Voici quelques réflexions provisoires sur le motu proprio Summorum Pontificum du pape Benoît XVI, qui suscite bien des prises de positions…
(1) Tout d’abord, il s’agit d’une affaire de posture à l’égard du Magistère de l’Eglise : même si la position du Magistère dérange, et surtout si celle-ci dérange, il s’agit de réfléchir à partir d’elle pour s’élever plus haut, mais dans la direction qu’elle indique, plutôt que contre elle. C’est affaire de « sauver la proposition de l’autre », en particulier quand cet autre s’appelle Joseph Ratzinger, théologien profond (cf. La foi chrétienne, hier et aujourd’hui) et fin liturge (cf. l’Esprit de la liturgie), mais surtout avec cette foi typiquement catholique dans l’assistance particulière de l’Esprit Saint donnée au pape chargé du gouvernement de l’Eglise. Dans un devoir de séminaire, je m’y étais exercé sur le sujet de la non communion des divorcés-remariés, un sujet de désaccord fréquent avec le Magistère, à partir justement d’un texte écrit par le cardinal Ratzinger.
(2) Il y a certes des excités intégristes qui refusent le concile de Vatican II dans ses ouvertures les plus profondes : compréhension de l’Eglise comme peuple de Dieu, corps du Christ, temple de l’Esprit, et non premièrement comme institution hiérarchisée ; place de l’Eglise dans le monde comme sacrement de salut plutôt que Royaume réalisé ou société parfaite ; œcuménisme, liberté religieuse et droits de l’homme ; dialogue interreligieux ; rapport entre Ecriture et tradition… Mais cela n’autorise pas à faire un procès d’intention à ceux qui, traditionnalistes, demandent la messe « orientée », et qui ne partagent pas forcément les idées intégristes. Certains diront à juste titre qu’une manière de célébrer induit, ou sous-tend une manière de penser et de croire : Lex orandi, lex credendi. Eh bien, en quoi la messe de rite ancien est-elle théologiquement contraire à la foi de l’Eglise, et à l’esprit du concile de Vatican II ? Dira-t-on alors que les générations de saints qui s’en sont nourris, ont été leurré par une messe « fausse » ? Avec un peu de provocation, on pourrait même affirmer qu’en faisant abstraction de quelques points effectivement réformables (latin, distance du prêtre par rapport à l’assemblée, passivité des fidèles…), la position du prêtre dans ce rite, dite péjorativement « dos au peuple », où le prêtre est en fait tourné avec le peuple dans la même direction, est davantage conforme à l’ecclésiologie de Vatican II, où le prêtre, certes avec un rôle différentié pour signifier un des modes de présence du Christ, est d’abord là en tant que membre du peuple de Dieu. C’est d’ailleurs le cas à la basilique souterraine de Lourdes, ou dans des églises contemporaines, où l’assemblée est placée à l’extérieur d’un U ou d’un O, et l’autel au centre : tous regardent non pas le prêtre, mais plus haut que lui. Il n’est alors pas gênant, au contraire, que certains soient derrière lui, d’autres devant ou à côté… Dans la liturgie rénovée, le prêtre exclusivement en vis à vis de l’assemblée, pourrait faire figure de pur alter Christus – et cela correspond davantage à la vision du concile de Trente -, avec en plus le risque de sé-duction, de cabotinage… Ces propos sont bien sûr exagérés, car comme l’indique le motu proprio, les deux formes du rite, ancien et nouveau, « ces deux expressions de la « lex orandi » de l’Église n’induisent aucune division de la « lex credendi » de l’Église » (Art.1)
(3) Il y a (eu) aussi d’autres excités, qu’on serait indulgent d’appeler des intégristes-de-Vatican-II, de par une interprétation du concile de Vatican II qui fait fi non seulement de la lettre mais de l’esprit des textes conciliaires, aboutissant à des pratiques liturgiques aplatissant le mystère de la messe. Par exemple, la participation active (en fait « actuosa« , i.e. « en acte ») demandée par Sacrosanctum concilium ne coïncide pas forcément avec le fait de faire chanter, parler, bouger, gestuer le plus de monde… Je participe aussi à cet aplatissement qui peut fait perdre le sens du mystère de l’Eucharistie, qui peut empêcher les fidèles d’y voir la présence réelle du Christ s’invitant parmi les hommes, en m’autorisant à faire de la liturgie une affaire de créativité ecclésiale, de spectacle, alors que c’est d’abord l’Eucharistie – reçue du Christ, transmise par l’Eglise – qui constitue cette dernière, et non pas premièrement l’Eglise qui fait l’Eucharistie. C’est ce que Benoît XVI rappelle dans Ecclesia de Eucharistia.
(4) A l’égard du latin, qui n’est pas de mon goût parce qu’il empêche d’accueillir le mystère eucharistique avec toute notre intelligence, je ne suis malgré tout pas convaincu par le motif invoqué que le latin doit être banni parce qu’il serait incompréhensible ou irrecevable par le monde actuel, car la compréhension d’un sacrement est d’ordre symbolique et non premièrement intellectuelle. On n’a pas à expliquer un symbole, mais à se laisser entraîner ailleurs par lui. C’est ce qui se passe par exemple à Taizé, ce lieu profondément œcuménique, le contraire d’un lieu intégriste, où une ambiance, des chants ruminés (parfois en latin) induisent une entrée en intériorité… L’argument sur l’irrecevabilité du latin méconnaît aussi le caractère profondément irrecevable de l’Eucharistie, son extériorité à notre égard, le fait qu’il nous faut une parole autre pour nous la rendre accessible : « Seigneur, je ne suis pas digne de te recevoir, mais dis seulement une parole et je serai guéri ». Le concile de Vatican II n’a d’ailleurs pas invité à supprimer le latin, reconnaissant par exemple comme « chant propre de la liturgie romaine » le chant grégorien qui « toutes choses égales par ailleurs, doit occuper la première place » (SC n°116) !
(5) Comment parler d’ouverture au monde, de dialogue, de respect de la différence, d’accueil de l’autre, quand on n’est pas capable de le vivre entre catholiques, quand la position de cet autre-catholique qu’est le traditionaliste est suspectée d’intégrisme, d’idéologie dangereuse et qu’on n’est plus capable d’entendre ce qu’il a à dire, que l’on rejette a priori tout ce qui pourrait venir de lui, y compris de légitime. C’est plutôt dans cette fermeture là qu’il faut parler d’idéologie… La remarque s’applique évidemment aux « durs » de tous bords.
(6) Je ne vois donc pas pourquoi contester la position du Magistère, et refuse par principe de le faire. Je vois cependant des difficultés pratiques à mettre en œuvre le motu proprio en France. En effet, celui-ci s’applique soit aux « messes célébrées sans peuple » (Art.2) auxquelles cependant peuvent « être admis, en observant les règles du droit, des fidèles qui le demandent spontanément » (Art.4), soit « dans les paroisses où il existe un groupe stable de fidèles attachés à la tradition liturgique antérieure. » (Art. 5.1). Or, il n’est pas prouvé qu’il existe en Aveyron, au niveau d’une paroisse – et non pas seulement au niveau du diocèse – un tel « groupe stable » suffisamment conséquent pour qu’une messe soit célébrée spécialement avec eux. Surtout dans le contexte français, et tout particulièrement celui d’un diocèse rural, où la dispersion des fidèles conduit à les rassembler en des assemblées plus significatives – et donc à supprimer des messes dans des lieux peu fréquentés. L’application du motu proprio semble donc concerner davantage les grandes villes. En ce qui me concerne, en tout cas, je ne sais pas célébrer dans le rite ancien, et n’y ai pas de goût particulier, mais comprendrais mal qu’un prêtre qui pourrait rendre ce service à une communauté suffisamment conséquente ne le fasse pas par refus de principe à l’égard de la position du pape.