Sur le dialogue avec les musulmans

A la suite d’un débat sur le « Forum Philo-Théo tala » (facebook) à propos du Dieu des chrétiens et du Dieu des musulmans…

 

Pas facile d’entrer dans le débat sur le rapport entre Christianisme et Islam… Je suis tenté de donner plusieurs réponses pas forcément compatibles entre elles :

D’une part, ma rencontre avec de jeunes musulmans il y a 16 ans à Villefranche de Rouergue, quand j’étais séminariste, a été un grand moment de fraternité, d’hospitalité, d’émulation spirituelle et morale, avec notamment Kader, un étudiant en maîtrise d’anglais, avec qui nous avons eu de longs échanges théologiques le vendredi soir ou en route vers Toulouse quand je covoiturais des étudiants villefranchois d’origine marocaine. Cela a aussi été le cas avec des habitants de confession musulmane du quartier du Tricot que je visitais comme supporter de l’équipe de foot du quartier, ou chez qui je venais pour du soutien scolaire. J’y étais alors invité pour les repas de fêtes religieuses, et je pense, apprécié comme un frère. J’y ai moi-même goûté ce qu’il peut y avoir de profondément humain dans la culture, la civilisation inspirées par l’Islam, notamment chez les marocains. J’ai aussi été percuté par l’interpellation de mes interlocuteurs musulmans, en vue d’une foi qui ne soit pas affaire de discours, d’opinion, mais qui se traduise en pratiques, et il m’arrive encore de mentionner, y compris en homélie ce que Kader m’a dit à propos de la messe (à partir de 1’44 sur l’enregistrement), telle qu’il la voit pratiquée par nombre de chrétiens. Il faut bien dire cependant que cet Islam que je côtoyais se définissait surtout par des pratiques (plus ou moins complètes) de l’interdit alimentaire du porc, du jeûne du Ramadan et des fêtes en lien avec le Ramadan, mais plusieurs s’autorisaient l’alcool… et que très peu priaient, lisaient le Coran, ou considéraient la foi comme relation personnelle avec Dieu. Quelques années plus tard, à partir de 2002, en participant régulièrement aux rencontres islamo-chrétiennes sur Rodez, dans le cadre des « Religions pour la Paix », j’ai fraternisé avec les responsables musulmans de la mosquée de Rodez, continuant d’apprécier l’humanité, la douceur et la cordialité de mes interlocuteurs – et leur thé à la menthe – et partager avec eux des préoccupations communes jusqu’à la rédaction de prises de positions co-signées – en particulier sur le plan de la morale. Tout cela m’interdit de faire un quelconque amalgame avec l’extrémisme musulman, qui est aussi une réalité ailleurs (voir plus bas) et qui oblige justement à persévérer coûte que coûte dans le dialogue avec l’Islam modéré. C’est ce que nous ferons samedi 29 septembre prochain à Rodez, au centre social Saint Eloi (cf. affiche ci-contre ou événement facebook).

D’autre part, je ne peux m’empêcher de sentir que sur le fond, lorsque qu’avec des musulmans nous évoquons des sujets de foi, je perçois chez mes interlocuteurs même modérés comme une rigidité liée à la certitude de détenir la révélation de Dieu, ultime et non déformée. Cela se traduit par la récitation incessante d’un texte, le Coran, ou le renvoi répété à la figure, aux paroles ou à l’exemple d’un homme, Mohammed, qui pour moi, pardonnez-moi de le penser, ne suscitent pas d’admiration, et n’ont de valeur que culturelle ou historique – je me ferais lyncher au Pakistan pour de tels propos, que je tire aussi de la lecture de livres sur l’Islam, certes pas tous favorables, mais toujours informés (A.M. Delcambre, Fr. Jourdan, J. Ellul, A. Besançon, M.A. Gabriel, Chr.de Chergé, Chr. Delorme…), et notamment d’une biographie – rédigée à partir d’un de ses premiers biographes (Ibn Hicham) et d’un grand recueil de hadiths (le Sahih al-Bukhari). L’effort de s’intéresser à l’autre et d’en être affecté, me semble difficile chez mes frères musulmans à propos du christianisme, tant la certitude de l’origine divine du Coran empêche d’entendre l’autre à partir de ce qu’il dit de lui-même : toute similitude entre Christianisme et Islam confirme le processus de révélation affirmé par l’Islam, où juifs et chrétiens ont bien reçu une révélation ; mais toute différence entre les deux religions est par avance assumée dans l’affirmation du travestissement de la révélation par les juifs et les chrétiens (cf. Jésus tel que les chrétiens l’ont reçu, et dont la vie – et surtout la mort – diffère de celle de l’Issa de l’Islam…). Quand tout ce que dit l’autre de compatible et d’incompatible est intégré par avance dans son propre discours, c’est que l’on a affaire à de l’idéologie, et que l’on est dans un cercle. Ici, il s’agit d’un cercle autour du Coran, dont on ne peut sortir si on le présuppose d’origine divine… C’est pour cela que le débat sur les différences entre le Dieu des chrétiens et le Dieu des musulmans ne me semble pas viser le problème le plus crucial. Même si j’adhère à la position du p. François Jourdan qui insiste davantage sur ces différences, ce n’est pas un problème de savoir si nous avons des manières proches ou éloignées de considérer le Dieu unique, Créateur, provident et miséricordieux, car c’est déjà un énorme acquis que de le considérer ensemble comme tel, notamment par rapport à d’autres manières de croire, en particulier le Bouddhisme, si différent de nous. A la rigueur, nous aurions la même théologie, le même contenu de foi, le même discours sur Dieu – si tant est que des mots puissent approcher de l’indicible – ce qui en fait pose problème pour moi est le statut du texte sacré dans nos religions. En Christianisme, il s’agit de paroles humaines inspirées, traduisant l’expérience du Christ qu’ont eu les prédécesseurs, les apôtres et les disciples du Christ, et qui nous permettent d’authentifier l’accès que nous pouvons avoir aujourd’hui à sa personne, lui qui est LA Parole vivante de Dieu, le Verbe fait chair, Dieu-fait-homme, celui tel qu’en le voyant, nous voyons le Père. Cette authentification passe par une interprétation du texte sacré, où la raison humaine a la part belle, avec l’aide de l’Esprit qui a inspiré ce texte. Dans l’Islam, le Coran est parole divine dictée par l’ange Gabriel à Mohammed : un texte incréé ne se discute pas, mais appelle à une obéissance où la raison humaine doit se soumettre à plus grand qu’elle. C’est en gros le sujet de la conférence de Benoït XVI à Ratisbonne en 2006, qui a fait couler tant d’encre, et même du sang !

Enfin, dans la foulée de ce qui précède, les manifestations de violence ou d’intolérance religieuse insensées, de la part d’extrémistes se réclamant de l’Islam, et dont l’actualité se repaît, pose quand même le problème de la compatibilité de l’Islam avec de telles pratiques. Certes, il ne suffit pas de se déclarer musulman pour l’être, de même qu’il ne suffit pas à Anders Breivik de se déclarer chrétien pour l’être : c’est la conformité ou non des actes avec la foi qui détermine leur caractère chrétien ou non, musulman ou non. Ainsi, avec Jésus qui préfère subir jusqu’à en mourir la violence plutôt que l’exercer, et qui appelle à tendre la joue gauche à ceux qui frappent la joue droite etc…, l’Evangile et la non-violence sont intrinsèquement liés. Aussi, les chrétiens fanatiques pratiquant la violence ou maltraitant leur prochain, ne peuvent invoquer l’Evangile au service de ce qui en est une trahison. A l’inverse, la vie de Mohammed remplie de batailles et de guerres, de razzias et de conquêtes (et pas seulement de défense contre les attaques extérieures), la violence de certains versets coraniques (s.9 v.29) abrogeant d’autres versets empreints de tolérance (s.2 v.256 « Nulle contrainte en religion ») interdit de refuser au fanatique musulman la conformité de ses actes avec l’Islam. La persistance d’une opinion publique pakistanaise majoritairement favorable à la loi anti-blasphème qui amène tant de chrétiens – notamment Asia Bibi qui croupit encore en prison -, mais aussi et surtout de musulmans, au lynchage ou à la prison à vie, l’impossibilité pratique pour un musulman en terre d’Islam de se convertir au christianisme sans être menacé dans son intégrité physique, la situation des chrétiens en Arabie Saoudite (notamment des philippins), en Irak ou dans le nord Nigéria, des animistes des monts Juba au Soudan… cela n’est pas seulement le fait d’extrémistes minoritaires ayant une lecture déformée du Coran, ou d’une instrumentalisation politique de l’Islam : des foules de musulmans sincères et cohérents avec leur foi y adhèrent.

Christianisme et autres religions

Question d’un lycéen hier sur facebook : La perspective de l’Eglise est-elle comme celle de la Rome Antique, une perspective où tous les cultes sont libres et semblent, comme pour les Romains, une source nouvelle et potentiellement plus juste de la foi. En définitive, quel est le point de vue de l’Eglise sur la foi des non chrétiens-catholiques ?

 

La question du statut des autres religions vis à vis du christianisme est LA question qui se pose à la théologie chrétienne du XXIème siècle. Pour y répondre en cohérence avec notre foi chrétienne, il faut tenir les 2 termes du paradoxe :

– Le Christ est l’unique médiateur, le seul intermédiaire entre Dieu et les hommes, entre le ciel et la terre, l’éternel et le temporel, l’absolu et le relatif…

– Dieu appelle tous les hommes au salut, par delà leurs différences de confessions.

 

Deux fausses pistes de réponse :

– centrée sur l’Eglise : « hors de l’Eglise, point de salut » (Saint Cyprien de Carthage) ; dans une lecture « dure » de cette expression, on dirait que ceux qui ne croient pas en Jésus-Christ, ne sont pas baptisés-confirmés et ne vivent pas selon l’Evangile, ceux-là vont en enfer… En réalité, il faut lire la fin de l’Evangile de Marc (Mc 16,16) : « Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé ; celui qui refusera de croire sera condamné. » C’est seulement le refus de croire qui exclue. Et cela ne concerne donc pas ceux à qui la foi chrétienne n’a pas été proposée, ou ceux à qui elle n’a été proposée que sous le masque déformant du contre-témoignage des membres de l’Eglise. Il faudrait donc plutôt lire la citation de Saint Cyprien, non pas comme une affirmation glorifiant l’Eglise, mais comme un appel à sa sanctification, car « hors de l’Eglise, point de salut signifié ». Le Christ a choisi cette réalité imparfaite qu’est l’Eglise – et nous dedans – pour se dire aux hommes, et c’est là un motif d’étonnement et de responsabilité.

– centrée sur Dieu : on gommerait les aspérités du dialogue interreligieux en se contentant de dire que nous sommes tous enfants de Dieu ; c’est le même Dieu, mais ce n’est qu’une différence de points de vue qui fait que nous l’appelons différemment, Allah, la Trinité, Adonaï etc… Un tel relativisme n’honore pas cette exigence minimale de la raison qu’est le principe de non contradiction : deux propositions contraires ne peuvent être vraies en même temps et sous le même rapport. Soit Jésus-Christ est vrai Dieu et vrai homme et en lui s’accomplissent les Ecritures, la quête de l’homme vers Dieu (et la quête de Dieu vers l’homme : cf. Gn 3,9) de sorte que la Révélation est complète en lui, et qu’elle doit pourtant encore se réaliser en l’homme par la foi en lui (christianisme), soit il n’est qu’un homme, envoyé de Dieu, dont les disciples auraient « falsifié » le message, de sorte qu’est nécessaire un nouvel et dernier envoyé, Mohammed, qui forme des disciples capables de transmettre parfaitement le message dicté par Dieu (Islam). Les deux propositions ne peuvent être vraies en même temps. Si l’on se place d’un point de vue extérieur à l’une et l’autre, il faut pour en juger dans un premier temps appliquer le critère que Jésus lui-même a donné : juger de l’arbre à ses fruits…

Face au mal

Voilà ci-dessous le compte-rendu d’une belle rencontre oecuménique (27/1/2010) à Rodez, avec une conférence à trois voix : celle de Luc Goillot, pasteur des Assemblées de Dieu, de Stéphane Kouyo, pasteur de l’Eglise Réformée Evangélique, et de Jean-Luc Barrié, curé de la paroisse catholique de Rodez.

Tous ensemble face au scandale du mal.

Le texte de ce compte-rendu au format pdf est téléchargeable ICI.

 

Le diable ? Parlons-en !

Luc Goillot, pasteur des assemblées de Dieu

Peut-on parler du diable aujourd’hui, à l’aube de ce nouveau siècle, le 21e siècle de l’ère Chrétienne… ? Cette conférence lance le débat : « Parlons-en ! » Si vous êtes là, c’est que vous acceptez d’en parler !

Jn 10/9-11 « Je suis la porte. Si quelqu’un entre par moi, il sera sauvé ; il entrera et il sortira, et il trouvera des pâturages. Le voleur ne vient que pour dérober, égorger et détruire ; moi, je suis venu afin que les brebis aient la vie, et qu’elles soient dans l’abondance. Je suis le bon berger. Le bon berger donne sa vie pour ses brebis »

De qui Jésus parle-t-il quand il parle du voleur ?

On note l’opposition entre deux volontés :

Celle de Dieu : au travers de Jésus il apporte la vie.

Celle du voleur : il vient pour dérober, égorger et détruire.

En fait, Jésus nous parle d’enjeux spirituels qui nous dépassent.

Il y a vraiment dans le monde spirituel deux armées qui se livrent un combat sans merci.

Une qui veut le bien de l’homme : à sa tête Jésus-Christ. Et l’autre qui veut sa perte : à sa tête le voleur, le diable.

On retrouve cette lutte dans toute la parole de Dieu (Guerres, Job, Moïse, Venue de Jésus…)

Jésus a parfaitement conscience de ce combat :

– Mt 6/13, trad. Chouraqui, BDJ, Crampon, Segond : « ne nous induis pas en tentation, mais délivre-nous du malin »

– Lc 23/31-32 : « Le Seigneur dit : Simon, Simon, Satan vous a réclamés, pour vous cribler comme le froment. Mais j’ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille point »

L’errance spirituelle dans laquelle se trouve notre 21e siècle n’empêche pas, et je crois même, favorise la curiosité pour tous les messages concernant le monde spirituel…

– Musiques, Films, voyance, astrologie, ésotérisme, sciences occultes, satanisme

Allons-nous laisser nos générations livrées à une découverte hasardeuse et inconsciente du monde spirituel ou allons-nous prendre notre place en tant qu’église pour expliquer que derrière ses choses, quelqu’un a juré la perte de l’homme ? Si Jésus en a parlé et nous met en garde, ne devons-nous pas en parler et mettre en garde nos générations ?

Baudelaire : « La plus belle des ruses du diable est de vous persuader qu’il n’existe pas »

Il y a deux leurres qu’il faut à tout prix éviter :

– Croire que le diable n’existe pas.

– Croire qu’on n’est pas concernés, que le diable n’agit que sur les gens possédés ou dans d’autres pays ou époque que les nôtres.

Ep 6/11-12 « Car nous n’avons pas à lutter contre la chair et le sang, mais contre les dominations, contre les autorités, contre les princes de ce monde de ténèbres, contre les esprits méchants dans les lieux célestes. »

1 Pi 5/8 « Soyez sobres, veillez. Votre adversaire, le diable, rôde comme un lion rugissant, cherchant qui il dévorera »

Personnellement, je pense que la raison pour laquelle l’homme échoue en face du mal, c’est qu’il essaie de s’attaquer au mal lui-même, au lieu de lutter contre celui qui répand le mal.

Derrière la violence, les pulsions autodestructrices, les haines, les guerres, l’amour de l’argent, l’égoïsme, le mépris, la chute des valeurs morales, ce sont les puissances mauvaises gouvernées par le diable qui s’organisent pour détruire l’humanité et contrecarrer le plan de salut de Dieu…

Dès lors il est intéressant de se poser la question :

Que fait concrètement le diable aujourd’hui ?

Le diable ne peut s’attaquer directement à Dieu car il lui est inférieur et donc il a choisi de s’attaquer à ses créatures… (Exemple de Job…)

Ces différents noms trouver dans la parole de Dieu nous permettent de le démasquer dans ses intentions :

1 Diable = le diviseur : guerres, racisme, discriminations, insoumission, éclatement des familles. Il arrive même à diviser les Chrétiens !

2 Adversaire = s’oppose à Dieu

– Avant l’homme (Ange qui s’est opposé à Dieu, Es 14 et Ez 28)

– Cela est encore à l’origine de l’humanité : Le serpent a détourné l’homme et la femme du plan de Dieu… (Ge 3/1)

3 Malin = il ne se présente pas avec sa fourche et ses cornes !

2 Co 11/14 « Il se déguise en ange de lumière »

De 18/9-12 « Qu’on ne trouve chez toi personne qui fasse passer son fils ou sa fille par le feu, personne qui exerce le métier de devin, d’astrologue, d’augure, de magicien, d’enchanteur, personne qui consulte ceux qui évoquent les esprits ou disent la bonne aventure, personne qui interroge les morts. Car quiconque fait ces choses est en abomination à l’Éternel »

4 Menteur = détourne la parole de Dieu ou se fait passer pour Dieu.

Ge 3 « Dieu a-t-il réellement dit » ! (2 Co 11/3-4, Lc 8/12 parabole du semeur)

2 Th 2/3-4 « Que personne ne vous séduise d’aucune manière ; car il faut que l’apostasie soit arrivée auparavant, et qu’on ait vu paraître l’homme du péché, le fils de la perdition, l’adversaire qui s’élève au-dessus de tout ce qu’on appelle Dieu ou de ce qu’on adore, jusqu’à s’asseoir dans le temple de Dieu, se proclamant lui-même Dieu »

V9 « L’apparition de cet impie se fera, par la puissance de Satan, avec toutes sortes de miracles, de signes et de prodiges mensongers »

Le danger guette tous les mouvements religieux : Erreurs de l’histoire…

5. Satan = accusateur des frères : Ap 12/10 Il nous écrase sous la CULPABILITE alors que Jésus est venu nous en libérer !

6. Voleur = le but est de nous voler le destin que Dieu a mis en place pour nous (Ep 2/10)

(Signification du mot péché)

 

Faut-il être fataliste ?

Non, nous avons le pouvoir de lui résister :

1. Etre conscient de son existence et de ses objectifs (2Co 2/11 et Ac 26/18)

2. Se soumettre à Dieu (Ja 4/7). Nous sommes vainqueurs sur lui en Jésus-Christ.

 

Jésus face au scandale du mal

Stéphane Kouyo, pasteur de l’Eglise Réformée Evangélique

(notes écrites par Stéphane Kouyo, plus complètes que son exposé oral)

Tous les jours sur terre, des millions de personnes sont aux prises avec le mal et la souffrance. Si Dieu nous aime, que fait-il face à toute cette souffrance, face à tout ce mal ? Comment concilier l’existence d’un Dieu bon et tout-puissant avec la présence du mal et de la souffrance dans le monde et dans l’histoire ? Le mal n’est-il pas le déni de l’existence d’un Dieu d’amour ?

Lactance, un philosophe du troisième siècle après Jésus-Christ formule bien la problématique : Si Dieu veut supprimer le mal et ne peut le faire, c’est qu’il n’est pas tout-puissant, ce qui est contradictoire. S’il le peut et ne le veut pas, c’est qu’il ne nous aime pas, ce qui est également contradictoire. S’il ne le peut ni ne le veut, c’est qu’il n’a ni puissance ni amour et qu’il n’est donc pas Dieu.

Pourquoi le mal est un scandale ?

Sous ces deux formes – la souffrance et la faute – le mal est un scandale parce qu’il constitue ce qui ne peut ni être compris ni être aimé. Il est éprouvé comme ce qui détruit, il va contre tout ce qui est bien, beau, vrai juste et sain (saint ? !). Ainsi il est un véritable objet de scandale, pour l’esprit et pour le cœur, pour la raison et pour l’affectivité, pour le corps et pour l’âme.

Il faut faire une petite distinction entre le mal et la souffrance ou la douleur. Si le mal est une espèce de déchirure de l’être, c’est donc une injustice et une violence. La souffrance est elle, la réaction au mal qui affecte l’être. Ainsi la souffrance est une fonction de la vie – elle ne s’identifie pas au mal, mais elle lui est liée. Nous cherchons à ne pas souffrir, ni physiquement, ni moralement, ni spirituellement.

Des tentatives pour réduire ce scandale :

1) La raison : expliquer le mal

Le mal dans la nature s’explique et se justifie dans la mesure où il est le corrélat d’un bien meilleur. Pour exemple prenons le darwinisme qui explique que la vie progresse grâce au processus évolutif et que la condition de cette progression est la loi de l’évolution selon laquelle il y a survie du plus apte. C’est pour le bien de l’espèce que les animaux malades ou âgés disparaissent. C’est pour le bien de l’ensemble des vivants que telle ou telle espèce disparaît. C’est pour le bien de l’ensemble de la vie que les groupes zoologiques doivent s’adapter – certaines espèces survivre et se développer tandis que d’autres disparaissent. Le processus est au bénéfice de la vie elle-même.

2) La morale : prôner le détachement

Le mal n’est pas seulement une déchirure pour la raison, il est aussi une déchirure pour l’affectivité. Là, il est source d’une douleur qui n’est pas facile à vivre. Aussi les traditions de sagesse ont élaboré une manière de l’esquiver ou de la contenir. Une des stratégies face au mal est d’éluder cette blessure. Cette attitude invite à une mise à distance que les sages appellent le détachement. Il ne faut pas s’attacher pour ne pas être blessé par la douleur de la perte en quoi consiste le mal.

3) L’attitude religieuse

Le mal et le bien sont deux principes antagonistes. Ce sont deux forces divines qui agissent dans le monde.

Ces trois attitudes et bien d’autres ne sont pas satisfaisantes. Elles éludent la vraie difficulté.
La vision chrétienne :

Elle propose une voie plus exigeante. Elle écarte les faiblesses du dualisme religieux en confessant strictement un Dieu unique. Elle récuse la mise à distance du tranchant de la douleur comme si le mal pouvait être oublié. Elle refuse enfin une explication rationnelle qui efface le scandale du mal et le justifie d’une manière ou d’une autre.

Jésus-Christ est la réponse de Dieu à la question du mal. Sans donner d’explication à la présence du mal le Seigneur propose une solution. Dans la personne et l’œuvre du Christ Dieu se rend victorieux du mal. Dans la mort et la résurrection de Jésus il triomphe du mal et de la personne du diable. Cet adversaire est ainsi désarmé, vaincu, maîtrisé.

 

Comment cette victoire s’est-elle orchestrée ?

La victoire prédite : la première prédiction a été faite dans le jardin d’Eden et constituait un aspect du jugement porter contre le serpent : ‘’je mettrai inimitié entre toi et la femme, entre sa descendance et sa descendance : celle-ci t’écrasera la tête, et tu lui écraseras le talon’’ (Gn : 3,15). Nous identifions, avec raison, la descendance de la femme au Messie qui établira le règne de justice de Dieu et mettra fin à la domination du mal.

La victoire amorcée : l’action de Jésus et son message sont le signe visible de la victoire avenir malgré les oppositions qu’il connaîtra.

La victoire remportée : c’est à la croix que cette victoire est remportée. C’est par sa mort que le Christ devait « écraser celui qui détenait le pouvoir de la mort, c’est-à-dire le diable », et délivrer tous les captifs (He 2 :14-15).

Le passage qui souligne avec le plus de force la victoire de Christ est peut-être celui de Col 2 :13-15 : « … en nous faisant grâce pour toutes nos toutes nos offenses ; il a effacé l’acte rédigé contre nous et dont les dispositions nous étaient contraires ; il l’a supprimé en le clouant à la croix ; il a dépouillé les principautés et les pouvoirs, et les a publiquement livrés en spectacle, en triomphant d’eux par la croix. »

La victoire confirmée et proclamée : si la croix est la victoire remportée, la résurrection est la victoire reconnue, annoncée et démontrée. « Il n’était pas possible qu’il soit retenu par la mort » Actes 2 :24. Les principautés et les puissances mauvaises qui, à la croix, ont été dépouillées de leurs armes et de leur dignité, sont désormais placées sous ses pieds et lui sont soumises (Eph 1 :20-23 ; 1Pi 3 :22).

La victoire qui s’étend : plus l’Evangile progresse, plus s’étend l’œuvre rédemptrice de Dieu. Toute conversion chrétienne implique une confrontation de puissance dans laquelle le diable est contraint de renoncer à ses droits sur quelqu’un ; ce duel qui tourne à l’avantage du Christ démontre combien sa puissance est supérieure à celle du diable.

La victoire consommée : Au retour de Christ, le diable sera définitivement placé hors d’état de nuire. Il n’y aura plus de larmes mais nous connaîtrons la félicité éternelle.

En attendant ce jour béni, nous sommes appeler à vivre dans ce monde avec cette foi inébranlable dans la victoire du Christ, dans notre propre vie et dans le monde. C’est la victoire du Christ est celle de son peuple. Elle est aussi rendu possible dans le concret de la vie.

Le mal n’est et ne doit pas être une fatalité et notre foi nous pousse à lutter contre le mal dans toutes ces expressions. C’est de cette manière que nous nous approprions la victoire du Christ.

Nous devons donc développer notre capacité de révolte contre le mal, pour le refuser, le combattre dans nos vies et dans le monde. Dans ce combat, nous ne sommes pas seuls. Nous avons reçu le Saint Esprit, notre force.

 

L’Eglise face au mal et à la souffrance

Jean-Luc Barrié, curé de la paroisse catholique Notre-Dame de l’Assomption

Un peu d’histoire

– Dès ses débuts, l’Eglise a combattu le mal et la souffrance par la solidarité, le partage :

Act 6,1-3 : des diacres pour s’occuper des veuves

Act 3,1 : Le boiteux de la belle porte guéri par Pierre et Jean

– Tout au long de l’histoire, elle a mis en place tout un arsenal de structures pour combattre la souffrance : hôpitaux (sœurs du Saint Cœur), orphelinats, écoles (Ste Famille à Villefranche de Rouergue), aide aux femmes en détresse (Ste Famille, congrégations diverses… je donne là des exemples aveyronnais, mais il y en a partout dans le monde). La plupart de nos congrégations religieuses sont nées pour soulager une souffrance à une époque… (pensons à Mère Térésa de Calcutta, à Sœur Emmanuelle au Caire, à l’Abbé Pierre en France…)

– Certaines de ces structures ont été prises en charge par l’Etat et d’autres institutions laïques, et nous nous en sommes alors séparés pour nous investir dans des lieux où des besoins nouveaux se faisaient sentir. Je pense à l’accompagnement des premiers malades du Sida où l’on a vu beaucoup de religieuses : une docteur d’un grand hôpital de Paris m’a dit à l’époque « heureusement qu’elles étaient là, on ne trouvait personne pour les accompagner… »

– Aujourd’hui sur la Paroisse Notre Dame de l’Assomption, sont présents par exemple :

– Secours Catholique et St Vincent de Paul : pour combattre la pauvreté chez nous. Des associations qui travaillent avec les services sociaux ou directement pour un secours d’urgence et un accompagnement des personnes en grandes difficultés sociales. Je peux dire pour y avoir participé que remplir le frigo d’une maman de deux enfants qui n’a plus rien à leur donner, c’est important.

– CCFD : pour une solidarité avec les pays du Tiers Monde. Une ONG, je crois la plus importante, de solidarité mais surtout d’aide au développement dans les pays pauvres. Pas seulement apporter un sac de riz, même s’il faut le faire pour que les gens ne meurent pas de faim, mais également soutenir les initiatives locales pour un développement, une autonomie alimentaire de ces pays.

– Aumôneries des hôpitaux, le Service Evangélique des Malades par rapport à la maladie…

– Aumôneries des prisons : souffrance psychologique et sociale. Des laïcs et un prêtre qui visitent les prisonniers.

– Mère de Miséricorde : femmes en détresse (grossesse non désirée)

– Accompagnement des familles en deuil : des équipes de laïcs qui accompagnent, se rendent présents auprès des familles pour préparer la sépulture mais aussi pour signifier notre soutien, notre solidarité dans ces moments dramatiques et douloureux.

Quelle attitude de l’Eglise face à la souffrance ?

D’abord la prière : car cela ne sert à rien de bâtir sans Dieu.

Souffrance sociale : Le Partage et solidarité, donner le nécessaire, le vital, ne pas laisser les personnes mourir de faim, un enfants sans vêtement, mais aussi sans jouets à Noël… Aider à payer la facture du fuel pour ne pas vivre l’hiver dans le gel… Permettre de se redresser, de retrouver sa dignité, de se prendre en main. Les aider à ne plus se sentir rabaissés, exclus, mis à part, montrés du doigt, ou au contraire invisible (SDF)

Dénoncer les injustices, lutter contre elles, combattre les causes de ces injustices. Cf. Rapport annuel du Secours Catholique, chrétiens engagés dans diverses organisations syndicales et associatives, Action Catholique…

Interventions des évêques de France à Lourdes cette année sur les sans papiers :

Non seulement elles doivent bénéficier de moyens de subsistance dignes d’une personne humaine (nourriture, hygiène, soins médicaux, etc.) mais encore elles doivent pouvoir accéder normalement aux informations nécessaires à leur défense. Le fait d’être en situation irrégulière ne fait pas perdre ses droits élémentaires à quelque personne que ce soit. Quel que soit le bien-fondé des décisions judiciaires ou administratives, leur application doit respecter ceux qui sont concernés, en particulier les enfants et les jeunes pour lesquels les liens familiaux doivent êtres privilégiés.

Encyclique du Pape Benoît XVI : « L’amour dans la vérité »

ACAT : lutte contre la torture (œcuménique)

Maladie : Présence silencieuse et gratuite, accompagnement, compassion, prière avec et pour les malades. Etre là, simplement, par pur amour, dans une attitude de compassion. Pas pour dire, mais pour accueillir ; pas pour récupérer, mais pour offrir une aide ; pas pour enseigner, mais pour écouter… Une présence qui manifeste la présence et la tendresse de Dieu.

Réponse sacramentelle : le sacrement des malades qui signifie, rappelle, manifeste, la présence de Dieu, de la force de son Esprit, dans la maladie, la souffrance ou la fin d’une vie.

L’attitude de l’Eglise catholique face au mal, ce sont les prises de paroles de sa hiérarchie, mais c’est avant tout et surtout l’engagement de baptisés dans les différents combats pour la justice et la paix, contre tout ce qui opprime l’homme. J’aurais pu donner de multiples exemples, peut-être des catholiques présents se disent, il n’a pas parlé de ceci ou de cela, mais on ne peut pas faire ici un inventaire exhaustif, simplement voir les grandes lignes de cette attitude qui prend des visages multiples.

Des mots clefs : SOLIDARITE- PARTAGE – LUTTE CONTRE L’INJUSTICE – DENONCIATION – PRESENCE – COMMUNION – COMPASSION
La source de ces attitudes

Jésus n’a pas donné de justification à la souffrance, ni d’explication.

Lc 13,1 : Les victimes de la tour de Siloé pas plus pécheurs que les autres.

Jn 9,2 Aveugle de naissance : « lui ou ses parents qui ont péchés ? » Réponse de Jésus : la guérison de l’aveugle.

Jésus a combattu les causes de la souffrance :

Il a dénoncé tous ceux qui à son époque étaient responsables d’injustice et de souffrance :

Mc 12,40 Les scribes qui dévorent les biens des veuves. Et tout le chapitre 23 de Matthieu sur l’hypocrisie des scribes et pharisiens qui exploitent le peuple en abusant de leur pouvoir…

Jésus, chaque fois qu’il a pu, a soulagé la souffrance : toutes ses guérisons…qui rendent aussi aux personnes leur dignité et leur place dans la société.

Jésus a habité notre souffrance :

Il a fait sienne toute souffrance au jardin des Oliviers, lors de son jugement et sur la croix. Entre le jardin des Oliviers, l’arrestation, le jugement, les fausses accusations, les injures, les crachats, les quolibets et moqueries, l’abandon de ses disciples, la souffrance de femmes qui l’entourent, les coups, les tortures, la crucifixion, la mort sur la croix… Je pense qu’il n’est pas une souffrance qu’il n’ait touchée, fait sienne, habité de sa présence, de son amour, de son don de lui-même. Mais il l’a fait sienne toute au long de sa vie :

Jean 11,33 : Jésus pleure son ami Lazare…

Lorsqu’il les vit se lamenter, elle et les Juifs qui l’accompagnaient, Jésus frémit intérieurement et il se troubla. 34 Il dit : « Où l’avez-vous déposé ? » Ils répondirent : « Seigneur, viens voir. » 35 Alors Jésus pleura ; 36 et les Juifs disaient : « Voyez comme il l’aimait ! »

Cf. Livre de Jacques Ellul « Si tu es le Fils de Dieu… Souffrances et tentations de Jésus » :

Dans le credo nous disons couramment : « Il a souffert sous Ponce Pilate » (donc il n’a souffert que sous Ponce Pilate !), puis « Il a été crucifié ». Alors que le texte véritable (et conforme à la construction grammaticale latine) est : « Il a souffert ; sous Ponce Pilate il a été crucifié. »

Jésus, par sa mort et sa résurrection, à fait de la souffrance un instrument de Salut :

C’est par le don de sa vie sur la croix qu’il nous a donné part à sa vie divine et gloire, de joie et de paix éternelle. La souffrance, le mal suprême, la mort, qui l’échec absolu, devient en lui et par lui un chemin de vie, de salut, de gloire et de joie infinie. Ce qui est le mal suprême nous ouvre au bien suprême.

Marie au pied de la croix, silencieuse, qui souffre de la souffrance de son Fils (Jn 19,26-27)

…comme le lui avait annoncé Siméon (Lc 2,3)

La souffrance peut…

– La souffrance n’a pas de sens en elle-même, mais elle peut être vécue en communion avec Jésus en croix et permet de participer à son œuvre de rédemption.

Elle peut être aussi un lieu de purification, de conversion.

Elle peut être un lieu d’expérience du mystère Pascal.

Cela est expérimenté par beaucoup de croyants, mais ce n’est pas quelque chose que l’on peut assener à quelqu’un qui est en souffrance. Ce n’est que petit à petit, dans un accompagnement de proximité et dans le temps que les choses peuvent se découvrir avec l’aide de l’Esprit Saint. Et l’expérience d’une personne ne peut être donnée en modèle ou en exemple, elle peut simplement ouvrir une brèche, permettre un pas vers la paix.

J’ai vécu cela dans de nombreux accompagnements de malades ou de familles fortement touchées par un deuil.

 

Questions-débat

Peut-on considérer que la mort fait partie du mal, alors qu’elle est intrinsèque à la vie ? Pourquoi dit-on que Jésus est venu vaincre la mort ?

JL – La mort est l’échec absolu, humainement parlant. Il y a une brisure de la relation, de la présence de la mort. Là où Jésus vainc la mort, c’est qu’il en fait le lieu d’une vie nouvelle, dans une relation, une communion des saints, qui fait que celui qui naît en Jésus à cette vie nouvelle est présent. Jésus a fait de l’échec absolu, le don absolu de la vie divine.

S – A côté de l’expérience existentielle de la mort, dès l’origine, il est question de la mort. Si vous mangez du fruit de l’arbre interdit… il y a d’abord mort spirituelle. La mort est rupture de lien avec notre Créateur, notre Père céleste.

Comment envisager le mal en dehors de la religion, en dehors du Christ, pour accompagner la souffrance de quelqu’un qui n’a pas la foi…

L – On a en tant que chrétien un devoir d’écoute, d’accompagnement et de partage. La question me déstabilise, car je ne vois pas comment envisager autrement qu’en chrétien… On va témoigner, sans pour autant imposer notre foi à ceux qui la refusent. L’écoute est ce dont on a le plus besoin quand on souffre.

R.Salles – L’expérience de plusieurs années de soins palliatifs nous a montré que la demande religieuse est rare en fin de vie, et que le mourant est rasséréné lorsqu’il s’est mis en relation satisfaisante avec lui-même, parce qu’il a résolu un problème d’inimitié le plus souvent familiale. On a mult exemples d’attente du mourant de celui avec qui il veut se réconcilier.

M.Salles – C’est l’écoute du malade qui importe en premier. On est là pour être avec lui, rétablir la relation.

L – S’il est vrai que malheureusement il y a peu de demande religieuse, je vois des signes d’une relation avec Dieu, d’un face à face avec Dieu qui peut se faire sans mot, sans nous, un Dieu bon qui amène l’homme à une réconciliation avec soi et les autres certes, mais aussi avec lui.

Il y a aussi de la méchanceté, du cynisme, des gens qui torturent, des méchants. Comment expliquer cela ?

S – Le mal implique la souffrance pour celui qui le subit, et la faute pour celui qui le commet. Il a été question de lutte plus que d’explication, lutte à différents niveaux : social, politique y compris… Quelquefois, les méchants triomphent en ce monde (cf. Psaumes), mais dans un regard de foi, il ne faut pas s’en tenir au seul temps ici bas, mais voir à l’échelle de l’éternité et du Jugement final. La foi au Christ vient dire la victoire sur le mal et la méchanceté des méchants. Un jour, il y aura rétablissement de la justice par Dieu, et chacun aura à rendre compte de ce qu’il a fait.

JL – Dieu nous a créé à son image et donc libre, à la différence des animaux qui obéissent à leur instinct. Libres jusqu’à pouvoir dire non à Dieu. Une liberté qui rend capable de faire des choses magnifiques, mais aussi de pécher. On est impliqué dans ce péché. Notre liberté nous fait nous aussi mener ce combat spirituel : qu’est-ce que je fais de ma liberté ?

L – Paul dit dans Rm qu’il n’y a aucun homme qui soit juste. Nous sommes tous pécheurs. Je fais le mal que je ne veux pas, et je ne fais pas le bien que je voudrais faire. Nous ne sommes pas au dessus de Paul. Veillons nous-mêmes à ne pas faire de mal, avant de condamner le mal en autrui, alors qu’il est en nous. Que l’Esprit soumette mon esprit au sien ! Cf. Ga 5 qui nous parle de la lutte de la chair et de l’Esprit. Il y a du bon en l’homme, mais l’homme sans Dieu est souvent perdu… Cf. Les génocides… Derrière tout cela, il y a le diable.

Que répondre à Camus au sujet de la mort de l’enfant ?

JL – Cette question de la mort de l’enfant innocent, pose la question du « comment Dieu a-t-il pu créer un monde où un enfant innocent puisse mourir ? » Gn 1 nous dit que Dieu vit que le monde qu’il avait fait était bon, voire très bon, mais non parfait. Un monde non fini, en croissance, en création, avec des imperfections, des accidents… Cela n’enlève rien au scandale. Cela est la même chose pour le tremblement de terre d’Haïti. C’est un mystère, au double sens de ce que mon esprit ne peut l’atteindre, et de ce que Dieu y est présent.

L – On ne peut pas avancer sur cette question. On n’est pas Dieu. Ce qui me touche plus que le départ d’un enfant, car je crois qu’il y a quelque chose au-delà de la mort, c’est la souffrance de l’enfant. Cela nous dépasse totalement. Il n’y a pas d’explication.

JL – Je me rappelle un jeune couple dont le premier enfant meurt d’une maladie orpheline dans des souffrances impossibles, et qui m’accueille comme prêtre pour préparer la célébration des obsèques, et qui mystérieusement avaient une paix infinie dans leur cœur. Là, j’ai vu la grâce divine : Dieu était présent. Ils ne m’ont jamais posé la question du pourquoi.

Est-ce que Dieu permet la souffrance pour que l’homme se tourne vers lui ?

S – Dieu peut se servir dans sa souveraineté pour attirer les gens à lui. Et heureusement qu’il s’en sert, qu’il est capable d’utiliser du meilleur et du pire.

JL – Un papa ou une maman ne supportera jamais de voir souffrir un enfant sans rien faire. Dieu souffre de notre souffrance. Il ne peut « permettre » en vue de… mais il est capable de faire de la souffrance un lieu de l’expérience pascale.

L – Je crois plutôt en un Dieu totalement souverain, et qui permet que je souffre. Pourquoi, comment ? Je n’en sais rien… mais je crois que le premier objectif de Dieu est de nous amener au salut, et que notre passage ici-bas est une préparation de notre éternité. Je n’en déduis pas une règle en disant que toutes les souffrances sont voulues par Dieu, encore moins qu’il y prend plaisir, mais je mesure que pour moi, c’est dans les moments difficiles que Dieu m’a rejoint.

S – On parle souvent du scandale du mal pour le reprocher à Dieu, mais ce peut être aussi une occasion de glorifier Dieu, dans sa capacité de faire d’un mal un bien. Du pire, le Seigneur est capable de faire le meilleur. Il n’est pas limité par l’outrance des hommes, pour nous dire combien il nous aime. Si Dieu le permet, s’il est souverain sur toutes les choses…

Celui qui est forcé de commettre le mal, comment situer ce mal ?

S – Je dois obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes. Réponse simple, mais je ne sais pas si je serai capable de résister. En tous cas, c’est ce que nous devons faire. Il y a des martyrs qui le font.

En catéchèse, faut-il parler du diable ?

L – Oui, dans nos églises (assemblées de Dieu), car on n’élude pas cette question. Mais il faut voir à quel âge le dire. Eviter aux tout-petits. On peut aussi en parler mal, ou lui donner trop d’importance. Cela dit, des jeunes fréquentent le monde occulte, et il faut les mettre en garde.

J.Sylvain (ERF) – J’ai été catéchiste pendant une dizaine d’années. Nous préférons parler du Mal que du diable.

S – La catéchèse concerne enfants et adultes. Même des chants pour enfants en parlent. Maintenant, ce n’est pas forcément bien fait. Au niveau pédagogique, c’est parfois léger. Aujourd’hui, il importe que nous ayons moins peur d’en parler, car les jeunes en parlent facilement, et pratiquent des choses, des expériences occultes.

JL – Dans l’Eglise Catholique, on parle peu du diable, mais du mal, en veillant à ce que l’on puisse l’identifier, dans les luttes, et le combat spirituel. On en parle peu, car il y a une imagerie, et le danger qu’il pourrait y avoir deux dieux qui se combattent. L’idée d’une trop grande personnalisation du mal peut amener à un dualisme.

 

Dispute sur la foi et l’amour avec un jeune…

Pas facile de converser avec un jeune en bisbille sur la foi et sur l’amour… même avec MSN, comme hier soir. On croit que la question est théologique ou philosophique, alors qu’elle est existentielle…

Lui : Êtes-vous là ?

Le prêtre : Oui !

Lui : C’est quand même rare que nous profitions de votre présence sur MSN.

Le prêtre : En fait, je suis plus souvent sur facebook, et ce soir tout particulièrement avec des 3èmes qui préparent leur confirmation dimanche.

Lui : Oulala… Ne leur mettez pas trop d’idées dans leur tête ! C’est pas bien.

Le prêtre : A les entendre, après la retraite de confirmation que nous leur avons concoctée, j’ai plutôt l’impression que cela les a rendus plus heureux et responsables d’eux-mêmes.

Lui : Mon cher. Disons que par expérience, ils verront vite que les choses ne sont pas ce qu’elles sont ou que l’on donne.

Le prêtre : Tu parles au futur. Eux et moi voient au présent les fruits de ce qu’ils ont reçu.

Lui : Le problème, c’est que j’ai vu comme eux, et que maintenant, je vois l’avenir pour eux. Leur mettre des illusions dans la tête, n’est-ce pas les mettre dans le mauvais chemin.

Le prêtre : On peut tous se tromper de chemin, et de critère pour choisir ce chemin.

Lui : Quel critère ?

Le prêtre : Il y a celui de la cohérence intellectuelle de la foi chrétienne que je pense avoir plus creusé que toi – pardonne-moi d’user d’un argument d’autorité parce que je n’ai pas le temps de développer. Mais il y a aussi le critère du fruit que la foi produit en nous. S’il y a des chrétiens malheureux, fermés et irresponsables, je constate que le fait de considérer la foi comme une illusion ne rend pas plus heureux, ouvert et responsable, au contraire.

Lui : Ne croyez-vous pas à un moment donné que – en parlant concrètement – nous vivons dans un monde fait pour ne plus croire.

Le prêtre : Pardon, je ne comprends pas ton message.

Lui : Je vais reformuler. Comment croire en quelque chose lorsque tout nous montre le contraire. Y croire encore, n’est-ce pas une erreur ?

Le prêtre : Le contraire de quoi ? Je vois un monde tout à fait conforme à ce que l’Evangile et la révélation biblique me dit. Non pas un monde où « tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil », mais au contraire un monde injuste, violent, immoral, où le juste est bafoué, où l’amour est crucifié, où Dieu accepte de subir de plein fouet les conséquences de cela. C’est cela la Passion du Christ.

Mais cela commence bien avant, avec une Création, assez belle, assez immense, assez admirable pour que l’on en puisse espérer le meilleur, et qui induit une désillusion d’autant plus grande que les fruits que nous lui faisons produire sont plus contraires.

Voilà le monde de la Bible, qui nomme dans son énormité le scandale du mal, de la souffrance et de la mort. C’est le discours athée qui nie ce monde, qui endort les consciences, parce qu’il ne prend pas la mesure – infinie – du décalage entre ce qui est espéré et ce qui est atteint. Pour l’athée, le mal est fini, puisqu’il ne nous prive pas d’un Bien avec un grand B. Il ne fait que raccourcir un peu une existence limitée.

Seul le chrétien voit le monde tel qu’il est, dans son horreur, comme négation de Dieu, de l’absolu, et donc scandale infini. Mais il voit aussi au coeur du monde la présence de celui qui en est le Sauveur, non pas comme un magicien invulnérable ou extérieur au monde, mais comme celui qui vient assumer avec l’homme ce scandale, et la vulnérabilité qui va avec.

Lui : ça ne répond pas trop à ma question. Bon, ne nous basons pas sur la religion. Prenons un exemple concret. Voilà : un type sort avec une fille ; le truc classique ; celle-ci plante le gars, ce qui arrive de nos jours de plus en plus ; d’après votre philosophie, le gars, ayant vécu un truc de malade ne peut pas arrêter de penser à elle ; et là, il fait vraiment de la m**** ; mail il lui dit quand même qu’il l’aime, un truc de malade ; et il y croit, alors que tout lui montre le contraire. Est-ce que le pauvre bougre a encore raison d’y croire plus que tout. N’est-ce pas une erreur d’y croire.

Le prêtre : Dans ton exemple, « tout lui montre le contraire », parce que la fille ne l’aime pas. Mais je ne vois pas en quoi il m’est montré le contraire de la révélation d’un Dieu aimant l’homme au point de plonger avec lui dans son enfer.

Le gars n’a pas de raison d’y croire si tout lui montre le contraire. Tout comme je n’ai pas de raison de croire aux martiens, ou au monstre du Loch Ness etc…

Lui : On va dire qu’un lourd sentiment lui dit d’y croire.

Le prêtre : Mais je redis que pour ce qui est de la foi chrétienne, ton point de départ : « tout lui montre le contraire » est faux !

Lui : Donc, il a raison d’y croire.

Le prêtre : Dialogue de sourds ! Pour ta petite histoire amoureuse, le gars n’a pas de raison d’y croire, et c’est lui qui se berce d’illusions à continuer d’y croire, alors que « tout lui montre le contraire ». Une sorte d’obstination dans l’erreur.

Mais je re-redis que je ne vois aucun rapport entre une telle histoire et la foi en Jésus-Christ, où « rien ne me montre le contraire » !

Lui : Donc tu n’y crois pas.

Le prêtre : ?

Lui : Alors, le type a-t-il vraiment raison de continuer à aimer cette personne plus que sa propre personne ? Et de croire en ce sentiment qui lui dit d’y croire.

Le prêtre : La réponse se trouve dans la compréhension que l’on a du verbe « amour ».

Pour les grecs, il y a 3 mots :

– Eros : attirance, désir amoureux, passion… en gros, le fait que la personne aimée te séduit, t’attire de par ses qualités, son charme etc… et c’est ce dont tu parles dans l’histoire précédente. C’est là un état que l’on subit – dans passion il y a « passif » – et qu’il peut être difficile de maîtriser. Difficile, mais pas impossible : le pilote dans l’avion, cela reste moi-même. Cet état ne peut non plus durer. Il ressemble davantage à un feu de paille : rapide, violent, mais peu durable.

– Philia : amitié, réciprocité… comme dans une équipe, où l’on s’aime moins l’un l’autre, que du fait de vivre ou de viser ensemble quelque chose. Cet amour-là est moins violent que l’Eros, mais tient plus la durée, car il repose sur un projet commun.

– Agapè : amour désintéressé, de don de soi, où il s’agit moins d’aimer l’autre pour le bien qu’il m’apporte (ça, c’est l’Eros), que de vouloir faire son bonheur…

A la limite, quand on aime de cet amour-là, on préfèrera voir l’autre heureuse avec un autre, que malheureuse avec soi.

Il ne faudrait s’engager pour la vie avec quelqu’un que si l’on assume les 3 formes d’amour : un sentiment amoureux, un projet de vie à deux, du désintéressement. Ce n’est pas le cas du gars qui s’illusionne sur l’amour de l’autre, car il est plutôt dans un Eros frustré.

Lui : En clair, tu me dis que cette personne a tort d’y croire encore et d’attendre.

Le prêtre : On n’est pas dans le registre du « avoir tort », « avoir raison », mais dans celui de la qualité de l’amour que l’on veut offrir à (et recevoir de) l’autre. Il y a des couples qui se contentent d’un amour Eros à deux, où chacun consomme l’autre pour ce qu’il lui apporte : ça ne dure pas longtemps (2 à 5 ans en gros). Il y a des couples où un projet – par exemple de fondation d’un foyer – donne plus d’ampleur à leur amour, mais qui se séparent après 10 à 20 ans de mariage, quand la réalisation effective du projet ne semble plus exiger le même engagement dans la durée.

A mon – humble – avis, je préférerais vérifier que l’amour que je donne et reçois comporte toutes les dimensions d’un amour 3 étoiles, c’est à dire avec Eros, Philia et Agapè, pour ne serait-ce que commencer une relation amoureuse.

En faisant le contraire, en pensant que l’amour passionnel, le sentiment amoureux seul est suffisamment fort pour fonder le couple, beaucoup s’abîment le cœur.

Lui : Donc il ne faut pas croire en aucun de ses sentiments.

Le prêtre : Je n’ai pas dit cela, puisque l’Eros fait partie de l’amour. Mais il a besoin d’être régulé par les 2 autres formes d’amour.

Par exemple, puisque tu veux du concret : un gars follement amoureux d’une fille, à la limite, si son sentiment amoureux n’est pas régulé, il pourrait en arriver à l’avoir pour lui de force (viol), voire à la tuer par jalousie plutôt que de la laisser à un autre. Moins dramatiquement, il pourrait négliger voire piétiner ses projets à elle, pour l’avoir tout le temps avec lui et pour lui.

Au contraire, si la Philia régule l’Eros, il pourra comprendre la nécessité d’attendre que l’autre soit prête, envisager non pas l’autre comme un bien à conquérir, mais voir avec l’autre le bien qu’ils peuvent faire ensemble. Si l’Agapè régule le tout, il pourra laisser l’autre vraiment libre de lui répondre oui ou non, acceptant d’avance la réponse, quelle qu’elle soit.

Lui : Hum, ça ne répond pas trop à ma question, mais bon, je m’en contenterai.

Le prêtre : @ plus !

Lui : @ +

 

Conversation avec une lycéenne…

Ci-dessous, la mise en forme d’une discussion en ligne sur facebook, hier soir tard, avec une lycéenne…

 

Elle : ça va ? tu vis toujours ton petit train-train de prêtre surmené ?

Le prêtre : C’est en rapport à mon dernier message sur facebook ? En réalité, on peut être surmené avec peu de choses que l’on fait dans le stress, et en faire beaucoup paisiblement et joyeusement, ce qui était tout à fait le cas lundi…

Elle : Tant mieux, et pour le stress tout est question d’organisation.

Le prêtre : Oui, mais pas que ça… Il y a des jours où je mets davantage en pratique ce que traditionnellement on appelle la « sentence ignatienne de l’action », la règle de Saint Ignace de Loyola pour une action fermement décidée, et pourtant accomplie dans la confiance, la paix et la joie…

Elle : Donc en fait, pour faire la même chose, tu vas y mettre plus de cœur et d’énergie ?

Le prêtre : Oui, de manière personnelle, engagée, et en même temps plus… décontractée, en ayant humblement conscience que ce n’est pas moi le Maître de l’histoire…

Elle : Mais comment on agit en étant le maître de l’histoire ?

Le prêtre : La règle ignatienne de l’action est en latin celle-ci (je te donnerai ensuite la traduction en français, si cela t’intéresse) :

« Sic Deo fide, quasi rerum successus omnis a te, nihil a Deo penderet ;
ita tamen iis operam omnem admove, quasi tu nihil, Deus omnia solus sit facturus
. »

Elle : Oui ça m’intéresse car j’ai beau avoir fait du latin au collège, mes souvenirs et connaissances sont vagues.

Le prêtre :

« Aie foi en Dieu comme si le succès de tes œuvres dépendait en tout de toi, et en rien de Dieu ;
de même cependant, efforce-toi d’agir en tout comme si Dieu seul devait tout faire, et toi rien. »

Elle : Pourquoi dans la Bible, ils disent toujours dans un sens puis l’inverse ? en fait la 1ère version me convient ; la 2ème, je ne la comprend pas.

Le prêtre : C’est la vie qui est paradoxale. La première formule dit que la foi ne déresponsabilise pas l’homme de ses décisions et des actes qu’il doit poser. La seconde dit qu’une fois décidée, l’action doit être menée avec la décontraction de celui qui sait que c’est Dieu seul le Maître de l’histoire, et que succès ou échec, il fait tout contribuer au bien de ceux qu’il aime.

Elle : Ok merci c’est plus clair. En gros, il faut avoir conscience des autres lorsqu’on agit ? et non pour son propre intérêt ?

Le prêtre : Ce n’est pas tout à fait la question. Le problème est que l’on fait souvent l’inverse de ces 2 règles : avoir foi en Dieu comme en attendant qu’il fasse un miracle ; et inversement, quand on agit, se mettre la pression, en faisant comme si tout ne dépendait que de soi, en étant incapable d’accueillir l’échec.

Elle : Ok la 1ère règle, ça ne me concerne pas ; la 2ème si, mais comment accepter certains échecs si on est mal vu après… ? est-ce qu’on n’accepte pas l’effort lorsqu’on est déçu de notre travail et qu’après on travaille plus pour y arriver, même si on met la barre haute ?

Le prêtre : Les 2 règles ont toutes deux un rapport avec la foi (fides, qui signifie aussi confiance et fidélité). La 2ème signifie que c’est Dieu seul qui est Dieu, et qu’il y a une prétention cachée à se prendre pour Dieu, dans la manière dont nous entreprenons nos meilleures actions. Il s’agit de se décider librement, en prenant nos responsabilités (règle 1), puis de mettre en oeuvre la décision prise, en étant « détaché », en se rendant indifférent au résultat, le laissant à Dieu seul. Ce n’est pas non plus que l’on s’en fiche, puisque l’on a décidé l’action en âme et conscience, mais la mise en oeuvre est… confiante et donc décontractée.

Elle : Ok c’est une belle philosophie, mais pour moi je crois que c’est irréalisable : je stresse trop, car c’est pas que j’ai peur de rater, car je recommence, mais je veux obtenir le mieux en me donnant à fond. Enfin, moi je veux surtout savoir si c’est égoïste comme comportement, car pour moi maintenant, ça va peut être pas te plaire : la religion, c’est une belle chose, car ça aide à cadrer l’esprit, mais pour moi la notion de Dieu est irréelle.

Le prêtre : Je peux comprendre que tu le vois ainsi, puisqu’il en était de même pour moi jusqu’à l’âge de 20 ans. Ce qui a fait la différence à 20 ans, c’est qu’en scientifique se soumettant aux faits, j’ai eu la chance de rencontrer des croyants tout aussi scientifiques que moi, et dont le témoignage, la manière de vivre en cohérence avec leur foi, ne m’a pas fait interpréter leur foi comme une illusion, mais plutôt ma non-foi de l’époque comme un manque d’attention à la réalité la plus profonde.

Elle : Non mais si tu veux moi, je crois en l’homme et pas en une force supérieure.

Le prêtre : Et il est presque… normal qu’il en soit ainsi quand on a 17 ans, c’est à dire quand on est en plein dévoilement de ses talents, de toutes ses potentialités, quand on n’a pas vraiment fait l’expérience de ses limites.

Elle : Je ne sais pas si je changerai d’avis car moi quand j’étais petite j’y croyais ; et puis pour moi je trouve la Bible géniale, car elle donne un peu de morale à ce monde, mais pour moi elle a juste été écrite par des gens remplis de bon sens.

Le prêtre : La Bible a effectivement été écrite par des hommes, mais à partir d’une expérience qui implique une rencontre, une altérité, un dépassement de la solitude de fond que l’homme, même le plus aimé, le plus entouré, éprouve du fait de sa place dans l’univers. Nous ne sommes pas musulmans, dont la foi affirme que Dieu a dicté le texte même du Coran. Pour nous la Bible est un recueil d’expériences humaines de la présence d’un autre au coeur même de ce qu’il y a de plus humain : l’amour, la fraternité – parfois difficile -, la guerre, le succès, la défaite, la mort…

Elle : Oui, alors pourquoi parler de dieu ?

Le prêtre : Parce qu’être lucide sur ces expériences nous fait dire que l’homme n’y est pas tout seul. Quand un homme et une femme s’aiment profondément, ce n’est pas que le résultat de leur séduction réciproque, de leur bonne éducation, des concessions qu’ils ont pu se faire… Il y a au contraire un don, un émerveillement sur un au-delà de tout ce « faire » humain, nécessaire, mais en même temps bien incapable de « produire » l’amour.
Idem pour ce qui vient au coeur de parents lorsqu’ils mettent au monde un enfant.
Idem, dans cette paix paradoxale qui peut habiter le coeur de l’homme alors même qu’il est confronté au scandale du mal, au désespoir…

Elle : Je ne sais pas si j’ai bien tout compris : l’homme ne peut pas avoir de réelle émotion comme l’amour sans dieu ?

Le prêtre : Ce n’est pas ce que j’ai dit. Ce que je dis, c’est qu’en tout amour, même entre non croyants, il y a du sacré, de l’au-delà de l’humain, du don.

Elle : Ok, désolé, je cherchais juste à bien comprendre ce que tu disais. Donc : ce don, cet extraordinaire, c’est une émotion tellement forte qu’elle doit venir d’autre part que de l’homme ?

Le prêtre : Des non-croyants sont même capables de reconnaître ce don, cet extraordinaire que l’homme ne produit pas, mais sans y voir un donateur. Le fait qu’il y ait du merveilleux, de la profondeur, du mystère dans la vie humaine leur suffit. Pas à moi.

Elle : Ok moi j’explique ça par la féérie ! lol

Le prêtre : C’est ta manière de dire qu’il n’y a pas d’explication !

Elle : Plus ou moins.

Le prêtre : Mais il y a d’autres approches que celle du don ou de l’extraordinaire, pour évoquer… Dieu. Ce peut être aussi le contraire de l’extraordinaire : l’expérience de l’insatisfaction qui nous habite, nous êtres humains, le fait que rien ne puisse combler ce manque inscrit au coeur de l’homme, désir infini de bonheur, soif de reconnaissance, besoin insatiable d’amour… Soit on reste dans ce que la Bible appelle « idolâtrie » : l’illusion qu’une réalité de ce monde ait le pouvoir de combler ce manque ; soit c’est la course d’objet en objet qui nous distrait temporairement de ce manque ; soit c’est l’homme qui est bancal, et une forme de sagesse consiste à consentir à cet état de fait ; soit ce manque désigne une réalité certes manquante, mais existante, et la vocation de l’homme est de la rechercher, de la reconnaître et d’y communier. Je penche pour la dernière, la plus cohérente.

Elle : Ok, donc chacun la sienne : moi je me vois bien vivre parmi les fées !
bon je suis fatiguée je vais au lit, d’où le monde des rêves, idéal propre à chacun…

Le prêtre : Bonne nuit avec les fées !

Elle : Oui en ce moment, c’est plutôt des textes de français et des définitions de SVT ! lol

Le prêtre : Joie ! Content en tout cas de ce petit temps spi avec toi !

 

A propos de Harry Potter…

En réponse à une de mes filleules me demandant si j’ai lu Harry Potter et ce que je pense de l’avis critique du pape sur le phénomène…

Eh oui, j’ai lu HP7 (moins de 2 semaines après sa parution en anglais). Et c’est l’un de mes préférés, tout particulièrement à la fin quand se dévoile – enfin – le personnage de Severus Rogue. C’est bizarre, mais j’ai toujours préféré les tomes impairs (surtout les 1, 3 et 7), plein de rebondissements, de personnages complexes, avec au contraire dans les tomes pairs une action trop lente (t.2), trop linéaire ou prévisible (t.2,4) ou à l’inverse trop obscure (t.6).

Concernant « l’avis du pape », en réalité il s’agit d’un avis qu’il a donné en 2003 alors qu’il « n’était que » cardinal Ratzinger, et qu’il n’impliquait pas toute Eglise, ou du moins pas autant que depuis qu’il est pape. Joseph Ratzinger a de fait critiqué HP à propos de l’usage de la magie ou de l’occultisme qu’on y trouve, dans une lettre de mars 2003 adressée à une allemande, Gabriele Kuby, qui lui avait envoyé le livre qu’elle avait écrit contre le phénomène HP.

Je crois que cet avis – dont l’excès est certainement dû au fait que J.Ratzinger n’a probablement pas lu HP – peut malgré tout être entendu au même titre que ce que l’on doit entendre au sujet des jeux vidéos. La grande majorité de ceux qui les pratiquent font la différence entre le virtuel et le réel. Et s’ils peuvent se passionner pour un jeu, ils n’en préfèrent pas moins revenir au monde réel. Ceci dit, il y a des déséquilibrés qui en deviennent à ce point fan qu’on les appelle – dans le jargon – des « no life », qui s’enferment dans tel ou tel jeu et se déconnectent de la réalité qui leur paraît fade en contrecoup. Pire, il y en a qui rêvent de mettre en oeuvre dans la réalité ce qui n’est en fait qu’artifice en vue d’une « distraction » (conduire des bolides, tirer sur des gens…). Pour ces déséquilibrés, une critique peut être utile.

En ce qui concerne Harry Potter, la magie n’est ici qu’un moyen littéraire, un décor, et l’immense majorité des lecteurs distingue bien cela de la réalité. Mais une critique est d’autant plus nécessaire que la pratique de la magie (noire) existe, avec des rites proches de ce que l’on trouve à la fin du tome 4, avec des intentions identiques à celle des Mangemorts : volonté de puissance, recherche du mal pour le mal, lien avec la mort, satanisme… Ce n’est pas qu’une fiction ! J’avoue que cette fin du tome 4 m’a dérangé, ainsi que la fin du tome 6 – toujours des tomes pairs !

Hormis cela, l’intrigue des HP m’a plu, mais en tant que distraction, en tant qu’énigme à résoudre avec des indices bien parsemés. La série des HP n’a cependant pas la profondeur symbolique, psychologique et spirituelle du « Seigneur des Anneaux », du « Lord of the Rings » qu’il faut lire si possible en anglais – et pas seulement voir en DVD même si ceux-ci sont particulièrement fidèles, parce que non seulement c’est un chef d’oeuvre de littérature, mais surtout parce que cela fait grandir ses lecteurs. On y admire l’héroïsme, la grandeur, la beauté, la bonté possibles, au coeur de vies ordinaires, celles d’hommes, de hobbits… sans autres pouvoirs que celui de donner leur vie. A ceux-là, nous pouvons nous identifier. Le Seigneur des Anneaux était l’un des livres de chevet du plus grand intellectuel catholique du XXème siècle, le théologien suisse allemand Hans Urs von Balthasar.

Il faut bien que cette vie humaine, cette vie ordinaire de « sang-de-bourbe » ait bien de la valeur pour que Dieu ait choisi de la vivre, en choisissant de n’être connu pendant 30 ans que comme le fils de Joseph le charpentier. Que l’Enfant de la Crèche te garde dans l’émerveillement devant la vraie magie de cette vie-là : il nous est possible d’y devenir enfants de Dieu !

Réactions au motu proprio du 7/7/07

Voici quelques réflexions provisoires sur le motu proprio Summorum Pontificum du pape Benoît XVI, qui suscite bien des prises de positions…

(1) Tout d’abord, il s’agit d’une affaire de posture à l’égard du Magistère de l’Eglise : même si la position du Magistère dérange, et surtout si celle-ci dérange, il s’agit de réfléchir à partir d’elle pour s’élever plus haut, mais dans la direction qu’elle indique, plutôt que contre elle. C’est affaire de « sauver la proposition de l’autre », en particulier quand cet autre s’appelle Joseph Ratzinger, théologien profond (cf. La foi chrétienne, hier et aujourd’hui) et fin liturge (cf. l’Esprit de la liturgie), mais surtout avec cette foi typiquement catholique dans l’assistance particulière de l’Esprit Saint donnée au pape chargé du gouvernement de l’Eglise. Dans un devoir de séminaire, je m’y étais exercé sur le sujet de la non communion des divorcés-remariés, un sujet de désaccord fréquent avec le Magistère, à partir justement d’un texte écrit par le cardinal Ratzinger.

(2) Il y a certes des excités intégristes qui refusent le concile de Vatican II dans ses ouvertures les plus profondes : compréhension de l’Eglise comme peuple de Dieu, corps du Christ, temple de l’Esprit, et non premièrement comme institution hiérarchisée ; place de l’Eglise dans le monde comme sacrement de salut plutôt que Royaume réalisé ou société parfaite ; oecuménisme, liberté religieuse et droits de l’homme ; dialogue interreligieux ; rapport entre Ecriture et tradition… Mais cela n’autorise pas à faire un procès d’intention à ceux qui, traditionnalistes, demandent la messe « dos au peuple », et qui ne partagent pas forcément les idées intégristes. Certains diront à juste titre qu’une manière de célébrer induit, ou sous-tend une manière de penser et de croire : Lex orandi, lex credendi. Eh bien, en quoi la messe de rite ancien est-elle théologiquement contraire à la foi de l’Eglise, et à l’esprit du concile de Vatican II ? Dira-t-on alors que les générations de saints qui s’en sont nourris, ont été leurré par une messe « fausse » ? Avec un peu de provocation, on pourrait même affirmer qu’en faisant abstraction de quelques points effectivement réformables (latin, distance du prêtre par rapport à l’assemblée, passivité des fidèles…), la position du prêtre dans ce rite, dite péjorativement « dos au peuple », où le prêtre est en fait tourné avec le peuple dans la même direction, est davantage conforme à l’ecclesiologie de Vatican II, où le prêtre, certes avec un rôle différentié pour signifier un des modes de présence du Christ, est d’abord là en tant que membre du peuple de Dieu. C’est d’ailleurs le cas à la basilique souterraine de Lourdes, ou dans des églises contemporaines, où l’assemblée est placée à l’extérieur d’un U ou d’un O, et l’autel au centre : tous regardent non pas le prêtre, mais plus haut que lui. Il n’est alors pas gênant, au contraire, que certains soient derrière lui, d’autres devant ou à côté… Dans la liturgie rénovée, le prêtre exclusivement en vis à vis de l’assemblée, pourrait faire figure de pur alter Christus – et cela correspond davantage à la vision du concile de Trente -, avec en plus le risque de sé-duction, de cabotinage… Ces propos sont bien sûr exagérés, car comme l’indique le motu proprio, les deux formes du rite, ancien et nouveau, « ces deux expressions de la « lex orandi » de l’Église n’induisent aucune division de la « lex credendi » de l’Église » (Art.1)

(3) Il y a (eu) aussi d’autres excités, qu’on serait indulgent d’appeler des intégristes-de-Vatican-II, de par une interprétation du concile de Vatican II qui fait fi non seulement de la lettre mais de l’esprit des textes conciliaires, aboutissant à des pratiques liturgiques aplatissant le mystère de la messe. Par exemple, la participation active (en fait « actuosa« , i.e. « en acte ») demandée par Sacrosanctum concilium ne coïncide pas forcément avec le fait de faire chanter, parler, bouger, gestuer le plus de monde… Je participe aussi à cet aplatissement qui peut fait perdre le sens du mystère de l’Eucharistie, qui peut empêcher les fidèles d’y voir la présence réelle du Christ s’invitant parmi les hommes, en m’autorisant à faire de la liturgie une affaire de créativité ecclésiale, de spectacle, alors que c’est d’abord l’Eucharistie – reçue du Christ, transmise par l’Eglise – qui constitue cette dernière, et non pas premièrement l’Eglise qui fait l’Eucharistie. C’est ce que Benoît XVI rappelle dans Ecclesia de Eucharistia.

(4) A l’égard du latin, qui n’est pas de mon goût parce qu’il empêche d’accueillir le mystère eucharistique avec toute notre intelligence, je ne suis malgré tout pas convaincu par le motif invoqué que le latin doit être banni parce qu’il serait incompréhensible ou irrecevable par le monde actuel, car la compréhension d’un sacrement est d’ordre symbolique et non premièrement intellectuelle. On n’a pas à expliquer un symbole, mais à se laisser entraîner ailleurs par lui. C’est ce qui se passe par exemple à Taizé, ce lieu profondément oecuménique, le contraire d’un lieu intégriste, où une ambiance, des chants ruminés (parfois en latin) induisent une entrée en intériorité… L’argument sur l’irrecevabilité du latin méconnaît aussi le caractère profondément irrecevable de l’Eucharistie, son extériorité à notre égard, le fait qu’il nous faut une parole autre pour nous la rendre accessible : « Seigneur, je ne suis pas digne de te recevoir, mais dis seulement une parole et je serai guéri ». Le concile de Vatican II n’a d’ailleurs pas invité à supprimer le latin, reconnaissant par exemple comme « chant propre de la liturgie romaine » le chant grégorien qui « toutes choses égales par ailleurs, doit occuper la première place » (SC n°116) !

(5) Comment parler d’ouverture au monde, de dialogue, de respect de la différence, d’accueil de l’autre, quand on n’est pas capable de le vivre entre catholiques, quand la position de cet autre-catholique qu’est le traditionaliste est suspectée d’intégrisme, d’idéologie dangereuse et qu’on n’est plus capable d’entendre ce qu’il a à dire, que l’on rejette a priori tout ce qui pourrait venir de lui, y compris de légitime. C’est plutôt dans cette fermeture là qu’il faut parler d’idéologie… La remarque s’applique évidemment aux « durs » de tous bords.

(6) Je ne vois donc pas pourquoi contester la position du Magistère, et refuse par principe de le faire. Je vois cependant des difficultés pratiques à mettre en oeuvre le motu proprio en France. En effet, celui-ci s’applique soit aux « messes célébrées sans peuple » (Art.2) auxquelles cependant peuvent « être admis, en observant les règles du droit, des fidèles qui le demandent spontanément » (Art.4), soit « dans les paroisses où il existe un groupe stable de fidèles attachés à la tradition liturgique antérieure. » (Art. 5.1). Or, il n’est pas prouvé qu’il existe en Aveyron, au niveau d’une paroisse – et non pas seulement au niveau du diocèse – un tel « groupe stable » suffisamment conséquent pour qu’une messe soit célébrée spécialement avec eux. Surtout dans le contexte français, et tout particulièrement celui d’un diocèse rural, où la dispersion des fidèles conduit à les rassembler en des assemblées plus significatives – et donc à supprimer des messes dans des lieux peu fréquentés. L’application du motu proprio semble donc concerner davantage les grandes villes. En ce qui me concerne, en tout cas, je ne sais pas célébrer dans le rite ancien, et n’y ai pas de goût particulier, mais comprendrais mal qu’un prêtre qui pourrait rendre ce service à une communauté suffisamment conséquente ne le fasse pas par refus de principe à l’égard de la position du pape.

A propos des propos de Benoît XVI

Samedi dernier, nous avons eu une rencontre interreligieuse particulièrement bienvenue, avec notamment la présence de plusieurs membres représentants de la communauté musulmane de Rodez. Près de cinq années de dialogue ont tissé entre participants musulmans et chrétiens – catholiques et protestants – des liens de fraternité et de respect. Nous avons donc pu partager posément et fraternellement sur les propos de Benoît XVI, mardi 12 septembre à Ratisbonne, et sur la polémique qui a suivi.

J’avais émis l’idée que la réaction violente de musulmans à des propos évoquant un lien possible entre Islam et violence, pouvait attester la pertinence même des propos (voire des caricatures) sur cette violence.

Un participant (non musulman, mais baha’i) avait alors répondu qu’il ne fallait pas reprocher à une bombe d’exploser, mais condamner plutôt celui qui l’a allumée, en l’occurrence le pape Benoît XVI.

Il me semble que le problème est plutôt le fait qu’il puisse y avoir une bombe : une bombe dont on doit taire l’existence de peur qu’elle n’explose ; une bombe telle qu’à son propos, penser (sous régime islamique pur), parler (en pays à majorité musulmane), dessiner ou écrire (n’importe où) revient à l’allumer.

Un autre participant (catholique) avait indiqué que l’Eglise aurait pu aussi bien rappeler que son histoire n’est pas exempte de violences commises au nom de la diffusion de sa foi.

En réalité, ce rappel a été fait : ce furent les nombreuses démarches de repentance accomplies par l’Eglise catholique avant le Jubilé de 2000 ans de christianisme. Cette reconnaissance publique de nos infidélités historiques à l’Evangile, témoigne justement que si de fait il y a eu de telles pratiques (croisades, inquisition, dragonnades…), en droit, on ne peut se réclamer du Dieu de Jésus-Christ pour commettre ces violences. Inversement, si de fait, la grande majorité des musulmans pratique sa religion dans la paix et le respect des autres religions, peut-on dire qu’en droit cette violence est contraire à la foi de l’Islam, contraire au Coran, qu’il s’agisse de violence sanglante (guerre sainte, esclavage en Afrique, razzias en Méditerranée, génocide arménien…), ou de violence plus soft liée au statut de dhimmitude des chrétiens et des juifs en terre d’Islam ? Il ne s’agit pas seulement de dire que des persécutions religieuses sont aujourd’hui davantage commises par des régimes islamistes ou des pays majoritairement musulmans (Soudan, Pakistan…), car la position de Poutine sur la Tchétchénie, ou de Bush sur la Palestine ou l’Irak pourraient être interprétées pareillement. La question de fond est en réalité celle sur ce qu’autorise ou non la foi : chrétienne (récusant à la fois Poutine et Bush comme agissant à l’inverse de l’Evangile) et musulmane (à propos du ‘Djihad’).

Voici alors quelques liens que j’ai trouvé pertinents :

– Le texte de la conférence de Benoît XVI, qu’il serait malhonnête de critiquer sans l’avoir lu, en version originale allemande, en traduction officielle anglaise ou française. La citation (de l’empereur byzantin Manuel II Paléologue) qui cause la réaction violente du monde musulman se trouve au milieu du 3ème paragraphe. « Montre moi ce que Mahomet a apporté de nouveau et tu ne trouveras que du mauvais et de l’inhumain comme ceci, qu’il a prescrit de répandre par l’épée la foi qu’il prêchait » Telle quelle, on peut comprendre que cette citation fasse réagir les musulmans. Mais : (1) Benoît XVI s’étonne lui-même dans sa conférence de la virulence de cette citation, et celle-ci ne peut donc être considérée comme reflétant sa position ; (2) la violence n’est pas justifiée, même pour réagir à un propos contraire à sa foi. Pour lire cette citation dans son contexte, il faudrait au minimum lire les 2ème, 3ème et 4ème paragraphes. Alors, de manière bien plus interpellante que la citation incriminée, ces paragraphes invitent à une réflexion de fond, sur le rapport entre la foi en un Dieu de pure transcendance, l’usage de la raison humaine pour l’accueillir, et celui de la violence pour la diffuser. De fait, l’interpellation est plus forte pour l’Islam. Qu’y a-t-il à redire ?

– Comme réaction raisonnable à une position contraire à sa foi, Benoît XVI donne lui-même un exemple chrétien à la fin du 1er paragraphe de sa conférence. Un bel exemple musulman de réaction raisonnable est la position de Mohand Halili, recteur de la mosquée d’Aix à Marseille, entendue samedi 17 septembre sur France-Info.

– Voici enfin un article portant sur le fond du débat, au risque peut-être de prolonger la polémique.

Sur la confiance (suite)…

PAUL     Comment trouver les ressources pour ne jamais se décourager ou faire face ?

JEAN    Je viens de lire le livre que les jésuites ont lu à l’occasion des repas des retraites ignatiennes qu’ils donnent à Rodez ; un livre de Claire Ly, « Revenue de l’enfer« . Un excellent remède contre le découragement, à partir de son expérience d’immersion dans le génocide cambodgien….

PAUL     Comment trouver du sens aux épreuves que l’on vit, sans en vouloir un peu à Dieu de ne pas être plus présent ?

JEAN    Lis donc ce livre ! Sur les prophètes de l’Ancien Testament, j’ai découvert que ce qui fait « l’homme de Dieu », ce n’est pas tant de trouver en sa foi une réponse à ses problèmes existentiels, mais de se confronter à ces problèmes avec Quelqu’un, voire de se confronter avec Quelqu’un à l’occasion de ces problèmes, quitte à l’engueuler, à lui adresser des prières mal fichues, et même inacceptables. La foi, c’est de toujours rester en relation. C’est ce dont témoigne cette Claire Ly, bouddhiste à l’époque du génocide, dans ses reproches au « dieu des occidentaux », qu’elle prend à témoin de sa tragédie, qu’elle engueule, et dont le dialogue intérieur avec lui aboutit à une révélation du Dieu vivant, créateur, sauveur…

PAUL     Ce qui est difficile en fait, c’est de tenir sans finalement voir de « différence », sans que la prière apporte quelque chose, de tenir sans se décourager, d’encaisser tout en restant « confiant ».

JEAN    Que veux-tu que la prière t’apporte ? un confort, un mieux-être, un encouragement, une paix etc… Toutes choses bonnes qu’il faut demander en préambule à ta prière, ne serait-ce que pour être sincère avec Dieu. Mais il me semble qu’il faille aller au-delà, en déposant tes besoins et attentes légitimes au pied du Seigneur en lui faisant assez confiance pour s’en charger, et les oublier un moment pour prêter davantage attention à Dieu lui-même tel que l’Evangile le révèle. Ce « détour » par Dieu est fécond, je peux en témoigner. Il décentre de soi, élargit le regard, ouvre des perspectives, et sans détourner de l’épreuve vécue, fait découvrir quelque chose de finalement plus profond que l’épreuve, et qui est de l’ordre de l’amour.

PAUL     Ce n’est pas évident de se décentrer. Dieu ne peut pas aider à se décentrer ? N’est-ce pas lui qui « t’attire vers lui »?

JEAN    Il n’y a pas mieux que Dieu pour te décentrer de toi. Soit parce qu’il te donne directement cette consolation (« La grâce serait de s’oublier… » Bernanos), soit plus laborieusement, en considérant ce que Dieu est Lui-même, infini, éternel, saint, maître de l’histoire, etc… en prenant le temps de ce qu’on appelle la « louange », l' »adoration »… l’admiration devant plus grand que tout, tu peux relativiser ta manière de voir ce que tu vis à l’aune de son regard à Lui, qui voit plus loin que toi. Pour qui partage la foi – juive et chrétienne – d’un Dieu qui veut rencontrer l’homme, qui lui promet sa propre Vie en partage, prendre au sérieux cette promesse permet aussi de regarder les aléas de notre existence comme étapes – pas toujours compréhensibles – mais étapes quand même, vers la réalisation de cette promesse. C’est d’ailleurs le sens de la fête de l’Assomption : la joie du Magnificat de Marie EST notre avenir.

PAUL     ???

JEAN     Dans la vie spirituelle, il faut s’être fourvoyé pas mal de fois – introspection stérile, culpabilité morbide, égocentrisme, attention excessive à sa réussite, activisme, négligence de la prière – , pour que les choses apparaissent progressivement plus simplement. C’est loin d’être gagné… Le Magnificat comporte bizarrement des formules au présent : « Il disperse les superbes. Il renverse les puissants de leur trône. ll comble de biens les affamés… » qui apparemment ne collent pas à la réalité. Mais parce que c’est cela qui est promis, et qui se réalisera, il y a une manière de porter son regard sur cette réalisation promise, qui donne non seulement le courage de supporter ce qui s’en écarte encore, mais de vivre et d’agir en fonction de cette certitude, d’anticiper sur cette réalisation par des actes, dérisoires en eux-mêmes à l’échelle de l’histoire, mais qui témoignent de l’avenir. Un peu comme ces 4 jours de service et de joie avec les jeunes de l’Hospitalité à Lourdes, au service des malades, une parenthèse « illusoire », et pourtant plus proche de la réalité pour laquelle nous sommes promis, plus proche que ce que l’on vit au jour le jour.

Conversation sur la vocation

En lien avec la journée mondiale de prière pour les vocations, voici une conversation (fictive) rédigée à partir de (vraies) questions posées sur MSN et poursuivie dans le fil des commentaires. Pour les collégiens, voir aussi ici ; pour les lycéens et étudiants, voir aussi .

PAUL – Mon Père, éclairez moi… J’ai une question à vous poser….

JEAN – …

PAUL – Que vais-je devenir ?

JEAN – ???

PAUL – Je ne sais pas ce que je veux faire… et il faut que je prenne une décision…

JEAN – Le choix t’appartient, et si ta décision est prise dans un climat de liberté et de confiance, ta volonté sera celle de Dieu. Deux questions peuvent alors t’éclairer pour discerner si une voie te convient, parmi les multiples qui te conviendraient aussi : (1) y seras-tu heureux ? (2) y feras-tu du bien ?

PAUL – Comment puis-je le savoir ?

JEAN – Répondre à ces deux questions passe par la connaissance que tu acquiers de toi-même à travers [a] les expériences que tu as pu faire, en particulier dans le même registre que celui de la voie que tu choisis – t’être occupé de telle personne âgée de ton entourage, s’il s’agit de discerner une voie dans le médical, avoir fait du soutien scolaire, s’il s’agit d’une voie dans l’éducatif etc… – [b] le retour que t’en donnent ceux qui t’entourent, et qui te connaissent souvent mieux que toi-même… Quel bonheur, quel bien reçus ou donnés… ?

PAUL – Est-ce qu’un voyage, une mission auprès des plus pauvres aiderait au discernement ?

JEAN – Un voyage vaut encore plus le coup s’il est sous-tendu par un projet déjà vérifié à petite échelle, plutôt que pour évaluer l’intérêt d’une voie à partir de rien. Le fait de partir, le dépaysement apporte un plus, certes, en obligeant à aller au bout de soi-même, en révélant des talents peut-être ignorés, mais il ne peut en lui-même indiquer ce qui pourrait être ta vocation et qui aura à se vivre dans la vie ordinaire. Aussi, il y a déjà un premier discernement à faire sur ce qui t’anime, à partir de ce que tu vis déjà ordinairement, et dont une mission, un voyage, une année de service exceptionnel servira à vérifier la profondeur. La vie des saints est assez éclairante à ce sujet. Des saints comme Ignace de Loyola, Charles de Foucauld ont souvent cherché leur voie dans l’héroïsme ou dans une voie extraordinaire. Et ils y ont renoncé, pour revenir à l’ordinaire et y devenir saints… Alors entre partir dans une mission lointaine auprès des plus pauvres, et rester auprès des siens, le choix n’est pas simple : il n’y a pas de réponse absolue, qui ferait dire que partir est bon – ou à l’inverse que rester est bon. C’est à toi de le vérifier, en envisageant sereinement chaque option, et en mesurant intérieurement celle qui t’apporte le plus de paix et de joie. Une précision cependant : il n’y a pas à opposer la recherche du bonheur, de ton bonheur, et la réalisation du plus grand bien, parce que les deux se confondent. Mais il arrive que l’on prenne pour un bien supérieur ce qui n’en a que l’apparence, parce qu’il se présente comme plus héroïque ou exigeant. Le bonheur, avec la paix et la joie qui l’accompagnent coïncide avec le fait d’être à sa juste place. Toujours ces deux critères : être heureux, faire le bien.

PAUL – Comment pourrais-je vérifier que mon choix est le bon ?

JEAN – Il faudrait que je retrouve quelques textes issus de la tradition ignatienne, qui donnent des indications pratiques sur la manière de discerner… Mais en gros, cela part de la première expérience spirituelle de Saint Ignace qui sur son lit de soldat en convalescence, se faisait des films dans sa tête en imaginant soit (1) ce qu’il ferait s’il gagnait tel combat, s’il séduisait telle princesse etc… soit (2) ce qu’il ferait s’il suivait la voie de tel ou tel saint. Les ‘films’ de type (1) le mettaient en joie quand il y pensait mais le laissaient dans une sorte de tristesse ou d’abattement lorsqu’il revenait à la réalité, tandis que les ‘films’ de type (2) le gardaient dans la joie pendant et après le travail de son imagination, même une fois revenu à la réalité. De là il a déduit différentes règles pratiques pour vérifier intérieurement si telle ou telle voie est ou non inspirée par le Seigneur, ou au contraire représente une tentation que l’Adversaire met sur notre route pour nous faire dévier de notre vraie vocation…. Si le fait d’envisager intérieurement telle option du choix, de l’imaginer, te laisse en paix une fois revenu au réel, et même t’aide à vivre plus heureusement et plus courageusement la réalité présente, même si elle est encore différente de ce que tu projettes de faire – c’est que tu es sur la bonne voie.

PAUL – Est-ce qu’il n’y a qu’une seule « bonne voie » ?

JEAN – Je ne pense pas qu’il y ait une seule réponse à la question de la vocation, car je ne crois pas que l’on soit prédestiné à une voie, comme si Dieu avait préécrit ce que nous devions faire, ou comme si l’on pouvait déterminer objectivement ce pour quoi quelqu’un est fait. C’est un peu comme dans l’amour : ce n’est pas quelqu’un de l’extérieur qui peut dire si deux personnes sont faites l’une pour l’autre, car c’est à elles de le dire ; mieux, c’est à elles de le décider ! Car la vocation est autant affaire de se laisser attirer par une voie (parmi plusieurs qui conviendraient aussi), que de la choisir, de la préférer aux autres voies. D’où ces quelques recommandations : garder ouverte la question de ta vocation ; te réjouir de te poser cette question – signe que tu prends la vie au sérieux, et que tu ne te contentes pas de vivre au jour le jour ; avoir assez confiance en Dieu pour croire qu’il saura bien mettre sur ton chemin les personnes et les événements pour t’aider à choisir la manière dont tu voudras aimer au maximum de toi-même ; faire une relecture chaque jour des occasions d’éprouver l’amour de Dieu et de tes décisions d’aimer en retour, qui procurent les plus grandes joies, à toi et aux autres ; ne pas y réfléchir seul, mais accepter d’en parler à un vis à vis, à un accompagnateur qui par son écoute, t’aidera à une relecture plus objective de ce qui t’anime.

PAUL – C’est alors à moi de décider, de choisir cette voie parmi d’autres bonnes voies possibles ?

JEAN – Oui. A ce titre, il n’y a pas de grandes et de petites décisions. Bien sûr, devenir prêtre, s’engager dans la vie religieuse ou se marier et fonder une famille représente une décision majeure dans une vie, et qui pourrait induire un certain stress, du fait de l’incertitude et de l’enjeu ; mais en réalité, une telle décision est prise sans inquiétude et presque naturellement, si elle est préparée par l’habitude de prendre ordinairement des décisions, grandes ou petites, qui vont dans le sens de la joie et de la paix évoquée ci-dessus… Par exemple, un jeune pour qui l’Eucharistie devient progressivement indispensable, qui choisit de lui consacrer du temps en semaine, parce qu’il a vérifié que c’était un chemin de vie… quelqu’un pour qui trouve sa joie à partager sa foi, avec ce que cela suppose de réflexion préalable sur cette foi, d’attention aux attentes des hommes, ce jeune peut envisager avec une certaine liberté intérieure une vocation sacerdotale. De même quelqu’un qui vérifierait au quotidien sa joie d’être auprès des malades pourrait envisager une vocation dans ce domaine, ou la vocation religieuse pour quelqu’un qui découvre concrètement la prière comme ouverture à l’absolu de Dieu qui seul suffit…

PAUL – Parfois j’essaie de faire le « bilan » de la journée et de le remercier pour celle-ci, mais ce n’est pas toujours évident. Comment je pourrais m’y prendre ?

JEAN – Une attention pratique aux joies quotidiennes et à leur origine peut déjà être un exercice spirituel suffisant pour le moment. On en reparle bientôt. D’accord ?