Chrétien avec vous, prêtre pour vous (Saint Augustin)

Quelques mots en forme d’action de grâce et d’au-revoir aux paroisses du Ségala que je quitterai le 1er septembre.

Prêtre, à quoi ça sert ?
Comme vous le savez, je ne serai bien­tôt plus votre curé à Baraqueville – ou votre « prêtre modérateur » à Naucelle. Depuis ma maladie, j’ai reçu de nom­breux té­moignages d’attention, d’in­quiétude parfois, de prière souvent, qui m’ont fait davantage percevoir la place subtile qu’un curé occupe non seulement dans l’Église, mais dans la société. Une place pas facile à définir quand il est là – « à quoi sert-il ? » -, mais sensible quand il manque ; ni in­dispensable, ni facul­tative… comme un sacrement en fait, c’est-à-dire une présence vouée à laisser place à la Présence, parce qu’il faut que le Christ grandisse et que je diminue. (Jn 3,30) C’est le sens, pas toujours compris, de ces soirées-débats donnant la première place aux questions, de ces partages d’E­vangi­le et dialogues contemplatifs invitant à oser prendre la parole, de ces prépara­tions de maria­ge ou de bap­tême où le témoignage de chacun primait sur le savoir d’un seul, où la première tâche du prêtre était de s’ef­facer pour que la Parole de Dieu et votre parole se libèrent, avant tout en­seignement cer­tes utile…

Un art de recevoir
Un effacement plus net se profile donc aujourd’hui pour moi. La longue pré­paration d’une prothèse aortique – longue car problématique durant plu­sieurs mois de scanners, IRM et test sur l’irrigation du cerveau – et les incer­titudes sur ma santé après opération, ont conduit no­tre évêque à vous assu­rer de la présen­ce (sacramentelle !) d’un prêtre en for­me, comme responsa­ble de votre com­munauté paroissiale, et donc à m’en décharger à la ren­trée de septembre. Je vis tout cela paisible­ment en faisant mienne une formule du p. Jean Mourier, mon supérieur au Séminaire de Toulouse quant à l’art de recevoir une mission d’Egli­se : « Ne rien demander, ne rien refu­ser ! » Une obéissance qui ouvre l’expé­rien­ce personnelle de la foi et de la pasto­rale à celle de l’Égli­se, bien plus lar­ge ; qui évite qu’un service devienne chose personnelle ou chasse gardée ; qui libère de la vanité de réussir au­tant que du déses­poir d’échouer…

Curiosité et admiration
Certes, je me suis attaché au Ségala où depuis six ans pour la pre­mière fois j’exerce la responsabilité de commu­nautés paroissiales que je n’ai pas choisies, mais que j’ai appris à aimer, fût-ce dans de rares conflits. Parisien devenu ruthénois, j’ignorais quasiment tout du monde rural, et aujourd’hui en­core c’est de l’extérieur, comme un ami étranger, que j’éprouve un éton­nement, une curiosité* souvent em­prein­te d’admiration pour l’attention que l’on y donne aux relations de fa­mille et de voisinage, en particulier à l’égard des plus anciens et des plus fragiles ; pour la quantité et la qualité du travail requis par l’agriculture d’éle­vage, pour les risques incroyables que l’on y consent ; pour le dévouement des élus rencontrés ; pour les fêtes de village avec petits-déjeuners carnés (plus masculins dans leur par­ticipants) et messes patronales (plus fémini­nes) ; pour les gratounades et les ensi­lages ; pour les aubades des conscrits ; pour les granges patiemment relookées en écrins familiaux ; pour les amitiés de jeunesse prolon­gées en affection de vieillesse ; pour les noces d’or ou de diamant célébrées ou non en Eglise ; pour le temps que des chré­tiens à l’a­genda chargé libè­rent au service des autres – en parti­culier des jeunes -, de leur Eglise, ou simplement – mais c’est presque pareil – de leur église : celle de Baraqueville en sait quelque cho­se ; pour la solida­rité en acte dans l’accueil de sans-abris ou de mi­grants ; pour l’homma­ge que l’on sait rendre à ceux ayant rejoint le Père ; pour la noblesse du monde paysan dans le deuil d’un des siens mort trop jeune…

La vocation à consacrer
« Vous nous avez apporté, mais nous vous avons aussi apporté ! » me disait récemment Marie-Thérèse Lacom­be, des paroles presque liturgiques qui sous-entendent tout ce que j’ai commen­cé à énumérer plus haut et dont j’aurais voulu vous remercier tous, rendre grâce d’en être le témoin privilégié, car c’est déjà un bonheur profond que de pratiquer l’admiration. Mais la vocation de prêtre n’est pas seulement d’être attentif à ce que tous apportent comme joies ou suppor­tent comme peines. C’est aussi et surtout celle de laisser le Christ les prendre dans son offrande à Dieu lui-même, d’en faire Eucha­ristie. Un peu de foi catholi­que suffit pour faire pressentir que se joue ici l’acte de sens « plus que nécessaire » qui don­ne à tou­te joie et à toute peine d’être trans­fi­­gurées par le mystère pascal.
Par delà les talents et limites personnelles du prêtre, par delà sa sainteté et son péché, c’est la gran­deur essentielle de sa vocation que de por­ter sacramentellement à son accom­plisse­ment cette noble matière faite du « fruit de la terre et du travail des hommes », de toute la vie qu’on lui porte.
Puissent des chrétiens, des jeunes, être saisis par la grandeur de cette vocation… et y répondre !

p. Raphaël Bui

* En témoignent les centaines de clips-vidéos et les dizaines de mil­liers de photos que j’ai prises dont quelques 30.000 sur les sites internet parois­siaux et conservées dans les albums photos ici et

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