Un mois après les attentats de Paris…

Voici la déclaration commune que les signataires ci-dessous, nous publions ce dimanche 13 décembre 2015 :

Après des citoyens ciblés parce que juifs, enfants et adultes, après des soldats et policiers ciblés parce que gardiens de notre sécurité, après des journalistes ciblés pour l’usage de leur liberté d’expression, voici que des barbares aux thèses mortifères s’attaquent sans distinction à notre communauté nationale. Comme les idéologies totalitaires du siècle dernier, une nouvelle barbarie prend pour cibles des innocents.

Hommes et femmes de l’Aveyron, de religions différentes – juifs, chrétiens, catholiques, protestants, musulmans – nous sommes tous atterrés et meurtris par les conflits et la haine qui sévissent dans ce monde et désormais en France, notre patrie, et nous exprimons notre plus profonde compassion aux familles des victimes et aux blessés, qui ensemble voulaient seulement chanter, s’amuser, rire et dîner.

Les crimes contre des innocents sont inadmissibles et ne pourront défaire la fraternité, l’unité et l’indivisibilité de la France. Toutes nos religions condamnent la haine, le meurtre, les actes terroristes, la violence qui humilie les hommes et discrédite la cause de ceux qui l’utilisent, quelle que soit la cause. Conformément à nos valeurs spirituelles et morales, nous rejetons catégoriquement et sans ambiguïté le terrorisme extrémiste usurpateur du nom de l’Islam, et toute forme de violence qui sont la négation des valeurs de paix et de fraternité que nous voulons porter ensemble, et nous affirmons que toute vie est sacrée. Nous appelons les hommes et les femmes de bonne volonté à la résistance, à ne jamais abdiquer face au mal, et nous sommes reconnaissants à l’égard de nos services de sécurité, policier et militaire qui œuvrent pour notre protection, en y associant tous les personnels soignants et sauveteurs pour leur courage et leur dévouement.

Des attiseurs de haine comptent entraîner notre pays dans un cycle de violence pour le déstabiliser, pour en fracturer la cohésion sociale. Au-delà de ces heures d’émotion, nous, croyants, nous voulons nous opposer aux fanatiques manipulateurs de conscience, mais aussi à ceux qui voudraient faire de l’islamophobie une politique, aux prêcheurs du choc des civilisations qui imputent globalement à l’Islam ces dérives extrémistes, en pratiquant l’amalgame entre nos concitoyens de culture ou de religion musulmane, et terroristes islamistes. Nous appelons aussi nos compatriotes musulmans de France à consolider leur attachement à la France et aux valeurs de sa devise, à édifier les ponts d’amitié et de fraternité avec leurs concitoyens, à agir pour plus de justice sociale.

Le dialogue, et tout particulièrement celui des religions et des cultures, est plus que jamais vital, comme antidote à toute forme d’extrémismes, religieux ou non-religieux. Nous, représentants cultuels et communautaires, croyants de différentes religions en Aveyron, nous pouvons témoigner d’un long chemin de paix et de fraternité, nous rencontrant régulièrement pour partager en toute amitié, franchise et vérité toutes sortes de sujets, avec nos engagements dans la cité. Pour lutter contre l’extrémisme et les dérives auto-destructrices, il nous faudra cependant revenir sur les causes, les raisons qui ont poussé de jeunes français à commettre de tels crimes, et traiter enfin le problème en profondeur, s’interroger sur un vide de sens que notre société consumériste ne peut étancher par « du pain et des jeux ». Une autocritique, un examen de conscience seront nécessaires à tous, croyants ou non, et la bonne volonté et les discours ne suffiront pas.

Que Dieu nous en donne le courage et protège la France et tous ses enfants : ceux d’ici et ceux d’ailleurs, ceux qui combattent et ceux qui ont peur !

Mimoun BOUJNANE Raphaël BUI Simon MASSBAUM Luc SERRANO
Président de l’Association Cultuelle des Musulmans de Rodez Responsable du Service Diocésain des Relations avec les Musulmans (Eglise Catholique) Délégué du Conseil Représentatif des Institutions Juives de France (CRIF) en Aveyron Pasteur de l’Eglise Protestante Unie de France (Rodez)

Un art chrétien de défendre ses convictions

Les manifestations violentes contre la barrage de Sivens dans le Tarn, et la participation de jeunes écologistes dont la motivation ne saurait justifier n’importe quelle forme d’engagement, nous ont amenés à proposer aux lycéens en aumônerie sur le Ségala, une réflexion sur un art chrétien de défendre ses convictions.

Un art qui prend exemple sur Jésus, lui « le chemin, la vérité et la vie » qui peut pourtant se laisser fléchir par les arguments et l’humilité d’une femme syro-phénicienne (Mc 7,24s)… sur Paul, capable de ravaler son exaspération devant les idoles grecques, pour s’adresser aux athéniens dans un langage qu’ils puissent comprendre (Ac 17,16s)… Deux exemples qui invitent à sortir du manichéisme, car l’adversaire a des raisons que je dois entendre en allant jusqu’à « sauver la proposition de l’autre » (St Ignace de Loyola). Ce n’est pas seulement affaire de tactique – pour préparer une réfutation – mais d’objectivité, sans laquelle on n’est que fanatique (pour qui tout est en noir & blanc) ou infantile (il y les bons et les méchants, comme chez Walt Disney), à confondre le Bien ou le Vrai avec ce que l’on en a perçu.

Au contraire, la juste attitude consiste non pas « à convaincre d’erreur mon adversaire mais à m’unir à lui dans une vérité plus haute ». (Lacordaire) Hors des situations intolérables contre lesquelles il faut se battre (nazisme, islamisme…), il y en a d’autres que l’on peut et doit tolérer, et l’on ne tolère qu’un mal…

Puissions-nous avoir la force et la douceur nécessaires à cet art !

 

Solidarité avec les irakiens

Secours-Catholique Caritas-France

Mardi 12 août 2014, la Conférence des Evêques de France, le Secours Catholique Caritas-France et l’Œuvre d’Orient lancent un appel à la prière et à la générosité à l’occasion des célébrations du 15 août.

A la suite du Pape François qui a demandé lors de l’Angélus dominical « une solution politique efficace pour rétablir le droit en Irak », la Conférence des Evêques de France, le Secours Catholique et l’Œuvre d’Orient réitèrent leur demande d’un arrêt des violences et l’établissement d’une paix durable et juste dans les conflits qui secouent le Proche-Orient : en Irak, dans le conflit Israël – Palestine et en Syrie. Dans l’immédiat, et pour permettre au Secours Catholique et à l’Œuvre d’Orient de continuer à faire face à l’urgence humanitaire dans la région, les deux organisations, appuyées par la Conférence des Evêques de France, lancent un appel aux dons qui sera relayé dans toutes les paroisses à l’occasion des célébrations du 15 août. Grâce au réseau des Caritas et des églises locales, le Secours Catholique et l’Œuvre d’Orient ont déjà financé de nombreuses actions concrètes auprès des chrétiens et plus largement des populations sinistrées, sans distinction politique ou religieuse.

Les communautés qui se réuniront le 15 août sont aussi invitées à prier l’intercession de la Vierge Marie en utilisant le texte spécialement préparé à cette occasion.

Proche-Orient : prier et agir sans tarder ! Comme d’autres minorités, nos frères du Proche-Orient, dont les pays sont déchirés par les guerres, crient au secours. Entendons-nous leur appel ? Qu’en faisons-nous ?
La Conférence des Evêques de France, bouleversée par les drames qui se déroulent sous nos yeux et dont ont été témoins directs plusieurs d’entre nous, appuie notamment les actions du Secours Catholique-Caritas France et de l’Œuvre d’Orient qui se sont tournés vers elle. Par leur présence sur le terrain, ces organisations d’Eglise sont directement solidaires des chrétiens du Proche-Orient et des victimes des trois conflits majeurs qui secouent la région : Irak, Israël-Palestine et Syrie avec son impact sur les pays limitrophes.
Depuis les tout premiers jours, des équipes Caritas, partenaires du Secours catholique-Caritas France, sont auprès des populations déplacées au nord de l’Irak, des victimes des bombardements à Gaza et des Syriens victimes du conflit dans le pays ou réfugiés en Jordanie et au Liban. Par ailleurs, les prêtres et institutions religieuses sont sur le terrain, au quotidien, aux côtés des familles. Ils leur apportent aides alimentaires, logements, soins et scolarisent les enfants, grâce au soutien de l’Œuvre d’Orient
Depuis trois ans, le Secours Catholique et l’Œuvre d’Orient ont chacun apporté des sommes très importantes pour financer des actions concrètes. Pour continuer et répondre aux besoins de plus en plus vitaux et de plus en plus urgents, votre soutien est indispensable. Merci pour vos dons et pour votre prière tout spécialement en cette fête de l’Assomption de la Vierge Marie, si chère au cœur des catholiques du monde entier.

Mgr Georges Pontier Archevêque de Marseille Président de la Conférence des Évêques de France

 

Prière à la Vierge Marie pour le 15 août 2014 Marie, notre Mère,
nous nous adressons à toi
en cette fête qui nous rappelle que tu es auprès du Père dans la gloire de la Résurrection.
Toi qui étais debout près de la croix de ton Fils,
tu peux, mieux que quiconque, comprendre nos sœurs et nos frères humains qui souffrent
et intercéder pour eux.
Nous voulons te confier aujourd’hui les chrétiens d’Irak et les autres communautés de ce pays, qui vivent un chemin de croix et qui implorent notre aide.
Nous te confions aussi les chrétiens et les autres communautés de Terre Sainte, de Syrie et de tout le Proche Orient.
Prends-les sous ta protection,
Qu’ils puissent découvrir la présence de ton Fils auprès d’eux dans leur détresse.
Intercède pour nous aussi :
Que l’Esprit Saint nous aide à trouver les moyens de leur venir en aide Et que nous vivions plus intensément la solidarité avec eux dans la prière.
Amen.

 

Tendre la joue gauche

Question d’une lycéenne :

On devrait tendre la joue gauche quand on nous frappe sur la joue droite. Pourquoi?
– répondre par l’amour et la compréhension à la violence
– rester noble face à la violence
Mais violence, physique ou morale, tu crois pas que ça tourne vite à la persécution ou au sado masochisme ?
ça me fait penser aux femmes battues.

 

Esquisse de réponse :

Pour interpréter ce « commandement impossible », je t’invite à reprendre le passage où il se trouve dans l’évangile selon saint Luc (Lc 6,29) qu’il faut lire dans son contexte :

Jésus déclarait à la foule :
27 « Je vous le dis, à vous qui m’écoutez :
Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent.
28 Souhaitez du bien à ceux qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous calomnient.
29 A celui qui te frappe sur une joue, présente l’autre. A celui qui te prend ton manteau, laisse prendre aussi ta tunique.
30 Donne à quiconque te demande, et ne réclame pas à celui qui te vole.
31 Ce que vous voulez que les autres fassent pour vous, faites-le aussi pour eux.
32 Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle reconnaissance pouvez-vous attendre ? Même les pécheurs aiment ceux qui les aiment.
33 Si vous faites du bien à ceux qui vous en font, quelle reconnaissance pouvez-vous attendre ? Même les pécheurs en font autant.
34 Si vous prêtez quand vous êtes sûrs qu’on vous rendra, quelle reconnaissance pouvez-vous attendre ? Même les pécheurs prêtent aux pécheurs pour qu’on leur rende l’équivalent.
35 Au contraire, aimez vos ennemis, faites du bien et prêtez sans rien espérer en retour.
Alors votre récompense sera grande, et vous serez les fils du Dieu très-haut, car il est bon, lui, pour les ingrats et les méchants.

 

Commentaires :

v.27a : Jésus est le sujet en relation avec nous, nous donnant au présent de l’indicatif, pour aujourd’hui la parole de révélation sur Dieu.

v.27b-31 : Les verbes sont à l’impératif et s’adressent à nous, en relation avec les autres, pour donner une loi de gratuité, d’amour inconditionnel.

v.32-34 : Une succession de conditionnelles (« si… ») et d’interrogations, pour dire comment nous allons mettre en oeuvre cette logique de gratuité dans les diverses situations qui se présentent.

v.35 : Il s’agit de nous en relation avec les autres et avec Dieu, avec des impératifs et des verbes au futur ; la loi n’est pas qu’impératif, elle est aussi promesse d’une relation filiale à Dieu se révèlant comme source de l’amour inconditionnel.

De manière générale, les commandements bibliques sont écrits dans l’Ancien Testament en employant le temps hébreu de l’inaccompli (souvent traduit par le futur : tu aimeras ton prochain, tu ne tueras point, tu ne voleras point, tu respecteras le sabbat etc…) plutôt que par celui de l’impératif (honore ton père et ta mère). Autrement dit, ils sont autant promesse que commandement, comme si Dieu disait : « je te promets que s’accomplira le jour où tu aimeras ton prochain comme toi-même… » etc… ce qui permet au croyant d’accueillir le commandement non pas d’abord comme une exigence (plus ou moins impossible) mais comme une invitation à la foi en celui qui donne de réaliser ce qu’il ordonne. Saint Augustin avait ainsi cette prière : « Seigneur, donne ce que tu ordonnes, et ordonnes ce que tu veux ! »

Certes, dans le commandement de Lc 6,29, le masochisme est possible, mais il n’a alors rien à voir avec l’attitude qui précède : on n’y trouve ni exigence, ni promesse. On a au contraire maints exemples de mise en pratique de ce commandement et qui relèvent de la foi et sont de l’ordre de la sainteté. Cf. Maximilien Kolbe (cf.wikipedia) au camp d’Auschwitz…

Sur la confiance (suite)…

PAUL     Comment trouver les ressources pour ne jamais se décourager ou faire face ?

JEAN    Je viens de lire le livre que les jésuites ont lu à l’occasion des repas des retraites ignatiennes qu’ils donnent à Rodez ; un livre de Claire Ly, « Revenue de l’enfer« . Un excellent remède contre le découragement, à partir de son expérience d’immersion dans le génocide cambodgien….

PAUL     Comment trouver du sens aux épreuves que l’on vit, sans en vouloir un peu à Dieu de ne pas être plus présent ?

JEAN    Lis donc ce livre ! Sur les prophètes de l’Ancien Testament, j’ai découvert que ce qui fait « l’homme de Dieu », ce n’est pas tant de trouver en sa foi une réponse à ses problèmes existentiels, mais de se confronter à ces problèmes avec Quelqu’un, voire de se confronter avec Quelqu’un à l’occasion de ces problèmes, quitte à l’engueuler, à lui adresser des prières mal fichues, et même inacceptables. La foi, c’est de toujours rester en relation. C’est ce dont témoigne cette Claire Ly, bouddhiste à l’époque du génocide, dans ses reproches au « dieu des occidentaux », qu’elle prend à témoin de sa tragédie, qu’elle engueule, et dont le dialogue intérieur avec lui aboutit à une révélation du Dieu vivant, créateur, sauveur…

PAUL     Ce qui est difficile en fait, c’est de tenir sans finalement voir de « différence », sans que la prière apporte quelque chose, de tenir sans se décourager, d’encaisser tout en restant « confiant ».

JEAN    Que veux-tu que la prière t’apporte ? un confort, un mieux-être, un encouragement, une paix etc… Toutes choses bonnes qu’il faut demander en préambule à ta prière, ne serait-ce que pour être sincère avec Dieu. Mais il me semble qu’il faille aller au-delà, en déposant tes besoins et attentes légitimes au pied du Seigneur en lui faisant assez confiance pour s’en charger, et les oublier un moment pour prêter davantage attention à Dieu lui-même tel que l’Evangile le révèle. Ce « détour » par Dieu est fécond, je peux en témoigner. Il décentre de soi, élargit le regard, ouvre des perspectives, et sans détourner de l’épreuve vécue, fait découvrir quelque chose de finalement plus profond que l’épreuve, et qui est de l’ordre de l’amour.

PAUL     Ce n’est pas évident de se décentrer. Dieu ne peut pas aider à se décentrer ? N’est-ce pas lui qui « t’attire vers lui »?

JEAN    Il n’y a pas mieux que Dieu pour te décentrer de toi. Soit parce qu’il te donne directement cette consolation (« La grâce serait de s’oublier… » Bernanos), soit plus laborieusement, en considérant ce que Dieu est Lui-même, infini, éternel, saint, maître de l’histoire, etc… en prenant le temps de ce qu’on appelle la « louange », l' »adoration »… l’admiration devant plus grand que tout, tu peux relativiser ta manière de voir ce que tu vis à l’aune de son regard à Lui, qui voit plus loin que toi. Pour qui partage la foi – juive et chrétienne – d’un Dieu qui veut rencontrer l’homme, qui lui promet sa propre Vie en partage, prendre au sérieux cette promesse permet aussi de regarder les aléas de notre existence comme étapes – pas toujours compréhensibles – mais étapes quand même, vers la réalisation de cette promesse. C’est d’ailleurs le sens de la fête de l’Assomption : la joie du Magnificat de Marie EST notre avenir.

PAUL     ???

JEAN     Dans la vie spirituelle, il faut s’être fourvoyé pas mal de fois – introspection stérile, culpabilité morbide, égocentrisme, attention excessive à sa réussite, activisme, négligence de la prière – , pour que les choses apparaissent progressivement plus simplement. C’est loin d’être gagné… Le Magnificat comporte bizarrement des formules au présent : « Il disperse les superbes. Il renverse les puissants de leur trône. ll comble de biens les affamés… » qui apparemment ne collent pas à la réalité. Mais parce que c’est cela qui est promis, et qui se réalisera, il y a une manière de porter son regard sur cette réalisation promise, qui donne non seulement le courage de supporter ce qui s’en écarte encore, mais de vivre et d’agir en fonction de cette certitude, d’anticiper sur cette réalisation par des actes, dérisoires en eux-mêmes à l’échelle de l’histoire, mais qui témoignent de l’avenir. Un peu comme ces 4 jours de service et de joie avec les jeunes de l’Hospitalité à Lourdes, au service des malades, une parenthèse « illusoire », et pourtant plus proche de la réalité pour laquelle nous sommes promis, plus proche que ce que l’on vit au jour le jour.

Sur la confiance en soi…

Si la confiance en soi se gagne dans l’amitié, les relations avec les autres, et en particulier avec les personnes de l’autre sexe, le travail… que faire lorsque l’on éprouve un manque dans ces domaines, me demande un jeune à travers quelques questions autour de la confiance en soi…

 

Je n’ai hélas – ou heureusement – pas réponse à toutes les questions que tu as posées sur ces sujets… S’il y avait une réponse, nous serions bien heureux de l’appliquer comme recette du bonheur.

Ce qui rend les choses complexes, c’est que l’on a à la fois besoin du soutien, de l’amitié, de la confiance, de l’amour des autres, des parents, d’amis, et en particulier d’amis de l’autre sexe, pour avancer, grandir en confiance en soi ; et en même temps, que notre valeur véritable ne dépend pas des autres, de leur soutien, confiance, regard, affection etc… Des parents, un(e) ami(e), un employeur, en te faisant confiance, ne font que te donner un déclic, t’aider à découvrir ta valeur qui est intrinsèque et ne vient pas d’eux. Il y a même des personnes qui ont été privés de cette confiance de la part des autres, et qui, en particulier en suivant le Christ dans sa Passion, ont pu découvrir leur dignité infinie au coeur même de l’expérience du déficit d’amour des autres.

Cette valeur de chacun vient ultimement de ce qu’il est enfant de Dieu, et qu’avec ou sans handicap, en menant une vie « intéressante » ou non à ses yeux, aux yeux des autres ou de la société, sa valeur est en réalité au-delà de toute appréciation, au-delà de la somme de ses qualités moins celle de ses défauts. Cette valeur est infinie et inaliénable. La vraie confiance en soi découle de cette découverte-là, à savoir que Dieu trouve sa joie à ce que tu existes, à ce que tu vives : il se réjouit de toi. Lorsque tu prends cela au sérieux, te voilà libre à l’égard de la tentation d’attendre des autres leur approbation, leur confiance ou leur affection. Aimé de Dieu, le chrétien ne cherche pas tant à être aimé, qu’à aimer ; ni à recevoir d’autrui, qu’à rendre à travers lui l’amour qu’il a reçu en plénitude du Seigneur. C’est la prière de Saint François d’Assise :

Seigneur, faites de moi
un instrument de votre paix !
Là où il y a de la haine,
que je mette l’amour.
Là où il y a l’offense,
que je mette le pardon.
Là où il y a la discorde,
que je mette l’union.
Là où il y a l’erreur,
que je mette la vérité.
Là où il y a le doute,
que je mette la foi.
Là où il y a le désespoir,
que je mette l’espérance.
Là où il y a les ténèbres,
que je mette votre lumière.
Là où il y a la tristesse,
que je mette la joie.
Ô maître, que je ne cherche pas tant
à être consolé… qu’à consoler ;
à être compris… qu’à comprendre ;
à être aimé… qu’à aimer ;
Car c’est en donnant… qu’on reçoit ;
C’est en s’oubliant… qu’on trouve ;
C’est en pardonnant…
qu’on est pardonné ;
C’est en mourant…
qu’on ressuscite à la vie éternelle.

L’enjeu du travail n’est donc pas premièrement de prouver une capacité d’intégration (être apprécié d’un patron, de ses collègues), de trouver une reconnaissance sociale (être reconnu par la société) surtout manifestée par une rémunération, de se prouver sa valeur (s’aimer soi-même à travers ce que l’on réussit)… mais d’aimer, d’employer ses talents – et ses faiblesses – au service des autres, peu importe que ce soit reconnu (rémunéré) ou non. Cela vaut donc le coup de persévérer à chercher un travail où puisse se déployer ton désir d’aimer, de servir, d’être utile… tout en ne te focalisant pas à l’excès sur le fait de l’obtenir ou non, comme si de travailler ou de ne pas travailler devait décider de ta valeur. Je dirais la même chose des amitiés à cultiver de son mieux, avec ce qu’il faut de recul et de désintéressement, pour ne pas attendre d’elles ce qu’elles ne peuvent que donner imparfaitement, ou simplement comme avant-goût de ce que l’on ne reçoit en plénitude que de Dieu seul.

 

Doctrine Sociale de l’Eglise

Ce petit mémento de D.S.E. est un copier-coller à partir des « en bref » du Catéchisme de l’Eglise Catholique (1998). Il a servi samedi à une présentation à des lycéens et étudiants de l’ « année Samuel ».

C’est l’occasion ici de rappeler :

– la sortie toute récente du Compendium de la Doctrine Sociale de l’Eglise, en deux versions françaises au choix : Edition vaticane ou Bayard-Cerf-Fleurus ;

– les Assises Chrétiennes de la Mondialisation qui se sont tenues ce week-end, et qui témoignent fortement de la réflexion (cf. le Livre Blanc) et de l’action des chrétiens en vue d’une mondialisation au service de l’homme.

 

 ***

a–   Il existe une certaine ressemblance entre l’union des personnes divines, le Père, le Fils et le Saint Esprit, et la fraternité que les hommes doivent instaurer entre eux.

b–   Le respect de la personne humaine considère autrui comme un « autre soi-même ». Il suppose le respect des droits fondamentaux qui découlent de la dignité intrinsèque de la personne.
Les différences entre les personnes appartiennent au dessein de Dieu qui veut que nous ayons besoin les uns des autres. Elles doivent encourager la charité.
c–   « La personne humaine est, et doit être le principe, le sujet et la fin de toutes les institutions sociales. » (GS 25) L’homme est lui-même l’auteur, le centre et le but de toute la vie économique et sociale. Pour se développer en conformité avec sa nature, la personne humaine a besoin de la vie sociale. Certaines sociétés, comme la famille et la cité, correspondent plus immédiatement à la nature de l’homme.
Le développement véritable est celui de l’homme tout entier. Il s’agit de faire croître la capacité de chaque personne de répondre à sa vocation, donc à l’appel de Dieu (cf. CA 29).
d–   La solidarité est une vertu éminemment chrétienne. Elle pratique le partage des biens spirituels plus encore que matériels. Le devoir des citoyens est de travailler avec les pouvoirs civils à l’édification de la société dans un esprit de vérité, de justice, de solidarité et de liberté.
« Tu ne voleras pas » (Dt 5,19). « Ni voleurs, ni cupides … ni rapaces n’hériteront du Royaume de Dieu » (1Co 6,10). Le septième commandement prescrit la pratique de la justice et de la charité dans la gestion des biens terrestres et des fruits du travail des hommes.
L’égale dignité des personnes humaines demande l’effort pour réduire les inégalités sociales et économiques excessives. Elle pousse à la disparition des inégalités iniques.
La loi morale proscrit les actes qui, à des fins mercantiles ou totalitaires, conduisent à asservir des êtres humains, à les acheter, à les vendre et à les échanger comme des marchandises.
e–   Le bien commun comprend « l’ensemble des conditions sociales qui permettent aux groupes et aux personnes d’atteindre leur perfection, de manière plus totale et plus aisée » (GS 26) Le bien commun comporte trois éléments essentiels : le respect et la promotion des droits fondamentaux de la personne ; la prospérité ou le développement des biens spirituels et temporels de la société ; la paix et la sécurité du groupe et de ses membres.
f–   Toute communauté humaine a besoin d’une autorité pour se maintenir et se développer. La communauté politique et l’autorité publique trouvent leur fondement dans la nature humaine et relèvent par là d’un ordre fixé par Dieu (GS 74) « Il n’y a d’autorité que par Dieu et celles qui existent sont établies par lui » (Rm 13,1).
L’autorité s’exerce d’une manière légitime si elle s’attache à la poursuite du bien communde la société. Pour l’atteindre, elle doit employer des moyens moralement recevables.
L’autorité politique doit se déployer dans les limites de l’ordre moral et garantir les conditions d’exercice de la liberté. La société doit favoriser l’exercice des vertus, non y faire obstacle. Une juste hiérarchie des valeurs doit l’inspirer. Le citoyen est obligé en conscience de ne pas suivre les prescriptions des autorités civiles quand ces préceptes sont contraires aux exigences de l’ordre moral. « Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes » (Ac 5,29).
Chacun doit se préoccuper de susciter et de soutenir des institutions qui améliorent les conditions de la vie humaine. Il faut encourager une large participation à des associations et des institutions d’élection. Il revient à l’Etat de défendre et de promouvoir le bien commun de la société civile. Le bien commun de la famille humaine tout entière appelle une organisation de la société internationale.
g–   L’autorité publique est tenue de respecter les droits fondamentaux de la personne humaine et les conditions d’exercice de sa liberté. Selon le principe de subsidiarité, ni l’Etat ni aucune société plus vaste ne doivent se substituer à l’initiative et à la responsabilité des personnes et des corps intermédiaires.
h–   Les biens de la création sont destinés au genre humain tout entier. Le droit à la propriété privée n’abolit pas la destination universelle des biens : Les biens créés par Dieu pour tous doivent arriver en fait à tous, suivant la justice et avec l’aide de la charité.
i–   La domination accordée par le Créateur sur les ressources minérales, végétales et animales de l’univers ne peut être séparé du respect des obligations morales, y compris envers les générations à venir. Les animaux sont confiés à la gérance de l’homme qui leur doit bienveillance. Ils peuvent servir à la juste satisfaction des besoins de l’homme.
j–   La valeur primordiale du travail tient à l’homme même, qui en est l’auteur et le destinataire. Moyennant son travail, l’homme participe à l’œuvre de la création. Uni au Christ le travail peut être rédempteur.
k–   L’aumône faite aux pauvres est un témoignage de charité fraternelle : elle est aussi une pratique de justice qui plait à Dieu. L’amour des pauvres est incompatible avec l’amour immodéré des richesses ou leur usage égoïste. Dans la multitude d’êtres humains sans pain, sans toit, sans lieu, comment ne pas reconnaître Lazare, mendiant affamé de la parabole (Lc 17,19-31) ? Comment ne pas entendre Jésus : « A moi non plus vous ne l’avez pas fait » (Mt 25,45) ?
l–   Là où le péché pervertit le climat social, il faut faire appel à la conversion des cœurs et à la grâce de Dieu. La charité pousse à de justes réformes. Il n’y a pas de solution à la question sociale en dehors de l’Evangile (cf. CA 3). Toute société réfère ses jugements et sa conduite à une vision de l’homme et de sa destinée. Hors des lumières de l’Evangile sur Dieu et sur l’homme, les sociétés deviennent aisément totalitaires.

 

Joyeux Noël et meilleurs voeux !

Au moment d’entendre cette déclaration d’amour inouïe que Dieu nous adresse par la naissance de son Fils, par l’Incarnation de son Verbe, je vous adresse tous mes voeux pour cette nouvelle année 2006.
Que vous souhaiter ?
ce que je souhaite pour moi-même :
plus de joie, plus de foi (les deux vont ensemble) ;
plus d’amour, plus de vérité, plus de courage et d’humilité à la chercher et à la servir, en actes et en paroles ;
plus de compétence, de liberté, d’invention pour vivre notre vocation, pour le service auquel Dieu ou l’Eglise nous appellent (je crois en l’Esprit Saint, par qui ces deux appels se confondent) ;
plus d’attention à autrui, proche ou lointain…
Et puisqu’à Rodez l’année liturgique commencée est rythmée par les trois verbes avec un v minuscule : accueillir, servir et aller vers, je me sers d’eux pour vous dire ce qu’a été cette année 2005 pour moi…
Accueillir :
– un accompagnateur spirituel (ouf, cela devenait plus que nécessaire).
– un nouvel ordinateur, d’occasion certes mais quand même… 1,15 GHz, 768 Mo Ram, 160 Go DD, écran plat 19″, et la Freebox (idem !)
– dix jours de retraite ignatienne en juillet (idem !!)
– plusieurs enfants de CP de l’éveil à la foi, pour une préparation au baptême, joyeuse mais exigeante.
Harry Potter VI, mais aussi Trouver Dieu en toutes choses (Pierre Van Breemen, Cerf 1997), Foi, Vérité, Tolérance (Joseph Ratzinger, Parole et Silence 2005), Pourquoi donc être chrétien ? (Timothy Radcliffe, Cerf 2005).
– en DVD, Bienvenue à Gattaca (1998), de la science fiction pour un excellent contrepoint à l’eugénisme grandissant, et une nième fois parce que je ne m’en lasse pas, Le festin de Babette (1986).
– plein de cadeaux : une Clio 1,2l, 16V (de mes parents), un camescope numérique DVD (de mon frère), un talent naissant pour les lancers francs (de Ségolène et de ses soeurs l’an dernier, et d’une équipe de confirmands du Sacré-Coeur cette année).
Servir :
– Dieu, dans la liturgie. C’est une tautologie : le mot liturgie signifie « service public ». En premier lieu, la messe, en particulier celle du dimanche de la Miséricorde, le 3 avril, au lendemain du retour de Jean-Paul II vers le Père ; celles animées par les jeunes ; les célébrations pénitentielles et le sacrement de la réconciliation ; les baptêmes et mariages, en particulier ceux concernant ces chers anciens dont j’ai été CT il y a 10 ans chez les scouts d’Europe : Jean-Marc, Gabriel, mais aussi Guillaume et Philippe même si c’est à distance, par la prière, que j’étais avec vous ; les veillées d’adoration et de prière ; la confirmation de 55 collégiens le 20 novembre en la Cathédrale, particulièrement belle.
– des familles éprouvées par un deuil – toujours via la liturgie, car au-delà du tact ou de l’écoute prodigués, le bien et la consolation qui s’y donnent et s’y reçoivent, viennent de plus haut.
– des jeunes d’ici : les 6èmes de l’aumônerie de l’enseignement du public, pour qui nous avons refait un parcours de profession de foi, les 4èmes-3èmes de l’enseignement catholique, via un nouveau pélerinage de 3 jours sur les chemins de Saint Jacques de Compostelle, des temps forts et la préparation à la confirmation.
– trois nouveaux filleuls, d’ailleurs, en particulier aux Philippines, via Enfants du Mékong et le BICE.
– la communication diocésaine, via le journal des paroisses et une prospection en cours sur les radios chrétiennes.
– l’Europe, via l’organisation d’un débat paroissial sur le projet de traité constitutionnel européen, avec des chrétiens des deux bords. Surtout ne dîtes à personne que j’ai voté n…
Aller vers :
– ou plutôt « sur » un cheval, grâce à Olivier, plus de 15 ans après une première, brève et (jusqu’à cette année) unique expérience sur le dos d’un tel animal : cette fois-ci, j’en suis descendu tout seul.
– à nouveau des collégiens et lycéens d’ici, via msn (et le très utile plugin msnplus) et via leurs blogs.
– n’importe quel internaute surfant au hasard, via mon blog (ici même).
– 80% de mes filleuls, mais il me reste encore quelques jours pour tenter de voir la seule que je n’ai pas vue, Claire à Montpellier… Question subsidiaire pour les plus jeunes : combien ai-je de filleuls ?
– mes origines vietnamiennes, en participant à Paris à la joyeuse, émouvante et gastronomique fête des 70 ans de présence de la congrégation Notre Dame au Vietnam, où elles ont tant apporté, en particulier à ma mère à Dalat.
– mes 50 ans, puisque le cap des 40 vient d’être franchi !
A tous,
Meilleurs voeux pour l’année 2006 !

Compléments :

– L’image-typo des 3 verbes est la couverture des journaux paroissiaux et diocésain de janvier 2006, composée grâce à typogenerator.net [gratuit, un lien à mettre dans vos favoris]…
– La veillée de Noël 2005 à Gourgan (Rodez) était un parcours « de Pâques à Noël » (fichier Word à télécharger : 0,3 Mo), avec diaporama (cf. typogenerator), et bande-son mp3 (cf. freeware audacity) téléchargeable uniquement si vous avez l’adsl : (1) Cléophas 1,3 Mo, (2) Une lumière à resplendi 0,7 Mo, (3) Pierre 1,5 Mo, (4) Les arbres dansent de joie 0,6 Mo, (5) Marie-Madeleine 0,8 Mo, (6) Faire le bien 0,1 Mo. [cliquer droit sur ces liens, puis ‘enregistrer la cible sous…’ sur votre disque dur]

Culture de la non-violence

La culture de la non-violence est-elle d’actualité ?

Voici les notes que j’ai prises à la conférence-débat de Jean-Marie Muller, le 18 novembre 2005, à St Eloi, Rodez (12), dans le cadre des journées de la Paix. A l’appel des prix Nobel de la Paix, l’ONU a décrété 2001-2010 décennie de la Paix, pour promouvoir la culture de la paix. Dans ce cadre, 5 associations, Conflits sans violence, Palestine 12, Vie Nouvelle, le CCFD, et l’ACAT (Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture) ont organisé à Rodez 3 conférences, 1 film-débat, des interventions dans 5 établissements scolaires (600 élèves) en octobre-novembre 2005. Dans ce quartier de Saint Eloi, des associations dont ‘Delta jeunes’, des travailleurs sociaux travaillent et mettent en œuvre le bien-vivre ensemble.

Jean-Marie MULLER philosophe de formation, écrivain, directeur de recherche à l’institut de recherche sur la résolution des conflits sans violence, est porte parole du MAN (Mouvement pour une Alternative Non-violente). Il a écrit plusieurs livres, et il est connu pour sa présence depuis plusieurs années sur le Larzac.

[Ces notes n’engagent pas l’auteur de la conférence]

Introduction
Il y a un défi de vouloir suggérer que la culture de la non-violence est d’actualité, alors que la violence est la matière première de l’actualité, des media, la plus photogénique : il a fallu des voitures qui brûlent à Paris pour qu’une actualité française apparaisse à la une des journaux brésiliens… Cette violence n’est pas à nier, mais à comprendre et à surmonter. Au-delà des faits, c’est toute notre culture qui est dominée par l’idéologie de la violence légitime, nécessaire, honorable, inévitable, incontournable, comme s’il y avait une fatalité de la violence. Notre langue, expression d’une culture, traduit cette culture de la violence, et nous n’avons pas appris les mots pour dire la non-violence. Notre langue maternelle est la langue de la violence, et elle influence notre pensée qui pense avec ces mots de la violence. Il faut inventer une langue de la non-violence, construire les mots de la non-violence, en reprenant les mots de notre langue, mais en leur donnant l’éclairage de la philosophie de la non-violence. De multiples malentendus, confusions, équivoques grèvent ce travail. Nous suspectons la non-violence de ne pas être réaliste, responsable devant l’événement… Scepticisme devant la non-violence. Quelques clarifications conceptuelles sont nécessaires. La non-violence a certes une tradition : Gandhi, son nom et son message, mais aussi les 90 volumes de son œuvre que peu ont lus ! Marx aussi était prolifique. Si les intellectuels français s’étaient donnés autant de mal à lire Gandhi que Marx, notre culture serait différente !

Questions de vocabulaire…
CONFLIT : au commencement est le conflit, parce que l’être humain est un être de relation ; il construit sa personnalité en relation avec l’autre, et cette relation est d’abord conflictuelle, quand l’autre est différent, pénètre dans mon territoire, vient me déranger, contrarie mes projets. Cet autre dont les droits, désirs et la liberté contrarient mes droits, désirs, liberté. René Girard évoque le conflit qui naît du désir mimétique d’un même objet, même en présence d’autres objets aussi désirables. Tentative de s’approprier ce que l’autre a choisi en entrant dans une relation de rivalité pure, quitte à casser l’objet pour que l’autre ne puisse plus en jouir… Bien des situations, et pas seulement enfantines correspondent à cela. Il faudra accepter de vivre le conflit avec l’autre, parce que j’ai des droits, désirs et besoins légitimes. Au lieu d’avoir peur du conflit – la peur n’est pas honteuse, elle n’est pas à refouler mais ne devrait pas dominer sur nous : elle est mauvaise conseillère, de soumission, domination ou violence – il faudra que je fasse preuve d’agressivité.

AGRESSIVITE : elle n’est pas la violence ! l’étymologie vient du verbe ad-gradi, marcher en avant, avancer vers l’autre, progresser ! Tant que l’esclave est soumis au maître, il n’y a pas de conflit. Il n’y a de conflit que lorsque l’esclave a le courage de s’avancer vers le maître, de dépasser l’ordre établi, la paix sociale, pour susciter le conflit. Jusqu’à Martin Luther King, les noirs s’accommodaient des humiliations et du racisme des blancs. Rosa Park la première, refuse d’obéir au blanc, de laisser sa place de bus réservée aux blancs, elle résiste au chauffeur du bus, aux policiers, et c’est ce qui déclenche la résistance des noirs qui boycottent le réseau de bus de Montgomery (Alabama). Martin Luther King sollicité pour défendre la communauté noire, découvre avec dépit que le dialogue, la concertation ne viennent pas… C’est la pression économique qui oblige les blancs à céder. Il a fallu une agressivité, non une ‘résistance passive’ (c’est encore une marque de l’idéologie violente que de considérer que la résistance ne peut être que violente, et que pour être non-violente, elle devrait être passive, c’est à dire, ne plus être résistance), mais bien active, de la part de Rosa Park. La passivité eut été de céder sa place. La lutte n’est pas à stigmatiser. A l’inverse des recommandations pastorales d’évêques du début du XXème siècle, exclusivement centrées sur le dialogue, prônant « la charité des riches, la résignation des pauvres, le bonheur pour tous » (card. Pie) Dans cette lutte contre le désordre établi, contre l’injustice, il faut créer un nouvel équilibre des forces, construire un contre pouvoir. La non-violence s’inscrit dans ce rapport de force. Elle ne se résume pas au dialogue. Car l’injustice est caractérisée par un dialogue impossible (cf. le constat de Martin Luther King sur le non-dialogue avec les blancs, qui le conduit à entrer dans la dynamique du ‘Black Power’) : il faut être deux pour dialoguer. Le conflit pourra en cas d’injustice fournir les conditions d’un dialogue. César Chavez, leader de la lutte des travailleurs agricoles aux Etats-Unis, inscrivant son action dans la lignée de Gandhi, avait organisé une grève qui n’a pas marché (les propriétaires avaient recruté des briseurs de grèves au Mexique). Inversement, il a réussi le boycott des produits venant de propriétaires n’ayant pas négocié avec lui, parce qu’il a touché leur cœur, situé au niveau du portefeuille. Mais dans cette action, ce conflit, la non-violence implique de ne pas rechercher l’élimination ou l’exclusion de l’adversaire.

VIOLENCE : Toute violence est un viol. Il n’y a pas de bonne violence. La violence est la perversion de l’humanité de l’homme, car « l’humanité est une dignité » (Kant). Elle est une contradiction par rapport à la vocation de l’homme, elle n’est jamais légitimable. Or, l’idéologie de la violence invente des justifications à la violence. La violence est le propre de l’homme – le chat qui mange la souris n’est pas méchant, et n’agit pas en raison ; la pierre qui se détache du rocher peut tuer, mais elle ne le veut pas, n’en est pas responsable ; elle peut être mortelle, pas meurtrière. L’homme seul, capable de raison et de liberté peut être violent. C’est aussi un animal juridique qui cherche à justifier sa violence. Il commence par invoquer le fait qu’il se défende : c’est l’autre qui a commencé. C’est vrai des enfants comme des Etats (on a des ministères de la Défense, après avoir eu des ministères de la Guerre, ou des Armées). Si tous les Etats se défendent, d’où provient l’offense ? (Tolstoï) Bien sûr que la défense est légitime. Mais l’on parle souvent de légitime défense ou de guerre juste, pour couvrir une « légitime violence », contre un adversaire déclaré « injuste ». Des théories de la guerre juste s’appuient sur des arguments non applicables : parler d’une cause juste ne fonctionne que pour sa propre cause ! La violence est en fait toujours un mal, une injustice pour celui qui subit la violence. Elle porte atteinte à l’humanité de ce dernier, mais aussi de celui qui l’exerce. « Le froid de l’acier est aussi mortel à la poignée qu’à la pointe » (Simone Weil) Tout homme qui a contact avec la violence perd sa qualité d’être humain, de sujet. Les soldats américains en Irak sont les premières victimes de la guerre qu’on leur fait mener : dépression, troubles psychiatriques, suicides, parce que leur expérience n’est pas celle de héros, mais de criminels. La violence n’est pas un droit de l’homme. Elle brise la relation et atteint l’humanité.

Le non de la non-violence s’oppose non au conflit, ni à l’agressivité, ni à l’action, mais à la violence, dont elle veut prendre toute la mesure, pour ne pas la justifier, ni la légitimer. Si la violence est légitimée, elle est alors exercée sans limite, et devient mécanisme aveugle, sans frein. Peut-être que je pourrais me retrouver dans une situation où l’on ne peut pas faire autrement que d’employer la violence comme un moindre mal, mais il faudra alors plus que jamais prendre conscience que la violence est une contradiction. Nécessité ne vaut pas légitimité. Platon le disait déjà. Dire que la violence peut être nécessaire, indique bien qu’elle n’est pas humaine, car l’humanité se caractérise justement par le dépassement de l’ordre de nécessité. Freud en 1915 a deux enfants dans l’armée allemande, et il se dit que le jour de la victoire, le peuple fera fête en oubliant tous les morts de la guerre. Il oppose cela aux récits d’anthropologues en Afrique racontant des cérémonies de deuil accomplis par les guerriers victorieux, à l’égard même de ceux qu’ils avaient tués. Si l’on ne peut pas neutraliser un individu dangereux autrement qu’en le tuant, ce serait faire preuve de civilisation que de célébrer son deuil, et non la victoire !

L’homme à la fois est incliné à la méchanceté et à la bonté. Il a à exercer sa liberté, en cultivant la bonne part de lui-même : choix personnel, mais aussi choix de civilisation. Nous sommes dans une civilisation qui a davantage cultivé la part de violence : en voyant la part de budget consacrée à des armes de guerre, à quoi sert d’ « améliorer » notre armement nucléaire ? contre quel ennemi ? Et en même temps quelle part de budget consacrons-nous à la résolution non-violente des conflits ? Nous sommes dans une culture des armes : l’arme signifie la noblesse, via l’adoubement, via la remise d’une épée (cf. académiciens…) : ce qui est grave, c’est que le symbole de la perfection du savoir soit l’épée !

Toutes les religions ont été et sont encore des vecteurs de violence. Il y a là une contradiction essentielle : les religions devraient exprimer la part essentielle, la plus spirituelle de l’homme. Le philosophe n’est pas théologien, et ne peut parler de Dieu, mais il peut dénoncer les faux dieux, ceux qui légitiment la violence. C’est une question d’orthographe : comment écrivons nous le ‘Dieu des Armées’, ou le ‘Dieu désarmé’ ? A chacun, dans sa propre tradition de découvrir le Dieu désarmé.

NON-VIOLENCE : mot inventé par Gandhi en traduisant un mot sanscrit (aïmza) signifiant la prise de conscience du désir de violence en chacun de nous, pour le maîtriser, le dominer. « L’absence totale de malveillance à l’égard de tout ce qui vit ; sous sa forme active, la non-violence est volonté de bienveillance à l’égard de tout ce qui vit » (Gandhi). Double définition qui est d’abord négative, partant de ce qui est premier, la malveillance possible en l’homme. Pour passer de l’hostilité à l’hospitalité. Mais aussi respect de la vie, non pas seulement des hommes, mais aussi de tout être vivant. Ce n’est pas qu’une affaire liée à l’hindouisme ou du jaïnisme : l’animal, s’il n’est pas capable de raison, est capable d’émotion et de souffrance. Les conditions de l’élevage industriel dans nos sociétés sont scandaleuses. Ne pas faire l’impasse sur cette question. Par sa négativité, la définition indique la visée de délégitimation de la violence. Nos cultures qui concilient amour et violence, ignorent jusqu’au mot de non-violence. Intégrer ce mot, c’est déjà déconstruire l’idéologie de la violence qui mine notre société.

La non-violence est à distinguer en tant que philosophie, sagesse, et en tant que méthode d’action politique efficace. Un principe fondamental, c’est la cohérence de la fin et des moyens. Nos justifications de la violence invoquent une « fin qui justifie les moyens ». L’expérience montre exactement le contraire : des moyens injustes rendent injuste la cause qu’ils servent. La révolution communiste était une cause juste, mais menée avec des moyens théorisés de l’usage de la violence, considérée comme transitoire : on promettait des lendemains qui chantent pour faire accepter de souffrir au présent. Le violent fait de même, promettant toujours la paix pour demain. En réalité, « la vraie générosité à l’égard de l’avenir est de tout donner au présent » (Camus) On construit une société juste, fraternelle avec des moyens justes et fraternels. Affaire de réalisme, pour ne pas contredire les bons sentiments qui animent notre lutte. « La fin est dans les moyens comme l’arbre dans la semence » (Gandhi) Sa stratégie repose sur le constat suivant : si quelques milliers d’anglais peuvent imposer leur volonté à quelques millions d’indiens, cela n’est possible que par la coopération des indiens, leur résignation, leur obéissance aux lois de l’Empire Britannique. Gandhi va donc organiser la résistance. En 1989, la chute du mur de Berlin a été obtenue par la méthode la plus efficace : la non-violence. Démenti aux avis de l’époque qui opposaient les communistes plus difficiles à gérer, aux anglais (gentlemen) et aux américains (démocrates) alors que c’était Gandhi qui était le vrai gentleman, et Martin Luther King le vrai démocrate ! La non-violence a obtenu la chute du mur de Berlin parce qu’il était politiquement inconcevable de penser la victoire au bout du fusil lorsque c’est l’adversaire qui détenait tous les fusils.

Les enseignants sont très demandeurs de moyens pour résoudre les conflits sans violence. Il importe que la non-violence s’institutionnalise, sorte des ghettos des militants convaincus. Comme on a institutionnalisé la charité par l’hôpital…

La non-violence devrait nous permettre de relever le défi de l’universel, de transcender nos particularismes non par la domination – conception totalitaire de l’universel – mais par la rencontre de l’autre. C’est la violence qui rompt l’universel. Eric Weil, l’un des plus grands philosophes contemporains, disait : « l’autre de la vérité n’est pas l’erreur, mais la violence. » Car la non-violence est une exigence radicale de la vérité. En tuant au nom de la vérité, on tue la vérité. Nous sommes tous confrontés à ce défi de la violence, quelle que soit notre culture, notre tradition, invités à un double discernement (1) de tout ce qui dans notre culture justifie la violence (dans notre culture, pas celle de l’autre !) et (2) de tout ce qui dans notre culture invite au respect, à la bonté envers l’autre. Rupture et fidélité à faire chacun chez soi, pour nous rencontrer et inventer ensemble une culture de la non-violence. Il ne s’agit pas d’être ni optimiste – « un imbécile heureux » – ni pessimiste – « un imbécile malheureux. » (Bernanos). La violence n’est pas une fatalité, car toute entière construite de nos mains d’homme. Entre l’illusion de l’optimiste, et le désespoir du pessimiste, il y a place pour une espérance tragique, douloureuse, qui permette d’envisager un avenir pour nos enfants. « En entrant ensemble dans les vrais questions, nous finirons bien par entrer dans les vrais réponses » (Rilke)

Débat :
Le respect des êtres ne s’étend-il pas aux choses, qui sont « œuvres » de l’homme ou d’ « ailleurs » ?
La non-violence comme méthode inclue la possibilité de neutraliser les instruments de l’adversaire, non nécessairement par sabotage destructif, mais comme dé-construction. Cf. La Résistance en France contre les allemands, en particulier chez les cheminots (mise en panne de matériel, et parfois destructions ciblées de ponts).

Critères de « nécessité » de la violence ?
La non-violence absolue n’est pas possible pensait Gandhi, d’où la questions des limites, que Gandhi laissait au choix de la conscience personnelle : à chacun de prendre ses risques. Entre la lâcheté et la violence, Gandhi préférait le plus grand courage, celui de la violence, pour résister par le conflit à l’oppression britannique. Mais l’idéologie de la violence emprisonne dans le choix bipolaire entre violence et lâcheté. Nous ne sommes pas otages entre ces deux choix. Il n’y a pas de critères purement objectifs, même s’il y a des injustices caractérisées qui peuvent nécessiter la violence. Le meilleur moyen de reculer les limites, c’est de préparer les moyens de la non-violence. « S’efforcer de devenir tel qu’on puisse être non-violent. » (Simone Weil) Alors que nos sociétés surinvestissent en temps, intelligence, argent, les moyens de la violence. Si la non-violence est possible, elle est préférable. Si elle est préférable, à nous de la rendre possible. Il s’agit nous donner les moyens de mettre en œuvre la non-violence.

Un enfant, naturellement a-t-il tendance à entrer en conflit ? Que dire de la violence en famille et de ses conséquences sur les enfants ?
Dans l’histoire de nos sociétés, la violence physique a été considérée comme un moyen éducatif nécessaire. « Une bonne fessée n’a jamais fait de mal. » La violence domestique est considérable dans nos sociétés, et l’on peut difficilement intervenir parce que l’on ne sait pas toujours… Une médiation est nécessaire. La société, les institutions de police et de justice doivent pouvoir l’opérer, mais de manière non violente. Des sanctions sont nécessaires, mais mettre en prison des parents, ou des enfants, ne constitue pas une sanction qui réhabilite, qui resocialise : la prison est au contraire une école de délinquance, de récidive… Les conditions carcérales sont en France inacceptables ; un citoyen incarcéré devrait garder tous ses droits, et la société tous ses devoirs. Le « méchant » (étymologiquement, ‘mal tombé’, en parlant des osselets ou des dés) est le mal-chanceux, le mal-heureux ; il suffit de venir écouter ce qui se dit dans les tribunaux. En même temps, on ne peut laisser en liberté des délinquants sexuels susceptibles de nuire…

Comment situer où se situe la violence ou la non-violence, entre une grève des services publics qui fait violence aux usagers, des fauchages d’OGM perçus comme violents…?
Cela dépend de l’enjeu du danger ou non des OGM, avis relevant de scientifiques compétents… Le principe de précaution impliquerait de suspendre les expérimentations. Si la fonction de la loi est de garantir la justice, on peut désobéir à une loi injuste. Mais il y a des moyens non-violents pour cela : boycotter un magasin plutôt que de le saccager ; des grèves peuvent être violentes, ne serait-ce que par les slogans, les paroles qui s’expriment… La non-violence garde toute sa radicalité critique contre l’injustice, mais dans le respect des personnes, par exemple en se gardant de l’injure. Respect des personnes, irrespect de l’injustice. Convaincre l’opinion publique passe par une parole pacifique, une parole d’humour aussi (« Debré ou de force, nous aurons le Larzac », « Faite labour, pas la guerre »). Dans une méthode violente, on peut ajouter de la non-violence qui ajoute à son efficacité. Dans une méthode non-violente, aucune violence ne peut être admise. La première intifada était non pas une méthode non violente avec 5% de violence, mais une méthode violente avec 95% de non violence.