu a voulu que dans le Christ toute chose ait son accomplissement total.
Il a voulu tout réconcilier par lui et pour lui,sur la terre et dans les cieux,en faisant la paix par le sang de sa croix.

(Col 1,12-20)

 

Nous lisons en Col 1 une confession de foi au Christ fils de Dieu. Un hymne, oui, mais en réalité une confession. Une grande phrase, majestueuse, ample, qui couronne l’évolution de la foi de Saint Paul. La confession de l’épître aux Romains, antérieure, où Paul désigne le Christ comme Fils de David selon la chair, Fils de Dieu avec puissance, selon l’esprit de sainteté par sa résurrection d’entre les morts. (Rm 1,3). Espérance messianique, où le messie est désigné fils de Dieu par le prophète Nathan. La résurrection, est la glorification de l’humble fils de David selon la chair en Fils de Dieu. Dire que Jésus est Christ, c’est confesser l’exaltation du Christ ressuscité. Mais dans Col, Paul va plus loin: il applique à Jésus, au ressuscité, toutes les harmoniques de sens contenues dans le 1er mot de la Bible : Bereshit, en archè. Il est l’image du Dieu invisible. Paul est dans la Genèse, où l’image évoque l’homme, la seule image possible de Dieu, qui n’a pas d’autre représentation possible. Derrière image, entendons Adam, créé par Dieu. Est-ce que ce rapprochement est légitime ? Oui, car c’est un thème majeur de la pensée de Saint Paul, qui l’accompagne toute sa vie de parler du Christ en référence à Adam (1 Co : Adam et Christ, principes de vie promise à la mort ou à la vie éternelle…). En 1Co, Paul parle de l’illumination de l’Evangile de la gloire du Christ lui qui est l’image de Dieu (2 Co 4,4). Ce que signifiait prophétiquement Gn 1, se trouve accompli par Jésus-Christ quand il rentre dans sa gloire. C’est à cela que fait référence le premier né d’entre les morts.

Certes, la notion d’image a été entendue dans d’autres sens chez les Pères de l’Eglise. Mais nous acceptons de rester dans le contexte de la pensée de Saint Paul.

Paul dans Col, nous dit des perspectives cosmiques, cosmologiques, et réagit à une erreur évoquée dans d’autres textes du NT, selon laquelle Jésus ressuscité serait monté aux cieux, et serait devenue une puissance céleste parmi d’autres (puisque dans ce temps les cieux étaient divinisés) fût-ce la première. Pour dire que Jésus n’est pas un être céleste parmi d’autres, Paul se réfère à ce qu’il y avait dans la Création, qui transcende le cours du temps, en affirmant la présence dans l’intention du Fils de Dieu. Les sages d’Israël, pour dire la création, prenaient la comparaison de l’architecte avec le projet qui préexiste à l’oeuvre. Dès le principe tout est créé pour tendre vers l’image du Dieu invisible. La notion d’architecte qui préexiste à la Création, identifié à la Sagesse, se retrouve dans « Tout a été créé par lui et pour lui. Il est avant toutes choses et tout subsiste en lui. » En relisant les textes de sagesse, on trouve la Sagesse personnifiée présidant la Création, et en Si : tout ce qui est dit de la sagesse « n’est autre que le livre de l’Alliance du Très Haut » (Si 24, 23). Chez les rabbins, les scribes, les cabbalistes qui vont durcir les choses, cette sagesse, c’est la loi, qui n’est pas supprimée mais accomplie en Christ. Ce que les sages disaient de la loi, il faut le dire du Christ. Ce qui était dit d’une lettre morte, il faut le dire d’un vivant, premier né d’entre les morts. La place centrale de celui qui est glorifié est signifiée par l’emploi du premier mot de la Bible : toute la Création se comprend dans son principe (archè). « Il est le Principe »… Il faudrait à rebours traduire Bereshit, non par « Au commencement », mais « Dans la Sagesse », ou « Avec Sagesse » ou « Par la Sagesse ». Ce serait là une nouvelle traduction, qui renverrait à la lumière qui vient du 1er mot de la Bible. Traduire Bereshit par Sagesse, libérerait nos esprits d’un certain nombre de confusions, en particulier le concordisme, où l’on ferait du big bang le point zéro du modèle cosmologique standard, alors qu’elle n’est qu’une singularité initiale. La Genèse ne nous raconte pas le commencement, mais la générosité de Dieu, la sagesse de Dieu dans son acte créateur.

Le Christ est aussi désigné comme « tête du corps » (cf. rosh), ce qui anime le corps, ce qui donne vie à tout. Quand on entre dans cette compréhension des choses, on est toujours alors hanté par la question du Mal. Pour ne rien éviter, Paul évoque alors le sang de la Croix. La grande difficulté que Paul a connue dans sa jeunesse, c’est celle d’u Messie crucifié. Or C’est ce Messie crucifié qui est la tête, ce qui était annoncé dans le 1er mot de la Bible, l’amour qui va assumer, affronter la mort.

En hébreu, il y a des modes, plutôt que des temps passé, présent, futur. Dans la 1ère phrase de la Bible, portail qui ouvre jusqu’à l’Apocalypse, on n’a pas de passé, présent, avenir. Mais le passé convient, car il dit que ce qu’il y a dans le principe, c’est ce qui se déroule dans le temps. Mais c’est aussi maintenant que Dieu crée, que dans sa sagesse il nous fait vivre, que dans le Christ ressuscité il nous donne la vie.

La foi demande à s’exprimer, elle est fortifiée par l’expression de la liturgie. A la fin du cycle liturgique, il y a une fête importante, la fête du « Christ Roi ». Le Concile Vatican II et la réforme liturgique qui l’a suivi l’a changée en fête du « Christ roi de l’univers », ce qui revient à honorer le Christ dans la profession de foi de Saint Paul en Col. Cela évite des discours nostalgiques d’ancien régime, mais cela donne à la Résurrection sa place centrale, cela aussi permet de distinguer la place du Christ et la nôtre. Le mystère pascal est le cœur de la foi, et s’exprime en divers moments liturgiques. La dimension cosmique du mystère pascal est signifié dans l’Ascension. Le temps liturgique qui s’achève est récapitulé en Christ. Ce n’est pas une évasion. Dans l’hymne de Vêpres de l’Ascension, il y a 2 versets : Culpat caro, purgat caro, regnat Deus Dei caro. La chair est le lieu du péché, la chair a été l’instrument du salut et du règne de Dieu. Dieu règne sur la chair comme principe de salut. La chair de Dieu comme principe de salut, Le Christ roi de l’univers, celui qui a notre foi.

Il faut expliquer saint Paul par saint Paul, sans s’appuyer sur Jn 1 et la théologie du logos qui s’appuie sur les 1ers mots de la Genèse En archè, cela ne doit pas faire penser à un désaccord entre Paul et Jean. Il y a en fait un accord profond entre Paul et Jean. Dans le dernier entretien de sa vie publique, Jésus déclare en Jn 12,32 « Elevé de terre, j’attirerai tout à moi », le mot signifie à la fois la croix et l’exaltation. C’est ce que disait saint Paul. Le Christ attire tout à lui. Pendant la semaine sainte, à l’office du matin et au milieu du jour, une prière d’intercession s’adresse au Christ et lui demande : « Toi qui ayant étendu tes bras sur la croix, attire à toi tous les temps, tous les mondes. »

Oui, je crois, je m’efforce d’accueillir et de vivre cette parole du Christ transmise par l’Evangile de Jean : « Elevé de terre, j’attirerai tout à moi ».

 

Être un défenseur de la foi

Si on laisse de côté la question pourtant essentielle de la langue, que reste-t-il comme différence entre un moudjahidine afghan et un dominicain ? Tous deux sont des combattants de la foi. Pour « la défense de la foi », dit la liturgie. Cette défense est au cœur de la vocation dominicaine. Ainsi pour la prière sur les offrandes pour la messe de Saint Thomas d’Aquin. La préface insiste : « Dominique fonda son ordre pour mener le combat de la foi. » Vocabulaire martial, voire belliqueux.

La différence tient dans la nature, les finalités, et donc le style et les moyens du combat. Le combat de la foi désigne la lutte vitale que mène chaque homme dans sa vie. Au plus intime de lui-même s’affronte la vie et la mort, la voix de la foi et les voix mauvaises de l’incrédulité, du désespoir, d’une pitoyable sagesse du carpe diem sans raison de vivre. L’homme reste un animal métaphysique, en qui a été inoculé le terrible virus métaphysique, qui fait sa souffrance et son honneur de ne plus se satisfaire du relatif. Odon Vallet signale que le simple fait de donner la vie à la génération qui vient, signifie que la vie est pour nous intrinsèquement bonne, valant la peine d’être vécue. Un oui à la vie, qui en dernière analyse est un oui à Dieu ; un oui jamais acquis, arraché à la tentation du nihilisme et de l’incroyance. Seul face au gué de Yabboq, Jacob a lutté toute la nuit et en sort vainqueur : je ne te lâcherai pas que tu m’aies béni. Combat de la foi, dans la nuit, solitaire, qui se conclue par une bénédiction. Mais cela se vit en Eglise, et les dominicains ont mission d’accompagner le combat apostolique de la foi, en vue du salut des âmes. Ce combat apostolique consiste à écarter les obstacles qui s’opposent à la rencontre personnelle avec le Christ. 2 conditions : au plan objectif, la foi fides quae désigne un enseignement qui s’adresse à l’intelligence pour ouvrir un nouvel horizon pour l’existence ; le combat pour la foi implique de proposer un enseignement vrai. Mais il faut aussi la fides qua, au plan subjectif : les conditions favorables à l’accueil de la foi.

Le 1er obstacle, c’est l’erreur sur la personne, comme Jacob qui se trompe entre Rachel et Léa – de l’inconvénient du voile intégral… Il faut pour cela que la Parole de Dieu soit donnée elle-même, et non nos accommodements idéologies, nos hérésies, une sorte de Canada Dry, qui ressemble à la foi, en a le goût, mais n’est pas la foi. Pour que ce soit bien cette parole qui soit transmise, Jésus a promis l’assistance de l’Esprit Saint pour la transmission de cette parole. L’Eglise veille à transmettre sans altération ce qu’elle a reçu du Christ. Cette mission est celle de toute l’Eglise. Mais l’Eglise n’est pas un tout indifférencié, mais structuré. Tous les chrétiens sont dotés d’un flair, d’un 6ème sens, le sensus fidei qui leur permet de sentir la conformité de l’enseignement avec la foi reçue des apôtres. Mais les pasteurs, les évêques ont reçu un charisme pour prêcher la foi en étant attentif à écarter toutes les erreurs qui menacent le troupeau. Cf. l’iconographie qui représente Saint Thomas d’Aquin avec sur la poitrine un soleil qui dissipe les ténèbres de l’erreur par la vérité de son enseignement. Il revient à une seule et même personne de s’attacher à un contraire et à réfuter l’autre. L’office du sage est de méditer la vérité et de combattre les erreurs. L’erreur, de manière générale est un mal qui blesse la personne dans sa capacité à connaître, qui est la condition d’un agir responsable. Elle limite la liberté, et empêche de prendre de bonnes décisions. Combattre l’erreur est un service rendu au croyant. Il faut veiller qu’aux enfants qui demandent du pain, on ne remette pas une pierre. Le catéchisme de l’Eglise indique que la mission du Magistère est d’écarter les erreurs pour permettre de professer la foi authentique. Les frères dominicains, en vertu de leur profession participent à cette mission. 1215 : ordination des premiers frères pour être prédicateurs, chargé d’extirper les erreurs, chasser le vice… avec les termes mêmes du Concile de Latran IV pour définir le munus docendi des évêques. Participation à la mission enseignante des évêques. Cela inclue la défense et illustration de la foi catholique. L’assistance promise à l’Eglise n’est pas magique, extrinsèque, elle ne tombe pas du ciel, mais s’inscrit dans une démarche ecclésiale, avec les moyens humains pour accomplir cette tâche. L’étude est le 1er moyen, consubstantiel à la vocation dominicaine, par une immersion dans la Parole de Dieu, qui fait discerner ce qui est conforme ou non à la foi apostolique. Mais cette étude qui met en œuvre les ressources de la rationalité est aussi une affaire spirituelle. Le théologien doit dans la prière garder un contact vivant avec la Révélation, avec une nécessaire purification de son intention profonde, car la défense de la vérité est un lieu propice à la volonté de toute puissance, avec le désir d’avoir toujours raison, qui remplace l’effacement humble devant la vérité. Cette humilité fait du théologien le collaborateur de la vérité. Son obéissance permettra que la vérité puisse parler à travers la théologie.

L’agronome ne veille pas à la qualité des semences pour les conserver sous cloche. De même, l’Eglise conserve le dépôt de la foi, pour le communiquer à tout homme. C’est le 2nd aspect de la foi, comme démarche intérieure d’accueil de ce Dieu qui vient à moi. Le défenseur de la foi se trouve alors démuni, se situant à l’extérieur. C’est Jésus qui frappe à la porte, et qui entre, seul. Mais Jésus envoie ses disciples en avant de lui, dans les lieux où lui-même devait aller. Mission d’aller préparer les cœurs, pour que Jésus puisse venir célébrer la Pâque dans le cœur de tout un chacun. La conviction de Saint Thomas d’Aquin est que la puissance de Dieu se manifeste dans sa générosité. Dieu suscite dans ses enfants une capacité d’agir les uns sur les autres. A la différence des puissants de ce monde, Dieu n’a pas besoin de se prouver qu’il existe en abaissant les autres. Au contraire, il associe ses créatures à son propre gouvernement de l’univers. A la fin de la prima pars, St Thomas envisage les différentes manières dont Dieu agit : Dieu seul est présent, agissant au plus intime de moi-même, au cœur même de mon activité la plus personnelle. L’altérité de Dieu n’est pas du même ordre que l’altérité humaine, en vis-à-vis d’autrui. Dieu est la source permanente de l’acte d’être qui me fait ce que je suis, et qui rend réelle toute activité positive. Deus intimior intimo meo. Le christianisme a ainsi sanctuarisé la personne. L’ordination de la personne à Dieu relativise toutes les relations horizontales aux créatures. Aucune créature n’a prise directe sur l’intimité de ma vie, l’action d’une créature ne passe que par les conditions extérieures de ma vie. Ainsi l’ange ne peut pas agir directement sur ma liberté ou mon intelligence, mais indirectement, sur les processus psycho somatiques qui conditionnent la vie de l’esprit. Pour l’homme, l’influence est encore plus limitée, même à son plus haut, qu’est l’éducation. Le maître ne communique pas sa pensée, mais manipule des idées, des mots, pour mettre son élève sur la piste. La lumière de la connaissance si elle agit, surgit de l’intérieur. Aucune créature ne peut donner la foi à une autre créature. L’acte de foi est un acte vital qui surgit de l’intérieur de la créature. Seul le Christ, le maître intérieur peut donner aux paroles extérieures une force de vie. Mais le maître extérieur doit établir des ponts entre l’univers mental de son interlocuteur et la vérité de la foi. Il a souci de rendre audible la parole de la foi. Il doit comprendre le contexte culturel de son interlocuteur, en discernant ce contexte facilite ou rend plus difficile la foi. L’incroyance contemporaine, n’est pas réductible à la seule mauvaise volonté. Elle est induite par un contexte culturel, intellectuel, qui rend la foi improbable, qui ferme l’accès à la foi : conception négative d’une liberté absolue déconnectée de la vérité, la mythologie de l’évolutionnisme, la réduction de la rationalité aux seules sciences dures aboutissant au relativisme, à l’abandon de la foi aux fluctuations du sentiment… Mon attention à la pensée médiévale est liée au souci de détecter à leur source des aiguillages défavorables à l’accueil de la foi.

Le combat de la foi est inséparable d’un certain style, avec une cohérence entre le contenu du message et la manière de l’annoncer. Appuyé sur la seule grâce du Christ, face au catharisme, Dominique a fait un choix décisif : la parole plutôt que les armes de la croisade. Comme David refusant l’armure de Saül, pour ne prendre que 5 galets, les 5 livres de la torah. Des formes plus subtiles de violence, pression sociale, chantage affectif, savoir institué, sagesse illusoire… Saint Paul y a renoncé, comme à toute forme de puissance autre que la vérité et la charité. La foi chrétienne n’a pas besoin d’autres armes. Elle s’appuie sur une cinquième colonne, un allié inviscéré dans le tréfonds de l’esprit humain : le désir de la vérité. Nous n’avons pas à le susciter : l’esprit est fait pour la vérité. La vérité ne s’impose alors que par la force de la vérité elle-même. C’est une reconnaissance qui s’opère dans l’acte de foi. Tu étais là et je ne le savais pas. La vérité doit être cherchée selon la manière propre de l’esprit humain, librement, par l’échange et le dialogue, où l’on s’expose la vérité que l’on a trouvé ou pense avoir trouvé. Manuel II paléologue, l’empereur byzantin, le disait : ne pas agir selon la raison, est contraire à la foi. On ne doit jamais recourir à la violence pour convaincre. Certes, les chrétiens n’ont pas toujours été à la hauteur de cette exigence. Jean-Paul II en a demandé pardon, pour le consentement à l’intolérance et la violence dans le service de la vérité.

Une légende veut qu’une nuit, Saint Dominique eut la visite de Pierre et Paul, qui lui remettent le bâton de pèlerin et le livre de l’Evangile. Les peintres ont doté les apôtres de leurs attributs habituels : les clés, et l’épée. Cette épée correspond à l’évangile lui-même remis à Dominique. La Parole de Dieu est cette épée à double tranchant qui sort de la bouche du Christ, qu’il n’aurait pour rien au monde échangée contre les rapières émoussées. Seule cette épée de la Parole aiguisée par la méditation et l’étude pourra infliger une blessure qui guérit toute blessure.

 

Concélébrer entre catholiques et orthodoxes

Le propos de la leçon est de savoir si dans l’état actuel des relations œcuméniques entre catholiques et orthodoxes, la concélébration eucharistique est possible ou non.

La pertinence ou non de cette concélébration, en raison de l’unité substantielle de foi dans le mystère eucharistique entre nos confessions, ainsi que sur le ministère ordonné. Pour le dialogue avec les protestants, la question est infiniment plus complexe. Il reste du chemin vers la pleine communion entre catholiques et orthodoxes, avec notamment la question du ministère du successeur de Pierre, et 1000 ans de séparation culturelle. La concélébration eucharistique, d’un point de vue purement dogmatique. Il y a 40 ans, nous étions très proches de voir Paul VI et Athénagoras concélébrer. Avec les 50 ans de Vatican II, la question mérite d’être reposée. Qu’est-ce qui à cette époque nous avait tant rapprochés ? Qu’est-ce qui nous a éloignés ?

Avec Vatican II la perspective était de partir de ce qui nous éloignait. Avec Vatican II, changement de perspective, en insistant sur ce qui nous unit à nos frères séparés. La question de la concélébration se pose ainsi : est-ce que la concélébration demande que l’on soit dans la pleine unité préalable, et la célébration manifesterait cette unité ? ou est-ce que l’unité requise pourrait être réelle, mais incomplète, et la célébration aiderait à compléter cette unité ? Avec les orthodoxes, la proximité est telle qu’il y a bien peu de différence qui fasse obstacle à la concélébration.

Pour les personnes individuelles, avant de parler de la discipline concernant les communautés, le mot discipline renvoyant au « comment être de vrais disciples », nous avons radicalement changé de manière de faire avec Vatican II. La discipline antérieure interdisait aux catholiques d’assister ou de quelque manière que ce soit à une célébration non catholique, du fait que cette participation aurait impliqué l’approbation aux croyances des cultes dissidents. Aujourd’hui, dans la discipline actuelle pour des personnes individuelles, si un catholique se trouve en pays orthodoxe, sans possibilité de participer à un culte catholique, il peut légitimement demander de participer à un culte orthodoxe, avec l’autorisation des responsables orthodoxes. La réciproque est possible : l’admission d’un orthodoxe à une célébration eucharistique catholique. Mais il y a d’autres éléments de cette discipline individuelle qui peuvent s’appliquer à des communautés : « nécessité impérieuse » et « bien spirituel ». Dans un contexte de crise générale de la mondialisation, n’y aurait-il pas lieu de manifester la fécondité d’une autre mondialisation en Christ ? L’Eucharistie pourrait-elle être en un moyen ? En évitant l’indifférentisme… Or la discipline actuelle reste très claire et très ferme, commune aux catholiques et orthodoxes : la concélébration par des ministres catholiques et orthodoxes, ne sera possible qu’après une entière et complète communion.

L’argument majeur est que l’Eucharistie est le sacrement de l’unité, à condition que l’on soit dans l’unité des moyens de grâce. Concélébrer l’Eucharistie alors que l’on ne serait pas dans cette communion préalable, serait un signe menteur, la perversion du signe sacramentel par excellence, un sacrilège. Cela est rappelé par les 2 confessions. Il ne s’agit pas d’introduire une rupture dans une tradition constante, mais on peut proposer une intelligence plus profonde des principes de cette tradition.

Par exemple, la doctrine des limbes, très largement commune a été l’expression de l’intelligence que l’on avait de 2 principes valables : le péché originel qui empêche d’entrer dans la béatitude, l’absence de péché personnel des enfants qui interdit leur damnation. Aujourd’hui, on cherche quels pourraient être les moyens pour les enfants en bas âge d’être reliés au Christ.

Est-ce que si l’on revisite ce qui nous unit, peut-on modifier le curseur en proposant une nouvelle pratique à partir d’une nouvelle interprétation des mêmes principes ?

La nature du mouvement œcuménique, des relations entre nous… La distinction de 2 œcuménismes, celui spirituel, et celui doctrinal. Le 1er est fondé sur les biens spirituels que nous partageons et pouvons vivre en commun. Cet œcuménisme est l’âme de tout œcuménisme, qui permet de célébrer ensemble la liturgie des heures. Le 2ème, doctrinal est second. L’œcuménisme spirituel n’a peut-être pas été assez sondé, avec la concélébration eucharistique comme préalable à la pleine unité dans l’œcuménisme doctrinal, actuellement en panne avec les orthodoxes.

La discipline actuelle qui prohibe s’il n’y a pas d’unité doctrinale complète, crée une situation paradoxale. La concélébration comme signe menteur, serait dépourvue d’effets de grâce, alors que la célébration séparée porterait des fruits de grâce. Peut-on essayer une 3ème possibilité ? la concélébration comme signe vrai d’une unité célébrée, pour parvenir à l’unité complète, mettrait en avant l’œcuménisme spirituel avant l’œcuménisme doctrinal.

La question la plus visible du dialogue catholique-orthodoxe, porte sur le ministère de l’évêque de Rome, qui pour les catholiques n’est pas seulement signe, mais cause d’unité dans l’Eglise, ce qui suppose une autorité, un certain pouvoir. Les orthodoxes n’y voient qu’une primauté d’honneur, un pur signe, sans la responsabilité de l’unité avec l’autorité nécessaire. Il est bon d’user des règles d’exégèse de Saint Thomas d’Aquin dans son « contre l’erreur des grecs », appelant à recourir aux mêmes autorités que celles des grecs, aux plus anciennes, même si elles sont moins explicites, en usant du sens des mots de nos interlocuteurs.

La primauté d’honneur, n’est pas vanité, symbole vide de tout sens. Honneur suppose dignité, renvoyant à l’autorité de Dieu. Personne ne doute que si une concélébration eucharistique avait lieu au plus haut niveau ecclésial, ce serait l’évêque de Rome qui la présiderait, exerçant une primauté d’honneur qui ne serait pas un symbole vide. Le 25 juillet 1965, Athénagoras accueille Paul VI, en le désignant comme « le premier en honneur entre nous, celui qui préside dans et par la charité », induisant sa présence à la présidence du sacrement de la charité. L’honneur rendu à l’évêque de Rome ne serait pas rendu à lui, mais au Christ, dans un rôle iconique. La divergence sur le mystère de la primauté, pourrait ne pas être aussi profonde qu’on le pense, en lui donnant un sens qui est celui le plus ancien et qui pourrait se manifester à sa juste place, avant toute définition canonique : rendre un honneur liturgique est beaucoup plus lourd de conséquences qu’on l’imagine. L’excellence personnelle de l’évêque de Rome reconnue dans l’Eucharistie impliquerait son autorité y compris dans le domaine de l’enseignement.

En changeant de discipline, on peut ne pas rompre avec la doctrine passée. Concélébrer le sacrement de l’unité pour que le signe ne soit pas menteur, suppose que l’on soit uni dans le mystère premier de la foi, et dans le mystère des sacrements qui portent le mystère premier. Une unité est requise pour la concélébration, qui pourrait être incomplète, et le dynamisme de l’unité pourrait être appuyé par la concélébration eucharistique.

Dans une partie de Ep 4, qui est un très grand chapitre pour saisir ce qu’est l’unité des chrétiens, Saint Paul dit qu’avec grande humilité et mansuétude, vous supportant avec patience et dans la charité, appliquez-vous à l’unité dans la paix. En évitant 4 risques et en cultivant 4 vertus : (1) fuir l’orgueil et cultiver l’humilité ; quand un orgueilleux veut présider d’autres orgueilleux, la dissension et la ruine arrivent. Il faut de l’humilité pour les conjurer. La dissension catholique-orthodoxe ne pourra être résolue par l’humilité intérieure et extérieure, qui introduit l’Eucharistie. (2) fuir la colère et cultiver la mansuétude ; chaque Eglise doit faire preuve vis-à-vis de l’autre de mansuétude. Ce fut le cas le 7 décembre 1965 lors de la levée réciproque des excommunications. (3) fuir l’impatience et cultiver la patience envers les opposants. Nous sommes encore opposants sur des points doctrinaux non mineurs. La patience est ici une attitude éminemment positive. (4) se méfier du zèle désordonné et pratiquer une endurance charitable. Ceux qui jugent imprudemment perturbent les communautés. Il faut pratiquer la charité, ce qui en contexte œcuménique que chacun supporte les manques de l’autre, laissant la charité œuvrer par la réconciliation via l’œcuménisme spirituel.

Si cet œcuménisme spirituel est l’âme de l’œcuménisme doctrinal, la concélébration œcuménisme ne pourrait –elle pas être le signe de ce primat ?

Jugement particulier, jugement dernier…

A une paroissienne qui me posait avec insistance la question de la différence entre jugement particulier (juste après la mort) et jugement dernier (à la Résurrection finale), je lui ai répondu que vus nos âges respectifs, elle aurait certainement la réponse avant moi…

 

Cela dit, la différence entre jugement particulier et dernier ne me semble pas relever d’un revirement de la part de Dieu, mais dans la différence de statut de celui à qui s’applique le jugement : l’âme au moment de la mort (jugement particulier) ; la personne toute entière, corps et âme à la fin des temps (jugement dernier), où tous ressusciteront, « ceux qui ont fait le bien, ressuscitant pour entrer dans la vie ; ceux qui ont fait le mal, ressuscitant pour être jugés. » (Jn 5,29)

Etant des personnes, c’est à dire des êtres à l’image des Personnes divines – le Père, le Fils, le Saint Esprit qui se définissent intégralement par leur relation aux autres Personnes -, c’est selon le seul critère de l’amour que nous serons jugés (St Jean de la Croix). Ce qui n’est pas amour va au néant (qui veut sauver sa vie la perdra…), ce qui est amour nous personnalise : il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime + celui qui perd sa vie à cause de moi, la garde pour la vie éternelle = salut.

Or notre corps est à la fois ce qui nous individualise – ici-bas, notre corps est le seul à occuper telles coordonnées d’espace-temps – et l’instrument par excellence de notre relation au monde et aux autres, via nos sens et les moyens de communication qu’offre le corps. L’âme seule ne constitue pas toute notre personne, n’étant que ce qui donne « forme » au corps (c’est là du langage scolastique, pas important de s’y arrêter…).

Il faut donc introduire une certaine temporalité dans les réalités de l’au-delà, et donc une distinction entre jugements particulier et dernier, pour tenir compte de ce que :

– L’amour donné par et reçu d’une personne se prolonge au-delà de sa mort à toute l’humanité et à toute la Création, qui poursuivent leur histoire. Cf. « Je passerai mon ciel à faire du bien sur la terre… » (Ste Thérèse de Lisieux), l’intercession des saints, ce que l’on nomme dans le Credo, la communion des saints. Cet amour-là donné et reçu constitue aussi la personne dans sa figure d’éternité, tout comme les actes personnels qu’elle a posés dans son existence terrestre. De cette façon, notre solidarité d’êtres humains, implique que le jugement dernier de chacun ait un rapport avec le jugement de tous.

– La résurrection de tous les corps, non pas au sens littéral de retour à une vie terrestre de la matière de notre chair, mais au sens d’une personnalisation maximale de chacun et d’une unification de tous dans le Corps glorieux du Ressuscité, rend seule possible le plein rétablissement des relations d’amour entre les êtres.

Il faudrait demander à plus calé que moi en « eschatologie », car ce qui précède n’est pas « parole d’Evangile »… mais variations sur des données de base de la foi chrétienne.

Ci-joints deux liens vers les articles 1021 et suivants du Catéchisme de l’Eglise Catholique sur le jugement particulier  et sur le jugement dernier.

Trois questions d’une jeune catéchiste…

Une étudiante, catéchiste auprès de collégiens de 5ème, m’a posé hier sur facebook quelques questions…

La religion est-elle logique ?

– Tout est logique dans la foi chrétienne (je préfère ce terme de foi plutôt que celui de religion qui en est l’appareil intellectuel, social, cultuel, même si une foi sans religion devient subjective et invertébrée) : tout est cohérent dans la foi, au sens de non contradictoire, et cette cohérence participe à sa crédibilité ; s’il y avait une seule contradiction dans la foi chrétienne, je cesserai d’y croire.

– Mais le fait que ce soit logique ou cohérent n’est pas une preuve que ce soit vrai : les fous sont très logiques, mais s’appuient sur des prémisses fausses.

– Ce n’est donc pas simplement un raisonnement ou une déduction logique – c’est à dire un pur acte de l’intelligence – qui permet d’accéder à la vérité profonde du christianisme, mais également un acte de la volonté, le choix de prendre le risque de donner sa confiance, sa foi à Celui qui se propose sans forcer notre intelligence, avec l’humilité de l’Enfant de Noël ou du crucifié du Golgotha. Le oui de la foi suppose la crédibilité de celle-ci, mais implique un au-delà, une plongée dans le mystère que mon intelligence ne saurait épuiser. [à lire : encore un excellent livre de Fabrice Hadjadj, La foi des démons, Salvator 2009]

– Ce qui à certains pourrait apparaître comme « contradiction » (Dieu tout-puissant & Jésus impuissant dans sa Passion, Dieu maître de l’histoire & l’homme libre ; Dieu infiniment bon & laissant faire le mal ; Dieu unique & trinitaire ; Jésus vrai Dieu & vrai homme et donc mortel ; la confiance totale en la Providence & la responsabilité d’agir bien…), est en fait « paradoxe », tension féconde entre deux termes à tenir ensemble pour rendre compte de ces mystères que sont le monde, autrui, moi-même et Dieu. Les hérésies – en grec, ce mot signifie « choix » – simplifient la réalité en choisissant un seul des termes du paradoxe : ce n’est qu’en apparence plus reposant intellectuellement, mais on en voit les limites dans les fruits amers qu’elles portent (on juge l’arbre à ses fruits). Par exemple, ne choisir qu’un strict monothéisme, en refusant la Trinité, aboutit à un Dieu de pure transcendance, inconnaissable, ininterprétable sinon par une soumission totale à ses commandements (c’est le Dieu de l’Islam). L’hérésie arienne, qui ne voyait en Jésus qu’une créature intermédiaire entre Dieu et les hommes, aboutit à admettre d’autres chefs temporels « tenant-lieu » de Dieu, d’autres « lieutenants » de Dieu au pouvoir totalitaire. etc…

 

Comment Jésus fait-il tous ses miracles ?

– Eh bien, c’est tout simplement parce qu’il est Dieu !

– A qui douterait que Jésus a effectivement fait des miracles, on peut demander en vertu de quoi des hommes apparemment sains d’esprit et de corps – leurs témoignages et leurs écrits l’attestent – auraient suivi un homme qui n’aurait rien fait d’extraordinaire, et après sa mort seraient allés jusqu’aux extrémités du monde connu pour parler de lui, vivre et mourir pour lui.

– Mais la vraie question n’est pas celle-là. Elle est plutôt : « pourquoi lui qui pouvait faire tant de miracles n’en a-t-il pas fait un tout-petit, qui l’aurait sorti du guêpier final ? » C’est la remarque des chefs des prêtres : « il en a sauvé d’autres, qu’il se sauve lui-même ! » qui atteste des miracles antérieurs, et du sens le plus profond de la mission du Fils unique, qui ne nous sauve pas à la manière d’un magicien, mais en épousant notre condition humaine jusque dans ses enfers.

 


Où est Dieu ?

– Je suis tenté de te rappeler la petite histoire juive suivante :

Un jour, le fils du Rav Dov Ber, le rabbin de Mezeritch, vint en pleurs se plaindre auprès de son père : « Je jouais à cache-cache avec mes amis, et je me suis tellement bien dissimulé qu’ils ont cessé de me chercher et sont partis ailleurs ! ». Le rabbin consola son fils en lui disant : « C’est sans doute ce que Dieu ressent, lorsqu’il nous dissimule l’aspect de sa divinité, à tel point que certains d’entre nous cessent de le chercher, et se mettent ainsi à vivre sans Dieu ! »

Cette histoire correspond aussi au fait que Dieu crée en se retirant, en donnant au monde son autonomie, ou au jeu amoureux de chat et de la souris que joue le fiancé du Cantique des Cantiques (Dieu) pour faire grandir le désir chez sa bien-aimée (l’humanité).

– Mais elle n’est pas totalement juste, car si Dieu est effectivement caché, ce n’est pas tant qu’il se cache, que nous, qui ne sommes pas assez présents au monde, aux autres et à nous-mêmes pour le reconnaître. Il y a un regard de la foi qui permet de « voir Dieu en toutes choses » (Saint Ignace de Loyola) et d’en rendre grâce.

– De la même façon, on ne voit pas l’électricité, et il faut d’autres instruments de mesure pour la sentir.

– Pour corriger cette impression d’un ‘Dieu-qui-se-cache’, j’aime le commentaire sur le blog de Philippe Lestang : clique ICI.

 

Science et Création

Question sur facebook :

« Au fur et a mesure de notre évolution dans les études, principalement a partir de la seconde, et ce jusqu’à la terminale, on pousse des connaissances en science de la terre, que je trouve en contradiction, du moins indirecte, avec la Bible, et le début de la Bible, avec la création du monde et compagnie. La fois ou un non-croyant m’a posé la question, la première réponse qui m’est venue est : la Bible est imagée sur la Genèse. Mais je me demandais ce que vous en pensiez, et si ce conflit de croyance a aussi eu lieu pour vous. »

 

Sur cette question, les deux écueils du concordisme (vouloir que la foi et de la science se correspondent, au point que la science « prouve » ce qui relève de la Révélation, par exemple, en faisant correspondre le Big Bang avec la Création, notamment de la lumière…) et du modernisme (prétendre que les avancées de la science rendent progressivement caduques les données de la foi) proviennent d’une confusion des plans de lecture. La foi donne de lire la Bible pour discerner le « pour quoi » et le « pourquoi » des choses, à savoir que tout procède de l’Amour Créateur de Dieu et que tout y retourne. La science vise, non pas tout à fait à dire le « comment » des phénomènes, mais à fournir une représentation provisoire du réel pour mieux s’en saisir, s’en servir, le prévoir, au moyen de variables si possible en nombre le plus limité possible. Si l’on distingue bien les plans (physique et métaphysique), il n’y a pas contradiction entre science et foi, ni concordisme, tout comme il n’y a pas contradiction ni concordisme entre le discours du neurologue et celui du poète sur l’amour conjugal.

Cela ne signifie pas que la Bible soit pure poésie, symboles virtuels sans lien avec le concret de la nature et de l’histoire. Au contraire, il est nécessaire de vérifier la pertinence des images bibliques, dans ce qu’elles disent de profondément vrai sur l’homme, sur Dieu et sur leur relation, qui s’enracinent dans le monde créé et dans l’histoire. Ainsi, plutôt que de se poser la question d’un ancêtre commun que serait monsieur Adam, le 2ème chapitre de la Genèse parle de « ha adam », littéralement « le terreux », non pas d’abord un nom propre, mais le nom commun de l’humanité ; non pas premièrement le masculin, mais l’humain, en quête de vis à vis avec qui entrer dans une relation qui le constitue comme personne. Les animaux ne suffisent pas à cela. Le fait que cela soit placé « Dans un commencement » (Gn 1,1) ne signifie pas d’abord une donnée préhistorique, mais la manière juive, hébraïque pour dire le fondamental, le principiel, l’universel, ce que traduit bien le grec « èn archè » ou le latin « in principio ». Au principe, toute l’humanité a en commun avec « le terreux » d’être suscité par amour comme lieu-tenant de Dieu, gérant de la Création, à l’image de son Créateur dans la mesure où il est lui-même en relation avec l’autre ; d’être tenté de se suffire à lui-même, d’abuser de la Création, de vouloir être comme Dieu etc… C’est non pas l’histoire d’un homme primitif, qu’une chiquenaude divine aurait lancé dans l’existence, mais c’est l’histoire de tout homme dans son principe même d’être humain, et dont l’existence présente relève d’un acte créateur permanent de la part de Dieu. Et tout ce qui précède demeure valable au plan de la foi, que Darwin ait raison ou non.

Ensuite, on peut discuter au plan scientifique si Darwin a raison ou non. Aujourd’hui la théorie restreinte de l’évolution (la diversité des membres au sein d’une espèce vient des micro évolutions dues aux mutations et à la sélection naturelle) est prouvée. La théorie générale (la diversité des espèces provient d’un même mécanisme sur une très longue durée) n’est pas prouvée, et pose des problèmes aux généticiens, qui n’expliquent pas comment la galaxie des humains (jaunes, blancs, pygmées etc…) puisse être aussi éloignée de celle des singes (chimpanzé, gorilles…), sans que l’on voit de trace d’intermédiaires. A la rigueur osef…

Vivre au dessus de ses moyens…

Nommé curé dans le Ségala par Mgr Bellino Ghirard, notre évêque, je quitte la paroisse Notre-Dame de l’Assomption après dix premières années de sacerdoce comme vicaire à Rodez. La célébration dimanche dernier en la Cathédrale pour se dire au-revoir a été l’occasion de rendre grâce ensemble pour ce que le Christ a pu susciter comme échanges, partages, collaborations, enrichissements mutuels… Ce fut un plaisir de jouer le jeu de cette célébration de remerciements, d’être prétexte à une occasion de joie pour une communauté rassemblée, même si ce fut pour m’entendre prêter des qualités encore seulement désirées de loin. L’occasion d’éprouver encore le décalage entre ce qu’un prêtre connaît de son indigence et ce qui est attendu de lui, et que de fait on reçoit de lui par-delà ses limites personnelles : ce qu’un prêtre donne est au-delà de ses moyens !

En rapport avec ce constat, j’aime cette citation d’André Frossard : « La foi donne à l’intelligence de vivre au-dessus de ses moyens. »*  Mais pour paraphraser Frossard, je dirais aussi qu’être prêtre donne à la foi, à l’espérance et à la charité de vivre au-dessus de leurs moyens. Qu’être appelé à transmettre la foi et en particulier à la prêcher la fait grandir. Qu’être envoyé avec la mission d’être attentif aux personnes rend un peu plus aimant. Que l’obligation professionnelle de la prière – et en particulier des psaumes – et de la relecture des événements et pour y retrouver la présence du Seigneur qui nous accompagne, tout cela rend un peu plus espérant. Il en est de même pour tout chrétien en tant qu’il témoigne de sa foi en actes d’espérance et de charité, qu’il soit catéchiste auprès d’enfants, bénévole dans un service de solidarité, accompagnateur en pastorale des jeunes, en aumônerie ou en mouvements d’Eglise, visiteur de malades pour une présence fraternelle ou pour apporter la Présence, ou « fidèle », simplement fidèle à l’unique mission de l’Eglise d’évangéliser. La foi grandit au-delà d’elle-même en se communiquant ; l’espérance et l’amour en s’exerçant. A cette donnée d’expérience, on ne peut opposer un « je ne sais pas faire », « je n’ai pas les compétences », « je n’en suis pas digne ».

Pour ce qui est de la foi, il faut objecter que la foi se travaille, et que ne manquent pas dans le diocèse, la paroisse ou les autres lieux d’Eglise les moyens d’une plus grande intelligence de la foi en vue de la dire. « Pour rester en tenue de service, se former en Eglise » est la priorité de l’année dans le diocèse, que les ruthénois ont – avouons-le – davantage de moyens pour la mettre en pratique : cours de l’antenne de l’Institut Catholique à Saint Pierre ; conférences nombreuses et variées ; formations des mouvements souvent dispensées à Rodez ; diversité dans l’unité au sein de l’équipe des prêtres, qui donne à entendre la même Parole de Dieu sous différents angles d’approche… Il n’y a pas lieu de se plaindre : demandez plutôt le programme !

Surtout, la foi en Jésus-Christ fait de tout baptisé un porte-parole de Dieu, et que cela va au-delà de la conscience qu’il peut en avoir, à condition qu’il accepte dans la foi que ce ne soit plus lui qui vive, mais le Christ en lui (Ga 2,20), s’il consent à se laisser traverser par une réalité qui le dépasse, l’Esprit Saint qui sait passer à travers nos manques et nos obscurités.

Lors de la célébration d’au-revoir à la paroisse, ce fut pour moi un chapelet de souvenirs qui s’est égréné à toute vitesse avec les visages des fidèles de la procession de communion et les visages de ceux salués à la sortie de la Cathédrale, incarnant cette réalité du Christ présent en son Eglise : bénévoles de la paroisse ; confirmés, baptisés et catéchumènes ; collégiens et lycéens engagés à l’hospitalité aveyronnaise, en aumônerie ou dans un mouvement d’Eglise ; jeunes et chefs engagés dans les mouvements scouts ; catéchistes en primaire ou auprès de collégiens ; professeurs et chefs d’établissements d’enseignement catholique ; animatrices en aumônerie du public ; époux préparés au mariage ; membres d’équipes Notre-Dame ou en Action Catholique ; hommes ou femmes ayant célébré les obsèques d’un conjoint ou d’un enfant ; personnes accompagnées dans telle épreuve de leur vie…

Que la foi en Jésus-Christ nous donne à tous de vivre et d’aimer au-dessus de nos moyens !

Que Notre-Dame de l’Assomption nous porte à l’humilité et à la folle ambition de montrer Dieu au monde !

 

*  Il y a effectivement des vérités auxquelles ne peut accéder une raison livrée à ses seules forces, si elle n’est accompagnée, voire précédée par un acte de confiance, par un engagement, et par l’acte de volonté et de foi qu’ils impliquent. Par exemple, tout ce qui a trait à la relation à autrui demande une foi pour que l’intelligence puisse se déployer pleinement. La raison seule ne peut prouver l’amour d’un autre ou pour l’autre, ni dire le sens ultime de la vie, ni donner la certitude d’avoir trouvé sa vocation, ni mener à cet émerveillement rendu plus joyeux d’être mû par la gratitude.

A l'origine…

Un début de réponse à une lycéenne qui pose la question :

Bereshit (Gn 1,1) : Dans un commencementDieu a créé l’univers, les étoiles, les planètes, la terre, l’air, l’eau, le feu, les animaux, les végétaux, les hommes, etc. Mais qui (ou qu’est-ce qui) a créé Dieu ? Est-il un être « infini » ayant toujours existé ?

 

La question que tu poses, a donné lieu aux 5 classiques « preuves de l’existence de Dieu » résumées par saint Thomas d’Aquin, et qui se résument à 2 : l’une par la remontée à une « cause première non causée », à un « premier moteur non mu », ou à un dieu créateur non créé – le « d » minuscule est exprès ; l’autre par l’argument de la perfection où ce que nous percevons de la beauté, de la finalité ou du sens des choses de ce monde, renvoie à l’absolu dont elles sont la trace.

En fait, on pourrait contester que l’intuition d’une cause première ou d’un premier moteur immobile repose sur notre difficulté à concevoir l’infini. A la suite d’Emmanuel Kant qui reprend Thomas d’Aquin, nous ne concevons rien qui n’ait été perçu d’abord par nos sens (« nihil in intellectu quod non prius in sensu. » St Thomas). Or ceux-ci ne peuvent sentir que du fini, dans l’espace et le temps qui nous conditionnent. Nous peinons donc à concevoir une suite de causes qui remontent à l’infini, d’où l’intuition d’une cause première ou d’un premier moteur qui arrête la chaîne des causes…

Des athées qui admettent le principe de causalité, à savoir qu’il ne peut y avoir d’effet sans cause, préfèrent admettre une chaîne infinie de causes qui remonte sans qu’il y ait un premier moteur immobile. Cette chaîne infinie est plus difficile à admettre qu’un dieu créateur non créé, car elle est encore moins représentable qu’un dieu créateur, mais c’est malgré tout une manière possible d’imaginer l’univers.

Au total, cela fait que ces « preuves » de l’existence de Dieu ne convainquent que les convaincus !

Personnellement, je préfère l’argument ontologique, que refusaient Thomas d’Aquin et Emmanuel Kant sous sa forme simplifiée : le concept de Dieu « plus grand que tout ce que l’on peut penser » comprendrait nécessairement son existence, car ce concept inexistant est moins grand que le même concept existant. En réalité, il ne s’agit pas d’une « preuve » de l’existence de Dieu, car l’existence ne peut effectivement se déduire d’un concept. Il s’agit plutôt d’une critique du statut logique de la proposition athée : « Dieu n’existe pas », non pour dire qu’elle soit fausse – et encore moins qu’elle soit vraie – mais pour dire qu’elle est bancale, car indécidable du fait d’être auto-référentielle comme une phrase du type : « je mens toujours », qui se mord la queue, et donc n’est ni vraie, ni fausse. Cela ne prouve pas que Dieu existe, mais cela rend plus circonspect quant à affirmer son inexistence.

En définitive, le foi en Dieu n’est pas contraire à la raison métaphysique, mais ne peut reposer sur elle. Elle suppose un acte de la volonté, une prise de risque, un engagement qui est de l’ordre de l’amour, qui une fois posé éclaire l’intelligence et lui permet de se dépasser elle-même.

Face au mal

Voilà ci-dessous le compte-rendu d’une belle rencontre oecuménique (27/1/2010) à Rodez, avec une conférence à trois voix : celle de Luc Goillot, pasteur des Assemblées de Dieu, de Stéphane Kouyo, pasteur de l’Eglise Réformée Evangélique, et de Jean-Luc Barrié, curé de la paroisse catholique de Rodez.

Tous ensemble face au scandale du mal.

Le texte de ce compte-rendu au format pdf est téléchargeable ICI.

 

Le diable ? Parlons-en !

Luc Goillot, pasteur des assemblées de Dieu

Peut-on parler du diable aujourd’hui, à l’aube de ce nouveau siècle, le 21e siècle de l’ère Chrétienne… ? Cette conférence lance le débat : « Parlons-en ! » Si vous êtes là, c’est que vous acceptez d’en parler !

Jn 10/9-11 « Je suis la porte. Si quelqu’un entre par moi, il sera sauvé ; il entrera et il sortira, et il trouvera des pâturages. Le voleur ne vient que pour dérober, égorger et détruire ; moi, je suis venu afin que les brebis aient la vie, et qu’elles soient dans l’abondance. Je suis le bon berger. Le bon berger donne sa vie pour ses brebis »

De qui Jésus parle-t-il quand il parle du voleur ?

On note l’opposition entre deux volontés :

Celle de Dieu : au travers de Jésus il apporte la vie.

Celle du voleur : il vient pour dérober, égorger et détruire.

En fait, Jésus nous parle d’enjeux spirituels qui nous dépassent.

Il y a vraiment dans le monde spirituel deux armées qui se livrent un combat sans merci.

Une qui veut le bien de l’homme : à sa tête Jésus-Christ. Et l’autre qui veut sa perte : à sa tête le voleur, le diable.

On retrouve cette lutte dans toute la parole de Dieu (Guerres, Job, Moïse, Venue de Jésus…)

Jésus a parfaitement conscience de ce combat :

– Mt 6/13, trad. Chouraqui, BDJ, Crampon, Segond : « ne nous induis pas en tentation, mais délivre-nous du malin »

– Lc 23/31-32 : « Le Seigneur dit : Simon, Simon, Satan vous a réclamés, pour vous cribler comme le froment. Mais j’ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille point »

L’errance spirituelle dans laquelle se trouve notre 21e siècle n’empêche pas, et je crois même, favorise la curiosité pour tous les messages concernant le monde spirituel…

– Musiques, Films, voyance, astrologie, ésotérisme, sciences occultes, satanisme

Allons-nous laisser nos générations livrées à une découverte hasardeuse et inconsciente du monde spirituel ou allons-nous prendre notre place en tant qu’église pour expliquer que derrière ses choses, quelqu’un a juré la perte de l’homme ? Si Jésus en a parlé et nous met en garde, ne devons-nous pas en parler et mettre en garde nos générations ?

Baudelaire : « La plus belle des ruses du diable est de vous persuader qu’il n’existe pas »

Il y a deux leurres qu’il faut à tout prix éviter :

– Croire que le diable n’existe pas.

– Croire qu’on n’est pas concernés, que le diable n’agit que sur les gens possédés ou dans d’autres pays ou époque que les nôtres.

Ep 6/11-12 « Car nous n’avons pas à lutter contre la chair et le sang, mais contre les dominations, contre les autorités, contre les princes de ce monde de ténèbres, contre les esprits méchants dans les lieux célestes. »

1 Pi 5/8 « Soyez sobres, veillez. Votre adversaire, le diable, rôde comme un lion rugissant, cherchant qui il dévorera »

Personnellement, je pense que la raison pour laquelle l’homme échoue en face du mal, c’est qu’il essaie de s’attaquer au mal lui-même, au lieu de lutter contre celui qui répand le mal.

Derrière la violence, les pulsions autodestructrices, les haines, les guerres, l’amour de l’argent, l’égoïsme, le mépris, la chute des valeurs morales, ce sont les puissances mauvaises gouvernées par le diable qui s’organisent pour détruire l’humanité et contrecarrer le plan de salut de Dieu…

Dès lors il est intéressant de se poser la question :

Que fait concrètement le diable aujourd’hui ?

Le diable ne peut s’attaquer directement à Dieu car il lui est inférieur et donc il a choisi de s’attaquer à ses créatures… (Exemple de Job…)

Ces différents noms trouver dans la parole de Dieu nous permettent de le démasquer dans ses intentions :

1 Diable = le diviseur : guerres, racisme, discriminations, insoumission, éclatement des familles. Il arrive même à diviser les Chrétiens !

2 Adversaire = s’oppose à Dieu

– Avant l’homme (Ange qui s’est opposé à Dieu, Es 14 et Ez 28)

– Cela est encore à l’origine de l’humanité : Le serpent a détourné l’homme et la femme du plan de Dieu… (Ge 3/1)

3 Malin = il ne se présente pas avec sa fourche et ses cornes !

2 Co 11/14 « Il se déguise en ange de lumière »

De 18/9-12 « Qu’on ne trouve chez toi personne qui fasse passer son fils ou sa fille par le feu, personne qui exerce le métier de devin, d’astrologue, d’augure, de magicien, d’enchanteur, personne qui consulte ceux qui évoquent les esprits ou disent la bonne aventure, personne qui interroge les morts. Car quiconque fait ces choses est en abomination à l’Éternel »

4 Menteur = détourne la parole de Dieu ou se fait passer pour Dieu.

Ge 3 « Dieu a-t-il réellement dit » ! (2 Co 11/3-4, Lc 8/12 parabole du semeur)

2 Th 2/3-4 « Que personne ne vous séduise d’aucune manière ; car il faut que l’apostasie soit arrivée auparavant, et qu’on ait vu paraître l’homme du péché, le fils de la perdition, l’adversaire qui s’élève au-dessus de tout ce qu’on appelle Dieu ou de ce qu’on adore, jusqu’à s’asseoir dans le temple de Dieu, se proclamant lui-même Dieu »

V9 « L’apparition de cet impie se fera, par la puissance de Satan, avec toutes sortes de miracles, de signes et de prodiges mensongers »

Le danger guette tous les mouvements religieux : Erreurs de l’histoire…

5. Satan = accusateur des frères : Ap 12/10 Il nous écrase sous la CULPABILITE alors que Jésus est venu nous en libérer !

6. Voleur = le but est de nous voler le destin que Dieu a mis en place pour nous (Ep 2/10)

(Signification du mot péché)

 

Faut-il être fataliste ?

Non, nous avons le pouvoir de lui résister :

1. Etre conscient de son existence et de ses objectifs (2Co 2/11 et Ac 26/18)

2. Se soumettre à Dieu (Ja 4/7). Nous sommes vainqueurs sur lui en Jésus-Christ.

 

Jésus face au scandale du mal

Stéphane Kouyo, pasteur de l’Eglise Réformée Evangélique

(notes écrites par Stéphane Kouyo, plus complètes que son exposé oral)

Tous les jours sur terre, des millions de personnes sont aux prises avec le mal et la souffrance. Si Dieu nous aime, que fait-il face à toute cette souffrance, face à tout ce mal ? Comment concilier l’existence d’un Dieu bon et tout-puissant avec la présence du mal et de la souffrance dans le monde et dans l’histoire ? Le mal n’est-il pas le déni de l’existence d’un Dieu d’amour ?

Lactance, un philosophe du troisième siècle après Jésus-Christ formule bien la problématique : Si Dieu veut supprimer le mal et ne peut le faire, c’est qu’il n’est pas tout-puissant, ce qui est contradictoire. S’il le peut et ne le veut pas, c’est qu’il ne nous aime pas, ce qui est également contradictoire. S’il ne le peut ni ne le veut, c’est qu’il n’a ni puissance ni amour et qu’il n’est donc pas Dieu.

Pourquoi le mal est un scandale ?

Sous ces deux formes – la souffrance et la faute – le mal est un scandale parce qu’il constitue ce qui ne peut ni être compris ni être aimé. Il est éprouvé comme ce qui détruit, il va contre tout ce qui est bien, beau, vrai juste et sain (saint ? !). Ainsi il est un véritable objet de scandale, pour l’esprit et pour le cœur, pour la raison et pour l’affectivité, pour le corps et pour l’âme.

Il faut faire une petite distinction entre le mal et la souffrance ou la douleur. Si le mal est une espèce de déchirure de l’être, c’est donc une injustice et une violence. La souffrance est elle, la réaction au mal qui affecte l’être. Ainsi la souffrance est une fonction de la vie – elle ne s’identifie pas au mal, mais elle lui est liée. Nous cherchons à ne pas souffrir, ni physiquement, ni moralement, ni spirituellement.

Des tentatives pour réduire ce scandale :

1) La raison : expliquer le mal

Le mal dans la nature s’explique et se justifie dans la mesure où il est le corrélat d’un bien meilleur. Pour exemple prenons le darwinisme qui explique que la vie progresse grâce au processus évolutif et que la condition de cette progression est la loi de l’évolution selon laquelle il y a survie du plus apte. C’est pour le bien de l’espèce que les animaux malades ou âgés disparaissent. C’est pour le bien de l’ensemble des vivants que telle ou telle espèce disparaît. C’est pour le bien de l’ensemble de la vie que les groupes zoologiques doivent s’adapter – certaines espèces survivre et se développer tandis que d’autres disparaissent. Le processus est au bénéfice de la vie elle-même.

2) La morale : prôner le détachement

Le mal n’est pas seulement une déchirure pour la raison, il est aussi une déchirure pour l’affectivité. Là, il est source d’une douleur qui n’est pas facile à vivre. Aussi les traditions de sagesse ont élaboré une manière de l’esquiver ou de la contenir. Une des stratégies face au mal est d’éluder cette blessure. Cette attitude invite à une mise à distance que les sages appellent le détachement. Il ne faut pas s’attacher pour ne pas être blessé par la douleur de la perte en quoi consiste le mal.

3) L’attitude religieuse

Le mal et le bien sont deux principes antagonistes. Ce sont deux forces divines qui agissent dans le monde.

Ces trois attitudes et bien d’autres ne sont pas satisfaisantes. Elles éludent la vraie difficulté.
La vision chrétienne :

Elle propose une voie plus exigeante. Elle écarte les faiblesses du dualisme religieux en confessant strictement un Dieu unique. Elle récuse la mise à distance du tranchant de la douleur comme si le mal pouvait être oublié. Elle refuse enfin une explication rationnelle qui efface le scandale du mal et le justifie d’une manière ou d’une autre.

Jésus-Christ est la réponse de Dieu à la question du mal. Sans donner d’explication à la présence du mal le Seigneur propose une solution. Dans la personne et l’œuvre du Christ Dieu se rend victorieux du mal. Dans la mort et la résurrection de Jésus il triomphe du mal et de la personne du diable. Cet adversaire est ainsi désarmé, vaincu, maîtrisé.

 

Comment cette victoire s’est-elle orchestrée ?

La victoire prédite : la première prédiction a été faite dans le jardin d’Eden et constituait un aspect du jugement porter contre le serpent : ‘’je mettrai inimitié entre toi et la femme, entre sa descendance et sa descendance : celle-ci t’écrasera la tête, et tu lui écraseras le talon’’ (Gn : 3,15). Nous identifions, avec raison, la descendance de la femme au Messie qui établira le règne de justice de Dieu et mettra fin à la domination du mal.

La victoire amorcée : l’action de Jésus et son message sont le signe visible de la victoire avenir malgré les oppositions qu’il connaîtra.

La victoire remportée : c’est à la croix que cette victoire est remportée. C’est par sa mort que le Christ devait « écraser celui qui détenait le pouvoir de la mort, c’est-à-dire le diable », et délivrer tous les captifs (He 2 :14-15).

Le passage qui souligne avec le plus de force la victoire de Christ est peut-être celui de Col 2 :13-15 : « … en nous faisant grâce pour toutes nos toutes nos offenses ; il a effacé l’acte rédigé contre nous et dont les dispositions nous étaient contraires ; il l’a supprimé en le clouant à la croix ; il a dépouillé les principautés et les pouvoirs, et les a publiquement livrés en spectacle, en triomphant d’eux par la croix. »

La victoire confirmée et proclamée : si la croix est la victoire remportée, la résurrection est la victoire reconnue, annoncée et démontrée. « Il n’était pas possible qu’il soit retenu par la mort » Actes 2 :24. Les principautés et les puissances mauvaises qui, à la croix, ont été dépouillées de leurs armes et de leur dignité, sont désormais placées sous ses pieds et lui sont soumises (Eph 1 :20-23 ; 1Pi 3 :22).

La victoire qui s’étend : plus l’Evangile progresse, plus s’étend l’œuvre rédemptrice de Dieu. Toute conversion chrétienne implique une confrontation de puissance dans laquelle le diable est contraint de renoncer à ses droits sur quelqu’un ; ce duel qui tourne à l’avantage du Christ démontre combien sa puissance est supérieure à celle du diable.

La victoire consommée : Au retour de Christ, le diable sera définitivement placé hors d’état de nuire. Il n’y aura plus de larmes mais nous connaîtrons la félicité éternelle.

En attendant ce jour béni, nous sommes appeler à vivre dans ce monde avec cette foi inébranlable dans la victoire du Christ, dans notre propre vie et dans le monde. C’est la victoire du Christ est celle de son peuple. Elle est aussi rendu possible dans le concret de la vie.

Le mal n’est et ne doit pas être une fatalité et notre foi nous pousse à lutter contre le mal dans toutes ces expressions. C’est de cette manière que nous nous approprions la victoire du Christ.

Nous devons donc développer notre capacité de révolte contre le mal, pour le refuser, le combattre dans nos vies et dans le monde. Dans ce combat, nous ne sommes pas seuls. Nous avons reçu le Saint Esprit, notre force.

 

L’Eglise face au mal et à la souffrance

Jean-Luc Barrié, curé de la paroisse catholique Notre-Dame de l’Assomption

Un peu d’histoire

– Dès ses débuts, l’Eglise a combattu le mal et la souffrance par la solidarité, le partage :

Act 6,1-3 : des diacres pour s’occuper des veuves

Act 3,1 : Le boiteux de la belle porte guéri par Pierre et Jean

– Tout au long de l’histoire, elle a mis en place tout un arsenal de structures pour combattre la souffrance : hôpitaux (sœurs du Saint Cœur), orphelinats, écoles (Ste Famille à Villefranche de Rouergue), aide aux femmes en détresse (Ste Famille, congrégations diverses… je donne là des exemples aveyronnais, mais il y en a partout dans le monde). La plupart de nos congrégations religieuses sont nées pour soulager une souffrance à une époque… (pensons à Mère Térésa de Calcutta, à Sœur Emmanuelle au Caire, à l’Abbé Pierre en France…)

– Certaines de ces structures ont été prises en charge par l’Etat et d’autres institutions laïques, et nous nous en sommes alors séparés pour nous investir dans des lieux où des besoins nouveaux se faisaient sentir. Je pense à l’accompagnement des premiers malades du Sida où l’on a vu beaucoup de religieuses : une docteur d’un grand hôpital de Paris m’a dit à l’époque « heureusement qu’elles étaient là, on ne trouvait personne pour les accompagner… »

– Aujourd’hui sur la Paroisse Notre Dame de l’Assomption, sont présents par exemple :

– Secours Catholique et St Vincent de Paul : pour combattre la pauvreté chez nous. Des associations qui travaillent avec les services sociaux ou directement pour un secours d’urgence et un accompagnement des personnes en grandes difficultés sociales. Je peux dire pour y avoir participé que remplir le frigo d’une maman de deux enfants qui n’a plus rien à leur donner, c’est important.

– CCFD : pour une solidarité avec les pays du Tiers Monde. Une ONG, je crois la plus importante, de solidarité mais surtout d’aide au développement dans les pays pauvres. Pas seulement apporter un sac de riz, même s’il faut le faire pour que les gens ne meurent pas de faim, mais également soutenir les initiatives locales pour un développement, une autonomie alimentaire de ces pays.

– Aumôneries des hôpitaux, le Service Evangélique des Malades par rapport à la maladie…

– Aumôneries des prisons : souffrance psychologique et sociale. Des laïcs et un prêtre qui visitent les prisonniers.

– Mère de Miséricorde : femmes en détresse (grossesse non désirée)

– Accompagnement des familles en deuil : des équipes de laïcs qui accompagnent, se rendent présents auprès des familles pour préparer la sépulture mais aussi pour signifier notre soutien, notre solidarité dans ces moments dramatiques et douloureux.

Quelle attitude de l’Eglise face à la souffrance ?

D’abord la prière : car cela ne sert à rien de bâtir sans Dieu.

Souffrance sociale : Le Partage et solidarité, donner le nécessaire, le vital, ne pas laisser les personnes mourir de faim, un enfants sans vêtement, mais aussi sans jouets à Noël… Aider à payer la facture du fuel pour ne pas vivre l’hiver dans le gel… Permettre de se redresser, de retrouver sa dignité, de se prendre en main. Les aider à ne plus se sentir rabaissés, exclus, mis à part, montrés du doigt, ou au contraire invisible (SDF)

Dénoncer les injustices, lutter contre elles, combattre les causes de ces injustices. Cf. Rapport annuel du Secours Catholique, chrétiens engagés dans diverses organisations syndicales et associatives, Action Catholique…

Interventions des évêques de France à Lourdes cette année sur les sans papiers :

Non seulement elles doivent bénéficier de moyens de subsistance dignes d’une personne humaine (nourriture, hygiène, soins médicaux, etc.) mais encore elles doivent pouvoir accéder normalement aux informations nécessaires à leur défense. Le fait d’être en situation irrégulière ne fait pas perdre ses droits élémentaires à quelque personne que ce soit. Quel que soit le bien-fondé des décisions judiciaires ou administratives, leur application doit respecter ceux qui sont concernés, en particulier les enfants et les jeunes pour lesquels les liens familiaux doivent êtres privilégiés.

Encyclique du Pape Benoît XVI : « L’amour dans la vérité »

ACAT : lutte contre la torture (œcuménique)

Maladie : Présence silencieuse et gratuite, accompagnement, compassion, prière avec et pour les malades. Etre là, simplement, par pur amour, dans une attitude de compassion. Pas pour dire, mais pour accueillir ; pas pour récupérer, mais pour offrir une aide ; pas pour enseigner, mais pour écouter… Une présence qui manifeste la présence et la tendresse de Dieu.

Réponse sacramentelle : le sacrement des malades qui signifie, rappelle, manifeste, la présence de Dieu, de la force de son Esprit, dans la maladie, la souffrance ou la fin d’une vie.

L’attitude de l’Eglise catholique face au mal, ce sont les prises de paroles de sa hiérarchie, mais c’est avant tout et surtout l’engagement de baptisés dans les différents combats pour la justice et la paix, contre tout ce qui opprime l’homme. J’aurais pu donner de multiples exemples, peut-être des catholiques présents se disent, il n’a pas parlé de ceci ou de cela, mais on ne peut pas faire ici un inventaire exhaustif, simplement voir les grandes lignes de cette attitude qui prend des visages multiples.

Des mots clefs : SOLIDARITE- PARTAGE – LUTTE CONTRE L’INJUSTICE – DENONCIATION – PRESENCE – COMMUNION – COMPASSION
La source de ces attitudes

Jésus n’a pas donné de justification à la souffrance, ni d’explication.

Lc 13,1 : Les victimes de la tour de Siloé pas plus pécheurs que les autres.

Jn 9,2 Aveugle de naissance : « lui ou ses parents qui ont péchés ? » Réponse de Jésus : la guérison de l’aveugle.

Jésus a combattu les causes de la souffrance :

Il a dénoncé tous ceux qui à son époque étaient responsables d’injustice et de souffrance :

Mc 12,40 Les scribes qui dévorent les biens des veuves. Et tout le chapitre 23 de Matthieu sur l’hypocrisie des scribes et pharisiens qui exploitent le peuple en abusant de leur pouvoir…

Jésus, chaque fois qu’il a pu, a soulagé la souffrance : toutes ses guérisons…qui rendent aussi aux personnes leur dignité et leur place dans la société.

Jésus a habité notre souffrance :

Il a fait sienne toute souffrance au jardin des Oliviers, lors de son jugement et sur la croix. Entre le jardin des Oliviers, l’arrestation, le jugement, les fausses accusations, les injures, les crachats, les quolibets et moqueries, l’abandon de ses disciples, la souffrance de femmes qui l’entourent, les coups, les tortures, la crucifixion, la mort sur la croix… Je pense qu’il n’est pas une souffrance qu’il n’ait touchée, fait sienne, habité de sa présence, de son amour, de son don de lui-même. Mais il l’a fait sienne toute au long de sa vie :

Jean 11,33 : Jésus pleure son ami Lazare…

Lorsqu’il les vit se lamenter, elle et les Juifs qui l’accompagnaient, Jésus frémit intérieurement et il se troubla. 34 Il dit : « Où l’avez-vous déposé ? » Ils répondirent : « Seigneur, viens voir. » 35 Alors Jésus pleura ; 36 et les Juifs disaient : « Voyez comme il l’aimait ! »

Cf. Livre de Jacques Ellul « Si tu es le Fils de Dieu… Souffrances et tentations de Jésus » :

Dans le credo nous disons couramment : « Il a souffert sous Ponce Pilate » (donc il n’a souffert que sous Ponce Pilate !), puis « Il a été crucifié ». Alors que le texte véritable (et conforme à la construction grammaticale latine) est : « Il a souffert ; sous Ponce Pilate il a été crucifié. »

Jésus, par sa mort et sa résurrection, à fait de la souffrance un instrument de Salut :

C’est par le don de sa vie sur la croix qu’il nous a donné part à sa vie divine et gloire, de joie et de paix éternelle. La souffrance, le mal suprême, la mort, qui l’échec absolu, devient en lui et par lui un chemin de vie, de salut, de gloire et de joie infinie. Ce qui est le mal suprême nous ouvre au bien suprême.

Marie au pied de la croix, silencieuse, qui souffre de la souffrance de son Fils (Jn 19,26-27)

…comme le lui avait annoncé Siméon (Lc 2,3)

La souffrance peut…

– La souffrance n’a pas de sens en elle-même, mais elle peut être vécue en communion avec Jésus en croix et permet de participer à son œuvre de rédemption.

Elle peut être aussi un lieu de purification, de conversion.

Elle peut être un lieu d’expérience du mystère Pascal.

Cela est expérimenté par beaucoup de croyants, mais ce n’est pas quelque chose que l’on peut assener à quelqu’un qui est en souffrance. Ce n’est que petit à petit, dans un accompagnement de proximité et dans le temps que les choses peuvent se découvrir avec l’aide de l’Esprit Saint. Et l’expérience d’une personne ne peut être donnée en modèle ou en exemple, elle peut simplement ouvrir une brèche, permettre un pas vers la paix.

J’ai vécu cela dans de nombreux accompagnements de malades ou de familles fortement touchées par un deuil.

 

Questions-débat

Peut-on considérer que la mort fait partie du mal, alors qu’elle est intrinsèque à la vie ? Pourquoi dit-on que Jésus est venu vaincre la mort ?

JL – La mort est l’échec absolu, humainement parlant. Il y a une brisure de la relation, de la présence de la mort. Là où Jésus vainc la mort, c’est qu’il en fait le lieu d’une vie nouvelle, dans une relation, une communion des saints, qui fait que celui qui naît en Jésus à cette vie nouvelle est présent. Jésus a fait de l’échec absolu, le don absolu de la vie divine.

S – A côté de l’expérience existentielle de la mort, dès l’origine, il est question de la mort. Si vous mangez du fruit de l’arbre interdit… il y a d’abord mort spirituelle. La mort est rupture de lien avec notre Créateur, notre Père céleste.

Comment envisager le mal en dehors de la religion, en dehors du Christ, pour accompagner la souffrance de quelqu’un qui n’a pas la foi…

L – On a en tant que chrétien un devoir d’écoute, d’accompagnement et de partage. La question me déstabilise, car je ne vois pas comment envisager autrement qu’en chrétien… On va témoigner, sans pour autant imposer notre foi à ceux qui la refusent. L’écoute est ce dont on a le plus besoin quand on souffre.

R.Salles – L’expérience de plusieurs années de soins palliatifs nous a montré que la demande religieuse est rare en fin de vie, et que le mourant est rasséréné lorsqu’il s’est mis en relation satisfaisante avec lui-même, parce qu’il a résolu un problème d’inimitié le plus souvent familiale. On a mult exemples d’attente du mourant de celui avec qui il veut se réconcilier.

M.Salles – C’est l’écoute du malade qui importe en premier. On est là pour être avec lui, rétablir la relation.

L – S’il est vrai que malheureusement il y a peu de demande religieuse, je vois des signes d’une relation avec Dieu, d’un face à face avec Dieu qui peut se faire sans mot, sans nous, un Dieu bon qui amène l’homme à une réconciliation avec soi et les autres certes, mais aussi avec lui.

Il y a aussi de la méchanceté, du cynisme, des gens qui torturent, des méchants. Comment expliquer cela ?

S – Le mal implique la souffrance pour celui qui le subit, et la faute pour celui qui le commet. Il a été question de lutte plus que d’explication, lutte à différents niveaux : social, politique y compris… Quelquefois, les méchants triomphent en ce monde (cf. Psaumes), mais dans un regard de foi, il ne faut pas s’en tenir au seul temps ici bas, mais voir à l’échelle de l’éternité et du Jugement final. La foi au Christ vient dire la victoire sur le mal et la méchanceté des méchants. Un jour, il y aura rétablissement de la justice par Dieu, et chacun aura à rendre compte de ce qu’il a fait.

JL – Dieu nous a créé à son image et donc libre, à la différence des animaux qui obéissent à leur instinct. Libres jusqu’à pouvoir dire non à Dieu. Une liberté qui rend capable de faire des choses magnifiques, mais aussi de pécher. On est impliqué dans ce péché. Notre liberté nous fait nous aussi mener ce combat spirituel : qu’est-ce que je fais de ma liberté ?

L – Paul dit dans Rm qu’il n’y a aucun homme qui soit juste. Nous sommes tous pécheurs. Je fais le mal que je ne veux pas, et je ne fais pas le bien que je voudrais faire. Nous ne sommes pas au dessus de Paul. Veillons nous-mêmes à ne pas faire de mal, avant de condamner le mal en autrui, alors qu’il est en nous. Que l’Esprit soumette mon esprit au sien ! Cf. Ga 5 qui nous parle de la lutte de la chair et de l’Esprit. Il y a du bon en l’homme, mais l’homme sans Dieu est souvent perdu… Cf. Les génocides… Derrière tout cela, il y a le diable.

Que répondre à Camus au sujet de la mort de l’enfant ?

JL – Cette question de la mort de l’enfant innocent, pose la question du « comment Dieu a-t-il pu créer un monde où un enfant innocent puisse mourir ? » Gn 1 nous dit que Dieu vit que le monde qu’il avait fait était bon, voire très bon, mais non parfait. Un monde non fini, en croissance, en création, avec des imperfections, des accidents… Cela n’enlève rien au scandale. Cela est la même chose pour le tremblement de terre d’Haïti. C’est un mystère, au double sens de ce que mon esprit ne peut l’atteindre, et de ce que Dieu y est présent.

L – On ne peut pas avancer sur cette question. On n’est pas Dieu. Ce qui me touche plus que le départ d’un enfant, car je crois qu’il y a quelque chose au-delà de la mort, c’est la souffrance de l’enfant. Cela nous dépasse totalement. Il n’y a pas d’explication.

JL – Je me rappelle un jeune couple dont le premier enfant meurt d’une maladie orpheline dans des souffrances impossibles, et qui m’accueille comme prêtre pour préparer la célébration des obsèques, et qui mystérieusement avaient une paix infinie dans leur cœur. Là, j’ai vu la grâce divine : Dieu était présent. Ils ne m’ont jamais posé la question du pourquoi.

Est-ce que Dieu permet la souffrance pour que l’homme se tourne vers lui ?

S – Dieu peut se servir dans sa souveraineté pour attirer les gens à lui. Et heureusement qu’il s’en sert, qu’il est capable d’utiliser du meilleur et du pire.

JL – Un papa ou une maman ne supportera jamais de voir souffrir un enfant sans rien faire. Dieu souffre de notre souffrance. Il ne peut « permettre » en vue de… mais il est capable de faire de la souffrance un lieu de l’expérience pascale.

L – Je crois plutôt en un Dieu totalement souverain, et qui permet que je souffre. Pourquoi, comment ? Je n’en sais rien… mais je crois que le premier objectif de Dieu est de nous amener au salut, et que notre passage ici-bas est une préparation de notre éternité. Je n’en déduis pas une règle en disant que toutes les souffrances sont voulues par Dieu, encore moins qu’il y prend plaisir, mais je mesure que pour moi, c’est dans les moments difficiles que Dieu m’a rejoint.

S – On parle souvent du scandale du mal pour le reprocher à Dieu, mais ce peut être aussi une occasion de glorifier Dieu, dans sa capacité de faire d’un mal un bien. Du pire, le Seigneur est capable de faire le meilleur. Il n’est pas limité par l’outrance des hommes, pour nous dire combien il nous aime. Si Dieu le permet, s’il est souverain sur toutes les choses…

Celui qui est forcé de commettre le mal, comment situer ce mal ?

S – Je dois obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes. Réponse simple, mais je ne sais pas si je serai capable de résister. En tous cas, c’est ce que nous devons faire. Il y a des martyrs qui le font.

En catéchèse, faut-il parler du diable ?

L – Oui, dans nos églises (assemblées de Dieu), car on n’élude pas cette question. Mais il faut voir à quel âge le dire. Eviter aux tout-petits. On peut aussi en parler mal, ou lui donner trop d’importance. Cela dit, des jeunes fréquentent le monde occulte, et il faut les mettre en garde.

J.Sylvain (ERF) – J’ai été catéchiste pendant une dizaine d’années. Nous préférons parler du Mal que du diable.

S – La catéchèse concerne enfants et adultes. Même des chants pour enfants en parlent. Maintenant, ce n’est pas forcément bien fait. Au niveau pédagogique, c’est parfois léger. Aujourd’hui, il importe que nous ayons moins peur d’en parler, car les jeunes en parlent facilement, et pratiquent des choses, des expériences occultes.

JL – Dans l’Eglise Catholique, on parle peu du diable, mais du mal, en veillant à ce que l’on puisse l’identifier, dans les luttes, et le combat spirituel. On en parle peu, car il y a une imagerie, et le danger qu’il pourrait y avoir deux dieux qui se combattent. L’idée d’une trop grande personnalisation du mal peut amener à un dualisme.

 

Pâques

Voici 4 pages sur le Mystère Pascal. Une série d’images en PDF les accompagne et actualise les schémas manuscrits (du devoir de séminaire originel).

1- Pâques dans l’Ancien Testament
2- Premières attestations chrétiennes
3- Les Evangiles et les Actes des Apôtres
4- De l’événement pascal vers la théologie chrétienne

On peut aussi changer de page en cliquant sur les numéros en bas à droite.

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BIBLIOGRAPHIE

[1] H.U. von Balthasar, Le Mystère Pascal, in Mysterium Salutis n°12, pp 9-264, Cerf 1972.
[2] X.L. Dufour, Résurrection de Jésus et message pascal, coll. « Parole de Dieu », Seuil 1971.
[3] B. Sesboüé, Pédagogie du Christ, coll. « Théologies », Cerf 1994.
[4] R. E. Brown, Jésus dans les quatre Evangiles, coll. « Lire la Bible » n°111, Cerf 1996.
[5] J. Schmitt, La genèse de la christologie apostolique, in Initiation à la pratique de la théologie, tome 2, pp 129-183, Cerf 1982.

Pâques (1)

PÂQUES DANS L’ANCIEN TESTAMENT

Pâque est pour Israël le mémorial annuel de la première Pâque, de la libération de la captivité en Egypte par l’intervention décisive de Dieu pour son peuple. Cette délivrance de l’Exode qui s’actualise dans chaque Pâque annuelle est aussi invoquée chaque fois qu’Israël subit d’autres esclavages et qu’il fait l’expérience d’un salut qui ne lui vient que de Dieu. Aussi, l’Ancien Testament, en tant qu’histoire de salut apparaît comme une succession de relectures, de réinterprétations de cet événement fondateur aux implications présentes et futures. De par sa fidélité, ce qu’il a fait dans le passé, Dieu le fait et le fera encore.

Israël a fait preuve d’une grande liberté pour donner de nouvelles versions au récit de l’événement pascal, à travers les différentes couches rédactionnelles de l’Ecriture elle-même, mais aussi dans ces commentaires théologiques que sont les targum, ou les midrash qui semblent négliger la vérité historique des faits passés pour accentuer la valeur de leur sens actuel ou futur. Cette liberté dans l’usage du passé résulte de l’orientation foncière d’Israël vers l’avenir, qui fait mettre le mémorial du passé au service de cette ouverture, et qui autorise bien des enjolivements à motif théologique ou moral. La littérature apocalyptique (AT et intertestamentaires) fonctionne dans le même sens, en soutenant l’espérance des croyants persécutés, par le rappel du passé pris comme modèle de ce qui doit advenir. Cet eschatologisme propre à Israël puisqu’il est entouré de cultures à temps cyclique, va dans le même sens que son refus viscéral de toute idolâtrie : l’attente du Dieu qui vient, de son intervention définitive pour Israël ne saurait être comblée par une représentation temporelle ou une manifestation historique du divin. Dans cette attente messianique qu’aucune réalisation historique (juge, roi, prophète…) ne satisfait pleinement, Israël s’ouvre toujours plus à une récapitulation de toutes ses expériences de rencontre avec Dieu, mais telle qu’elle ne peut être conçue qu’à la fin des temps, au delà de l’histoire. On attend celui qui sera à la fois le nouveau Moïse, le nouveau David, le nouvel Elie, le nouveau prophète… mais aussi le serviteur souffrant, la sagesse en personne etc… Devant l’impossible synthèse de ces figures juxtaposées dans l’Ancien Testament, et attendant leur unité dans le Messie eschatologique, la tentation existe d’avoir une conception si transcendante de Dieu qu’on lui refuse la possibilité de se manifester historiquement, et qu’on ne puisse avoir accès à lui que par une « élévation » au dessus de l’histoire qui rendrait négligeable tout ce qui a lieu dans ce monde. On risque alors d’être tellement polarisé sur cette glorieuse fin des temps, qui sera aussi la résurrection des justes, que l’on en devient inattentif à l’humble présence de Dieu à l’œuvre dans le temps. Il en sera ainsi lorsqu’Israël ne saura reconnaître le Christ présent en Jésus de Nazareth dans son histoire. A cette tendance spiritualisante, s’oppose le courant sapientiel, mais aussi celui du judaïsme pharisien qui valorise les oeuvres concrètes de la vie de tous les jours ou du culte, de la fidélité à la loi comme lieu sinon comme condition d’accès à Dieu. Cependant l’attente eschatologique reste entière : les thèmes et les figures, les mots et les récits bibliques sont paroles de Dieu, certes, mais en tant qu’ils pointent tous en direction du Messie à venir. A ce titre, ils lui sont relatifs ; ils ont beau être inlassablement mis en relation les uns avec les autres, être analysés via targum, interprétation allégorique, rabbinique ou cabalistique… de manière toujours plus complexe ou imagée pour leur faire donner du sens, Israël les conserve en fait comme autant de trésors sans rapport évident les uns avec les autres, comme autant de pièces détachées dont il manquerait le plan d’assemblage. Et le Talmud, qui est l’équivalent juif du Nouveau Testament, ne change rien à cette attente liée à une vision de l’histoire que l’on pourrait schématiser ainsi :

Dans ce schéma, l’événement de la vie et de la mort de Jésus de Nazareth n’a pas de place – sauf quelques mots dans le Talmud – sinon comme événement historique contingent qui ne saurait désigner la venue du Messie de la fin des temps, et encore moins signifier sa venue dans le temps.

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Pâques (2)

PREMIERES ATTESTATIONS CHRETIENNES

Les premières attestations chrétiennes sont celles que l’on discerne dans le NT sous la forme d’hymnes ou de formules de confession de foi rapportées telles quelles dans les épîtres et antérieures à la rédaction de ces dernières, ou sous la forme de catéchèses pré-lucaniennes dans les Actes.

Les plus anciennes (1Co 15,3-7 ; Ac 2,24.31-32…) suivent la formule « Christ est ressuscité » qui applique à un individu de l’histoire, Jésus, le langage juif de la fin des temps pour les justes : l’événement eschatologique est arrivé ; Jésus est le Christ, le Messie, car Dieu l’a ressuscité d’entre les morts. L’événement pascal confirme la prétention de Jésus d’être « la figure eschatologique par laquelle triomphe le salut final de Dieu » ([4] p.99) et il autorise la première communauté à l’attester à travers diverses titulatures au sens de plus en plus riche. Par exemple, le titre de « fils de Dieu », qui avait un sens métaphorique et collectif dans le judaïsme apocalyptique, est relu par la communauté judéo-chrétienne dans le sens plus élevé du messianisme judaïque (cf. 2S 7,12-14 et Rm 1,3b-4a) ; enfin, le titre de « fils » avec saint Paul (Rm 8,3.29.32 ; 1Th 1,9-10 ; 1Co 1,9…) est accueilli comme titre de révélation (Ga 1,16) de la filiation divine du Christ ([5] p.163-179). Fidèle au schéma juif d’une histoire orientée, on affirme qu’avec Jésus, avec la venue du Messie, la fin des temps est arrivée, d’où l’attente fiévreuse de la parousie du Christ, de son retour imminent et de la résurrection des morts (1Th 4-5). On en a quelques brefs témoins dans le NT (Ac 3,19-21 ; 1Co 16,22 ; Ap 22,20). « Cette brièveté est théologique. Le christianisme est une religion d’espérance, et ce qu’il reste encore à faire à Dieu, dans et par Jésus, demeure un aspect important de sa vision théologique. Néanmoins l’essentiel du message chrétien annoncé au monde réside dans ce que Dieu a fait en Jésus (…) l’importance de ce que Dieu a fait pèse plus lourd que l’importance de ce qu’il fera. » ([4] p.158) Rapidement, l’attente de la parousie du Christ sera convertie vers une parousie retardée (2Th 2,25) tout en conservant la nécessité de la vigilance*.

L’autre formule, « Jésus est Seigneur », exalté dans la gloire (Ph 2,6-11 ; 1Tm 3,16 ; Ep 4,7-10 ; Rm 10,5-8 ; 1P 3,18-22…) rend mieux compte de ce que toute la suite de l’histoire après l’événement pascal constitue les temps nouveaux. La seigneurie de Jésus signifie sa présence et son règne universel : la parousie est réalisée ; la résurrection n’est plus seulement un à-venir mais un déjà-là ; en Jésus-Christ, par la vie sacramentelle, nous sommes déjà ressuscités (Rm 6,4s ; Col 2,12). La vision de l’histoire correspondante est celle-ci :

La perspective juive y est accomplie (Jésus est le Messie qui récapitule tout l’AT) ; elle est élargie en une fin des temps qui a déjà commencé mais qui est dilatée pour « durer » jusqu’au jour où le règne de Dieu sera total (1Co 15,24s). Selon la formule de W. Pannenberg, « il y a un aplatissement de l’eschatologique au niveau de l’histoire universelle ».

Ceci dit, on peut trouver dans ce schéma des inconvénients analogues à ceux évoqués dans la perspective vétéro-testamentaire : l’événement pascal lui-même pourrait s’y retrouver relativisé, comme événement de salut, certes, mais comme événement passé ; le retour du Christ peut alors lui prendre la place d’unique pôle d’attention du croyant, au risque même de négliger le déjà-là de sa présence. La vie historique de Jésus et la Pâque du Seigneur pourraient ne plus être considérées comme ce qui est donné à contempler par le croyant, comme le lieu absolu de la révélation du Père en son Fils, mais comme la condition de possibilité de ce qui suit et de ce qui seul importerait, la vie dans l’Esprit. On risque alors de ne comprendre le message de Paul « si le Christ n’est pas ressuscité, notre message est sans objet et votre foi est sans objet » (1Co 15,14) que sur le seul plan intellectuel ou logique, au lieu de le recevoir au plan du fondement et du contenu, de l’ « objet » même de la foi. A plus forte raison, les événements de l’AT peuvent apparaître comme inutiles désormais, en tant que préparatifs provisoires et dépassés du véritable événement pascal et du règne de Dieu qui le suit. Enfin, ce schéma pose le problème de l’historicité de l’événement pascal. Les deux formules de la « résurrection » ou de l’ « exaltation » de Jésus entraînent chacune un rapport différent du Christ post-pascal au Jésus pré-pascal. La résurrection accentue la continuité en marquant l’identité entre le crucifié et le ressuscité, au point qu’on soit tenté de relater l’événement pascal sur le seul plan historique ; ainsi d’un évangile apocryphe comme celui de Pierre, qui prétend raconter la résurrection… Inversement, l’exaltation accentue la discontinuité, l’entrée dans l’éternité, le retour au Père de celui qui s’est abaissé dans le monde et dans l’histoire ; ce sont alors les apparitions historiques de Jésus après Pâques que l’on a peine à comprendre.

 

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* « Paul a dû mettre les Thessaloniciens en garde contre tout calcul précis de la date fatidique. C’est peu à peu, sous la pression de l’expérience, que l’on a pris conscience de l’allongement des « derniers temps ». Mais l’imminence du retour est restée une composante essentielle dans la psychologie de l’espérance. » – VTB, article « Temps », p. 1284.

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