Voici les notes que j’ai prises à la conférence donnée à Rodez par le p. Arnaud de Vaujuas, le 15 mars 2005. Ces notes n’engagent pas le conférencier.
Vis à vis des personnes, quelle attitude tenir sur un sujet passionnel comme celui de la bioéthique, en évitant l’idéologie (« la vérité ne s’impose que par la force de la vérité elle-même qui pénètre l’esprit avec autant de douceur que de puissance. » Dignitatis Humanae, concile de Vatican II, 1965), mais pour éduquer la conscience avec puissance et douceur, et non pour résoudre des problèmes ou condamner le monde ? Où en est-on au niveau des lois relatives à la bioéthique, en particulier celle du 6 août 2004 ? De quoi s’agit-il ? Quelles questions éthiques sont engagées et quelle est la parole d’Eglise correspondante ?
La loi du 6 août 2004
Après 3 ans de travaux, l’adoption par l’Assemblée Nationale et 2 recours devant le Conseil Constitutionnel rejetés, la loi a été publiée le 7 août 2004. Principales innovations :
1°) la création d’une nouvelle incrimination « contre l’espèce humaine », pour interdire tout clonage reproductif (volonté de réplication d’un être humain à l’identique) ;
2°) l’interdiction du clonage thérapeutique ;
3°) l’autorisation de l’utilisation de cellules embryonnaires dans un but thérapeutique ;
4°) l’autorisation à titre dérogatoire pendant 5 ans de recherches sur l’embryon lorsque ces recherches permettent des progrès thérapeutiques (sur les embryons surnuméraires, ou importés) ;
5°) la nécessité de 2 ans de vie commune pour un couple pour l’accès à la procréation médicalement assistée ;
6°) la création d’un organisme indépendant du Parlement et de la Magistrature ; l’élargissement du don d’organe à des personnes de l’entourage familial proche…
L’embryon est un être de caractère humain qui se développe de manière continue dès le moment de la fécondation. Celle-ci a lieu de manière naturelle à l’insu du couple, car on ne prend conscience de l’existence de l’embryon qu’au moment de sa nidation, 15 jours après (premier retard de règles). Ovocyte, embryon, fœtus, ne sont que des dénominations extérieures, pour désigner un processus continu. Il n’y a pas de stade pré embryonnaire. Tout le patrimoine génétique est présent dès la fécondation. Les cellules de l’embryon sont appelées cellules souches, car encore non différentiées. Plus une cellule est indifférenciée, plus elle a des capacités de multiplication éventuellement désorganisée (cancer), et elle est pluri-potentielle.
Les recherches sur les cellules embryonnaires supposent la destruction de l’embryon. Pour les chrétiens et pour ceux qui considèrent l’embryon comme un être humain, il s’agit d’une instrumentalisation d’un être humain au profit d’un autre être humain. On peut trouver d’autres cellules souches, adultes, en dé-différenciant des cellules adultes (avec risques de cancer…), mais les recherches sont encore balbutiantes, bien qu’elles ne posent pas de problème éthique, car il n’y a pas alors de destruction d’un être humain. Pour comprendre les phénomènes de différenciation, de dé-différenciation et de contrôle de la multiplication, des recherches complexes sont nécessaires.
Le clonage reproductif est qualifié par la loi de « crime contre l’espèce humaine ». Le clonage thérapeutique est sanctionné, mais pas avec la même qualification. Est-ce la possibilité offerte à l’avenir de distinguer complètement ces deux clonages ? C’est ainsi que le laisse supposer la récente prise de position de la France à l’ONU contre la déclaration refusant tout clonage. Le clonage implique de dénucléer un ovocyte et d’y injecter le noyau d’une autre cellule non sexuelle du donneur, mais cette technique ne permet pas de reproduire le donneur à l’identique, du fait que l’expression de l’information comprise dans le noyau injecté est régulée par le cytoplasme, en particulier par l’ARN mitochondrial. Un véritable clonage ne serait possible qu’avec la scission de la morulla (cellule embryonnaire avant le 4ème jour).
La distinction entre les deux clonages thérapeutique et reproductif n’est que dans l’intention, parce que la technique est la même, au transfert in utero (de l’embryon produit in vitro) près. Il s’agit d’une reproduction non sexuée, à deux titres : hors de l’étreinte sexuelle, et sans les cellules sexuelles.
Au cours du vote, s’est posée la question du quoi faire des embryons surnuméraires, ne faisant plus l’objet d’un projet parental. La loi prévoit que chaque année, on consulte les parents d’embryons issus de fivete : leur non-réponse vaut absence de projet parental, et au bout de 5 ans, les embryons ne sont plus considérés comme faisant l’objet d’un projet parental. C’est la loi, mais cette loi n’est pas toujours respectée : des embryons surnuméraires sont détruits avant ces 5 ans. La loi interdit cependant la production d’embryons dans le but de la recherche, le stock est insuffisant (118.379 embryons en l’an 2000, dont 23.000 sans projet parental, et 29.000 sans information consolidée), d’où la possibilité offerte par la loi d’importer des embryons de l’étranger.
La création d’une agence de biomédecine, composée d’experts au pouvoir décisionnel échappant au pouvoir du Parlement, donne donc aux chercheurs le pouvoir exorbitant de fixer eux-mêmes les limites de leurs recherches.
Le diagnostic pré-implantatoire a été étendu par le Sénat, en vue de sélectionner dans les Fivete, les embryons ayant un patrimoine génétique permettant une greffe sur un aîné malade.
Positions d’Eglise
Devant cette évolution législative, l’Eglise est intervenue régulièrement. Le 9 décembre 2003, le cardinal Philippe Barbarin, fustigeait le prétendu refus du législateur à définir le statut de l’embryon, alors que l’autorisation de recherches sur lui implique sa réduction au statut de matériau, d’objet. L’Eglise s’était prononcée dès 1994 contre la constitution de stocks d’embryons surnuméraires. Mais que faire de ceux existants ? Le cardinal Lustiger avait écrit dans un article du Monde que ces embryons surnuméraires pouvaient être considérés comme des malades demandant des soins importants sans perspective d’épanouissement. Il est alors moral de cesser ces soins (congélation). Le débat reste ouvert. Le 27 janvier 2003, Mgr Jean Pierre Ricard, apporte son soutien à la proposition de loi à l’encontre du clonage reproductif, de la constitution d’embryons à des fins de recherche, mais refuse l’usage destructif d’embryons à des fins de recherche et leur réduction à l’état d’objet, leur chosification – pour des motifs économiques. En 2001, le cardinal Billé déclarait : « l’embryon humain n’est pas une chose. » Le respect qu’on lui doit ne dépend ni du mode d’obtention, ni du désir qu’on peut avoir à son égard. Ceci pour les prises de position de l’épiscopat français. Dès 1987, à propos des Fivete, le document Donum Vitae demandait que l’on respecte l’embryon « comme un être humain ». En 1995, l’encyclique Evangelium Vitae ne se prononce pas sur la question de l’animation de l’embryon (i.e. de sa capacité de relation avec Dieu), mais demande le respect de l’embryon comme personne humaine.
La parole d’Eglise est là pour former la conscience, en particulier des chrétiens en situation de responsabilité pastorale. « La vérité ne s’impose que par la force de la vérité elle-même qui pénètre l’esprit avec autant de douceur que de puissance. » Dignitatis Humanae La doctrine ne saurait être opposée aux personnes, mais elle est là pour former notre conscience. Les personnes qui se posent des questions doivent être d’abord écoutées, d’une écoute de type Rogérienne – manifestant que l’on a bien écouté, avec reformulation élucidatrice – pour que la conscience s’ouvre. Alors une parole normative est possible. Donner une parole normative avant que la conscience s’ouvre aboutit à ce que cette conscience se referme comme une huître. Jésus ne donnait jamais la morale, la loi de manière extérieure, avant l’ouverture de la conscience. Au contraire Il était véhément vis-à-vis de ceux qui, se posant en « justes » humiliaient et méprisaient les transgresseurs. La doctrine de l’Eglise est un trésor, et nous pouvons être fier de ce qu’elle ne se soit pas tue. Mais cela n’autorise en aucun cas l’imposition culpabilisatrice de la norme morale. Cette norme doit nous aider à nous mettre en situation d’accompagnement et d’écoute des personnes. Cela vaut pour les politiciens. Des députés, des directeurs d’hôpitaux sont en situation de se poser des questions.
Le moment culturel
L’humanité, comme chacun de nous, passe par des phases (1) de toute puissance prométhéenne, (2) d’accablement, puis (3) de gratuité. Les « trente glorieuses », ont permis le passage d’une société de subsistance à une société d’opulence. Illusion de toute-puissance, de maîtrise radicale. Sur le plan de la transmission de la vie, la pilule a été l’emblème de cette illusion. Or nous constatons aujourd’hui que le nombre de grossesses non désirées et d’avortements ne baisse pas. On passe de l’illusion de la toute-puissance à l’interrogation, bientôt à l’accablement. Il en sera de même au sujet des recherches sur l’embryon. A tout triomphe succède un désarroi, une interrogation sur l’insaisissabilité du réel. C’est dans ce moment d’accablement qu’une véritable parole d’espérance devient possible et audible. Le sentiment de toute-puissance devant les formidables prétentions scientifiques n’est pas le dernier état d’esprit qui nous animera, mais augure autant de désenchantements. Le moment culturel présent n’est pas le dernier moment de notre devenir.
Questions
L’attitude d’un homme politique chrétien est-elle identique à celle d’un chrétien en relation de personne à personne ? L’enjeu n’est-il pas culturel autant qu’interpersonnel ?
Un homme politique ne peut pas voter des lois rendant plus facile l’avortement ou la manipulation d’embryons avec leur destruction, mais il peut voter des lois les rendant plus difficiles (Evangelium Vitae 73 3), tout en prenant acte de leur existence. Le pharisaïsme consisterait à brandir l’horreur du péché dans un sens d’humiliation culpabilisatrice pour les personnes. Evangelium Vitae n°5, rappelle l’option préférentielle de l’Eglise pour les pauvres, et l’homme est aujourd’hui fragile dans ses débuts et sa fin. Défendre la dignité de la personne humaine consiste à montrer la beauté de l’embryon qui se développe, la tendresse d’une grossesse, et le mal apparaîtra pour ce qu’il est, dans sa laideur : une carence de bien.
Le travail intellectuel et moral n’est pas là pour inquiéter les personnes, mais pour que nous nous disposions à leur édification lorsque leurs interrogations s’adressent à nous. C’est un devoir grave, pour nous chrétiens de nous former, pour le service de nos frères.
La position officielle de l’Eglise opposée à la Fivete, est-elle tenable face à un couple en souffrance de stérilité ?
La Fivete qui signifie « fécondation in vitro avec transfert d’embryon », comporte divers degrés de négativité morale. Très négatifs en cas de fécondation hétérologue, et avec destruction d’embryons surnuméraires. Mais même en cas de fécondation homologue « single case », il y a intervention de la volonté d’un tiers, le médecin, et changement de signification de l’enfant non comme don, mais comme dû. La position de l’Eglise est donc défavorable aux Fivete. Même si l’intention (subjective) peut être bonne – donner la vie -, la matière de l’acte de la Fivete ne l’est pas. Il est normal que des fidèles soient en conscience incapables d’entendre ce refus. Cela ne suffit pas à considérer que l’éclairage de la conscience soit inutile. Nous devons dire ce que l’Eglise pense. Mais « Tu ne dois avertir ton frère de ton péché que si tu as l’espoir de le faire grandir » (Alphonse de Liguori). Donum Vitae, qui n’est qu’une instruction n’ayant pas la valeur magistérielle d’Humanae Vitae ou d’Evangelium Vitae, laisse penser que la position de l’Eglise n’est pas définitive sur ce sujet. S’il n’est pas pensable que la position de fond puisse être inversée, la forme de ce document – trop technique – pourrait être amendée, pour davantage se situer dans le devenir des personnes.
Le fond, selon Arnaud de Vaujuas, c’est la sainteté de la chair et de la sexualité : nous avons droit à une image narcissique, le droit de croire que la scène inaugurale par laquelle nous sommes passés du néant à l’être, fut éminemment jubilatoire ! En soi, les adultes n’ont pas de droit à l’enfant, mais l’enfant a le droit d’être accueilli dans les meilleures conditions, de se savoir en lui-même un don. Il en va aussi de notre action de grâce.
Actuellement, 60.000 français (jeunes) ont été conçus par Fivete. La Fivete, comme parcours du combattant, peut poser problème pour l’enfant, peut-être alors désiré comme produit, comme dû, mais pas alors comme don. C’est d’ailleurs aussi ce qui se passe lorsque le partenaire est davantage considéré comme parent de ses enfants que comme conjoint. Des enfants issus de Fivete posent ainsi à leurs parents le comment de leur conception et ce qu’ils sont aux yeux de leurs parents.
Pour aller plus loin, un excellent site : genethique.org