Parce que l’on tend en France à prendre pour donnée historique une défaillance coupable du pape Pie XII à prendre position ou à agir contre l’Holocauste, voici un article paru en 1998 dans l’hebdomadaire américain ‘Newsweek’, qui en une courte page a mis fin à la vaine polémique qui sévissait alors aux Etats-Unis (trad. : R. Bui).
Pour la défense de Pie XII
Kenneth L.Woodward, Newsweek, 30 mars 1998
Le reproche fait au pape Pie XII de n’avoir pu empêcher l’Holocauste depuis le Vatican est un exemple typique de révisionnisme.
La voix de Pie XII est bien seule dans le silence et l’obscurité qui enveloppe l’Europe ce Noël… Il est à peu près le seul dirigeant restant sur le Continent européen qui ose tout simplement élever la voix. – Editorial du ‘New York Times’, 25 décembre 1941.
Une enquête complète sur la conduite du pape Pie XII est nécessaire… Il revient maintenant à Jean Paul II et à ses successeurs de franchir un nouveau pas vers la pleine reconnaissance de la faillite du Vatican à s’opposer correctement au mal qui a balayé l’Europe. – Editorial du ‘New York Times’, 18 mars 1998.
Comme les temps changent ! et comme le ‘New York Times’ change !
Pendant la seconde guerre mondiale, le pape Pie XII était loué pour ses efforts sans équivalent pour arrêter le carnage. Et des années après, on lui a encore rendu hommage pour les efforts de l’Eglise pour sauver quelques 700 000 juifs des camps nazis – surtout en produisant de faux certificats de baptême, en déguisant certains sous des soutanes, en en cachant d’autres dans la clôture des monastères et des couvents. Mais la semaine dernière (mars 1998 aux Etats-Unis), après que le Vatican ait publié le mea culpa longtemps attendu sur le fait de ne pas en avoir fait davantage, les critiques de l’Eglise ont accueilli la publication du Vatican par des applaudissements à une seule main. Comme l’éditorial du ‘Times’ le suggère, il n’est demandé au Vatican rien moins qu’une mise-au-ban morale de Pie XII.
Ce qui se passe là est indécent. Le silence de Pie XII devant l’Holocauste, le peu de chose qu’il a fait pour aider les juifs, son attitude pro-allemande, sinon pro-nazie, et au fond de tout cela, son antisémitisme, tout cela ne sont que de monstrueuses calomnies qui semblent acceptées aujourd’hui comme allant de soi. On peut faire remonter la plupart de ces accusations à une seule et unique source : la pièce de théâtre de 1963, « Le Vicaire » (The Deputy), de Rolf Hochhuth, qui a créé de toutes pièces l’image d’un Pie XII moralement lâche. Le fait que Golda Meir, plus tard premier ministre d’Israël, et que les responsables des communautés juives de Hongrie, de Turquie, d’Italie, de Roumanie et des Etats-Unis aient remercié le pape pour avoir sauvé des centaines de milliers de juifs est maintenant considéré comme sans rapport avec le sujet. Seul compte le fait qu’il n’ait jamais spécifiquement condamné la Shoah.
En fait, Pie XII ne fut ni silencieux, ni inactif. En tant que Secrétaire d’Etat au Vatican en 1937, il a rédigé une encyclique pour le pape Pie XI, condamnant le nazisme comme anti-chrétien. Ce document a été alors introduit en secret en Allemagne et lu depuis les chaires des églises catholiques. En représailles, les nazis confisquèrent les imprimeries et emprisonnèrent beaucoup de catholiques. Dans son message de Noël 1942, dont le ‘New York Times’ parmi d’autres, fit l’éloge, le pape devint la première personnalité d’envergure internationale à condamner ce qui allait devenir l’Holocauste. Entre autres péchés du Nouvel Ordre Nazi, il dénonçait la persécution « de centaines de milliers qui, sans aucune faute, parfois seulement en raison de leur nationalité ou de leur race, sont désignés pour la mort ou pour une extinction progressive. » Les nazis ne comprirent le pape que trop bien. « Son discours est une attaque en règle contre tout ce pour quoi nous nous battons » déclara la Gestapo. « Il parle clairement en faveur des juifs. Il accuse de fait le peuple allemand d’injustice contre les juifs et il se fait le porte-parole des criminels de guerre juifs. »
En février 1942, en Hollande occupée par les nazis, les responsables protestants et catholiques préparèrent une lettre condamnant la déportation des juifs dans les camps de la mort vers « l’Est ». Seuls les évêques catholiques « suivant le chemin indiqué par notre Saint Père » lurent la lettre ouvertement en chaire malgré les menaces des nazis. Le résultat fut que les forces d’occupation investirent les couvents, monastères et écoles catholiques de Hollande, et déportèrent tous les juifs qui s’étaient convertis au christianisme – chose qu’ils n’avaient pas fait jusqu’alors. Quand Rome en fut informé, le pape retira une protestation de quatre pages qu’il avait écrite pour le journal du Vatican et il la brûla. Comme le montrent clairement les onze volumes d’archives des années de guerre publiées par le Vatican, des groupes juifs aussi bien que chrétiens insistèrent auprès du pape pour qu’il ne fasse pas de protestation publique, parce que cela n’aurait fait qu’intensifier la persécution nazie.
Le crime du pape – si c’en est un – est d’avoir choisi le rôle d’un diplomate artisan de paix, plutôt que celui de martyr pour la cause. Aussi bien les Alliés que les forces de l’Axe le pressèrent de choisir leur camp. Ce choix fut clair, comme le ‘Times’ le rapporte et comme les nazis s’en plaignirent. Pie XII défendit le camp de la liberté. Mais le pape refusa de signer la condamnation alliée des atrocités nazies contre les juifs (et les chrétiens), tant qu’il ne pouvait condamner également le massacre de juifs et d’autres croyants par Staline, à l’époque allié des Etats-Unis. De fait, environ 5 millions des 6 millions de juifs qui moururent venaient de Russie et de Pologne, où le pape n’avait le pouvoir de commander personne. L’historien Christopher Browning conclue à juste titre que « l’Holocauste est une histoire avec énormément de victimes et pas beaucoup de héros. Je pense que nous sommes naïfs si nous pensons qu’un héros de plus l’aurait arrêté. »
C’est aussi de la naïveté que de se plaindre, comme le ‘New York Times’ l’a fait la semaine dernière – que Pie XII « n’encouragea pas les catholiques à braver les ordres nazis. » Il pouvait difficilement les envoyer vers une mort certaine et rester politiquement neutre lui-même. De plus, dans l’Eglise Catholique, ce type de directive pastorale revient aux évêques locaux. Justement, les hiérarchies d’Allemagne et de France ont récemment fait repentance de l’incapacité des catholiques à s’opposer à l’Holocauste. C’était là où la résistance était appelée et c’était là où elle manquait douloureusement. Ces « justes » qui risquèrent leur vie pour sauver des juifs sont honorés à juste titre : ils se mirent eux-mêmes à l’épreuve, une épreuve que le pape ne pouvait exiger depuis Rome.
Ce n’est pas une personne seule – excepté Hitler – qui est responsable de l’Holocauste. Et ce n’est pas une personne seule – Pie XII compris – qui aurait pu l’arrêter. En choisissant la diplomatie plutôt que la protestation, Pie XII avait ses justes raisons. Il est temps de laisser tranquille ce pape.