En réponse à une question posée par une amie sur l’Islam :
Partagée entre les “naïfs” qui disent qu’il n’y a aucun problème avec l’Islam, qu’il nous faut être ouverts et tolérants… patati, patata… et d’autre part les alarmistes qui nous annoncent les pires horreurs, pas facile de raison garder sans faire l’autruche ni crier un peu vite “au loup” ! Comment réfléchir sereinement et le plus objectivement possible sur ces questions ?
Concernant l’Islam, je suis pris dans le même dilemme que toi, et nous ne sommes pas les seuls.
D’une part, on peut et on doit pratiquer une bienveillance de principe qui va parfois jusqu’à une admiration de fait pour tels ou tels musulmans qui vivent un humanisme édifiant qu’ils relient explicitement à leur foi musulmane. Cela interdit de les assimiler aux islamistes, qu’ils soient sanguinaires ou simplement salafistes. Les rencontres avec les responsables musulmans de la mosquée de Rodez me donnent ainsi de rencontrer de très belles figures de croyants, dont je ne peux douter du pacifisme et de la modération, et avec qui j’ai vraiment plaisir non seulement de discuter, mais aussi de travailler dans le cadre du groupe des « Religions pour la Paix ».
D’autre part, on ne peut se limiter au seul discours du « pas d’amalgame », à cause du constat fait par des penseurs comme Philippe d’Iribarne ou même musulmans comme Abdennour Bidar, de la perméabilité du monde musulman – et en particulier des jeunes musulmans européens – au traditionalisme salafiste ou wahhabite, à l’intégrisme et donc à l’intolérance, au refus du dialogue et du débat, du fait même de la théologie fondamentale de l’Islam, qui est foncièrement un fondamentalisme, une « idolâtrie du livre » : croire qu’un livre (que les musulmans même modérés considèrent comme « incréé ») donne un accès direct à la Vérité avec un grand V, à la Parole de Dieu sans falsification, dans la langue même de Dieu. C’est là une source potentielle de violence, et c’est le diagnostic qu’avait fait Benoît XVI dans sa fameuse conférence de Ratisbonne (2006). Le Coran est aussi pour moi le discours autoréférentiel par excellence : le Coran dit la vérité parce que c’est écrit dans le Coran ! Un discours que l’on ne peut ni affirmer, ni infirmer, un discours indécidable dirait Kurt Gödel, et il en faudrait peu pour le dire absurde, ou à tout le moins, contradictoire, sauf à ce que l’on rentre dans les arguties des versets abrogeant ou abrogés.
Alain Besançon critique lui aussi la naïveté d’un dialogue qui occulterait ces aspects des choses, et s’en est déjà entretenu avec les évêques de France. Je suis d’accord avec lui en avouant à la fois une admiration pour « la foi des musulmans » (du moins de certains) et pour certains aspects culturels dont le monde musulman s’est historiquement fait le relais – mais qu’il faut aussi savoir relativiser comme le fait à juste titre Sylvain Gouguenheim -, et en même temps un profond rejet, voire une horreur de l’Islam en tant que doctrine, source juridique et même civilisation, si tant est que les rapports homme-femme, croyant-incroyant, foi-raison, religion-politique font partie des traits d’une civilisation, dont Mohammed serait le modèle d’humanité. J’adhère même aux thèses passionnantes mais inaudibles d’Edouard-Marie Gallez sur les origines judéo-nazaréennes de l’Islam, que je rêve de partager un jour à mes partenaires de dialogue.
Ma curiosité me pousse pourtant à continuer dans cette voie paradoxale voire schizophrène du dialogue islamo-chrétien, avec surtout le sentiment que pour la société française il n’y a pas d’alternative à ce dialogue. J’aime particulièrement la position de Fabrice Hadjadj dans le dialogue qu’il vient d’entretenir avec Abdennour Bidar dans Figarovox le 5 juin dernier, et qui renvoie non pas à l’Islam comme source de problèmes pour la France, mais au malaise qu’a la France avec elle-même. Cf. aussi une conférence très éclairante qu’il a faite sur le djihadisme et le nihilisme occidental.
Le dialogue théologique avec l’Islam étant quasiment impossible, il reste le dialogue de vie, celui du vivre ensemble, que l’on essaie de cultiver avec le groupe des « Religions pour la Paix ». Nous organisons notamment une après-midi de rencontres intitulée « Osons le partage », samedi 26 septembre de 14h à 18h au parc de Vabre (venir avec pâtisserie et boissons). On pourra aussi y dialoguer sur tous les sujets que l’on veut, y compris ceux qui nous inquiètent…