Le temps de confinement a donné à tous de vivre un temps de quarantaine / carême, en forme de grande retraite obligée. Pour bien des paroisses et leurs pasteurs, ce fut aussi l’occasion de déployer des moyens numériques pour rejoindre les paroissiens : site internet, newsletter, chaîne YouTube voire célébrations en vidéo, visio-conférence.
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Rencontres paroissiales en visio-conférence
2 rendez-vous hebdomadaires
mer. 14h : partage biblique (avec l’évangile de la messe du dimanche)
Sur smartphone, appli « Zoom », réunion 609-536-1579, mot de passe 123456. Indiquez vos prénom, nom. Une « salle d’attente » évite le « zoom-bombing » (intrusions malveillantes).
Localement : pour des besoins croissant, la paroisse invite à soutenir l’antenne locale du Secours Catholique : don de temps de bénévolat (contacter Michel Debray) ou financier (chèque à l’ordre de « Secours Catholique, Capdenac-gare » à adresser à Marcel Barnabé, 12260 Salles Courbatiès)
Voilà ci-dessous dans l’ordre chronologique inverse les méditations proposées pour la paroisse Notre-Dame d’Olt et Diège, en vidéos de 3′ à 4′ du Dimanche des Rameaux au Vendredi Saint, 11′ pour la veillée pascale, 6′ pour le Dimanche de Pâques (homélie d’une messe sur YouTube avec les Scouts de France) puis pour quelques dimanches du temps pascal.
« Aujourd’hui, Dieu notre Père, tu nous ouvres la vie éternelle par la victoire de ton Fils sur la mort, et nous fêtons sa résurrection. Que ton Esprit fasse de nous des hommes nouveaux pour que nous ressuscitions avec le Christ dans la lumière de la vie. Lui qui règne avec Toi et le Saint Esprit, maintenant et pour les siècles des siècles. »
L’oraison de ce dimanche de Pâques nous tourne vers une vie vécue autrement, à la suite du Christ, habitée de son Esprit, renouvelée dans sa lumière : un style de vie à aimer son prochain, la Création, la vie… sans craindre la souffrance, le mal et la mort. Cette prière nous ouvre aussi vers un « au-delà » de la vie, dont le style de vie chrétien « ici-bas » donne un avant-goût sans en épuiser les possibles, et dont la résurrection du Christ atteste qu’il est notre véritable destination. Une prière en communion toute particulière avec les familles et les victimes des derniers attentats, à Lahore, Bagdad, Bruxelles, Maiduguri, Grand Bassam, Aden, Istanbul…
« Nul être humain n’échappe à la nécessité de concevoir hors de soi un bien vers lequel se tourne la pensée dans un mouvement de désir, de supplication et d’espoir. Par conséquent il y a le choix seulement entre l’adoration du vrai Dieu et l’idolâtrie. » (Simone Weil, citée dans « Prier 15 jours avec Simone Weil » de Martin Steffens, Ed. Nouvelle Cité, p. 27)
Même individualiste, consumériste, relativiste… notre société ne parvient pas à déprendre l’homme de ce qui le constitue en son fond : une insatisfaction radicale, une recherche incessante de dépassement, un désir d’absolu, qui s’apparentent à ce que l’Evangile des Béatitudes nomme la « pauvreté de coeur » (Mt 5,3). La tradition chrétienne dit de l’homme qu’il est « Capax Dei », en-creux-de-Dieu, avec le « désir naturel de voir Dieu » (Saint Thomas d’Aquin relu par le card. Henri de Lubac dans ses textes sur le « Surnaturel »), un désir qui le dispose à s’adresser à Dieu avec les mots de Saint Augustin : « Tu nous as fait pour toi, Seigneur, et notre coeur est sans repos, tant qu’il ne demeure en toi ». Trouver sa vocation, c’est alors découvrir sa manière personnelle d’aimer Dieu de tout son coeur, de toute son âme, de toute sa force etc… et d’aimer son prochain comme soi-même. L’accomplissement de toute vie passe nécessairement par une consécration à Dieu et aux autres, par la mise en pratique d' »aimer, c’est tout donner » (Ste Thérèse de Lisieux), par la radicalité de l’amour-de-don qui est tout le contraire du « travailler plus pour gagner plus ».
La folie du djihadiste – comme toute folie qui semble exclure du sens commun – est en fait symptomatique du trouble de tous, celui de ne pouvoir/savoir donner sa vie, de ne pas la consacrer à plus grand que soi et de lui préférer son confort. Le djihadiste répond à ce trouble en se croyant appelé par Allah à défendre l’Oumma, ce qui le radicalise dans un héroïsme barbare, où cependant il s’agit davantage d’ôter la vie d’autrui que de donner la sienne, avec aussi la contradiction d’un Absolu incapable de régner sans tueurs. Pour le chrétien, seul le Christ réalise le parfait don de soi, la parfaite consécration de l’amour, et c’est en s’unissant à Lui, en se glissant sacramentellement dans Son sacrifice pascal que le chrétien se retrouve lui aussi donné à Dieu et aux hommes.
Dans son audience du 7 janvier – le jour même des attentats à Paris – le pape François citait une homélie de Mgr Oscar Romero montrant le lien entre le martyre – donner sa vie – et la maternité – donner la vie, une double attitude à laquelle devrait nous disposer notre foi en Celui qui est le chemin, la vérité, la vie. A rebours des logiques de mort présentes aussi bien dans le terrorisme islamique que dans le nihilisme occidental – dont l’avortement et le suicide assisté seraient les symptômes – le christianisme est un art du sacrifice, de la consécration de toute chose par amour de Dieu et des hommes : « Aimer, c’est tout donner et se donner soi-même ». Être baptisé, c’est être configuré au Christ qui se donne pour que nous puissions nous donner à notre tour, qui invite au même don radical que le sien. « Disciples-missionnaires », saurons-nous vivre selon la logique de Pâques : tout recevoir du Christ pour tout offrir à Dieu et à nos frères ?
Cf. la conférence de Fabrice Hadjadj sur « Les djihadistes, le 11 janvier et l’Europe du vide ».
Cf. l’homélie du p. Simon d’Artigue du 2ème dimanche de Carême B (1er mars 2015) sur le sacrifice.
Pour quoi, pour qui sommes-nous prêts à prendre des risques, à payer de notre personne, à donner notre vie ? A quoi, à qui sommes nous prêts à nous consacrer ?
C’est la question que notre société ne pose plus, et dont elle laisse un funeste monopole à l’islamisme. « Soumission« , le dernier livre de Houellebecq semble dire qu’il n’est pas nécessaire que cet islamisme soit sanguinaire : la passion du bien-être de nos démocraties urbaines (Tocqueville), la dissolution nihiliste de tout idéal, l’affadissement du rapport à l’absolu, la déligitimation des pouvoirs qui en résulte (Ibn Khaldun), rendent plausible la dialectique du maître et de l’esclave version 2022 que présente Houellebecq.
Ces maladies de l’occident post moderne rendent plus nécessaire le témoignage des chrétiens d’un rapport à Dieu à la fois humble, paisible et joyeux, et donc non totalitaire, et qui cependant appelle au don total de soi (Ph 2), car fondé sur la configuration au Christ que Lui-même rend possible. S’engager, prendre des risques, payer de notre personne, donner notre vie deviennent possibles, non plus par fanatisme déshumanisant, mais par amour de Dieu et des hommes, « pour la gloire de Dieu et le salut du monde ». C’est ce que nous venons de fêter à la Crèche, et c’est là une bonne nouvelle, y compris pour le politique !
Un siècle après le début de la guerre de 14-18, nous éprouvons un sentiment d’étrangeté devant le patriotisme, l’abnégation des français de l’époque, qui a pu les engager dans cette boucherie que fut la « Grande Guerre ».
Notre mentalité actuelle si éloignée de la leur, rendrait impossible un tel sacrifice. A l’inverse, le fondamentalisme islamique en Irak et en Syrie, mais aussi au Nigéria et en d’autres terres d’Islam, attire certains dans le djihad, dont l’extrême violence, la barbarie à l’égard des minorités religieuses révoltent les humanistes de tout bord.
Le sens du sacrifice serait-il aujourd’hui le monopole du fanatique ? Face au fanatisme, sommes-nous prêts à traduire nos convictions humanistes en actes, en lutte, en don de soi, sans lesquels ces convictions ne seraient que postures ? Notre pacifisme actuel est-il celui du courage de chercher la paix quoiqu’il en coûte, ou celui de la lâcheté de refuser de défendre quoi que ce soit, parce que l’on ne croirait en rien ?*
Ni fanatisme, ni relativisme, un autre mode de conviction est possible, assez épris de la vérité pour ne pas s’en croire propriétaire, pour la rechercher dans le dialogue avec l’autre, et la défendre lorsqu’elle est menacée. Le pape François, le 17 août dernier, dans son discours aux évêques de Corée le disait : une identité chrétienne forte est nécessaire pour dialoguer. Cultivons cette identité-là ! Nous essaierons de le mettre en pratique avec nos frères musulmans, le 27 septembre à Rodez.
Je ne crois pas en dieu mais pourtant quand je pense à mon père, je prie dieu pour qu’il le fasse revenir. Je ne sais plus où j’en suis. Est-ce que l’au-delà existe ? Comment puis-je savoir si mon père est heureux là où il est ?
Je peux d’abord proposer une réponse humaine, avant d’être une réponse croyante, et même chrétienne :
Dès qu’il y a de l’humain, il y a l’intuition inaltérable que ce qui a été vécu ici-bas, les relations, les liens affectifs, les projets, les engagements… doivent bien avoir un prolongement, ou un accomplissement, ou une sanction (positive ou négative) au-delà de la mort. C’est là une exigence de justice inscrite dans le coeur de l’homme, et l’on ne trouve pas cette intuition chez les animaux. Cette intuition est à l’origine des marques de respect que seuls les humains donnent à ce qui reste de ceux qui sont morts, c’est-à-dire aux corps des défunts : les rites funéraires (enterrement, crémation, etc…) sont le signe de ce respect, et sont propres à l’homme, y compris préhistorique. Pourquoi respecter ce qui n’est plus qu’un corps destiné à se dissoudre, s’il n’y a pas l’intuition d’un au-delà de la mort ?
Mais si c’est là une attente inscrite dans le coeur de l’homme, on a le choix entre deux attitudes :
– Refuser cette attente, et la considérer comme une illusion ; croire que la réalité est en fait contraire à notre attente, qu’il n’y a en fait rien à espérer au-delà de la mort, que cette vie mène à une tombe, au néant, au rien, et disparaît progressivement du souvenir de ceux qui restent, que cette vie est donc à proprement parler insensée, absurde. La sagesse serait alors d’en prendre acte, sans se bercer d’illusions « opium du peuple ».
Des penseurs passés et présents (André Comte-Sponville fait partie de ceux-là) ont pris ce parti du désespoir, en affirmant que le sens de l’existence ne peut se trouver qu’à l’intérieur de cette courte parenthèse entre notre naissance et notre mort, et pas au-delà. On pourrait leur objecter que c’est là une optique de « nantis », de gens qui ont la possibilité de diriger leur vie ici-bas, d’en faire quelque chose… Que dire alors à ceux qui ont vécu toute leur existence prisonniers de la misère ou du dénuement, victimes innocentes de l’injustice et de la guerre ? Quel sens trouver à cette vie si tout se joue uniquement ici-bas ? Que dire aussi à ceux qui doivent se résigner à la disparition totale de ceux qu’ils ont aimés ?
– Croire que cette attente humaine correspond à une réalité existante, bonne, désirable, et que le scandale du mal, de l’injustice, de la souffrance et de la mort vient paradoxalement confirmer : car si ce que ces maux contrarient n’existait pas, de quoi ces maux nous priveraient-ils ? pourquoi nous feraient-ils tant souffrir ? C’est justement parce que nous sommes faits pour cette vie pleine, éternelle, juste, affranchie de la mort, que l’expérience de la mort physique et du mal fait scandale. Même si nous n’en pouvons avoir qu’une intuition, même si elle reste un mystère, cette réalité désirée que les philosophies évoquent seulement en termes d’ « immortalité de l’âme », les croyants – et tout particulièrement les chrétiens – osent l’affirmer à partir d’une autre expérience que celle de l’attente du coeur humain : l’événement de la Résurrection du Christ, fêté chaque année à Pâques comme le centre de l’histoire, ce qui lui donne son sens.
Voici 4 pages sur le Mystère Pascal, écrites pendant mes années de séminaire. Une série d’images en PDF les accompagne et actualise les schémas manuscrits (du devoir originel).
[1] H.U. von Balthasar, Le Mystère Pascal, in Mysterium Salutis n°12, p. 9-264, Cerf 1972.
[2] X.L. Dufour, Résurrection de Jésus et message pascal, coll. « Parole de Dieu », Seuil 1971.
[3] B. Sesboüé, Pédagogie du Christ, coll. « Théologies », Cerf 1994.
[4] R. E. Brown, Jésus dans les quatre Evangiles, coll. « Lire la Bible » n°111, Cerf 1996.
[5] J. Schmitt, La genèse de la christologie apostolique, in Initiation à la pratique de la théologie, tome 2, p. 129-183, Cerf 1982.
Pâque est pour Israël le mémorial annuel de la première Pâque, de la libération de la captivité en Egypte par l’intervention décisive de Dieu pour son peuple. Cette délivrance de l’Exode qui s’actualise dans chaque Pâque annuelle est aussi invoquée chaque fois qu’Israël subit d’autres esclavages et qu’il fait l’expérience d’un salut qui ne lui vient que de Dieu. Aussi, l’Ancien Testament, en tant qu’histoire de salut apparaît comme une succession de relectures, de réinterprétations de cet événement fondateur aux implications présentes et futures. De par sa fidélité, ce qu’il a fait dans le passé, Dieu le fait et le fera encore.
Israël a fait preuve d’une grande liberté pour donner de nouvelles versions au récit de l’événement pascal, à travers les différentes couches rédactionnelles de l’Ecriture elle-même, mais aussi dans ces commentaires théologiques que sont les targum, ou les midrash qui semblent négliger la vérité historique des faits passés pour accentuer la valeur de leur sens actuel ou futur. Cette liberté dans l’usage du passé résulte de l’orientation foncière d’Israël vers l’avenir, qui fait mettre le mémorial du passé au service de cette ouverture, et qui autorise bien des enjolivements à motif théologique ou moral. La littérature apocalyptique (AT et intertestamentaires) fonctionne dans le même sens, en soutenant l’espérance des croyants persécutés, par le rappel du passé pris comme modèle de ce qui doit advenir. Cet eschatologisme propre à Israël puisqu’il est entouré de cultures à temps cyclique, va dans le même sens que son refus viscéral de toute idolâtrie : l’attente du Dieu qui vient, de son intervention définitive pour Israël ne saurait être comblée par une représentation temporelle ou une manifestation historique du divin. Dans cette attente messianique qu’aucune réalisation historique (juge, roi, prophète…) ne satisfait pleinement, Israël s’ouvre toujours plus à une récapitulation de toutes ses expériences de rencontre avec Dieu, mais telle qu’elle ne peut être conçue qu’à la fin des temps, au delà de l’histoire. On attend celui qui sera à la fois le nouveau Moïse, le nouveau David, le nouvel Elie, le nouveau prophète… mais aussi le serviteur souffrant, la sagesse en personne etc… Devant l’impossible synthèse de ces figures juxtaposées dans l’Ancien Testament, et attendant leur unité dans le Messie eschatologique, la tentation existe d’avoir une conception si transcendante de Dieu qu’on lui refuse la possibilité de se manifester historiquement, et qu’on ne puisse avoir accès à lui que par une « élévation » au dessus de l’histoire qui rendrait négligeable tout ce qui a lieu dans ce monde. On risque alors d’être tellement polarisé sur cette glorieuse fin des temps, qui sera aussi la résurrection des justes, que l’on en devient inattentif à l’humble présence de Dieu à l’œuvre dans le temps. Il en sera ainsi lorsqu’Israël ne saura reconnaître le Christ présent en Jésus de Nazareth dans son histoire. A cette tendance spiritualisante, s’oppose le courant sapientiel, mais aussi celui du judaïsme pharisien qui valorise les œuvres concrètes de la vie de tous les jours ou du culte, de la fidélité à la loi comme lieu sinon comme condition d’accès à Dieu. Cependant l’attente eschatologique reste entière : les thèmes et les figures, les mots et les récits bibliques sont paroles de Dieu, certes, mais en tant qu’ils pointent tous en direction du Messie à venir. A ce titre, ils lui sont relatifs ; ils ont beau être inlassablement mis en relation les uns avec les autres, être analysés via targum, interprétation allégorique, rabbinique ou cabalistique… de manière toujours plus complexe ou imagée pour leur faire donner du sens, Israël les conserve en fait comme autant de trésors sans rapport évident les uns avec les autres, comme autant de pièces détachées dont il manquerait le plan d’assemblage. Et le Talmud, qui est l’équivalent juif du Nouveau Testament, ne change rien à cette attente liée à une vision de l’histoire que l’on pourrait schématiser ainsi :
Dans ce schéma, l’événement de la vie et de la mort de Jésus de Nazareth n’a pas de place – sauf quelques mots dans le Talmud – sinon comme événement historique contingent qui ne saurait désigner la venue du Messie de la fin des temps, et encore moins signifier sa venue dans le temps.
Les premières attestations chrétiennes sont celles que l’on discerne dans le NT sous la forme d’hymnes ou de formules de confession de foi rapportées telles quelles dans les épîtres et antérieures à la rédaction de ces dernières, ou sous la forme de catéchèses pré-lucaniennes dans les Actes.
Les plus anciennes (1Co 15,3-7 ; Ac 2,24.31-32…) suivent la formule « Christ est ressuscité » qui applique à un individu de l’histoire, Jésus, le langage juif de la fin des temps pour les justes : l’événement eschatologique est arrivé ; Jésus est le Christ, le Messie, car Dieu l’a ressuscité d’entre les morts. L’événement pascal confirme la prétention de Jésus d’être « la figure eschatologique par laquelle triomphe le salut final de Dieu » ([4] p.99) et il autorise la première communauté à l’attester à travers diverses titulatures au sens de plus en plus riche. Par exemple, le titre de « fils de Dieu », qui avait un sens métaphorique et collectif dans le judaïsme apocalyptique, est relu par la communauté judéo-chrétienne dans le sens plus élevé du messianisme judaïque (cf. 2S 7,12-14 et Rm 1,3b-4a) ; enfin, le titre de « fils » avec saint Paul (Rm 8,3.29.32 ; 1Th 1,9-10 ; 1Co 1,9…) est accueilli comme titre de révélation (Ga 1,16) de la filiation divine du Christ ([5] p.163-179). Fidèle au schéma juif d’une histoire orientée, on affirme qu’avec Jésus, avec la venue du Messie, la fin des temps est arrivée, d’où l’attente fiévreuse de la parousie du Christ, de son retour imminent et de la résurrection des morts (1Th 4-5). On en a quelques brefs témoins dans le NT (Ac 3,19-21 ; 1Co 16,22 ; Ap 22,20). « Cette brièveté est théologique. Le christianisme est une religion d’espérance, et ce qu’il reste encore à faire à Dieu, dans et par Jésus, demeure un aspect important de sa vision théologique. Néanmoins l’essentiel du message chrétien annoncé au monde réside dans ce que Dieu a fait en Jésus (…) l’importance de ce que Dieu a fait pèse plus lourd que l’importance de ce qu’il fera. » ([4] p.158) Rapidement, l’attente de la parousie du Christ sera convertie vers une parousie retardée (2Th 2,25) tout en conservant la nécessité de la vigilance*.
L’autre formule, « Jésus est Seigneur », exalté dans la gloire (Ph 2,6-11 ; 1Tm 3,16 ; Ep 4,7-10 ; Rm 10,5-8 ; 1P 3,18-22…) rend mieux compte de ce que toute la suite de l’histoire après l’événement pascal constitue les temps nouveaux. La seigneurie de Jésus signifie sa présence et son règne universel : la parousie est réalisée ; la résurrection n’est plus seulement un à-venir mais un déjà-là ; en Jésus-Christ, par la vie sacramentelle, nous sommes déjà ressuscités (Rm 6,4s ; Col 2,12). La vision de l’histoire correspondante est celle-ci :
La perspective juive y est accomplie (Jésus est le Messie qui récapitule tout l’AT) ; elle est élargie en une fin des temps qui a déjà commencé mais qui est dilatée pour « durer » jusqu’au jour où le règne de Dieu sera total (1Co 15,24s). Selon la formule de W. Pannenberg, « il y a un aplatissement de l’eschatologique au niveau de l’histoire universelle ».
Ceci dit, on peut trouver dans ce schéma des inconvénients analogues à ceux évoqués dans la perspective vétéro-testamentaire : l’événement pascal lui-même pourrait s’y retrouver relativisé, comme événement de salut, certes, mais comme événement passé ; le retour du Christ peut alors lui prendre la place d’unique pôle d’attention du croyant, au risque même de négliger le déjà-là de sa présence. La vie historique de Jésus et la Pâque du Seigneur pourraient ne plus être considérées comme ce qui est donné à contempler par le croyant, comme le lieu absolu de la révélation du Père en son Fils, mais comme la condition de possibilité de ce qui suit et de ce qui seul importerait, la vie dans l’Esprit. On risque alors de ne comprendre le message de Paul « si le Christ n’est pas ressuscité, notre message est sans objet et votre foi est sans objet » (1Co 15,14) que sur le seul plan intellectuel ou logique, au lieu de le recevoir au plan du fondement et du contenu, de l’ « objet » même de la foi. A plus forte raison, les événements de l’AT peuvent apparaître comme inutiles désormais, en tant que préparatifs provisoires et dépassés du véritable événement pascal et du règne de Dieu qui le suit. Enfin, ce schéma pose le problème de l’historicité de l’événement pascal. Les deux formules de la « résurrection » ou de l’ « exaltation » de Jésus entraînent chacune un rapport différent du Christ post-pascal au Jésus pré-pascal. La résurrection accentue la continuité en marquant l’identité entre le crucifié et le ressuscité, au point qu’on soit tenté de relater l’événement pascal sur le seul plan historique ; ainsi d’un évangile apocryphe comme celui de Pierre, qui prétend raconter la résurrection… Inversement, l’exaltation accentue la discontinuité, l’entrée dans l’éternité, le retour au Père de celui qui s’est abaissé dans le monde et dans l’histoire ; ce sont alors les apparitions historiques de Jésus après Pâques que l’on a peine à comprendre.
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*« Paul a dû mettre les Thessaloniciens en garde contre tout calcul précis de la date fatidique. C’est peu à peu, sous la pression de l’expérience, que l’on a pris conscience de l’allongement des « derniers temps ». Mais l’imminence du retour est restée une composante essentielle dans la psychologie de l’espérance. » – VTB, article « Temps », p. 1284.