Commentaires bibliques

Un ministère de prêtre en paroisse et de formateur au séminaire, cela fait prêcher pour paroissiens et séminaristes, relire avec de futurs prêtres l’exhortation Evangelii Gaudium du pape François, notamment les n° 135-159 sur l’homélie, donner pour les 3 années liturgiques de déc. 2020 à déc. 2023 un bref commentaire hebdomadaire à Radio-Présence Figeac…

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Pâques 2020

Le temps de confinement a donné à tous de vivre un temps de quarantaine / carême, en forme de grande retraite obligée. Pour bien des paroisses et leurs pasteurs, ce fut aussi l’occasion de déployer des moyens numériques pour rejoindre les paroissiens : site internet, newsletter, chaîne YouTube voire célébrations en vidéo, visio-conférence.

Rencontres paroissiales en visio-conférence

2 rendez-vous hebdomadaires

  • mer. 14h : partage biblique (avec l’évangile de la messe du dimanche)
  • sam. 14h : café-philo-théo

Exemples de rencontre : 1, 2 ou 3

Pour y venir :

  • Sur ordinateur avec webcam : http://bit.ly/ndod-visio.
  • Sur smartphone, appli « Zoom », réunion 609-536-1579, mot de passe 123456. Indiquez vos prénom, nom. Une « salle d’attente » évite le « zoom-bombing » (intrusions malveillantes).

Ressources de confinement

Foi :

Espérance :

Charité :

  • Localement : pour des besoins croissant, la paroisse invite à soutenir l’antenne locale du Secours Catholique : don de temps de bénévolat (contacter Michel Debray) ou financier (chèque à l’ordre de « Secours Catholique, Capdenac-gare » à adresser à Marcel Barnabé, 12260 Salles Courbatiès)
  • Avec le monde : avec l’écologie intégrale, la solidarité ici et ailleurs, via le CCFD-Terre Solidaire et letempsdessolutions.org

Méditations bibliques

Voilà ci-dessous dans l’ordre chronologique inverse les méditations proposées pour la paroisse Notre-Dame d’Olt et Diège, en vidéos de 3′ à 4′ du Dimanche des Rameaux au Vendredi Saint, 11′ pour la veillée pascale, 6′ pour le Dimanche de Pâques (homélie d’une messe sur YouTube avec les Scouts de France) puis pour quelques dimanches du temps pascal.











Deux évangiles en nuage de mots

Devinez de quels évangiles il s’agit ?

Ces « nuages de mots » ont été réalisés avec l’outil gratuit en ligne Tagxedo (qui ne fonctionne pas avec Chrome mais avec Firefox après avoir installé Silverlight). J’ai inséré dans cet outil le texte d’un évangile dont j’avais retiré les articles, pronoms, prépositions, auxiliaires, démonstratifs, etc… qui auraient faussé les statistiques de comptage des mots.

 

Jésus, l’accomplissement des Ecritures

Cliquer pour accéder à la mini-vidéo de Dan Stevers sur youtube

Cliquer sur l’image pour accéder à la vidéo intitulée « Meilleur et véritable » de Dan Stevers, sur Jésus, accomplissement de toutes les figures bibliques.

En complément :

  • une vidéo-résumé de la conférence de Jean-Emmanuel de Ena o.c.d. à Rodez (20/4/2017) sur « Jésus, accomplissement de la Torah », à partir d’une connaissance plus fine du judaïsme contemporain de Jésus ;
  • une série d’images-diapos présentant également Jésus accomplissant les écritures ;
  • enfin, ci-dessous, un texte, plus long et moins clair que ces images, en forme de devoir de séminaire sur le même sujet :

La Bible est plus qu’un livre, c’est une bibliothèque. Mieux, c’est un réseau de textes fonctionnant à la manière d’un hypertexte, avec des liens dynamiques, avec des renvois multiples d’un texte à l’autre, que les notes de bas de page ou en marge de nos bibles nous révèlent. L’analogie avec le web s’arrête là, car se priver de cliquer sur ces liens, ce n’est pas seulement laisser de côté des informations certes complémentaires mais finalement autonomes, c’est aussi manquer le surcroît de sens que le rapprochement de ces textes produit dans le cœur du lecteur croyant de la Bible, dont la lecture est d’abord mémoire d’événements de salut. Parce que tel événement de salut renvoie à tel autre, la moindre analogie entre l’un et l’autre, signalée par une allusion, par des thèmes ou par des mots identiques, éveille la mémoire attentive du croyant, et par suite sa reconnaissance : « C’est le Seigneur ! » (Jn 21,7). L’expérience d’événements analogues conduit alors le peuple d’Israël à écrire une histoire du salut, avec un classement apparemment chronologique des événements. Mais ce classement des textes est aussi perturbé par les relectures multiples d’un même événement, et plus particulièrement celui de Pâque, donnant lieu à des variations sur le même thème, traduites en plusieurs textes, ou au contraire enchâssées dans le même texte, en autant de couches rédactionnelles qu’une exégèse historico-critique essaiera de démêler. Pâques est pour Israël le mémorial annuel de la première Pâques, de la libération de la captivité en Egypte par l’intervention décisive de Dieu pour son peuple. Cette délivrance de l’Exode qui s’actualise dans chaque Pâques annuelle est aussi invoquée chaque fois qu’Israël subit d’autres esclavages et qu’il fait l’expérience d’un salut qui ne lui vient que de Dieu. Aussi, l’Ancien Testament, en tant qu’histoire de salut apparaît comme une succession de relectures, de réinterprétations de cet événement fondateur aux implications présentes et futures. Cette complexité des Ecritures ne nuit pas au projet de mémoire croyante des événements de salut. Elle est au contraire une nécessité pour rendre compte du salut dans sa dimension historique, d’une manière qui dise à la fois sa cohérence dans le temps – la fidélité de Dieu d’Israël à lui-même et à son Alliance – et en même temps dans sa nouveauté – la liberté imprévisible du Seigneur qui est maître de cette histoire. Il y a donc récit, orienté dans le temps vers un salut homogène avec les expériences passées de salut dont on fait le récit ; et en même temps, ce récit est pluriel – au contraire d’une démonstration scientifique, d’une tragédie ou du roman d’un auteur unique où tout converge vers une solution unique – car ces expériences restent partielles, elles ne sont que les figures de ce qu’elles promettent et ne sauraient en elles-mêmes suffire à déduire à l’avance la forme du salut promis. C’est ce double aspect de cohérence et de liberté qui permet de parler d’un accomplissement des Ecritures et de les interpréter typologiquement. Que ce soit dans la 1ère alliance ou dans l’ultime acte de révélation et de salut qu’est Jésus-Christ, l’événement de salut, quel qu’il soit, est cohérent avec ce qui le précède ; il est même espéré, attendu ; et pourtant il relève d’une nouveauté inattendue. Ecritures (photo tirée du site de l'exposition "Torah, Bible, Coran") - cliquer sur cette photoEn faire l’expérience, c’est à la fois vérifier la pertinence des figures qui l’annonçaient, et en même temps accueillir une révélation nouvelle. Celle-ci jette alors sur les figures de salut, sur l’Ecriture, sur les récits passés de l’histoire sainte dans ce qu’ils ont de plus sacrés, de plus « intouchables », une lumière qui autorise à en user comme matériau d’un nouveau récit de salut. A en user jusqu’à les amplifier, à les complexifier avec surcroît de sens, voire à les déformer, au point que le lecteur peut être tenté de s’interroger sur la pertinence du recours à telle Ecriture passée pour le nouveau récit. Il peut même être tenté de ne lire dans ces correspondances entre Ecriture et événements, qu’artifices littéraires, prophéties ex eventu, emploi abusif de formules d’accomplissement déformant les faits pour les faire rentrer dans un cadre de pré-compréhension. Il s’agit en réalité de lire dans ce processus d’amplification, moins une exagération des événements passés, ou une adaptation du récit des faits présents aux formules antérieures du langage biblique, qu’une maximalisation de l’ampleur des événements futurs attendus, un renforcement de l’attente de l’accomplissement : si les événements passés de salut ont eu telle forme, combien plus celui promis à la fin des temps doit-il récapituler tout ce qui n’en a été que la préfiguration. Orientation foncière vers l’avenir, plutôt que souci de correspondance entre événements du passé proche et lointain. On retrouve cette orientation dans ces commentaires théologiques que sont les targum, ou les midrash qui semblent négliger la vérité historique des faits passés pour accentuer la valeur de leur sens actuel ou futur. Cette liberté dans l’usage du passé résulte de l’orientation foncière d’Israël vers l’avenir, qui fait mettre le mémorial du passé au service de cette ouverture, et qui autorise bien des enjolivements à motif théologique ou moral. La littérature apocalyptique (AT et intertestamentaires) fonctionne dans le même sens, en soutenant l’espérance des croyants persécutés, par le rappel du passé pris comme modèle de ce qui doit advenir. Cet eschatologisme propre à Israël puisqu’il est entouré de cultures à temps cyclique, va dans le même sens que son refus viscéral de toute idolâtrie : l’attente du Dieu qui vient, de son intervention définitive pour Israël ne saurait être comblée par une représentation temporelle ou une manifestation historique du divin. Dans cette attente messianique qu’aucun accomplissement historique (juge, roi, prophète…) ne satisfait pleinement, Israël s’ouvre toujours plus à une récapitulation de toutes ses expériences de rencontre avec Dieu, mais telle qu’elle ne peut être conçue qu’à la fin des temps, au delà de l’histoire. On attend celui qui sera à la fois le nouveau Moïse, le nouveau David, le nouvel Elie, le nouveau prophète… mais aussi le serviteur souffrant, la sagesse en personne etc… Devant l’impossible synthèse de ces figures juxtaposées dans l’Ancien Testament, et attendant leur unité dans le Messie eschatologique, la tentation existe d’avoir une conception si transcendante de Dieu qu’on lui refuse la possibilité de se manifester historiquement, et qu’on ne puisse avoir accès à lui que par une « élévation » apocalyptique au dessus de l’histoire qui rendrait négligeable tout ce qui a lieu dans ce monde . On risque alors d’être tellement polarisé sur cette glorieuse fin des temps, qui sera aussi la résurrection des justes, que l’on en devient inattentif à l’humble présence de Dieu à l’œuvre dans le temps. L’attente eschatologique reste première : les thèmes et les figures, les mots et les récits bibliques sont paroles de Dieu, certes, mais en tant qu’ils pointent tous en direction du Messie à venir.

Ecritures

A ce titre, ils lui sont relatifs ; ils ont beau être inlassablement mis en relation les uns avec les autres, être analysés via targum, interprétation allégorique, rabbinique ou cabalistique… de manière toujours plus complexe ou imagée pour leur faire donner du sens, Israël les conserve en fait comme autant de trésors sans rapport évident les uns avec les autres, comme autant de pièces détachées dont il manquerait le plan d’assemblage. Et le Talmud, qui est l’équivalent juif du Nouveau Testament, ne change rien à cette attente. L’attention croyante d’Israël se concentre ainsi successivement sur (1) l’intervention de Dieu dans l’histoire, à travers tel événement de salut, (2) l’attente d’une intervention future de Dieu dans l’histoire, qui intègre toutes les caractéristiques passées – ce serait le propre du prophétisme – et les récits jouent bien sur des formules d’accomplissement, et enfin, devant l’impensabilité d’une telle intégration dans l’histoire, (3) l’attente d’un temps nouveau, eschatologique, apocalyptique, en rupture avec le temps de l’histoire, car intégrant toutes les figures apparemment contradictoires de l’histoire sainte. Si accomplissement des Ecritures il y a, ce n’est donc pas seulement en vertu d’une analogie de fait entre les événements historiques de salut, ou en vertu de la lumière portée par les événements postérieurs sur ceux du passé et réciproquement, mais dans le cadre de l’attente d’un événement ultime, impensable, qui récapitule toute l’histoire du salut. De la sorte, si les formes d’accomplissement des Ecritures de l’Ancien Testament ont une valeur qui va au-delà du procédé littéraire ou de la relecture de l’histoire sainte d’Israël, c’est parce qu’elles sont elles-même la préfiguration d’un événement réel qui soit l’accomplissement des Ecritures par excellence. Cet événement, c’est la Pâques de Jésus-Christ. Tout accomplissement – partiel – des Ecritures renvoie à cette Pâques.

Lire la Bible

Cliquer ici pour accéder à la nouvelle traduction liturgique de la Bible
Ce passage de l’Ecriture que vous venez d’entendre, c’est aujourd’hui qu’il s’accomplit. (Lc 4,21)

Baptisé, catéchisé, communié enfant, je suis devenu incroyant (mais non pas athée) au début du collège : les études profanes et plus particulièrement scientifiques me semblaient suffire à un esprit humain. Inutile de consacrer du temps à des choses pas forcément fausses mais incertaines. A 20 ans, la rencontre avec des camarades à la fois chrétiens et scientifiques, a ébranlé mon pseudo-rationalisme. Le premier moment de ma conversion a cependant été la lecture de l’Evangile dans une version de poche qui traînait depuis des années dans mon sac à dos, et que j’avais reçue de l’association protestante des Gédéons qui diffusait des Nouveaux Testaments à la sortie des lycées. Pendant la lecture de l’Evangile selon Saint Luc s’est alors opéré insensiblement le passage de la question « Qui est-il ce Jésus auquel croient mes camarades chrétiens ? » à « Qui es-tu Jésus ? » : passage du « il » au « tu », de la lecture à un dialogue, d’un texte à une rencontre, d’un contenu d’information à l’accueil d’une personne qui s’adresse à moi mystérieusement mais surtout personnellement. Cette rencontre s’attestait par la joie suscitée, jusqu’aux pleurs de joie, mais surtout par un rapport désormais bien plus aimant à soi et aux autres. L’Evangile ne demandait qu’à se manifester, non pas comme simple Ecriture, mais comme Parole vivante, Bonne Nouvelle capable de mettre en mouvement, en relation, en joie.

J’ai décidé, moi aussi, après avoir recueilli avec précision des informations concernant tout ce qui s’est passé depuis le début, d’écrire pour toi, excellent Théophile, un exposé suivi. (Lc 1,1-4) L’évangéliste Luc ne s’attendait probablement pas à ce que son récit finisse par devenir Parole de Dieu proclamée en Eglise, accueillie comme inspirée par l’Esprit Saint, inspiratrice à son tour pour la foi des disciples de Jésus-Christ. C’est là un accomplissement étonnant de l’Ecriture, où l’interprétation et la transmission que les croyants font d’elle peut devenir Parole de Dieu, dotée de la même capacité de toucher les cœurs, de les convertir, motiver, réjouir. C’est là aussi où le bât blesse pour nous catholiques de France, de l’Aveyron, du Ségala, qui prétextons souvent notre manque de culture biblique, d’aisance dans l’expression… pour laisser à quelques-uns seulement – prêtres, religieux etc… – la possibilité de lire, d’interpréter et de transmettre la Parole de Dieu. Qu’attendons-nous pour lire la Bible ?*

Marie, cependant, retenait tous ces événements et les méditait dans son cœur. (…) Ma mère et mes frères sont ceux qui écoutent la parole de Dieu et la mettent en pratique. (Lc 2,19 ; 8,21) Lire et relire, ruminer la Parole de Dieu est possible et indéfiniment fécond, par-delà tout ce que l’on connaît déjà d’elle, à l’instar de cette carte postale qu’une grand-mère du Ségala ne se lassait pas de lire et de relire, parce que c’était celle que son petit-fils lycéen lui avait adressée de Taizé pour lui dire ce qu’il y approfondissait de la foi. Point n’est besoin de science ou d’études ou d’une tête bien pleine, mais plutôt d’un cœur qui écoute, qui se mette en quête d’une compréhension aimante de ce que l’Autre veut lui dire, à travers un mot, une expression, une attitude, un geste du texte qui nous touche, bouscule, réconforte, dérange, éclaire, scandalise etc… A la limite, les moins familiers avec la Bible ont l’avantage de pouvoir lire un passage biblique sans être influencés par tout ce que l’on aurait déjà compris de lui. C’est ce que nous pratiquons avec les collégiens de l’aumônerie avec le « dialogue contemplatif », une méthode de lecture et de partage de la Bible qui permet non seulement d’être attentif à la Parole de Dieu, mais aussi à la manière dont celle-ci résonne dans le cœur des autres.

 

* Que choisir ?

– Une Bible : la nouvelle traduction liturgique, la Bible des Peuples, la Bible de Jérusalem, la TOB, la Bible Osty

– Un mensuel : Prions en Eglise, Magnificat ou Parole et Prière

– Une application pour smartphone ou tablette : Aelf (Android) ou iBreviary, Bible (Apple)…

– Sur internet : www.aelf.orghttp://www.ndweb.org/versdimanche

Leçons magistrales dominicaines

L’après-midi du samedi 20 octobre, les trois pères dominicains Jean-Michel Maldamé, Serge-Thomas Bonino et Benoît-Dominique de la Soujeole, ont donné une leçon publique à l’occasion de la réception du grade de « maîtres en sacrée théologie » au couvent des dominicains de Toulouse. Ayant eu la chance d’avoir eu les deux premiers comme professeurs à la Catho de Toulouse, je vous transmets ci-dessous les notes que j’ai été heureux de prendre à ces conférences – ces notes n’engagent pas les conférenciers, car j’ai pu mal entendre ou mal interpréter. Elles portaient sur :

– les premiers mots de la Bible (J.M.Maldamé)
– être un « défenseur de la foi » (S.Th.Bonino)
– la possibilité d’une concélébration eucharistique entre catholiques et orthodoxes (B.D.de la Soujeole)

Les conférences elles-mêmes peuvent être écoutées directement sur le site des dominicains : ICI.

 

Les premiers mots de la Bible

Commençons par le commencement : Bereshit bara Elohim et hashamaïm vehet haarets. Cette phrase forme un tout, avec un sujet, Dieu ; un verbe, créer ; un objet, la totalité ;mais aussi un premier mot : Bereshit. Comment le traduire ? Tous s’accordent pour dire qu’il est formé à partir du mot rosh, tête, et Chouraqui traduit sans traduire par « en tête ». Les traductions habituelles des bibles BJ, TOB traduisent par « au commencement ». C’est exact, mais insuffisant. La LXX traduit par en archè, la vulgate in principium, et là, c’est plus que le commencement. C’est considérable : les 5 premiers mots forment un porche d’entrée au récit, sans faire partie du récit (La terre était informe et vide, et l’esprit planait sur les eaux…). C’est un porche pour la Genèse, mais aussi pour toute la Bible, NT compris. C’est cette exigence qui invite à voir dans Bereshit autre chose qu’un banal « au commencement ». C’est ce mot qui a inspiré Saint Jean dans le Prologue, reprenant le premier mot de la Bible grecque, et saint Paul dans son hymne du 1er chapître de l’épître aux Colossiens, auquel sera consacrée cette leçon.

 

Rendons grâce à Dieu le Père, qui vous a rendus capables d’avoir part, dans la lumière, à l’héritage du peuple saint.
Il nous a arrachés au pouvoir des ténèbres, il nous a fait entrer dans le royaume de son Fils bien-aimé,
par qui nous sommes rachetés et par qui nos péchés sont pardonnés.
Il est l’image du Dieu invisible, le premier-né par rapport à toute créature,
car c’est en lui que tout a été créé dans les cieux et sur la terre, les êtres visibles et les puissances invisibles :
tout est créé par lui et pour lui.
Il est avant tous les êtres, et tout subsiste en lui.
Il est aussi la tête du corps, c’est-à-dire de l’Église.
Il est le commencement, le premier-né d’entre les morts, puisqu’il devait avoir en tout la primauté.
Car Dieu a voulu que dans le Christ toute chose ait son accomplissement total.
Il a voulu tout réconcilier par lui et pour lui,sur la terre et dans les cieux,en faisant la paix par le sang de sa croix.

(Col 1,12-20)

 

Nous lisons en Col 1 une confession de foi au Christ fils de Dieu. Un hymne, oui, mais en réalité une confession. Une grande phrase, majestueuse, ample, qui couronne l’évolution de la foi de Saint Paul. La confession de l’épître aux Romains, antérieure, où Paul désigne le Christ comme Fils de David selon la chair, Fils de Dieu avec puissance, selon l’esprit de sainteté par sa résurrection d’entre les morts. (Rm 1,3). Espérance messianique, où le messie est désigné fils de Dieu par le prophète Nathan. La résurrection, est la glorification de l’humble fils de David selon la chair en Fils de Dieu. Dire que Jésus est Christ, c’est confesser l’exaltation du Christ ressuscité. Mais dans Col, Paul va plus loin: il applique à Jésus, au ressuscité, toutes les harmoniques de sens contenues dans le 1er mot de la Bible : Bereshit, en archè. Il est l’image du Dieu invisible. Paul est dans la Genèse, où l’image évoque l’homme, la seule image possible de Dieu, qui n’a pas d’autre représentation possible. Derrière image, entendons Adam, créé par Dieu. Est-ce que ce rapprochement est légitime ? Oui, car c’est un thème majeur de la pensée de Saint Paul, qui l’accompagne toute sa vie de parler du Christ en référence à Adam (1 Co : Adam et Christ, principes de vie promise à la mort ou à la vie éternelle…). En 1Co, Paul parle de l’illumination de l’Evangile de la gloire du Christ lui qui est l’image de Dieu (2 Co 4,4). Ce que signifiait prophétiquement Gn 1, se trouve accompli par Jésus-Christ quand il rentre dans sa gloire. C’est à cela que fait référence le premier né d’entre les morts.

Certes, la notion d’image a été entendue dans d’autres sens chez les Pères de l’Eglise. Mais nous acceptons de rester dans le contexte de la pensée de Saint Paul.

Paul dans Col, nous dit des perspectives cosmiques, cosmologiques, et réagit à une erreur évoquée dans d’autres textes du NT, selon laquelle Jésus ressuscité serait monté aux cieux, et serait devenue une puissance céleste parmi d’autres (puisque dans ce temps les cieux étaient divinisés) fût-ce la première. Pour dire que Jésus n’est pas un être céleste parmi d’autres, Paul se réfère à ce qu’il y avait dans la Création, qui transcende le cours du temps, en affirmant la présence dans l’intention du Fils de Dieu. Les sages d’Israël, pour dire la création, prenaient la comparaison de l’architecte avec le projet qui préexiste à l’oeuvre. Dès le principe tout est créé pour tendre vers l’image du Dieu invisible. La notion d’architecte qui préexiste à la Création, identifié à la Sagesse, se retrouve dans « Tout a été créé par lui et pour lui. Il est avant toutes choses et tout subsiste en lui. » En relisant les textes de sagesse, on trouve la Sagesse personnifiée présidant la Création, et en Si : tout ce qui est dit de la sagesse « n’est autre que le livre de l’Alliance du Très Haut » (Si 24, 23). Chez les rabbins, les scribes, les cabbalistes qui vont durcir les choses, cette sagesse, c’est la loi, qui n’est pas supprimée mais accomplie en Christ. Ce que les sages disaient de la loi, il faut le dire du Christ. Ce qui était dit d’une lettre morte, il faut le dire d’un vivant, premier né d’entre les morts. La place centrale de celui qui est glorifié est signifiée par l’emploi du premier mot de la Bible : toute la Création se comprend dans son principe (archè). « Il est le Principe »… Il faudrait à rebours traduire Bereshit, non par « Au commencement », mais « Dans la Sagesse », ou « Avec Sagesse » ou « Par la Sagesse ». Ce serait là une nouvelle traduction, qui renverrait à la lumière qui vient du 1er mot de la Bible. Traduire Bereshit par Sagesse, libérerait nos esprits d’un certain nombre de confusions, en particulier le concordisme, où l’on ferait du big bang le point zéro du modèle cosmologique standard, alors qu’elle n’est qu’une singularité initiale. La Genèse ne nous raconte pas le commencement, mais la générosité de Dieu, la sagesse de Dieu dans son acte créateur.

Le Christ est aussi désigné comme « tête du corps » (cf. rosh), ce qui anime le corps, ce qui donne vie à tout. Quand on entre dans cette compréhension des choses, on est toujours alors hanté par la question du Mal. Pour ne rien éviter, Paul évoque alors le sang de la Croix. La grande difficulté que Paul a connue dans sa jeunesse, c’est celle d’u Messie crucifié. Or C’est ce Messie crucifié qui est la tête, ce qui était annoncé dans le 1er mot de la Bible, l’amour qui va assumer, affronter la mort.

En hébreu, il y a des modes, plutôt que des temps passé, présent, futur. Dans la 1ère phrase de la Bible, portail qui ouvre jusqu’à l’Apocalypse, on n’a pas de passé, présent, avenir. Mais le passé convient, car il dit que ce qu’il y a dans le principe, c’est ce qui se déroule dans le temps. Mais c’est aussi maintenant que Dieu crée, que dans sa sagesse il nous fait vivre, que dans le Christ ressuscité il nous donne la vie.

La foi demande à s’exprimer, elle est fortifiée par l’expression de la liturgie. A la fin du cycle liturgique, il y a une fête importante, la fête du « Christ Roi ». Le Concile Vatican II et la réforme liturgique qui l’a suivi l’a changée en fête du « Christ roi de l’univers », ce qui revient à honorer le Christ dans la profession de foi de Saint Paul en Col. Cela évite des discours nostalgiques d’ancien régime, mais cela donne à la Résurrection sa place centrale, cela aussi permet de distinguer la place du Christ et la nôtre. Le mystère pascal est le cœur de la foi, et s’exprime en divers moments liturgiques. La dimension cosmique du mystère pascal est signifié dans l’Ascension. Le temps liturgique qui s’achève est récapitulé en Christ. Ce n’est pas une évasion. Dans l’hymne de Vêpres de l’Ascension, il y a 2 versets : Culpat caro, purgat caro, regnat Deus Dei caro. La chair est le lieu du péché, la chair a été l’instrument du salut et du règne de Dieu. Dieu règne sur la chair comme principe de salut. La chair de Dieu comme principe de salut, Le Christ roi de l’univers, celui qui a notre foi.

Il faut expliquer saint Paul par saint Paul, sans s’appuyer sur Jn 1 et la théologie du logos qui s’appuie sur les 1ers mots de la Genèse En archè, cela ne doit pas faire penser à un désaccord entre Paul et Jean. Il y a en fait un accord profond entre Paul et Jean. Dans le dernier entretien de sa vie publique, Jésus déclare en Jn 12,32 « Elevé de terre, j’attirerai tout à moi », le mot signifie à la fois la croix et l’exaltation. C’est ce que disait saint Paul. Le Christ attire tout à lui. Pendant la semaine sainte, à l’office du matin et au milieu du jour, une prière d’intercession s’adresse au Christ et lui demande : « Toi qui ayant étendu tes bras sur la croix, attire à toi tous les temps, tous les mondes. »

Oui, je crois, je m’efforce d’accueillir et de vivre cette parole du Christ transmise par l’Evangile de Jean : « Elevé de terre, j’attirerai tout à moi ».

 

Être un défenseur de la foi

Si on laisse de côté la question pourtant essentielle de la langue, que reste-t-il comme différence entre un moudjahidine afghan et un dominicain ? Tous deux sont des combattants de la foi. Pour « la défense de la foi », dit la liturgie. Cette défense est au cœur de la vocation dominicaine. Ainsi pour la prière sur les offrandes pour la messe de Saint Thomas d’Aquin. La préface insiste : « Dominique fonda son ordre pour mener le combat de la foi. » Vocabulaire martial, voire belliqueux.

La différence tient dans la nature, les finalités, et donc le style et les moyens du combat. Le combat de la foi désigne la lutte vitale que mène chaque homme dans sa vie. Au plus intime de lui-même s’affronte la vie et la mort, la voix de la foi et les voix mauvaises de l’incrédulité, du désespoir, d’une pitoyable sagesse du carpe diem sans raison de vivre. L’homme reste un animal métaphysique, en qui a été inoculé le terrible virus métaphysique, qui fait sa souffrance et son honneur de ne plus se satisfaire du relatif. Odon Vallet signale que le simple fait de donner la vie à la génération qui vient, signifie que la vie est pour nous intrinsèquement bonne, valant la peine d’être vécue. Un oui à la vie, qui en dernière analyse est un oui à Dieu ; un oui jamais acquis, arraché à la tentation du nihilisme et de l’incroyance. Seul face au gué de Yabboq, Jacob a lutté toute la nuit et en sort vainqueur : je ne te lâcherai pas que tu m’aies béni. Combat de la foi, dans la nuit, solitaire, qui se conclue par une bénédiction. Mais cela se vit en Eglise, et les dominicains ont mission d’accompagner le combat apostolique de la foi, en vue du salut des âmes. Ce combat apostolique consiste à écarter les obstacles qui s’opposent à la rencontre personnelle avec le Christ. 2 conditions : au plan objectif, la foi fides quae désigne un enseignement qui s’adresse à l’intelligence pour ouvrir un nouvel horizon pour l’existence ; le combat pour la foi implique de proposer un enseignement vrai. Mais il faut aussi la fides qua, au plan subjectif : les conditions favorables à l’accueil de la foi.

Le 1er obstacle, c’est l’erreur sur la personne, comme Jacob qui se trompe entre Rachel et Léa – de l’inconvénient du voile intégral… Il faut pour cela que la Parole de Dieu soit donnée elle-même, et non nos accommodements idéologies, nos hérésies, une sorte de Canada Dry, qui ressemble à la foi, en a le goût, mais n’est pas la foi. Pour que ce soit bien cette parole qui soit transmise, Jésus a promis l’assistance de l’Esprit Saint pour la transmission de cette parole. L’Eglise veille à transmettre sans altération ce qu’elle a reçu du Christ. Cette mission est celle de toute l’Eglise. Mais l’Eglise n’est pas un tout indifférencié, mais structuré. Tous les chrétiens sont dotés d’un flair, d’un 6ème sens, le sensus fidei qui leur permet de sentir la conformité de l’enseignement avec la foi reçue des apôtres. Mais les pasteurs, les évêques ont reçu un charisme pour prêcher la foi en étant attentif à écarter toutes les erreurs qui menacent le troupeau. Cf. l’iconographie qui représente Saint Thomas d’Aquin avec sur la poitrine un soleil qui dissipe les ténèbres de l’erreur par la vérité de son enseignement. Il revient à une seule et même personne de s’attacher à un contraire et à réfuter l’autre. L’office du sage est de méditer la vérité et de combattre les erreurs. L’erreur, de manière générale est un mal qui blesse la personne dans sa capacité à connaître, qui est la condition d’un agir responsable. Elle limite la liberté, et empêche de prendre de bonnes décisions. Combattre l’erreur est un service rendu au croyant. Il faut veiller qu’aux enfants qui demandent du pain, on ne remette pas une pierre. Le catéchisme de l’Eglise indique que la mission du Magistère est d’écarter les erreurs pour permettre de professer la foi authentique. Les frères dominicains, en vertu de leur profession participent à cette mission. 1215 : ordination des premiers frères pour être prédicateurs, chargé d’extirper les erreurs, chasser le vice… avec les termes mêmes du Concile de Latran IV pour définir le munus docendi des évêques. Participation à la mission enseignante des évêques. Cela inclue la défense et illustration de la foi catholique. L’assistance promise à l’Eglise n’est pas magique, extrinsèque, elle ne tombe pas du ciel, mais s’inscrit dans une démarche ecclésiale, avec les moyens humains pour accomplir cette tâche. L’étude est le 1er moyen, consubstantiel à la vocation dominicaine, par une immersion dans la Parole de Dieu, qui fait discerner ce qui est conforme ou non à la foi apostolique. Mais cette étude qui met en œuvre les ressources de la rationalité est aussi une affaire spirituelle. Le théologien doit dans la prière garder un contact vivant avec la Révélation, avec une nécessaire purification de son intention profonde, car la défense de la vérité est un lieu propice à la volonté de toute puissance, avec le désir d’avoir toujours raison, qui remplace l’effacement humble devant la vérité. Cette humilité fait du théologien le collaborateur de la vérité. Son obéissance permettra que la vérité puisse parler à travers la théologie.

L’agronome ne veille pas à la qualité des semences pour les conserver sous cloche. De même, l’Eglise conserve le dépôt de la foi, pour le communiquer à tout homme. C’est le 2nd aspect de la foi, comme démarche intérieure d’accueil de ce Dieu qui vient à moi. Le défenseur de la foi se trouve alors démuni, se situant à l’extérieur. C’est Jésus qui frappe à la porte, et qui entre, seul. Mais Jésus envoie ses disciples en avant de lui, dans les lieux où lui-même devait aller. Mission d’aller préparer les cœurs, pour que Jésus puisse venir célébrer la Pâque dans le cœur de tout un chacun. La conviction de Saint Thomas d’Aquin est que la puissance de Dieu se manifeste dans sa générosité. Dieu suscite dans ses enfants une capacité d’agir les uns sur les autres. A la différence des puissants de ce monde, Dieu n’a pas besoin de se prouver qu’il existe en abaissant les autres. Au contraire, il associe ses créatures à son propre gouvernement de l’univers. A la fin de la prima pars, St Thomas envisage les différentes manières dont Dieu agit : Dieu seul est présent, agissant au plus intime de moi-même, au cœur même de mon activité la plus personnelle. L’altérité de Dieu n’est pas du même ordre que l’altérité humaine, en vis-à-vis d’autrui. Dieu est la source permanente de l’acte d’être qui me fait ce que je suis, et qui rend réelle toute activité positive. Deus intimior intimo meo. Le christianisme a ainsi sanctuarisé la personne. L’ordination de la personne à Dieu relativise toutes les relations horizontales aux créatures. Aucune créature n’a prise directe sur l’intimité de ma vie, l’action d’une créature ne passe que par les conditions extérieures de ma vie. Ainsi l’ange ne peut pas agir directement sur ma liberté ou mon intelligence, mais indirectement, sur les processus psycho somatiques qui conditionnent la vie de l’esprit. Pour l’homme, l’influence est encore plus limitée, même à son plus haut, qu’est l’éducation. Le maître ne communique pas sa pensée, mais manipule des idées, des mots, pour mettre son élève sur la piste. La lumière de la connaissance si elle agit, surgit de l’intérieur. Aucune créature ne peut donner la foi à une autre créature. L’acte de foi est un acte vital qui surgit de l’intérieur de la créature. Seul le Christ, le maître intérieur peut donner aux paroles extérieures une force de vie. Mais le maître extérieur doit établir des ponts entre l’univers mental de son interlocuteur et la vérité de la foi. Il a souci de rendre audible la parole de la foi. Il doit comprendre le contexte culturel de son interlocuteur, en discernant ce contexte facilite ou rend plus difficile la foi. L’incroyance contemporaine, n’est pas réductible à la seule mauvaise volonté. Elle est induite par un contexte culturel, intellectuel, qui rend la foi improbable, qui ferme l’accès à la foi : conception négative d’une liberté absolue déconnectée de la vérité, la mythologie de l’évolutionnisme, la réduction de la rationalité aux seules sciences dures aboutissant au relativisme, à l’abandon de la foi aux fluctuations du sentiment… Mon attention à la pensée médiévale est liée au souci de détecter à leur source des aiguillages défavorables à l’accueil de la foi.

Le combat de la foi est inséparable d’un certain style, avec une cohérence entre le contenu du message et la manière de l’annoncer. Appuyé sur la seule grâce du Christ, face au catharisme, Dominique a fait un choix décisif : la parole plutôt que les armes de la croisade. Comme David refusant l’armure de Saül, pour ne prendre que 5 galets, les 5 livres de la torah. Des formes plus subtiles de violence, pression sociale, chantage affectif, savoir institué, sagesse illusoire… Saint Paul y a renoncé, comme à toute forme de puissance autre que la vérité et la charité. La foi chrétienne n’a pas besoin d’autres armes. Elle s’appuie sur une cinquième colonne, un allié inviscéré dans le tréfonds de l’esprit humain : le désir de la vérité. Nous n’avons pas à le susciter : l’esprit est fait pour la vérité. La vérité ne s’impose alors que par la force de la vérité elle-même. C’est une reconnaissance qui s’opère dans l’acte de foi. Tu étais là et je ne le savais pas. La vérité doit être cherchée selon la manière propre de l’esprit humain, librement, par l’échange et le dialogue, où l’on s’expose la vérité que l’on a trouvé ou pense avoir trouvé. Manuel II paléologue, l’empereur byzantin, le disait : ne pas agir selon la raison, est contraire à la foi. On ne doit jamais recourir à la violence pour convaincre. Certes, les chrétiens n’ont pas toujours été à la hauteur de cette exigence. Jean-Paul II en a demandé pardon, pour le consentement à l’intolérance et la violence dans le service de la vérité.

Une légende veut qu’une nuit, Saint Dominique eut la visite de Pierre et Paul, qui lui remettent le bâton de pèlerin et le livre de l’Evangile. Les peintres ont doté les apôtres de leurs attributs habituels : les clés, et l’épée. Cette épée correspond à l’évangile lui-même remis à Dominique. La Parole de Dieu est cette épée à double tranchant qui sort de la bouche du Christ, qu’il n’aurait pour rien au monde échangée contre les rapières émoussées. Seule cette épée de la Parole aiguisée par la méditation et l’étude pourra infliger une blessure qui guérit toute blessure.

 

Concélébrer entre catholiques et orthodoxes

Le propos de la leçon est de savoir si dans l’état actuel des relations œcuméniques entre catholiques et orthodoxes, la concélébration eucharistique est possible ou non.

La pertinence ou non de cette concélébration, en raison de l’unité substantielle de foi dans le mystère eucharistique entre nos confessions, ainsi que sur le ministère ordonné. Pour le dialogue avec les protestants, la question est infiniment plus complexe. Il reste du chemin vers la pleine communion entre catholiques et orthodoxes, avec notamment la question du ministère du successeur de Pierre, et 1000 ans de séparation culturelle. La concélébration eucharistique, d’un point de vue purement dogmatique. Il y a 40 ans, nous étions très proches de voir Paul VI et Athénagoras concélébrer. Avec les 50 ans de Vatican II, la question mérite d’être reposée. Qu’est-ce qui à cette époque nous avait tant rapprochés ? Qu’est-ce qui nous a éloignés ?

Avec Vatican II la perspective était de partir de ce qui nous éloignait. Avec Vatican II, changement de perspective, en insistant sur ce qui nous unit à nos frères séparés. La question de la concélébration se pose ainsi : est-ce que la concélébration demande que l’on soit dans la pleine unité préalable, et la célébration manifesterait cette unité ? ou est-ce que l’unité requise pourrait être réelle, mais incomplète, et la célébration aiderait à compléter cette unité ? Avec les orthodoxes, la proximité est telle qu’il y a bien peu de différence qui fasse obstacle à la concélébration.

Pour les personnes individuelles, avant de parler de la discipline concernant les communautés, le mot discipline renvoyant au « comment être de vrais disciples », nous avons radicalement changé de manière de faire avec Vatican II. La discipline antérieure interdisait aux catholiques d’assister ou de quelque manière que ce soit à une célébration non catholique, du fait que cette participation aurait impliqué l’approbation aux croyances des cultes dissidents. Aujourd’hui, dans la discipline actuelle pour des personnes individuelles, si un catholique se trouve en pays orthodoxe, sans possibilité de participer à un culte catholique, il peut légitimement demander de participer à un culte orthodoxe, avec l’autorisation des responsables orthodoxes. La réciproque est possible : l’admission d’un orthodoxe à une célébration eucharistique catholique. Mais il y a d’autres éléments de cette discipline individuelle qui peuvent s’appliquer à des communautés : « nécessité impérieuse » et « bien spirituel ». Dans un contexte de crise générale de la mondialisation, n’y aurait-il pas lieu de manifester la fécondité d’une autre mondialisation en Christ ? L’Eucharistie pourrait-elle être en un moyen ? En évitant l’indifférentisme… Or la discipline actuelle reste très claire et très ferme, commune aux catholiques et orthodoxes : la concélébration par des ministres catholiques et orthodoxes, ne sera possible qu’après une entière et complète communion.

L’argument majeur est que l’Eucharistie est le sacrement de l’unité, à condition que l’on soit dans l’unité des moyens de grâce. Concélébrer l’Eucharistie alors que l’on ne serait pas dans cette communion préalable, serait un signe menteur, la perversion du signe sacramentel par excellence, un sacrilège. Cela est rappelé par les 2 confessions. Il ne s’agit pas d’introduire une rupture dans une tradition constante, mais on peut proposer une intelligence plus profonde des principes de cette tradition.

Par exemple, la doctrine des limbes, très largement commune a été l’expression de l’intelligence que l’on avait de 2 principes valables : le péché originel qui empêche d’entrer dans la béatitude, l’absence de péché personnel des enfants qui interdit leur damnation. Aujourd’hui, on cherche quels pourraient être les moyens pour les enfants en bas âge d’être reliés au Christ.

Est-ce que si l’on revisite ce qui nous unit, peut-on modifier le curseur en proposant une nouvelle pratique à partir d’une nouvelle interprétation des mêmes principes ?

La nature du mouvement œcuménique, des relations entre nous… La distinction de 2 œcuménismes, celui spirituel, et celui doctrinal. Le 1er est fondé sur les biens spirituels que nous partageons et pouvons vivre en commun. Cet œcuménisme est l’âme de tout œcuménisme, qui permet de célébrer ensemble la liturgie des heures. Le 2ème, doctrinal est second. L’œcuménisme spirituel n’a peut-être pas été assez sondé, avec la concélébration eucharistique comme préalable à la pleine unité dans l’œcuménisme doctrinal, actuellement en panne avec les orthodoxes.

La discipline actuelle qui prohibe s’il n’y a pas d’unité doctrinale complète, crée une situation paradoxale. La concélébration comme signe menteur, serait dépourvue d’effets de grâce, alors que la célébration séparée porterait des fruits de grâce. Peut-on essayer une 3ème possibilité ? la concélébration comme signe vrai d’une unité célébrée, pour parvenir à l’unité complète, mettrait en avant l’œcuménisme spirituel avant l’œcuménisme doctrinal.

La question la plus visible du dialogue catholique-orthodoxe, porte sur le ministère de l’évêque de Rome, qui pour les catholiques n’est pas seulement signe, mais cause d’unité dans l’Eglise, ce qui suppose une autorité, un certain pouvoir. Les orthodoxes n’y voient qu’une primauté d’honneur, un pur signe, sans la responsabilité de l’unité avec l’autorité nécessaire. Il est bon d’user des règles d’exégèse de Saint Thomas d’Aquin dans son « contre l’erreur des grecs », appelant à recourir aux mêmes autorités que celles des grecs, aux plus anciennes, même si elles sont moins explicites, en usant du sens des mots de nos interlocuteurs.

La primauté d’honneur, n’est pas vanité, symbole vide de tout sens. Honneur suppose dignité, renvoyant à l’autorité de Dieu. Personne ne doute que si une concélébration eucharistique avait lieu au plus haut niveau ecclésial, ce serait l’évêque de Rome qui la présiderait, exerçant une primauté d’honneur qui ne serait pas un symbole vide. Le 25 juillet 1965, Athénagoras accueille Paul VI, en le désignant comme « le premier en honneur entre nous, celui qui préside dans et par la charité », induisant sa présence à la présidence du sacrement de la charité. L’honneur rendu à l’évêque de Rome ne serait pas rendu à lui, mais au Christ, dans un rôle iconique. La divergence sur le mystère de la primauté, pourrait ne pas être aussi profonde qu’on le pense, en lui donnant un sens qui est celui le plus ancien et qui pourrait se manifester à sa juste place, avant toute définition canonique : rendre un honneur liturgique est beaucoup plus lourd de conséquences qu’on l’imagine. L’excellence personnelle de l’évêque de Rome reconnue dans l’Eucharistie impliquerait son autorité y compris dans le domaine de l’enseignement.

En changeant de discipline, on peut ne pas rompre avec la doctrine passée. Concélébrer le sacrement de l’unité pour que le signe ne soit pas menteur, suppose que l’on soit uni dans le mystère premier de la foi, et dans le mystère des sacrements qui portent le mystère premier. Une unité est requise pour la concélébration, qui pourrait être incomplète, et le dynamisme de l’unité pourrait être appuyé par la concélébration eucharistique.

Dans une partie de Ep 4, qui est un très grand chapitre pour saisir ce qu’est l’unité des chrétiens, Saint Paul dit qu’avec grande humilité et mansuétude, vous supportant avec patience et dans la charité, appliquez-vous à l’unité dans la paix. En évitant 4 risques et en cultivant 4 vertus : (1) fuir l’orgueil et cultiver l’humilité ; quand un orgueilleux veut présider d’autres orgueilleux, la dissension et la ruine arrivent. Il faut de l’humilité pour les conjurer. La dissension catholique-orthodoxe ne pourra être résolue par l’humilité intérieure et extérieure, qui introduit l’Eucharistie. (2) fuir la colère et cultiver la mansuétude ; chaque Eglise doit faire preuve vis-à-vis de l’autre de mansuétude. Ce fut le cas le 7 décembre 1965 lors de la levée réciproque des excommunications. (3) fuir l’impatience et cultiver la patience envers les opposants. Nous sommes encore opposants sur des points doctrinaux non mineurs. La patience est ici une attitude éminemment positive. (4) se méfier du zèle désordonné et pratiquer une endurance charitable. Ceux qui jugent imprudemment perturbent les communautés. Il faut pratiquer la charité, ce qui en contexte œcuménique que chacun supporte les manques de l’autre, laissant la charité œuvrer par la réconciliation via l’œcuménisme spirituel.

Si cet œcuménisme spirituel est l’âme de l’œcuménisme doctrinal, la concélébration œcuménisme ne pourrait –elle pas être le signe de ce primat ?

Historicité du récit des tentations…

Question sur facebook : Si Jésus était seul dans le désert, comment savons nous ce qu’il y a fait ? Est-ce que c’est lui qui a tout écrit ou l’a-t-il raconté ? ça a dû être difficile puisque c’était une expérience très intime !

La question est liée à celle du statut de l’Evangile, qui est un écrit à la fois historique et théologique. Et en christianisme, du fait que Dieu se fait homme, du fait que l’Eternel entre dans le temps, l’historique et le théologique sont liés. La question de l’historicité de la Bible a déjà été abordée sur un autre post (cliquer ICI).

Les textes sacrés des autres religions parlent de Dieu ou font parler Dieu à partir de mythes ou de fables sans prétention historique, d’autres à partir de maximes de sagesse, de préceptes moraux ou religieux, de formules ou de chants liturgiques, d’autres à partir de l’expérience religieuse ou des enseignements d’un homme en contact avec le divin… C’est le cas des évangiles apocryphes, du Coran, des écrits védiques, des textes sacrés bouddhistes …

Les Evangiles de nos Bibles ont cette particularité de nous parler de Dieu en racontant l’histoire de Jésus, et en affirmant que les paroles, les gestes, les événements vécus par Jésus de Nazareth nous disent le plus parfaitement qui est Dieu : « Qui me voit, voit le Père » (Jn 14,9). Même si les Evangiles ont plein de trous dans sa biographie, notamment avant le début de sa vie publique, les chrétiens croient que le peu que ses disciples ont recueilli de son histoire, suffit à nous donner accès à « Celui qui est, qui était et qui vient » (Ap 1,8) parce qu’Il est le Vivant, le Ressuscité qui se laisse toujours rencontrer aujourd’hui, et dont les évangiles – et la Bible entière – ne constituent qu’un moyen d’identification, pour authentifier que c’est bien Lui que nous rencontrons : c’est Jésus qui EST la Parole de Dieu ; la Bible est une parole humaine inspirée, qui n’est « Parole de Dieu » qu’indirectement, en tant qu’elle met en contact avec Lui.

Il y a alors chez les évangélistes canoniques, Matthieu, Marc, Luc et Jean :

– une objectivité à rapporter ce qu’ils savent de Jésus, y compris des faits « gênants » de sa biographie parce qu’ils affaiblissaient la première prédication chrétienne : baptême de Jésus par Jean-Baptiste, disputes et arrivisme des apôtres, reniement de Pierre, crucifixion, premiers témoignages de la résurrection par des femmes…

– une modestie à dire les faits sans (trop) en rajouter : miracles bien en deçà de l’attente messianique ; silence complet sur ce que les évangélistes ignorent, notamment sur l’enfance et surtout, sur le coeur de la foi, sur la résurrection, sur ce qui se passe entre la mise au tombeau et la découverte du tombeau vide…

– des contradictions de détail sur un accord de fond.

Tout cela atteste qu’il s’agit de témoins, et non de faussaires ou d’affabulateurs qui se seraient concertés sur leurs récits. Il en résulte – que l’on soit croyant ou non – que l’on peut affirmer le caractère historique des récits, y compris celui des tentations de Jésus au désert. Mais cette historicité n’est pas seulement celle que spontanément nous considérons comme la seule valable : celle de l’historien ou du journaliste qui relate les faits « exactement » tels qu’ils se sont déroulés.

Le projet des Evangiles est de dire le plus profondément l’identité de Jésus à partir de ce que ses premiers disciples ont vécu avec lui. Cela débouche sur des récits historiques au sens journalistique du terme pour ce qu’ils ont vécu avec lui, mais aussi sur des récits relevant du « plus que nécessaire », de « ce-qui-ne-peut-pas-ne-pas-avoir-eu-lieu », non pas de l’ « exact » mais du « profondément vrai ».

Ainsi, les récits des tentations de Jésus au désert, relèvent de cette nécessité et de cette vérité sur la personne de Jésus, pour dire ensemble :

(1) la capacité qu’avait Jésus de réaliser des miracles, attestant de la venue du Royaume,

(2) l’humilité, la non-violence, le refus du messianisme temporel (qui consiste à faire advenir ce Royaume par ses propres forces), le choix de recevoir sans cesse sa mission de son Père.

Pour rédiger un tel récit, je ne sais si les évangélistes se sont reposés sur le témoignage direct de Jésus – j’en doute, sauf pour le récit primitif en 2 versets chez Marc (Mc 1,12-13 : « Aussitôt l’Esprit pousse Jésus au désert. Et dans le désert il resta quarante jours, tenté par Satan. Il vivait parmi les bêtes sauvages, et les anges le servaient. »). Je crois plutôt que les évangélistes ont rédigé le détail des tentations, à partir de l’accès priant qu’a le chrétien à l’expérience même du Christ, car ce sont les mêmes tentations qu’il connaît.

Ce que je constate, c’est que la rédaction d’un tel texte pour dire ce qu’a dû vivre Jésus, aboutit à un texte d’une richesse inépuisable sur plein d’autres choses :

– La relecture de l’histoire d’Israël, et en particulier de l’Exode, atteste que les mêmes questions se sont posées pour Israël au désert : l’épisode de la manne (cf. 1ère tentation sur la nourriture), le miracle de l’eau (donnant lieu à un défi lancé à Dieu comme à la 2ème tentation en Mt, ou la 3ème en Lc), l’entrée en Canaan (par la force militaire ou en recevant la terre promise de Dieu comme à la 3ème tentation en Mt, ou la 2ème en Lc).

– Sur la Croix, Jésus a eu à entendre les mêmes 3 tentations, dans les paroles des chefs des prêtres (« Il en a sauvé d’autres : qu’il se sauve lui-même, s’il est le Messie de Dieu, l’Élu ! » Lc 23,35), des soldats (« Si tu es le roi des Juifs, sauve-toi toi-même ! » Lc 23,37), et du mauvais larron (« N’es-tu pas le Messie ? Sauve-toi toi-même, et nous avec ! » Lc 23,39), qui reprennent dans l’ordre inverse les 3 tentations en Lc 4,1-13.

– Les 3 tentations surmontées par Jésus font de lui celui qui réalise parfaitement la triple dimension du premier commandement donné à Israël : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme, de toute ta force. » (Dt 6,5)

– Pour d’autres interprétations s’appliquant au chrétien lui-même, lire le livre extraordinaire de Fabrice Hadjadj, « La Foi des démons ou l’athéisme dépassé », Salvador 2009 (http://tinyurl.com/lafoidesdemons), un peu difficile si on n’aime pas la philosophie (!)

C’est aussi cette multiplicité de sens qui me laisse penser que le récit des tentations n’est pas simple invention littéraire, et mais texte inspiré…

La Bible, de belles histoires ?

Je voulais savoir qu’est-ce que c’était la bible, pour nous les catholiques. De belles histoires comme des contes ? La parole de Dieu et uniquement celle de Dieu, donc un condensé de sagesse ? Ou un mélange de vérité et d’inventions ? 

La question que tu poses est celle de l’historicité de la Bible, relancée par un livre comme le « Da Vinci Code », mais qui réchauffe un débat ancien, sur le rapport entre l’histoire et la foi. Un débat entre exégètes, historiens, théologiens… qui s’est conclu par l’échec des tentatives de séparer le « Jésus de l’histoire » et le « Christ de la foi ».

Certes, il y a toujours des contestataires pour penser la Bible, et en particulièrement le Nouveau Testament, comme une affabulation de croyants, pour prétendre que les chrétiens ont accolé au Jésus historique des fables, du merveilleux, des miracles, du mythe, pour lui faire porter un costume trop grand pour lui (Christ, fils de Dieu, Seigneur…). Ils invitent alors à une « démythologisation » de la Bible, pour en faire non pas une Révélation de Dieu, mais un simple message de sagesse émis par des communautés humaines, comme on le fait pour des mythes ou des fables. Dan Brown et d’autres vont encore plus loin en imaginant un complot de l’Eglise, avec l’invention d’un message qui assoie le pouvoir des chefs de l’Eglise.

Voici quelques arguments contre de telles contestations qui s’opposent à la foi chrétienne :

– La diversité des Evangiles et les incohérences de détail qu’on y trouve, manifestent leur véracité historique : on n’invente pas un message de sagesse en y laissant des contradictions, et les Evangiles sont bien l’oeuvre de témoins qui préfèrent honorer ce qu’ils ont perçu de Jésus plutôt que d’harmoniser leurs discours.

– L’absence d’information sur ce qui se passe entre la mise au tombeau et le tombeau vide, sur le coeur de la foi chrétienne qu’est la Résurrection, et qui était pourtant la première des choses à mythologiser. L’Eglise a choisi les 4 Evangiles canoniques (Mt, Mc, Lc, Jn) et refusé des évangiles dits apocryphes qui font justement du mythe. Jésus sortant victorieux et resplendissant du tombeau et faisant s’évanouir les gardes… voilà du mythe, tel qu’on le trouve dans l’évangile dit « de Pierre », qui inspire en partie l’iconographie chrétienne (cf. le haut de la mise au tombeau de la Cathédrale) mais qui n’est pas de foi, car absent des Evangiles canoniques.

– Le refus des évangélistes de prouver la Résurrection : ils s’en tiennent à des faits vérifiables, le tombeau vide, des disciples apeurés, découragés et dispersés… qui ensuite se rassemblent, témoignent avoir vu le Christ, et partent dans le monde entier se faire martyrs de cette annonce.

– La présence dans les Evangiles d’épisodes « gênants » pour l’évangélisation : le baptême de Jésus par Jean-Baptiste (il est utile de lire le récit de ce baptême dans Mt 3,13, Mc 1,9 et Lc 3,21 pour comprendre comment les évangélistes ont fait pour traiter ce fait historique, sans le trahir, mais en rognant éventuellement les angles pour se le rendre plus digeste : garder précieusement le fait et proposer une interprétation, c’est là le maximum de ce qu’ils ont fait comme « invention » de croyants) ; l’ignorance par Jésus de certaines choses (la fin des temps…) ; le fait que les premiers témoins de la Résurrection soient des femmes… Tout cela indique le contraire d’un projet de mythologisation de Jésus, mais un souci de coller aux faits, même gênants pour les premiers chrétiens.

– La place qu’occupent les premiers disciples, les apôtres et tout particulièrement Simon Pierre dans les Evangiles, qui n’est pas celle de chefs d’une Eglise qu’ils auraient inventée : avec le reniement de Pierre, l’incompréhension de tous devant le projet de Jésus, Pierre traité de Satan, leur carriérisme (être le plus grand…) etc… on ne sape pas soi-même son autorité dans des textes que l’on aurait écrits pour se faire valoir dans l’Eglise que l’on aurait créée pour en être responsable.

– Les miracles de Jésus ne suscitaient pas de contestation, y compris chez ses opposants : « Il en a sauvé d’autres, qu’il se sauve lui-même »… On ne voit pas ce qui aurait fait que certains quittent tout pour suivre Jésus, sans des actes extraordinaires de sa part.

– Des paroles de Jésus – appelées « ipsissima verba » – ne s’expliquent ni par le milieu juif de l’époque, ni par la foi de l’Eglise primitive…

Pour en venir à l’Ancien Testament, il faut comprendre ce que le concile de Vatican II a rappelé, que la Parole de Dieu pour nous, chrétiens, n’est pas un livre, mais une personne : Jésus, le Verbe-fait-chair, la Parole-de-Dieu-incarnée. La Bible est finalement la bibliothèque des expériences de Dieu qu’a faites le peuple juif du Christ, soit sous forme d’attente ou d’annonce, avec ce cela peut avoir d’approché, soit pour l’avoir rencontré en Jésus, accomplissement des Ecritures.

Jn 1,1 et Gn 11,1-9

Une amie demande un éclairage sur « Au commencement était le Verbe » (Jn 1,1) et sur l’épisode de la tour de Babel (Gn 11,1-9). Je m’aperçois que cela a aussi un rapport avec la question de l’absolu et du relatif.

 

1) Verbe (français), traduit verbum (latin), qui traduit logos (grec), un terme philosophique d’inspiration stoïcienne, désignant l’intelligence ordonnatrice de l’univers. Le sage grec constatant que le monde est ordonné, harmonieux, « cosmos » (ce qui signifie en grec « belle parure ») – cf. la régularité des saisons, des lois de la nature etc… -, il en déduit qu’une intelligence organisatrice y est à l’oeuvre, qu’il y a de la raison dans l’ordre du monde, non pas seulement maintenant, mais toujours, et donc depuis les origines. Il nomme cela logos. La pensée chrétienne se saisira de ce concept de logos, pour affirmer paradoxalement que cette intelligence créatrice, maître d’oeuvre de la Création et participant à l’éternité divine, a choisi de s’incarner, de s’auto-limiter en entrant dans le temps, en devenant l’un de nous, pour révéler ce qu’il est principalement : amour infini, capable de don total de soi pour l’homme. Ce que le Prologue de l’Evangile selon saint Jean décrit avec le langage emprunté à la philosophie grecque (Jn 1,14), et que Saint Paul redit avec un langage plus concret dans son épître aux Philippiens (Ph 2,5-11), ce mouvement où ce n’est pas l’homme qui va vers Dieu, mais Dieu qui vient vers l’homme, dans un vertigineux mouvement de descente, pour élever l’homme à lui.

2) L’épisode de la tour de Babel au chapitre 11 de la Genèse est très intéressant, d’autant plus qu’il se prête à des mauvaises interprétations, la principale d’entre elles étant que c’est la jalousie de Dieu devant l’ingéniosité des hommes qui lui fait faire cesser la construction de cette tour. En fait, Robin, un de mes amis, ingénieur des Ponts et Chaussées, m’a indiqué qu’en relisant précisément le processus de construction, on s’aperçoit que les hommes commencent par faire des briques (11,3a), puis s’en servir comme pierres (11,3b), puis se dire qu’ils peuvent bâtir une ville et une tour (11,4a), et enfin ils posent l’objectif : se faire un nom et ne pas être dispersés (11,4b). Ce processus où l’objectif, la finalité ne sont définis qu’à la fin, où l’on se laisse entraîner dans une course en avant dans l’usage des moyens, où la fin invoquée n’est invoquée que pour justifier les moyens, cela est caractéristique du péché par excellence qu’est l’idôlatrie, qui consiste en une absolutisation de ce qui n’est en fait que moyens (objets, biens matériels, argent, connaissances ou savoirs, honneurs, activités…), en oubliant leur relativité à la fin pour laquelle toutes choses sont créées, le sacrifice d’action de grâce à Dieu. Saint Ignace de Loyola dirait « pour louer, révérer et servir Dieu son Créateur, et par là sauver son âme ». Jésus lui-même donne la bonne manière de construire une tour, en envisageant la fin, et en ordonnant les moyens à cette fin, qui n’est autre que de le suivre, lui, le Verbe incarné, dans son sacrifice d’amour et sa glorification. Cf. Evangile selon saint Luc 14,26-30.

Trois questions d’une jeune catéchiste…

Une étudiante, catéchiste auprès de collégiens de 5ème, m’a posé hier sur facebook quelques questions…

La religion est-elle logique ?

– Tout est logique dans la foi chrétienne (je préfère ce terme de foi plutôt que celui de religion qui en est l’appareil intellectuel, social, cultuel, même si une foi sans religion devient subjective et invertébrée) : tout est cohérent dans la foi, au sens de non contradictoire, et cette cohérence participe à sa crédibilité ; s’il y avait une seule contradiction dans la foi chrétienne, je cesserai d’y croire.

– Mais le fait que ce soit logique ou cohérent n’est pas une preuve que ce soit vrai : les fous sont très logiques, mais s’appuient sur des prémisses fausses.

– Ce n’est donc pas simplement un raisonnement ou une déduction logique – c’est à dire un pur acte de l’intelligence – qui permet d’accéder à la vérité profonde du christianisme, mais également un acte de la volonté, le choix de prendre le risque de donner sa confiance, sa foi à Celui qui se propose sans forcer notre intelligence, avec l’humilité de l’Enfant de Noël ou du crucifié du Golgotha. Le oui de la foi suppose la crédibilité de celle-ci, mais implique un au-delà, une plongée dans le mystère que mon intelligence ne saurait épuiser. [à lire : encore un excellent livre de Fabrice Hadjadj, La foi des démons, Salvator 2009]

– Ce qui à certains pourrait apparaître comme « contradiction » (Dieu tout-puissant & Jésus impuissant dans sa Passion, Dieu maître de l’histoire & l’homme libre ; Dieu infiniment bon & laissant faire le mal ; Dieu unique & trinitaire ; Jésus vrai Dieu & vrai homme et donc mortel ; la confiance totale en la Providence & la responsabilité d’agir bien…), est en fait « paradoxe », tension féconde entre deux termes à tenir ensemble pour rendre compte de ces mystères que sont le monde, autrui, moi-même et Dieu. Les hérésies – en grec, ce mot signifie « choix » – simplifient la réalité en choisissant un seul des termes du paradoxe : ce n’est qu’en apparence plus reposant intellectuellement, mais on en voit les limites dans les fruits amers qu’elles portent (on juge l’arbre à ses fruits). Par exemple, ne choisir qu’un strict monothéisme, en refusant la Trinité, aboutit à un Dieu de pure transcendance, inconnaissable, ininterprétable sinon par une soumission totale à ses commandements (c’est le Dieu de l’Islam). L’hérésie arienne, qui ne voyait en Jésus qu’une créature intermédiaire entre Dieu et les hommes, aboutit à admettre d’autres chefs temporels « tenant-lieu » de Dieu, d’autres « lieutenants » de Dieu au pouvoir totalitaire. etc…

 

Comment Jésus fait-il tous ses miracles ?

– Eh bien, c’est tout simplement parce qu’il est Dieu !

– A qui douterait que Jésus a effectivement fait des miracles, on peut demander en vertu de quoi des hommes apparemment sains d’esprit et de corps – leurs témoignages et leurs écrits l’attestent – auraient suivi un homme qui n’aurait rien fait d’extraordinaire, et après sa mort seraient allés jusqu’aux extrémités du monde connu pour parler de lui, vivre et mourir pour lui.

– Mais la vraie question n’est pas celle-là. Elle est plutôt : « pourquoi lui qui pouvait faire tant de miracles n’en a-t-il pas fait un tout-petit, qui l’aurait sorti du guêpier final ? » C’est la remarque des chefs des prêtres : « il en a sauvé d’autres, qu’il se sauve lui-même ! » qui atteste des miracles antérieurs, et du sens le plus profond de la mission du Fils unique, qui ne nous sauve pas à la manière d’un magicien, mais en épousant notre condition humaine jusque dans ses enfers.

 


Où est Dieu ?

– Je suis tenté de te rappeler la petite histoire juive suivante :

Un jour, le fils du Rav Dov Ber, le rabbin de Mezeritch, vint en pleurs se plaindre auprès de son père : « Je jouais à cache-cache avec mes amis, et je me suis tellement bien dissimulé qu’ils ont cessé de me chercher et sont partis ailleurs ! ». Le rabbin consola son fils en lui disant : « C’est sans doute ce que Dieu ressent, lorsqu’il nous dissimule l’aspect de sa divinité, à tel point que certains d’entre nous cessent de le chercher, et se mettent ainsi à vivre sans Dieu ! »

Cette histoire correspond aussi au fait que Dieu crée en se retirant, en donnant au monde son autonomie, ou au jeu amoureux de chat et de la souris que joue le fiancé du Cantique des Cantiques (Dieu) pour faire grandir le désir chez sa bien-aimée (l’humanité).

– Mais elle n’est pas totalement juste, car si Dieu est effectivement caché, ce n’est pas tant qu’il se cache, que nous, qui ne sommes pas assez présents au monde, aux autres et à nous-mêmes pour le reconnaître. Il y a un regard de la foi qui permet de « voir Dieu en toutes choses » (Saint Ignace de Loyola) et d’en rendre grâce.

– De la même façon, on ne voit pas l’électricité, et il faut d’autres instruments de mesure pour la sentir.

– Pour corriger cette impression d’un ‘Dieu-qui-se-cache’, j’aime le commentaire sur le blog de Philippe Lestang : clique ICI.