Le plus grand péché

Un texte que j’ai retrouvé dans un vieux poly d’écrits du p. P.Monier s.j., évoqué à l’occasion d’obsèques récentes… RB

Un curé de l’Est m’a joué un tour, alors que je passais dans sa paroisse. Il m’a emmené sans me prévenir vers un groupe de religieuses à qui il avait annoncé ma visite, pour que je leur parle, naturellement. Dans la salle, en avant se trouvait une vieille sœur qui avait l’air malheureuse, tendue, tendue.

« Vous savez, mes Sœurs, je ne savais pas que je voulais vous parler. Je n’ai pas pu demander au Bon Dieu de me donner le courage de vous parler, tellement ce m’est pénible »

Elles me regardent, étonnées
« parce que j’ai l’impression que vous êtes à peu près toutes en état de péché mortel »

La bonne vieille, déjà tendue, se disait : « Qu’est-ce qu’il va nous dire ? »

« en état de péché mortel le plus dégoûtant qu’on puisse imaginer »

Elles se demandaient un peu si j’étais fou !
« celui qui m’énerve le plus et me dégoûte le plus »

Les jeunes se disaient : « Attendons toujours » et se mettaient à rire derrière les bonnes anciennes qui ne riaient pas.

« Ah ! le voici, le péché dégoûtant : (je regarde la vieille) Vous avez travaillé peut-être quarante, soixante ans au service de Jésus-Christ, autant que je puisse deviner, en allant soigner les malades à domicile, en faisant l’école, etc. Vous ne vous êtes pas fait payer, juste de quoi vous nourrir et vous habiller. Ce n’était pas très intéressant. Dès qu’on voyait que ça vous plaisait, on vous mettait ailleurs. Savez-vous comment cela s’appelle : c’est la charité pure, aussi pure que possible. Quand on a travaillé au service du Christ en travaillant au service des autres, et quand on se pose encore la question de savoir si le patron ne va pas vous damner pendant toute l’éternité, après tout le travail qu’on a fait à son service, avouez que c’est dégoûtant ! A sa place, je vous regarderais et vous dirais : « Vous me faites honte, qu’ayant été à mon service pendant toute votre vie, vous pensez que je puisse encore vous menacer de vous torturer pendant toute l’éternité ? » Avouez que c’est un grand péché ! »

Quand j’ai vu que cela commençait à émotionner la vieille sœur, j’ai parlé pour les autres :

« La question de notre éternité ne se pose pas quand nous nous sommes occupés des gens, des malheureux. Jésus-Christ a dit : « Si vous vous aimez les uns les autres, ne vous inquiétez pas » « Père, là où je serai, je ne veux pas être sans eux ; s’ils ne sont pas là, je ne veux pas y être. » Saint Paul dira plus tard : « Ne voyez-vous pas que nous sommes déjà assis avec le Christ à la droite du Père ? » C’est pour cela que, dans votre vie, prenez bien tout ce qui vous met au service des autres, vous n’avez plus à vous occuper de vous, laissez-lui ce souci-là »

Pourquoi aller à la messe ?

Un texte écrit en vue d’une discussion avec des collégiens de 6e-5e, dans le cadre de la préparation de leur profession de foi. Je m’aperçois en le relisant qu’il y manque l’essentiel : le don que le Christ y fait de sa propre vie.

Objections et éléments de réponse

La messe, ce n’est pas fait pour les jeunes.
La messe continue de rassembler des jeunes : bientôt 500.000 jeunes aux JMJ cet été à Cologne, 15.000 jocistes au Palais omnisport de Paris-Bercy le 3 mai 2003 ; 2 millions à Rome en août 2000 ; 1,2 million à Paris en août 1997 à Paris. Plus modestement, des célébrations pour les jeunes ont lieu régulièrement en AEP, en paroisse, à Rodez ou en diocèse.

Je ne suis pas assez croyant pour être pratiquant.
C’est plutôt parce que je ne suis pas assez croyant, et que ma foi est fragile, que j’ai besoin d’aller la nourrir en venant régulièrement à la messe.

Je ne connais pas les prières : la Bible ne me parle pas.
Tout s’apprend ! Le langage informatique pour parler aux ordinateurs, le langage amoureux pour parler à celui ou celle que l’on aime, de même le langage de la prière et de la Bible pour parler à Dieu (et surtout l’écouter !).

Je ne connais pas les gens qui y vont, ou il y a là des gens que je n’aime pas.
De même que nous n’avons pas choisi nos frères et sœurs, de même dans l’Eglise, nous nous accueillons les uns les autres, jeunes ou vieux, connus ou inconnus, comme des frères en Jésus-Christ, enfants de Dieu notre Père.

Je ne comprends pas ce que dit le prêtre.
C’est important de comprendre et il ne faut pas hésiter à demander des explications. Cependant, comme dans une relation d’amitié, on ne peut jamais prétendre avoir tout compris de son ami(e), de même, on n’a jamais fini de comprendre ce qu’est la messe.

Ceux qui vont à la messe ne sont pas meilleurs que les autres.
Aller à la messe pour réentendre à quel point Dieu nous aime, cela finit par nous rendre plus fraternels. Et on n’a pas entendu dire que ne pas aller à la messe rende meilleur !

Le dimanche, je préfère faire la grasse matinée.
Les plus belles marques d’amitié consistent à rester fidèle, même lorsqu’on n’en a pas envie (par exemple, rendre régulièrement visite à un ami à l’hôpital, préférer rester avec lui plutôt que de s’amuser ailleurs…). C’est pareil pour la messe : y être présent, même à contre-cœur est une belle marque de foi (le mot « foi » signifie aussi fidélité).

Mes parents n’y vont jamais.
Croire au Dieu de Jésus-Christ est un acte libre. Pour tout croyant il arrive un moment où il a à choisir personnellement de donner sa foi au Christ, et non plus parce que ses parents ou ses camarades croient, ou ne croient pas.

Je n’en ai pas envie.
Aller à la messe, c’est répondre à une invitation du Seigneur : qu’est-ce qui pourrait être plus important que cela ?

La messe n’est pas importante pour moi.
Toi, tu es important pour Dieu et pour la communauté des chrétiens.

A quoi ça sert que j’y sois ?
Ça ne sert à rien, mais ça change tout. A la messe je suis envoyé. C’est toute ma personne qui est attendue, et c’est Dieu lui même qui compte sur moi, pour faire avancer les choses. Certes je n’ai pas la garantie du résultat, mais ma vie en devient mission et prend du sens.

Cohérence…

Un extrait d’une brève de l’AFP (d’il y a un an) qui me semble indiquer une part de la réponse à nos problèmes économiques et sociaux…

Le comportement schizophrène du salarié-consommateur

Le salarié attentif à ses conditions de travail se transforme en consommateur uniquement préoccupé de satisfaire ses envies à moindre coût, un véritable comportement schizophrène, relève un sondage Epsy paru dans le magazine Liaisons sociales.

Alors que 70% des salariés interrogés ne sont pas prêts à travailler les dimanches et jours fériés, 50% d’entre eux reconnaissent fréquenter les magasins ouverts les dimanches et jours fériés.

De même, 84% des personnes interrogées affirment être prêtes à payer plus cher des biens de consommation conçus dans des conditions sociales correctes respectant les droits des salariés.

Pourtant, les critères principaux retenus pour acheter un bien ou un service sont la qualité (47%) et le prix (46%), loin devant les conditions sociales dans lequel le bien ou service a été conçu (4%).

Pour les délocalisations, 61% des salariés considèrent que le fait que des entreprises délocalisent une partie de leurs activités à l’étranger pour que leurs produits et services restent compétitifs n’est pas acceptable. Mais seulement 2% d’entre eux font du pays de fabrication un critère privilégié d’achat.

68% des sondés affirment privilégier des produits fabriqués en France même s’ils sont plus chers, mais 59% fréquentent les magasins de hard-discount.

Sondage réalisé par téléphone auprès d’un échantillon national représentatif de 400 salariés, pour Liaisons sociales et les mutuelles Mieux-Etre.

La paix selon l’Evangile

Homélie écrite à l’occasion de célébration oecuménique sur le thème de la Paix, à l’occasion de la semaine de l’unité des chrétiens 2004. RB

Lettre aux Éphésiens (Ep 2,13-18)

Maintenant, en Jésus Christ, vous qui étiez loin, vous êtes devenus proches par le sang du Christ. C’est lui, le Christ, qui est notre paix : des deux, Israël et les païens, il a fait un seul peuple ; par sa chair crucifiée, il a fait tomber ce qui les séparait, le mur de la haine, en supprimant les prescriptions juridiques de la loi de Moïse. Il voulait ainsi rassembler les uns et les autres en faisant la paix, et créer en lui un seul Homme nouveau. Les uns comme les autres, réunis en un seul corps, il voulait les réconcilier avec Dieu par la croix : en sa personne, il a tué la haine. Il est venu annoncer la bonne nouvelle de la paix, la paix pour vous qui étiez loin, la paix pour ceux qui étaient proches.

Evangile de Jésus-Christ selon saint Jean (Jn 14,23-31)

Si quelqu’un m’aime, il restera fidèle à ma parole ; mon Père l’aimera, nous viendrons chez lui, nous irons demeurer auprès de lui. Celui qui ne m’aime pas ne restera pas fidèle à mes paroles. Or, la parole que vous entendez n’est pas de moi : elle est du Père, qui m’a envoyé. Je vous dis tout cela pendant que je demeure encore avec vous ; mais le Défenseur, l’Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout, et il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit. C’est la paix que je vous laisse, c’est ma paix que je vous donne ; ce n’est pas à la manière du monde que je vous la donne. Ne soyez donc pas bouleversés et effrayés. Vous avez entendu ce que je vous ai dit : Je m’en vais, et je reviens vers vous. Si vous m’aimiez, vous seriez dans la joie puisque je pars vers le Père, car le Père est plus grand que moi. Je vous ai dit toutes ces choses maintenant, avant qu’elles n’arrivent ; ainsi, lorsqu’elles arriveront, vous croirez. Désormais, je ne parlerai plus beaucoup avec vous, car le prince du monde va venir. Certes, il n’y a rien en moi qui puisse lui donner prise, mais il faut que le monde sache que j’aime mon Père, et que je fais tout ce que mon Père m’a commandé.

Homélie

S’il est délicat de prendre la parole, ce n’est pas parce que c’est la première fois que j’en ai l’occasion ici parmi vous, au Temple, ni qu’en cette semaine de prière pour l’unité des chrétiens, il faille faire preuve de davantage d’humilité et de tact, à l’égard de ce qui nous rapproche, mais aussi de ce qui nous distingue. En réalité, ce dont il est difficile de parler, c’est du thème même de la paix.

D’une part, il y a l’inévitable écart entre l’idéal visé et la réalité vécue… entre ce que nous professons et ce que nous vivons. Nous ne sommes pas forcément crédibles, à l’égard d’autrui, ou entre nous chrétiens, catholiques, protestants, anglicans, orthodoxes… lorsque nous disons le message chrétien de la paix, l’histoire nous le montre hélas. Ceci dit, en paraphrasant Bernadette de Lourdes, ce message de paix, nous sommes d’une certaine manière chargés de le dire, pas de le faire croire. Ou en suivant Saint Paul, ce message, nous le portons comme un trésor dans un vase d’argile.

D’autre part, ce thème de la paix pose difficulté, parce qu’il illustre tout particulièrement le décalage, l’abîme entre la sagesse des hommes, celle qui relève du bien vivre ensemble entre nous, la compréhension élémentaire que nous pouvons avoir de la paix, dont on peut parler, et dont il faut parler, et la sagesse du Christ, qui suppose d’abord la contemplation silencieuse du mystère de la Croix. Entendre que c’est Lui, le Christ, qui est notre paix, par sa chair crucifiée ; que notre réconciliation entre nous et avec Dieu passe par la Croix, ne peut pas ne pas nous déranger, et introduire une étrangeté radicale par rapport à tout ce que nous pourrions dire de nous-mêmes sur la paix. Cette paix, ce n’est pas à la manière du monde que le Christ nous la donne.

A cause de cela, la paix du Christ n’est pas que l’absence de conflit, ce qui pourrait n’être qu’un prétexte à l’abstention, au refus de voir la réalité avec ce qu’elle comporte d’injustices à combattre, de luttes légitimes à mener. La paix du Christ n’est pas que l’art de vivre les conflits sans violence, ou le respect de la différence de l’autre, ou la reconnaissance de la dignité de l’autre, fût-il mon adversaire. La paix du Christ n’est pas que l’amour de l’ennemi, en tant qu’il est mon frère, commandement que l’on peut certes voir comme spécifiquement chrétien (« vous avez appris qu’il a été dit : Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi. Eh bien, moi, je vous dis : Aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent » (Mt 5,43-44)), mais un commandement qui une fois énoncé, fait d’une certaine façon partie du domaine public. Toutes ces approches de la paix qui sonnent juste et qui restent à vivre, tant il est vrai que l’unité de l’humanité reste une tâche inachevée, toute cette sagesse de la paix, pourrait ne relever que d’une sagesse humaine, parce que pour s’énoncer, elle apparaît ne pas avoir besoin du Christ et encore moins de la Croix.

Eh bien, la Parole de Dieu nous provoque à une autre paix.

Juste avant d’entrer dans sa Passion, au terme de laquelle c’est un corps défait, crucifié qu’il va laisser entre les mains de ses disciples, de Marie, de Jean, Nicodème, Joseph d’Arimathie, Jésus leur dit : « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. » En d’autres termes, la Bonne Nouvelle de la paix coïncide avec le corps crucifié du Christ. La réconciliation des hommes entre eux et avec Dieu, le rapprochement de ceux qui sont loin, l’unité de tous, juifs, païens, et ajoutons-le : chrétiens – avec les figures de Judas et de Pierre, tous unis dans le même refus du fils de l’homme, cette communion qui avant d’être celle des saints est celle des pécheurs, tout cela passe par la Croix. Le rassemblement des uns et des autres en faisant la paix, c’est en la personne du Christ, et par la Croix que tout cela se trouve. « Les uns comme les autres, réunis en un seul corps, il voulait les réconcilier avec Dieu par la croix, en sa personne il a tué la haine. »

Il n’y a pas d’explication, qui rende compte de cela. Juste seulement l’indication qui s’en déduit, que notre tâche présente est d’être d’autant plus des artisans de paix que cette tâche, en nous rapprochant des hommes, nous rapproche du Christ, qu’elle est imitation du Fils unique : la 7ème Béatitude, celle des artisans de paix correspond à cela, être appelés fils de Dieu.

Plus encore, notre tâche est de prendre au sérieux cette invitation, spécifiquement chrétienne, d’accueillir le désir du Christ de nous unir à lui, de venir chez nous, d’être avec le Père auprès de nous. Parce que cette participation au mystère pascal, n’est pas diversion de nos tâches temporelles. Au contraire elle atteint le plus exactement la cause de toute division, de toute haine, à savoir le péché en nos cœurs. Avec le Christ, cette victoire du croyant sur le péché est un germe de paix plus fécond qu’aucune de nos œuvres, ou du moins cette conversion doit leur être préalable. Un François d’Assise, un Martin Luther King, un Dietrich Bonhoeffer, ou un Christian de Chergé nous le montrent.

A nous qui serions tentés de voir le plus exigeant, le plus difficile, dans la mission qu’il nous reste de mettre en œuvre ce commandement de la paix, l’Evangile de ce jour nous provoque d’abord au plus exigeant, au plus urgent, celui d’accueillir le don de la paix en Jésus-Christ crucifié, celui de l’aimer, celui d’entrer dans sa joie. « Si vous m’aimiez, vous seriez dans la joie, puisque je vais vers le Père. »

Enfin, à nous qui nous laisserions décourager par la modestie de nos efforts de paix face au déchaînement de la violence, celle qui s’exerce sur des peuples en conflits, sur les enfants que l’on y enrôle à la guerre, sur les femmes que l’on asservit, sur ceux que l’injustice réduit à la misère, ou ces fragiles d’entre les fragiles à qui l’on refuse le droit le plus élémentaire, celui de vivre, Jésus nous dit : « Ne soyez donc pas bouleversés et effrayés. » La victoire du Christ sur la mort nous est déjà acquise ; la paix qu’il nous laisse, englobe jusque la mort, lorsque celle-ci est vécue dans l’amour du frère, en particulier de l’ennemi ; le moindre acte de charité est d’un ordre infiniment supérieur à tout ce qui subsiste de violence, de haine dans le monde : il rend présent la victoire du ressuscité. La paix du Christ, comme don de Dieu déjà fait, comme fruit de l’Esprit, cette paix reste à accueillir, avant que d’être mise en œuvre. A cette condition nos gestes de paix, et le travail œcuménique en est un, seront vraiment sacrements de la victoire du Prince de la Paix.

Bioéthique

Voici les notes que j’ai prises à la conférence donnée à Rodez par le p. Arnaud de Vaujuas, le 15 mars 2005. Ces notes n’engagent pas le conférencier.

 

Vis à vis des personnes, quelle attitude tenir sur un sujet passionnel comme celui de la bioéthique, en évitant l’idéologie (« la vérité ne s’impose que par la force de la vérité elle-même qui pénètre l’esprit avec autant de douceur que de puissance. » Dignitatis Humanae, concile de Vatican II, 1965), mais pour éduquer la conscience avec puissance et douceur, et non pour résoudre des problèmes ou condamner le monde ? Où en est-on au niveau des lois relatives à la bioéthique, en particulier celle du 6 août 2004 ? De quoi s’agit-il ? Quelles questions éthiques sont engagées et quelle est la parole d’Eglise correspondante ?

La loi du 6 août 2004

Après 3 ans de travaux, l’adoption par l’Assemblée Nationale et 2 recours devant le Conseil Constitutionnel rejetés, la loi a été publiée le 7 août 2004. Principales innovations :

1°) la création d’une nouvelle incrimination « contre l’espèce humaine », pour interdire tout clonage reproductif (volonté de réplication d’un être humain à l’identique) ;

2°) l’interdiction du clonage thérapeutique ;

3°) l’autorisation de l’utilisation de cellules embryonnaires dans un but thérapeutique ; 

4°) l’autorisation à titre dérogatoire pendant 5 ans de recherches sur l’embryon lorsque ces recherches permettent des progrès thérapeutiques (sur les embryons surnuméraires, ou importés) ;

5°) la nécessité de 2 ans de vie commune pour un couple pour l’accès à la procréation médicalement assistée ;

6°) la création d’un organisme indépendant du Parlement et de la Magistrature ; l’élargissement du don d’organe à des personnes de l’entourage familial proche…

L’embryon est un être de caractère humain qui se développe de manière continue dès le moment de la fécondation. Celle-ci a lieu de manière naturelle à l’insu du couple, car on ne prend conscience de l’existence de l’embryon qu’au moment de sa nidation, 15 jours après (premier retard de règles). Ovocyte, embryon, fœtus, ne sont que des dénominations extérieures, pour désigner un processus continu. Il n’y a pas de stade pré embryonnaire. Tout le patrimoine génétique est présent dès la fécondation. Les cellules de l’embryon sont appelées cellules souches, car encore non différentiées. Plus une cellule est indifférenciée, plus elle a des capacités de multiplication éventuellement désorganisée (cancer), et elle est pluri-potentielle.

Les recherches sur les cellules embryonnaires supposent la destruction de l’embryon. Pour les chrétiens et pour ceux qui considèrent l’embryon comme un être humain, il s’agit d’une instrumentalisation d’un être humain au profit d’un autre être humain. On peut trouver d’autres cellules souches, adultes, en dé-différenciant des cellules adultes (avec risques de cancer…), mais les recherches sont encore balbutiantes, bien qu’elles ne posent pas de problème éthique, car il n’y a pas alors de destruction d’un être humain. Pour comprendre les phénomènes de différenciation, de dé-différenciation et de contrôle de la multiplication, des recherches complexes sont nécessaires.

Le clonage reproductif est qualifié par la loi de « crime contre l’espèce humaine ». Le clonage thérapeutique est sanctionné, mais pas avec la même qualification. Est-ce la possibilité offerte à l’avenir de distinguer complètement ces deux clonages ? C’est ainsi que le laisse supposer la récente prise de position de la France à l’ONU contre la déclaration refusant tout clonage. Le clonage implique de dénucléer un ovocyte et d’y injecter le noyau d’une autre cellule non sexuelle du donneur, mais cette technique ne permet pas de reproduire le donneur à l’identique, du fait que l’expression de l’information comprise dans le noyau injecté est régulée par le cytoplasme, en particulier par l’ARN mitochondrial. Un véritable clonage ne serait possible qu’avec la scission de la morulla (cellule embryonnaire avant le 4ème jour).

La distinction entre les deux clonages thérapeutique et reproductif n’est que dans l’intention, parce que la technique est la même, au transfert in utero (de l’embryon produit in vitro) près. Il s’agit d’une reproduction non sexuée, à deux titres : hors de l’étreinte sexuelle, et sans les cellules sexuelles.

Au cours du vote, s’est posée la question du quoi faire des embryons surnuméraires, ne faisant plus l’objet d’un projet parental. La loi prévoit que chaque année, on consulte les parents d’embryons issus de fivete : leur non-réponse vaut absence de projet parental, et au bout de 5 ans, les embryons ne sont plus considérés comme faisant l’objet d’un projet parental. C’est la loi, mais cette loi n’est pas toujours respectée : des embryons surnuméraires sont détruits avant ces 5 ans. La loi interdit cependant la production d’embryons dans le but de la recherche, le stock est insuffisant (118.379 embryons en l’an 2000, dont 23.000 sans projet parental, et 29.000 sans information consolidée), d’où la possibilité offerte par la loi d’importer des embryons de l’étranger.

La création d’une agence de biomédecine, composée d’experts au pouvoir décisionnel échappant au pouvoir du Parlement, donne donc aux chercheurs le pouvoir exorbitant de fixer eux-mêmes les limites de leurs recherches.

Le diagnostic pré-implantatoire a été étendu par le Sénat, en vue de sélectionner dans les Fivete, les embryons ayant un patrimoine génétique permettant une greffe sur un aîné malade.

Positions d’Eglise

Devant cette évolution législative, l’Eglise est intervenue régulièrement. Le 9 décembre 2003, le cardinal Philippe Barbarin, fustigeait le prétendu refus du législateur à définir le statut de l’embryon, alors que l’autorisation de recherches sur lui implique sa réduction au statut de matériau, d’objet. L’Eglise s’était prononcée dès 1994 contre la constitution de stocks d’embryons surnuméraires. Mais que faire de ceux existants ? Le cardinal Lustiger avait écrit dans un article du Monde que ces embryons surnuméraires pouvaient être considérés comme des malades demandant des soins importants sans perspective d’épanouissement. Il est alors moral de cesser ces soins (congélation). Le débat reste ouvert. Le 27 janvier 2003, Mgr Jean Pierre Ricard, apporte son soutien à la proposition de loi à l’encontre du clonage reproductif, de la constitution d’embryons à des fins de recherche, mais refuse l’usage destructif d’embryons à des fins de recherche et leur réduction à l’état d’objet, leur chosification – pour des motifs économiques. En 2001, le cardinal Billé déclarait : « l’embryon humain n’est pas une chose. » Le respect qu’on lui doit ne dépend ni du mode d’obtention, ni du désir qu’on peut avoir à son égard. Ceci pour les prises de position de l’épiscopat français. Dès 1987, à propos des Fivete, le document Donum Vitae demandait que l’on respecte l’embryon « comme un être humain ». En 1995, l’encyclique Evangelium Vitae ne se prononce pas sur la question de l’animation de l’embryon (i.e. de sa capacité de relation avec Dieu), mais demande le respect de l’embryon comme personne humaine.

La parole d’Eglise est là pour former la conscience, en particulier des chrétiens en situation de responsabilité pastorale. « La vérité ne s’impose que par la force de la vérité elle-même qui pénètre l’esprit avec autant de douceur que de puissance. » Dignitatis Humanae La doctrine ne saurait être opposée aux personnes, mais elle est là pour former notre conscience. Les personnes qui se posent des questions doivent être d’abord écoutées, d’une écoute de type Rogérienne – manifestant que l’on a bien écouté, avec reformulation élucidatrice – pour que la conscience s’ouvre. Alors une parole normative est possible. Donner une parole normative avant que la conscience s’ouvre aboutit à ce que cette conscience se referme comme une huître. Jésus ne donnait jamais la morale, la loi de manière extérieure, avant l’ouverture de la conscience. Au contraire Il était véhément vis-à-vis de ceux qui, se posant en « justes » humiliaient et méprisaient les transgresseurs. La doctrine de l’Eglise est un trésor, et nous pouvons être fier de ce qu’elle ne se soit pas tue. Mais cela n’autorise en aucun cas l’imposition culpabilisatrice de la norme morale. Cette norme doit nous aider à nous mettre en situation d’accompagnement et d’écoute des personnes. Cela vaut pour les politiciens. Des députés, des directeurs d’hôpitaux sont en situation de se poser des questions.

Le moment culturel

L’humanité, comme chacun de nous, passe par des phases (1) de toute puissance prométhéenne, (2) d’accablement, puis (3) de gratuité. Les « trente glorieuses », ont permis le passage d’une société de subsistance à une société d’opulence. Illusion de toute-puissance, de maîtrise radicale. Sur le plan de la transmission de la vie, la pilule a été l’emblème de cette illusion. Or nous constatons aujourd’hui que le nombre de grossesses non désirées et d’avortements ne baisse pas. On passe de l’illusion de la toute-puissance à l’interrogation, bientôt à l’accablement. Il en sera de même au sujet des recherches sur l’embryon. A tout triomphe succède un désarroi, une interrogation sur l’insaisissabilité du réel. C’est dans ce moment d’accablement qu’une véritable parole d’espérance devient possible et audible. Le sentiment de toute-puissance devant les formidables prétentions scientifiques n’est pas le dernier état d’esprit qui nous animera, mais augure autant de désenchantements. Le moment culturel présent n’est pas le dernier moment de notre devenir.

Questions

L’attitude d’un homme politique chrétien est-elle identique à celle d’un chrétien en relation de personne à personne ? L’enjeu n’est-il pas culturel autant qu’interpersonnel ?

Un homme politique ne peut pas voter des lois rendant plus facile l’avortement ou la manipulation d’embryons avec leur destruction, mais il peut voter des lois les rendant plus difficiles (Evangelium Vitae 73 3), tout en prenant acte de leur existence. Le pharisaïsme consisterait à brandir l’horreur du péché dans un sens d’humiliation culpabilisatrice pour les personnes. Evangelium Vitae n°5, rappelle l’option préférentielle de l’Eglise pour les pauvres, et l’homme est aujourd’hui fragile dans ses débuts et sa fin. Défendre la dignité de la personne humaine consiste à montrer la beauté de l’embryon qui se développe, la tendresse d’une grossesse, et le mal apparaîtra pour ce qu’il est, dans sa laideur : une carence de bien.

Le travail intellectuel et moral n’est pas là pour inquiéter les personnes, mais pour que nous nous disposions à leur édification lorsque leurs interrogations s’adressent à nous. C’est un devoir grave, pour nous chrétiens de nous former, pour le service de nos frères.

La position officielle de l’Eglise opposée à la Fivete, est-elle tenable face à un couple en souffrance de stérilité ?

La Fivete qui signifie « fécondation in vitro avec transfert d’embryon », comporte divers degrés de négativité morale. Très négatifs en cas de fécondation hétérologue, et avec destruction d’embryons surnuméraires. Mais même en cas de fécondation homologue « single case », il y a intervention de la volonté d’un tiers, le médecin, et changement de signification de l’enfant non comme don, mais comme dû. La position de l’Eglise est donc défavorable aux Fivete. Même si l’intention (subjective) peut être bonne – donner la vie -, la matière de l’acte de la Fivete ne l’est pas. Il est normal que des fidèles soient en conscience incapables d’entendre ce refus. Cela ne suffit pas à considérer que l’éclairage de la conscience soit inutile. Nous devons dire ce que l’Eglise pense. Mais « Tu ne dois avertir ton frère de ton péché que si tu as l’espoir de le faire grandir » (Alphonse de Liguori). Donum Vitae, qui n’est qu’une instruction n’ayant pas la valeur magistérielle d’Humanae Vitae ou d’Evangelium Vitae, laisse penser que la position de l’Eglise n’est pas définitive sur ce sujet. S’il n’est pas pensable que la position de fond puisse être inversée, la forme de ce document – trop technique – pourrait être amendée, pour davantage se situer dans le devenir des personnes.

Le fond, selon Arnaud de Vaujuas, c’est la sainteté de la chair et de la sexualité : nous avons droit à une image narcissique, le droit de croire que la scène inaugurale par laquelle nous sommes passés du néant à l’être, fut éminemment jubilatoire ! En soi, les adultes n’ont pas de droit à l’enfant, mais l’enfant a le droit d’être accueilli dans les meilleures conditions, de se savoir en lui-même un don. Il en va aussi de notre action de grâce.

Actuellement, 60.000 français (jeunes) ont été conçus par Fivete. La Fivete, comme parcours du combattant, peut poser problème pour l’enfant, peut-être alors désiré comme produit, comme dû, mais pas alors comme don. C’est d’ailleurs aussi ce qui se passe lorsque le partenaire est davantage considéré comme parent de ses enfants que comme conjoint. Des enfants issus de Fivete posent ainsi à leurs parents le comment de leur conception et ce qu’ils sont aux yeux de leurs parents.

Pour aller plus loin, un excellent site : genethique.org

Si Dieu n’existait pas

Si Dieu n’existait pas…

1. Le monde ne serait que de la matière en évolution, de la chimie.

2. L’histoire n’aurait pas de sens, car elle serait sans intention ni projet.

3. Les projets de l’homme se limiteraient à la courte parenthèse de sa vie.

4. La vie ne serait qu’un hasard un peu plus exceptionnel que les autres.

5. L’homme ne serait qu’un animal plus évolué, lui aussi destiné à disparaître.

6. La mort rendrait absurdes les efforts de l’homme pour vivre en juste.

7. Au delà de la mort, il n’y aurait de compte à rendre à personne.

8. Tout serait permis : l’égoïsme serait plus raisonnable que l’altruisme.

9. Nous serions soumis à la loi de l’intérêt, du plaisir ou de la force.

10. Malheur aux faibles, aux pauvres, aux limités, aux sans défense.

11. Chacun serait seul dans le scandale et l’absurde de la souffrance.

12. La messe ou la prière ne seraient qu’une totale perte de temps.

 

Mais parce que Jésus-Christ est vraiment le Fils de Dieu…

1. Tout ce qui existe vient de Dieu, comme fruit de Son amour.

2. L’histoire des hommes est « sainte », car c’est là que nous Le rencontrons.

3. La vie ici-bas s’accomplit en vie éternelle avec Lui.

4. Le don de la vie est Son plus beau cadeau, sa création, ce qu’Il veut.

5. L’homme a une valeur sacrée, parce que créé à Son image.

6. Tout effort de justice trouve sens en Son amour plus fort que la mort.

7. La mort est l’épreuve décisive avant les retrouvailles avec Lui.

8. Être en relation avec Lui nous oblige à l’aimer en notre prochain.

9. Nous répondons à Son amour en servant les plus petits.

10. Heureux les pauvres de coeur, le Royaume des cieux est à eux.

11. Il partage nos souffrances, et nous donne de les dépasser par l’amour.

12. Prier Dieu ou Le célébrer est la plus haute activité de l’homme.

Pie XII

Parce que l’on tend en France à prendre pour donnée historique une défaillance coupable du pape Pie XII à prendre position ou à agir contre l’Holocauste, voici un article paru en 1998 dans l’hebdomadaire américain ‘Newsweek’, qui en une courte page a mis fin à la vaine polémique qui sévissait alors aux Etats-Unis (trad. : R. Bui).

 

Pour la défense de Pie XII

Kenneth L.Woodward, Newsweek, 30 mars 1998

 

Le reproche fait au pape Pie XII de n’avoir pu empêcher l’Holocauste depuis le Vatican est un exemple typique de révisionnisme.

La voix de Pie XII est bien seule dans le silence et l’obscurité qui enveloppe l’Europe ce Noël… Il est à peu près le seul dirigeant restant sur le Continent européen qui ose tout simplement élever la voix. – Editorial du ‘New York Times’, 25 décembre 1941.

Une enquête complète sur la conduite du pape Pie XII est nécessaire… Il revient maintenant à Jean Paul II et à ses successeurs de franchir un nouveau pas vers la pleine reconnaissance de la faillite du Vatican à s’opposer correctement au mal qui a balayé l’Europe. – Editorial du ‘New York Times’, 18 mars 1998.

Comme les temps changent ! et comme le ‘New York Times’ change !

Pendant la seconde guerre mondiale, le pape Pie XII était loué pour ses efforts sans équivalent pour arrêter le carnage. Et des années après, on lui a encore rendu hommage pour les efforts de l’Eglise pour sauver quelques 700 000 juifs des camps nazis – surtout en produisant de faux certificats de baptême, en déguisant certains sous des soutanes, en en cachant d’autres dans la clôture des monastères et des couvents. Mais la semaine dernière (mars 1998 aux Etats-Unis), après que le Vatican ait publié le mea culpa longtemps attendu sur le fait de ne pas en avoir fait davantage, les critiques de l’Eglise ont accueilli la publication du Vatican par des applaudissements à une seule main. Comme l’éditorial du ‘Times’ le suggère, il n’est demandé au Vatican rien moins qu’une mise-au-ban morale de Pie XII.

Ce qui se passe là est indécent. Le silence de Pie XII devant l’Holocauste, le peu de chose qu’il a fait pour aider les juifs, son attitude pro-allemande, sinon pro-nazie, et au fond de tout cela, son antisémitisme, tout cela ne sont que de monstrueuses calomnies qui semblent acceptées aujourd’hui comme allant de soi. On peut faire remonter la plupart de ces accusations à une seule et unique source : la pièce de théâtre de 1963, « Le Vicaire » (The Deputy), de Rolf Hochhuth, qui a créé de toutes pièces l’image d’un Pie XII moralement lâche. Le fait que Golda Meir, plus tard premier ministre d’Israël, et que les responsables des communautés juives de Hongrie, de Turquie, d’Italie, de Roumanie et des Etats-Unis aient remercié le pape pour avoir sauvé des centaines de milliers de juifs est maintenant considéré comme sans rapport avec le sujet. Seul compte le fait qu’il n’ait jamais spécifiquement condamné la Shoah.

En fait, Pie XII ne fut ni silencieux, ni inactif. En tant que Secrétaire d’Etat au Vatican en 1937, il a rédigé une encyclique pour le pape Pie XI, condamnant le nazisme comme anti-chrétien. Ce document a été alors introduit en secret en Allemagne et lu depuis les chaires des églises catholiques. En représailles, les nazis confisquèrent les imprimeries et emprisonnèrent beaucoup de catholiques. Dans son message de Noël 1942, dont le ‘New York Times’ parmi d’autres, fit l’éloge, le pape devint la première personnalité d’envergure internationale à condamner ce qui allait devenir l’Holocauste. Entre autres péchés du Nouvel Ordre Nazi, il dénonçait la persécution « de centaines de milliers qui, sans aucune faute, parfois seulement en raison de leur nationalité ou de leur race, sont désignés pour la mort ou pour une extinction progressive. » Les nazis ne comprirent le pape que trop bien. « Son discours est une attaque en règle contre tout ce pour quoi nous nous battons » déclara la Gestapo. « Il parle clairement en faveur des juifs. Il accuse de fait le peuple allemand d’injustice contre les juifs et il se fait le porte-parole des criminels de guerre juifs. »

En février 1942, en Hollande occupée par les nazis, les responsables protestants et catholiques préparèrent une lettre condamnant la déportation des juifs dans les camps de la mort vers « l’Est ». Seuls les évêques catholiques « suivant le chemin indiqué par notre Saint Père » lurent la lettre ouvertement en chaire malgré les menaces des nazis. Le résultat fut que les forces d’occupation investirent les couvents, monastères et écoles catholiques de Hollande, et déportèrent tous les juifs qui s’étaient convertis au christianisme – chose qu’ils n’avaient pas fait jusqu’alors. Quand Rome en fut informé, le pape retira une protestation de quatre pages qu’il avait écrite pour le journal du Vatican et il la brûla. Comme le montrent clairement les onze volumes d’archives des années de guerre publiées par le Vatican, des groupes juifs aussi bien que chrétiens insistèrent auprès du pape pour qu’il ne fasse pas de protestation publique, parce que cela n’aurait fait qu’intensifier la persécution nazie.

Le crime du pape – si c’en est un – est d’avoir choisi le rôle d’un diplomate artisan de paix, plutôt que celui de martyr pour la cause. Aussi bien les Alliés que les forces de l’Axe le pressèrent de choisir leur camp. Ce choix fut clair, comme le ‘Times’ le rapporte et comme les nazis s’en plaignirent. Pie XII défendit le camp de la liberté. Mais le pape refusa de signer la condamnation alliée des atrocités nazies contre les juifs (et les chrétiens), tant qu’il ne pouvait condamner également le massacre de juifs et d’autres croyants par Staline, à l’époque allié des Etats-Unis. De fait, environ 5 millions des 6 millions de juifs qui moururent venaient de Russie et de Pologne, où le pape n’avait le pouvoir de commander personne. L’historien Christopher Browning conclue à juste titre que « l’Holocauste est une histoire avec énormément de victimes et pas beaucoup de héros. Je pense que nous sommes naïfs si nous pensons qu’un héros de plus l’aurait arrêté. »

C’est aussi de la naïveté que de se plaindre, comme le ‘New York Times’ l’a fait la semaine dernière – que Pie XII « n’encouragea pas les catholiques à braver les ordres nazis. » Il pouvait difficilement les envoyer vers une mort certaine et rester politiquement neutre lui-même. De plus, dans l’Eglise Catholique, ce type de directive pastorale revient aux évêques locaux. Justement, les hiérarchies d’Allemagne et de France ont récemment fait repentance de l’incapacité des catholiques à s’opposer à l’Holocauste. C’était là où la résistance était appelée et c’était là où elle manquait douloureusement. Ces « justes » qui risquèrent leur vie pour sauver des juifs sont honorés à juste titre : ils se mirent eux-mêmes à l’épreuve, une épreuve que le pape ne pouvait exiger depuis Rome.

Ce n’est pas une personne seule – excepté Hitler – qui est responsable de l’Holocauste. Et ce n’est pas une personne seule – Pie XII compris – qui aurait pu l’arrêter. En choisissant la diplomatie plutôt que la protestation, Pie XII avait ses justes raisons. Il est temps de laisser tranquille ce pape.

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Amour et Famille

L’amour suffit-il pour fonder une famille ?

Xavier Lacroix, conférence à Rodez, le 9 mai 2005

Notes prises par RB à la conférence de Xavier Lacroix, le 9 mai 2005, à Rodez (12). Elles n’engagent pas le conférencier. Voir aussi « L’avenir, c’est l’autre« , un de ses livres.

 

Une conférence sur les fondements de la famille ! Nous avons tous déjà une réponse à la question. « Oui, il suffit d’aimer » comme le disait un livre chrétien. D’autres s’interrogent sur le point d’interrogation, ou sur le mot « suffire ». Jamais autant que de nos jours n’a-t-on fondé la famille sur l’amour, alors qu’en trente ans, le nombre de personnes isolées a été multiplié par 2,5, et qu’il n’y a jamais eu autant de séparations et de désaffection du mariage. Jusqu’au XVIIIème siècle, le mariage précédait souvent l’amour (« puisque nous sommes mariés, aimons-nous. ») Jusqu’au XXème siècle, cela a été « puisque nous nous aimons, marions-nous ». Aujourd’hui, c’est plutôt « puisque nous nous aimons, pourquoi se marier ? » Cette conception du mariage tout-amour, avec une barre placée très haut pour la relation, est contemporain d’une vision contractuelle du mariage, comme échange rationnel de services, de gratifications… Avec une recherche de l’autonomie. Dans les deux cas, il s’agit d’une vision conditionnelle du mariage : ce qu’une volonté a fait, une volonté peut le défaire. Un mixage est possible entre les deux conceptions. Une recherche de l’amour – héritage chrétien – cohabite avec une recherche du bonheur, de l’épanouissement personnel. Le philosophe Aupetit estime que nous avons une vision de l’amour trop haute –trop exigeante – pour la petitesse de nos esprits.

Le mariage doit en fait avoir d’autres sources que l’affectif, que les sentiments.

1- Valeurs et limites du sentiment

L’amour-sentiment n’a pas son pareil pour rapprocher deux êtres, pour les rendre perméables l’un à l’autre, à l’inverse de l’égoïsme qui enferme sur soi. Avec l’amour-sentiment, l’autre m’apparaît enfin, devient objet de vénération voire d’adoration, plus important même que mon ego, prenant la place de l’idéal du moi. La relation tend vers une relation de chair à chair, de connivence où l’on fait un avec la substance de l’autre. Ce transport suscite des attentes qui sont un bon ressort pour l’histoire du couple : appel exigeant au don de soi, à l’amélioration de soi. Alain estimait que « c’est le couple qui sauvera l’esprit. » Mais, victime de son succès, l’amour engendre des attentes excessives : tout est attendu du couple. Bonheur, égalité, repos, reconnaissance, communication… Pour réaliser un tel idéal, encore faut-il prendre des moyens, parfois coûteux, exigeants : consacrer du temps à l’autre, communiquer, demander pardon, accueillir la belle-famille, les différences d’éducation… des renoncements qui n’auront pas lieu si le seul ressort du lien est le sentiment, l’affection spontanée, le désir, en lui-même insuffisant à remédier aux pannes du désir. Car il y aura des pannes du désir. Contrairement à un discours psychologisant, le désir est déterminé, résultat de processus qui ont conduit à se rapprocher et qui peuvent conduire à se séparer. On peut même reprocher à l’autre ce qui au départ m’avait séduit. Le changement lié à l’âge, les changements d’attente qui en résultent impliquent un jeu d’équilibrisme insensé, s’il fallait s’adapter en permanence aux attentes de l’autre. Même si le désir dure, il ne peut être le seul ressort du couple. Il devra au moins se transformer. Jean-Claude Sagne distingue dans la vie du couple 4 moments : (1) la constitution (2) la réalisation : le temps de l’accueil, de la constitution du foyer, de la confrontation des différences, (3) la maturité : de l’adolescence des enfants, de la crise de la quarantaine, (4) la résolution : l’accomplissement, la démaîtrise, la gratuité. Passer de l’un à l’autre implique crise, décalage, réajustement permanent. Ce qui permet de tenir, de supporter les changements de régime ?

2- à la recherche de nouvelles ressources

L’essentiel n’est pas tout. S’il est irremplaçable, il n’est pas suffisant. 3 directions de recherche :

a- à l’extérieur de l’amour :

La notion de lien est plus large que celle d’amour, qui n’est pas seul à cimenter le couple. 7 autres noms du lien :

Œuvre : on se marie pour réaliser une œuvre commune, une communauté entre nous, une mise en commun des ressources, l’invention d’une manière propre de vivre ; cela requiert un art, un savoir-faire, des moyens (cf. « nous nous aimons, mais nous sommes incapables de vivre ensemble ») : c’est tout un art que de traverser les conflits, les crises, trouver la bonne distance, accorder leur place aux amis, intégrer la dimension spirituelle, éduquer les enfants…

Fécondité : le mariage est intrinsèquement tourné vers l’avenir, à la différence du concubinage, du Pacs… le couple conjugal n’est pas à lui-même sa propre fin. Parmi les fins essentielles du couple : les enfants, à travers lesquels leur chair devient vraiment une ; la fécondité est le don du don, l’incarnation du don, de l’amour. Le bien des enfants, est au moins une source d’obligation morale pour la solidité du lien conjugal.

Mémoire : les joies comme les peines ont tissé des liens invisibles, et ont fait s’interpénétrer les histoires. Se séparer de l’autre est se séparer d’une part de soi. Le divorce est une mort.

Justice : Levinas reproche aux chrétiens de trop parler d’amour et pas assez de justice. Cf. le partage des tâches, l’exploitation de l’autre à son profit… L’art de la conjugalité exige l’exercice de vertus sociales, politiques : équité, négociation, discussion… Justice et gratuité vont ensemble.

Gratitude : le couple se dissout lorsqu’on ne pense plus qu’en termes d’équivalence, en oubliant ce que l’on doit à l’autre, alors que c’est l’endettement mutuel positif qui constitue le lien. La conscience du don reçu renforce le lien : « Je lui dois tellement ».

Loyauté : la source la plus claire et explicite de la conscience d’être lié : une parole a été donnée, mise en gage. L’autre a été témoin de cette parole donnée. Être homme, c’est être capable d’une telle parole donnée. Nous sommes tous construits, structurés, sur la base d’une telle parole donnée, qui donne cohérence et unité à notre histoire. France Quéré : « si nous tenons parole, la parole nous tiendra. »

Promesse : ce pourrait être le premier terme. Au moment où domine la seule fidélité au jour le jour, la promesse comporte quelque chose d’irremplaçable. La relation commence par le sentiment, mais le sentiment ne saurait être fondateur, car causé et non cause. Seul un acte de parole peut fonder la relation dans le temps. Le débordement sur l’avenir découle de la promesse, faite à l’autre, mais aussi à moi-même, en unifiant mon temps passé, présent et avenir, en me rendant fiable, me donnant consistance, dignité (de foi, de confiance). Par le sens de la promesse, peut-on être amené à dépasser une conception conditionnelle du lien (qu’elle soit amoureuse ou contractuelle : « je reste avec toi à condition que… », auquel cas le lien n’est plus qu’un moyen au service de l’intérêt individuel) Avec la promesse, l’intérêt présent, les gratifications présentes sont relativisées, dans le cadre fixé par la promesse, permettant de trouver les moyens de dépasser les frustrations présentes. L’avenir est ouvert par le passé, non dans le seul présent. La fidélité introduite par la promesse est inconditionnelle, parce qu’elle implique non un engagement à toutes conditions (il faut bien un minimum de réciprocité), mais au-delà des conditions, qui ne sont pas la fin ou le but de l’union ; on ne se demande pas si l’on perd ou si l’on gagne, car le désir est de donner. C’est là un choix spirituel, avec un discernement sur les moyens de mettre cette promesse en œuvre.

b- à l’intérieur de l’amour :

Une énergie spirituelle est requise, pour pardonner, pour persévérer, pour donner, faire confiance, avouer sa faiblesse. C’est au-delà du psychologique. C’est de l’ordre du spirituel, de l’élan profond de la liberté et de l’amour. La volonté est au cœur de l’amour. Saint Thomas définit l’amour d’amitié par « vouloir du bien à l’autre ». Gabriel Madinier : « aimer, c’est vouloir l’autre comme sujet ». Alain : « aimer, c’est vouloir aimer. » L’amour n’est pas seulement issu des conditionnements du passé, mais d’un choix : « je t’aime afin de pouvoir commencer de t’aimer. » Cela sans volontarisme, car la volonté est habitée par l’énergie du désir, avec en plus la décision. Mais quid lorsque le désir est en panne ? Ici intervient une vertu, en filigrane dans la fidélité : la fidélité, du latin fides (fidélité, confiance, foi). Plus décisif que « je t’aime », il y a un « je crois en toi » plus profond encore ! la foi, c’est le contraire de la peur, que l’on entend de la part des jeunes : peur de la routine, de l’ennui, de l’échec, du divorce, de souffrir, de parler… Jean-Paul II a repris le « N’ayez pas peur » dans l’Evangile, où Jésus s’approche de nuit de la barque des disciples dans la tempête, invitant Pierre à marcher sur l’eau, et qui s’enfonce du fait qu’il prend peur. « La peur réalise ce qu’elle craint » (Victor Frankl). La foi, n’est pas seulement la croyance, mais l’acte de « se fier à », la fiance. Le pas de la foi, est un pas, consistant à avancer, à se jeter en avant, à trouver un point d’appui sans le voir, car il est invisible puisque à venir ! Il y a des moments cependant où cette lancée est en panne, semble impossible. C’est alors l’heure du doute, de la fatigue, mais plus encore celle de la décision, de la refondation de l’alliance. Croire en l’autre, en la présence en lui d’une source en lui toujours renouvelée, d’une richesse inexplorée. Croire en la valeur du lien, pas seulement comme moyen au service de l’épanouissement de chacun, mais ayant une valeur en lui-même. Croire en la fides, la foi dans la foi, dans la nuit. Comme la foi en Dieu, la foi doit passer par des nuits. La vie conjugale n’est pas un long fleuve tranquille. Mais il y a une source plus profonde de cette donation réciproque.

La grâce : l’amour comme grâce. Son nom est agapè, amour de don au sens actif : « donner », et passif : « donné ». Nous recevons la force par laquelle nous donnons. Cet amour est la basse continue du couple, de la relation. C’est fondé sur lui que l’on trouvera la force de continuer, de persévérer. Certains non confessants (Jankelevitch) ont le pressentiment, voire la certitude de l’existence de cette source, de cette gratuité originelle. Les croyants nomment avec d’autres la source de cette grâce, ce qui les renvoie au Tiers, et aux tiers.

c- au-delà du couple :

Il y a des ressources extérieures à l’amour. C’est le mariage comme ouverture au(x) tiers. Les propos actuels privilégient le duel, l’intimiste, la perception individualiste, psychologique du couple. C’est là la principale source de fragilité du couple, qui ne s’appuie que sur ses propres forces. Les tiers ont au contraire une place décisive, pour la promesse, l’institution. Que vaudrait une promesse sans témoin, qui ne se graverait dans aucune autre oreille qu’entre nous, sans l’objectivité d’un témoin, d’une mémoire vivante de la parole émise ? Le mariage est « un acte de parole solennel », devant témoin, avec référence aux tiers. Se marier, c’est ne pas compter sur ses propres forces, accepter de ne pas être les seuls sujets de notre union, aller au-delà de la seule subjectivité des époux. Le mariage unit deux sujets entre eux, mais aussi un couple à la société. « Veux-tu être mon époux ? » n’équivaut pas à « m’aimes-tu ? » Le lien sort de la seule intimité. Epoux est différent de copain, compagnon…

Le don de l’amour se réfère à une source que dans la foi chrétienne, nous désignons non seulement comme divine – terme trop général, mais comme surabondance du don qui circule entre les personnes divines, Père, Fils, Esprit. Le Père comme source du don ; le Fils comme la forme, le visage du don ; l’Esprit, comme le souffle, la respiration du don. Le oui de Dieu nous précède et vient habiter notre oui humain. Le oui à l’autre est en même temps oui à Dieu, et dans le oui à Dieu, Dieu se donne. Le sacrement du mariage : l’ouverture à un Tiers divin est indissociable à l’ouverture aux tiers humains, à l’Eglise, à une dimension communautaire, indissociable du mariage. Cette dimension élargit horizontalement l’amour conjugal, et cette ouverture ne fait qu’un avec l’ouverture verticale à Dieu. La communion avec d’autres enrichit la communion dans le couple. Le plus large est présent dans le plus intime.

Se marier, ce n’est pas seulement constituer un couple, mais fonder une famille. En ne soulignant que la dimension affective dans la famille, on oublie les dimensions objectives, sociales, politiques de la famille. Or aujourd’hui, 4 ouvrages sur 5 sur la famille sont de psychologie, n’insistant que sur la dimension inter-subjective dans la famille. Cette primauté du sentiment (« puisqu’ils s’aiment… ») fait que beaucoup pensent possible le mariage homosexuel, voire l’adoption des enfants. Alors que le mariage, le fait de donner la vie, ce n’est pas seulement aimer affectivement, mais être médiateur de la transmission de la vie, donner un cadre, une structure à la croissance de l’enfant, notamment dans la découverte de son identité sexuée, ce qui suppose de l’inscrire dans un généalogie double d’un père et d’une mère, avec des rôles symboliques et réels récapitulatifs ensemble de l’humain, par un jeu subtil d’identification et de différentiation. Transmission, interdits, autorité… Paternité et maternité ne relèvent pas que du psycho-affectif, mais réclament un ancrage charnel et symbolique. La famille est le lieu où la parole et la chair s’appellent mutuellement. Le lieu le plus charnel et le plus codifié par une parole d’appel.

Oui l’amour peut être reconnu comme valeur centrale de la famille, à condition d’être travaillé par d’autres valeurs et réalités, à l’intérieur de lui-même (recentré sur l’amour-agapè, l’accueil de la grâce) et à l’extérieur de lui-même (décentré sur d’autres fins que lui-même, parce que sa vie est d’être ordonné à l’autre…).

3- Questions :

La vieillesse de l’amour ?

Les divorces sont les plus forts au bout de 4 ans, puis après le départ des enfants, exigeant une refondation du couple. Une autre forme de fécondité est à trouver, dans l’accueil gratuit de la vie comme don, au-delà de l’action, de l’efficacité. Le rôle en tant que grands-parents est aussi à mentionner.

La fécondité ne concerne-t-elle pas aussi le couple lui-même ?

« Le premier fruit de l’amour, c’est l’amour »(Françoise Dolto), et par delà la possible stérilité charnelle d’un couple (1 sur 20, plus qu’autrefois), d’autres fécondités sont possibles, même s’il y a un caractère irremplaçable à la fécondité charnelle : il y a l’adoption, accueil inconditionnel de l’enfant… la fécondité sociale, dans le service d’autrui, la fécondité spirituelle…

Une vision renouvelée du sacrement du mariage ?

Il y a une éthique très forte de la conjugalité chez les protestants, mais le mariage n’est pas un sacrement pour eux. La sacramentalité – le don de Dieu médiatisé par un signe – est reconnue par des protestants. Pour moi, l’ouverture à Dieu et à la communauté est au cœur du sacrement.

L’enfant et le couple

Même si un enfant contribue à cimenter un couple, il ne saurait avoir cela pour vocation. Ce ciment est là comme un fruit, un cadeau, non comme un but, sinon l’enfant ne serait qu’un moyen : le couple est pour l’enfant, c’est lui qui donne à l’enfant ; et non pas l’enfant pour le couple, l’enfant-prothèse, l’enfant-besoin. L’enfant n’est pas objet de droit, mais sujet de droit. Le but de l’adoption est d’ « offrir une famille à un enfant », non pas d’offrir « un enfant à une famille ». Aujourd’hui on a une philosophie dominante d’inspiration anglo-saxonne : l’utilitarisme, qui nie toute gratuité, tout don ; où tout ce que nous faisons, nous le faisons par calcul d’intérêt. On y confond fruit et but.

Peut-on appliquer cette distinction fruit-but à la grâce du sacrement du mariage ?

Oui, car la grâce du sacrement n’est pas instrumentalisable. Le mariage est affaire de don, dans lequel on expérimente la présence et le don de Dieu. Il n’est pas recherche d’une assurance.

L’importance de l’accord entre conjoints ?

Oui, mais aussi, à la suite du moraliste protestant Olivier Abel, l’importance d’intégrer la dissension, les disputes dans le couple, parce que le couple ne repose pas que sur l’harmonie, l’accord entre les conjoints ; il y a aujourd’hui un excès d’exigence vis-à-vis du couple, une moralisation excessive du couple, une intransigeance qui demande trop au couple. Dès qu’il y a adultère, on divorce ; dès que l’on a une panne du désir, on divorce ; dès que l’on passe quelques mois sans rien avoir à se dire, on divorce. L’art conjugal, c’est aussi l’art de gérer les désaccords. « Le couple, c’est la défaite de l’idéal » (Engelmann) ou la déception surmontée. De fait, ce que je décris du couple est tout le contraire d’un idéal (inaccessible) : c’est un essentiel… le cœur du cœur, le meilleur de ce que nous vivons, la fides.

L’amour passion ?

Je préfère l’amour-patience. Le même mot latin passio signifie sentir, subir, souffrir. Dans la littérature occidentale, 9 textes sur10 concernent l’amour-passion que l’on subit et dont on souffre (Tristan et Iseult, Roméo et Juliette), un amour souvent vécu à l’extérieur du mariage, et qui ne correspond pas à l’expérience courante de l’amour. L’amour dans le mariage comporte lui aussi une dimension d’accueil, de réception d’un don, de ressenti, de passivité. Mais il a un côté actif, absent de l’amour passion, considéré comme fatal, et par rapport auquel on n’est pas libre.

Le « senti » ment ?

En fait, le senti nous dit aussi quelque chose de juste. Certes, il peut y avoir de l’illusion dans les sentiments (on s’aime soi-même en l’autre en aimant en l’autre la bonne image qu’il nous renvoie de nous-même ; on « aime aimer » (Saint Augustin)…). Et le sentiment est fragile, précaire, versatile : l’amour peut se renverser en haine. Mais le sentiment nous renseigne, il nous dit que l’on est sensible à l’autre, que l’autre a de l’importance, qu’il est beau. Le sentiment nous tourne vers l’autre. La joie, la tendresse sont des sentiments. Le sentiment est une notion composite : autrefois, on disait inclination. Je le définis comme une orientation de l’affectivité vers un autre, un mix de conscience, de sensation, de volonté. Il y a le senti (via les sens) et le ressenti (leur retentissement intérieur).

La finalité de la famille ?

La famille n’est pas seulement une réalité affective, mais aussi des conditions objectives de croissance, un lien où l’on trouve une place, dans une généalogie, une parentèle, une lignée. Elle a pour fin principale de transmettre la vie, des biens spirituels et culturels. Elle ne peut être une fin en soi. Jean Lacroix appliquait à la famille la distinction bergsonienne du clos et de l’ouvert. Ce serait une tentation mortelle pour une famille de se clore sur elle-même, dans un égoïsme familial, clanique, totalitaire de préservation du patrimoine familial, d’un bonheur clos. Une famille chrétienne ne peut se donner elle-même comme but, mais s’ouvre à plus large qu’elle, comme membre d’un corps plus large. Les relations familiales y gagnent : je ne suis bien père qu’en lien avec d’autres pères, une constellation paternelle.

Pourquoi est-ce si difficile à transmettre ces propos de bon sens ?

Les objets se transmettent facilement. Non les biens spirituels qui se transmettent indirectement : chacun doit aussi les découvrir lui-même. La famille est une réalité qui se vit avant de s’expliciter verbalement. Elle est à la fois plus fragile aujourd’hui, tout en restant LA valeur fondamentale de nos contemporains. La famille n’est pas à restaurer à l’ancienne, il s’agit de lui ménager un avenir. « Conservateurs de l’avenir » (card. Etchegaray), sachant que chaque génération apporte sa note, sa coloration propre.

Heureux…

Il est heureux que dans l’Evangile selon saint Matthieu, le mot inaugural de l’enseignement de Jésus soit le mot « heureux ». Rien d’étonnant : « Evangile » signifie « Bonne nouvelle ». La volonté du Père est que l’homme soit heureux. Les Béatitudes annoncent un bonheur profond, et certain, car fondé sur la fidélité de Dieu à son projet. Cette certitude de foi devrait bousculer le secret désespoir qui nous habite parfois : lorsque sans nous l’avouer vraiment, nous ne croyons pas – ou plus – au bonheur ; lorsque par faux réalisme, nous le bornons à notre mesure, aux satisfactions immédiates que la vie laisse à notre portée.

De fait, les Béatitudes nous bousculent : alors que nous cherchons la sécurité, la satisfaction de nos besoins, l’autosuffisance… elles proposent un bonheur qui suppose un manque persistant, un désir encore tendu en avant, une mise en marche active. André Chouraqui, en juif érudit, traduit « Heureux… » par « En marche… », comme si le malheur consistait à s’arrêter, à renoncer à avancer vers ce Royaume dont Dieu est le centre. On s’arrête, soit parce qu’on le croit inaccessible, soit parce qu’on l’a remplacé en nos cœurs par un royaume moindre dont nous serions le centre… Or cette marche vers le Royaume de Dieu, non seulement n’est pas vaine, mais elle donne d’expérimenter la proximité de Dieu en Jésus-Christ présent à nos côtés, l’ouverture aux autres, la certitude qui prévaut par delà les épreuves que « la victoire est certaine » – selon les mots du pasteur D.Bonhoeffer juste avant son exécution par les nazis.

Il faudrait percevoir ce qu’il y a d’infiniment désirable dans ce Royaume des cieux non seulement promis au futur, mais assuré au présent, pour accueillir avec joie le programme de vie des Béatitudes. Ce programme n’est rien d’autre que celui de Jésus lui-même, pour nous introduire dans son Royaume : un Royaume où être pauvre de cœur rend capable d’accueillir toute chose comme un don ; où la douceur et la miséricorde sont victoires sur la violence et sur le mal ; où les yeux sont lavés par des larmes de repentir et de compassion ; où la faim et la soif de justice et de paix font participer à la passion de Dieu pour l’homme ; où la pureté de cœur donne de tout voir avec le regard de Dieu, et de voir Dieu en toutes choses ; où la valeur de la vie est à la mesure de ce pour quoi on est prêt à la risquer, à la donner.

La marche vers ce « Royaume » se joue dès à présent dans notre rapport au monde et aux autres, mais ce qui rend cette marche persévérante et heureuse, heureusement persévérante, c’est d’avoir son terme – et d’être déjà – dans ce qui est l’objet même de l’Evangile : obtenir la miséricorde de Dieu, voir Dieu, être fils de Dieu, entrer dans cette terre promise qu’est le Royaume de Dieu, manifesté en la personne de Jésus.

La calligraphie en illustration est de Georges Unal (Rodez, 05 65 75 91 56)

Préparation au mariage & sexualité

Aborder la sexualité dans la préparation au mariage

Notes prises par RB d’une conférence de Louis Giroux, sexologue, CLER, conseil conjugal, diacre du diocèse de Montpellier, le samedi 26 février 2005, à Rodez. Ces notes n’engagent pas le conférencier.

Pourquoi est-ce difficile de parler de sexualité à des jeunes, dans le cadre de la préparation au mariage, alors que la dimension charnelle fait partie de l’amour. La foi chrétienne l’assume, dès le livre de la Genèse. Nous sommes créés à la ressemblance de Dieu. Le couple est présenté à l’image de Dieu : Dieu créa l’humanité dans son image… mâle et femelle il les créa. « Vis et écrou » dit une traduction. Adam signifie l’humanité dans le sens générique (le terrien). « Image » signifie littéralement ombre, comme la statue par rapport à son modèle. « Ressemblance » établit une similitude entre la chose représentée et son modèle. L’animalité de l’homme est donc simultanément affirmée (mâle et femelle), et son humano-divinité. Sa dimension sexuelle indique que personne n’est à lui seul l’humanité : entre vouloir être unique au monde et être tout, c’est le drame de l’humanité que redisent les psy. Nous sommes des êtres en manque. L’interdit de manger du fruit de l’arbre, dit que nous sommes construits « autour d’un vide » (Lacan), manquant. Or l’homme refuse ce manque, se voulant comme Dieu, sa propre origine. La sexualité avant le péché, c’est la nudité sans honte, dans un sain rapport. Après le péché, c’est un rapport abîmé : la nudité est voilée. Le livre de la Genèse et la psychanalyse redise la même chose. Avec le surgissement du monde et des animaux, puis de l’humanité en Gn 2-3, l’homme donne un nom à toute chose, au monde, en prend possession, mais il s’y ennuie : le monde ne constitue pas pour lui un « face à face qui le provoque ». Il faut Eve, un vrai alter ego en qui il se reconnaisse.

Le Cantique des Cantiques, au centre de la Bible, est un poème sur l’exubérance de l’eros. L’auteur porte sur l’eros un regard optimiste plein de poésie, et de bonté. Tous les sens sont sollicités : nous sommes en régime d’incarnation, en distinguant le mode féminin et masculin d’aimer charnellement. La bien aimée prend des risques pour son aimé. Certains ont interprété le Cantique comme une description réaliste de la plastique féminine. Dans le nouveau Testament, saint Paul réputé misogyne, souligne le don réciproque des corps entre mari et femme.

Parler de sexualité dans le couple ? C’est souvent trop tard qu’on en parle. Aimer le Christ paraît parfois plus facile que d’aimer son conjoint, mais le Christ invite à l’aimer en aimant son conjoint. Avec délicatesse, désintéressement, en tenant compte de l’autre, de ses attentes en matière de sexualité, si différentes entre l’homme et la femme (cf. « pour satisfaire une femme (resp. un homme) à tous les coups… »)

Deux dans une seule chair

Comment en parler ?

Jusqu’où aller, sans aller trop loin (risque de déballages). Il y a des outils pour parler de sexualité dans les préparations au mariage : photo-langage, schéma a/s attentes (les miennes, les tiennes, celles que nous parvenons à satisfaire), tiercé sur ce qui importe dans l’acte sexuel (via votes sur une quinzaine d’items), jeux, montages vidéos (PowerPoint)… L’humour est important pour parler, mais avec naturel, ce qui suppose d’être à l’aise avec soi-même et avec le sujet. Ne pas employer des mots de jeunes lorsqu’on est vieux !

L’important pour des fiancés en préparation au mariage, est de voir qu’on peut parler de sexualité, simplement, en appelant un chat un chat, et avec délicatesse. Ils ont besoin de voir que l’on croit à l’amour.

Le rôle de l’époux est important auprès de sa femme, pour son bien certes, mais aussi pour le bien des enfants ! Le père vient signifier à l’enfant qu’il n’est pas tout pour sa mère, et que sa mère n’est pas tout pour lui, mais qu’elle est d’abord l’épouse de son mari. En satisfaisant affectivement son épouse, il sépare l’enfant d’une relation fusionnelle avec sa mère – commençant dès la conception – , il le libère de la charge de faire le bonheur de sa mère, le renvoyant vers le monde extérieur, pour y trouver sa place.

L’harmonie charnelle

Pour un homme, son absence est perçue comme échec du couple. Pour sa femme, cela n’est pas l’essentiel (« on s’aime, les enfants sont heureux… »). Il n’y a pas à sous estimer l’harmonie partagée : tendresse, plaisir et vie sont portés par l’acte sexuel. Mais il n’y a pas à la sur estimer : ce n’est pas le tout de la vie conjugale ; cela en est un signe, comme une poignée de main, signe de l’amitié, et deux manchots peuvent être amis. On ne sait pas s’il y avait harmonie charnelle il y a cinquante ans : on n’en parlait pas. Mais son absence n’était pas motif de divorce. Alors qu’aujourd’hui, c’est le cas.

Dans la pornographie, il n’y a pas de préliminaires, les femmes sont toujours consentantes, et jouissent chaque fois (cris…).

Des mythes à détruire

 La nécessite du synchronisme des orgasmes : l’orgasme vient couronner la relation. Les hommes mettent en moyenne 3’, les femmes 8’ pour y arriver (en Suisse !). C’est moins en affaire de technique que de relation.

Le discrédit de l’orgasme clitoridien : malgré l’héritage freudien (l’orgasme clitoridien serait infantile selon lui…), les études de Masters et Johnson ont montré qu’il n’y a qu’un orgasme, quel qu’en soit l’origine. Il faut laisser les gens se dire « je t’aime » de la manière qu’ils veulent. Il n’y a pas de zones honteuses… si c’est en relation, et si l’acte sexuel reste ouvert à la vie. En stricte morale, il n’y a aucune difficulté morale qu’une femme ait un orgasme clitoridien. C’est différent pour l’homme.

Pour être normal, il faudrait pouvoir accomplir plusieurs actes sexuels par jour (sic).

L‘importance sur la taille du pénis. L’important est de savoir s’en servir… Un vagin ne fait que 7 cm, et ce n’est pas un tuyau à remplir !

L’amour physique est un péché (permis par Dieu pour avoir des enfants) : il y a toujours eu deux courants dans l’Eglise, hostile (Saint Augustin) ou favorable (Saint Bernard) au plaisir. Rien ne permet de dire que les organes génitaux soient mauvais. Dieu vit ce qu’il avait fait : cela était bon. « Les époux en jouissant acceptent ce que leur Créateur leur a destiné. » (Pie XII).

Le facteur temps

Les couples certes passent trop peu de temps ensemble. Mais plus encore, l’homme et la femme vivent un temps décalé. L’homme est plus facilement excitable, par la vue – pourquoi trop de femmes n’acceptent de relation sexuelle que de nuit, toutes lumières éteintes, sous les draps – et cela se manifeste par l’érection. Il n’en est pas maître, ce qui invalide le « tu ne penses qu’à ça, tu es un obsédé » des femmes à l’égard de leur mari. Inversement, et contrairement à ce que pensent les femmes, un homme qui n’a pas d’érection ne signifie pas qu’il est allé voir ailleurs, ou qu’il n’aime plus sa femme. Pour certains, le sentiment amoureux empêche l’érection. Rq : le Viagra permet surtout à l’érection de durer. On n’est pas dans la technique. Avec l’âge, l’érection prend plus de temps à venir, idem pour l’éjaculation, et la période réfractaire est plus longue.

Pour la femme, l’acte sexuel n’est pas un acte, mais un état ; la sexualité leur est intérieure. Le corps de la femme est plus lent à réagir que celui de l’homme. Pour la femme, il peut y avoir plusieurs orgasmes. Beaucoup de femmes n’ont pas d’orgasme, mais une jouissance en vagues.

Bien des malentendus viennent de ce décalage temporel. Les cris de l’homme énervé au retour du travail résonnent encore aux oreilles de l’épouse quelques heures après dans le lit. La femme a besoin de temps de préparation. Les « préliminaires » (sic) peuvent en fait se suffire à eux-mêmes, sans que cela aille jusqu’au coït. Cela peut valoir en particulier pour des périodes de continence. Lorsqu’on couple arrive à dire « nous avons des problèmes » (plutôt que « elle est frigide » ou « il est impuissant »), le sexologue conseille ainsi d’interrompre les relations sexuelles avec coït pour développer les caresses (massages relationnels).

L’éjaculation prématurée – qui est un problème de relation, le plus facile à corriger – vient de ce que l’homme ne sait pas distinguer la phase de remplissage de l’urètre (contrôlable) de celle d’extension déclenchant l’éjaculation (non contrôlable). Cela s’apprend.

De même la continence masculine est physiologiquement possible. L’homme n’est pas soumis à l’instinct – qui chez l’animal lui fait toujours reproduire le même acte. Il n’est pas esclave de ses pulsions.

Chez la femme, il y a dans le bas du vagin des muscles non maîtrisables, qui peuvent être contractés à l’excès (vaginisme) à cause d’une phobie qui empêche toute pénétration. Ce n’est pas un problème physiologique, mais psychologique.

La parole et les gestes

Un homme pense que quand il fait, il dit. Il accorde plus d’importance aux gestes. Une femme a besoin que l’homme lui dise « je t’aime ». Une des difficultés des hommes est de ne pas exprimer leurs sentiments, en particulier amoureux. « Ne pleure pas, tu n’es pas une fille » a-t-on dit aux hommes. Laisser donc les garçons pleurer, faire leur colère.

L’homme a besoin de se sentir désiré, de ne pas être un éternel mendiant. Trop de femmes attendent que ce soit leur mari qui prenne l’initiative. Aujourd’hui, les consultations des hommes viennent moins de problème d’impuissance, mais d’absence de désir de leur femme.

L’importance de l’affectif et du charnel

Deux faces complémentaires d’une même réalité. 68% des femmes aimeraient plus de tendresse. 61% des hommes trouvent que cela leur suffit. Ce qui compte pour l’homme, c’est un corps qui vibre, vit, chante l’amour. Sa manière à lui d’aborder l’amour, c’est le charnel, mais en vue de l’amour. Biologiquement, la plus grande abondance de testostérone chez l’homme (hormone du désir) explique cela.

Deux personnes et un amour

Pour que le langage du corps soit une vraie communication, il faut que ce soit une relation de personne à personne, où l’on recherche le bonheur de l’autre et son propre plaisir, sans jamais prendre l’autre pour objet. La particularité du plaisir sexuel, c’est qu’il se multiplie avec le plaisir de l’autre, en faisant plaisir. La masturbation, comme plaisir solitaire, est en deçà du plaisir de la relation sexuelle avec la personne aimée – pourtant physiologiquement identique. Le plaisir est lié à sa signification relationnelle. Des femmes sans orgasme sont comblées de pouvoir rendre heureux leur mari. L’échange peut s’établir s’il y a don de soi, plutôt que duel. Le vrai plaisir est un plaisir des sens doublé d’un plaisir des cœurs. Il n’est pas de plaisir sexuel dans le vide. On ne peut faire l’amour sans amour. Faire l’amour est simple : les animaux y arrivent. Mais aimer c’est autre chose. Avoir quelque chose à dire à quelqu’un, oser lui exprimer, lui confier ses désirs les plus profonds, les plus forts, ne saura jamais être remplacé par aucune technique. Oui, il faut oser dire – avec humilité – à l’autre ses désirs, mais le dire ne signifie pas que l’autre va le faire. Avoir cette simplicité de pouvoir le dire, de pouvoir essayer, ou de pouvoir ne pas essayer. Je désire, je crains, je préfère…

Tout le corps participe à cet amour. Le contact physique est d’autant plus facile qu’il y a un contrat commun (« ce soir, il n’y aura pas de coït »).

Le silence est nécessaire, pour permettre aux autres échanges de se développer, pour un plus grand épanouissement, y compris sexuel.

La continence, par exemple pour la régulation des naissances par méthodes naturelles (8 à 10 jours de période de fertilité ; en réalité 4 jours), peut être l’occasion de s’aimer autrement que par coït, de découvrir d’autres zones du corps, pied, visage : la continence n’est plus privation d’amour, mais manière d’aimer autrement. Si l’on met tout sur le coït, que se passe-t-il lorsqu’il y a maternité, ou maladie… La continence est une maîtrise de la sexualité, non par jansénisme, mais pour mieux s’aimer et mieux trouver le plaisir.

En cas de difficultés conjugales, il est opportun de s’adresser à un tiers qui ne prenne pas parti, qui renvoie au couple sa manière de fonctionner (conseiller conjugal, sexologue, médecin traitant…) et le plus tôt est le mieux, pour que des griefs, des rancœurs ne s’accumulent pas. Le tiers permet à l’un et à l’autre de découvrir la différence : « Mars » aura tendance à régler les problèmes tout seul ; « Venus » aimera la discussion à l’occasion du problème, davantage même que sa résolution.

La relation charnelle n’est pas le tout de la relation conjugale, mais elle l’enrichit considérablement. La rencontre charnelle avec son cortège de plaisir, de jeu, de fête, de reconnaissance, est un des aliments de l’amour.

Pour la régulation des naissances, le critère est celui de la croissance de l’amour dans le couple. Cela passe par le fait d’assumer en couple la méthode de régulation, sans la faire supporter par un seul.

Foi chrétienne et sexualité

Celse, philosophe païen du 1er siècle, désignait péjorativement les chrétiens comme « le peuple qui aime le corps ». Le plaisir est l’accomplissement de l’acte, et il est sain et bon dans la mesure où il est voulu en même temps que le but visé. (St Thomas d’Aquin) Le plaisir sexuel, oui, c’est bon à condition de ne pas faire de l’autre un objet. (Jean-Paul II)

Un interdit (de faire telle chose) est plus libérateur qu’un impératif qui oblige. Les psys indiquent la valeur positive de l’interdit. L’Eglise peut souvent aussi faire office de bouc émissaire pour des couples qui lui font porter leurs problèmes. En fait, elle ne fait que dire ce qu’au fond les couples désirent, même si elle le dit mal, parce qu’elle doit le dire au monde entier.

La fidélité (qui souhaite que l’autre le trompe ?), l’acte sexuel sans gadget (qui préfère avec plutôt que sans capote ?), le plaisir, la procréation (quel couple infertile voit cela comme un moins ?) L’Eglise indique que la fécondité sans relation sexuelle, ou l’inverse, sont des impasses, que c’est ailleurs qu’il faut chercher, vers un cap idéal, tout en comprenant les difficultés concrètes que les couples peuvent connaître.

En morale, on distingue trois dimensions, universelle, particulière, singulière :

1- La dimension universelle est l’invariant qui se trouve en toute culture, toute société : la place laissée à l’autre, le respect de l’autre (cf. l’impératif catégorique de Kant : « Agis de telle façon que la maxime de ton acte puisse être universalisée », traduit en langage populaire : « si tout le monde faisait pareil, personne ne pourrait plus vivre »). Une utopie mobilisatrice.

2- Les normes, traduisant dans le concret habituel cette dimension universelle. Habituellement, il ne faut pas mentir, il faut lutter pour la justice. Des normes élaborées après coup par des hommes, au contact des leçons de l’expérience : la mémoire de l’humanité. Sous cet aspect, la morale n’est pas éternelle. (Cf. l’acte sexuel pendant la grossesse, le prêt à intérêt…). C’est le code de la route.

3- Parce qu’il n’y a pas deux situations identiques, chacun a à choisir – non pas sa morale, mais comment il va vivre les repères moraux, que l’on ne peut pas tous respecter en même temps. Il y a conflit de devoirs, impliquant de trancher, de choisir. Et ce n’est pas à l’Eglise de le faire à notre place. Des règles doivent être transgressées pour respecter des principes plus élevés. Se salir les mains, plutôt que de ne pas avoir de main, mais sans verser dans une morale de situation. [Il y a cependant des actes intrinsèquement mauvais.]

La régulation des naissances

Humanae Vitae (juin 1968) indique que les époux sont appelés à la sainteté, que l’homme est créé à l’image de Dieu, fait pour aimer, pour la communion, y compris dans sa dimension charnelle, sa fécondité (l’enfant est une surprise, non un produit de notre fabrication…), avec une « paternité responsable » : il ne s’agit pas de procréer n’importe comment… Un idéal mobilisateur.

Les repères qui permettent de dire qu’une méthode de régulation des naissances est bonne : elle doit être efficace ; satisfaire la relation conjugale, y compris au plan de l’érotisme ; être réversible ; écologique ; sans sexisme, impliquant les deux conjoints… Une méthode d’auto-observation (températures, glaires) s’approche de ces critères, mais aucune ne les satisfait toutes parfaitement. Des femmes ont des cycles très irréguliers impliquant une continence de 20, 30 jours. D’autres ne peuvent se permettre une nouvelle grossesse. Des hommes sont éloignés pendant de longues périodes (marins…). L’amour passe avant. En novembre 1968, les évêques de France invitent dans un conflit de devoir à rechercher devant Dieu, la meilleure solution, sans négliger aucun devoir en conflit, en étant attentif à toute solution susceptible de remettre en cause leur choix et leur comportement d’aujourd’hui, sachant que la contraception ne peut jamais être un bien ; elle est toujours un désordre ; mais ce désordre n’est pas toujours coupable. Les époux entendront avec reconnaissance la parole de Saint Augustin : « Paix aux couples de bonne volonté ». En 1970, Paul VI indique : prendre conscience que l’on est encore soumis à l’impulsion de ses tendances, se découvrir incapable de respecter totalement la loi naturelle ou divine, suscite un désarroi. Mais au lieu de nous abandonner au désespoir, ce désarroi peut être l’occasion de se découvrir pécheur pardonné, créature limitée, mais sauvée.

L’avortement

La vraie question est celle de l’identité personnelle de l’embryon. Un spermatozoïde vit 4 ou 5 jours dans le corps d’une femme. Un ovule vit 24 heures. La vie apparaît au moment de leur rencontre et donne une cellule, appelée à se développer en moyenne 77 ans pour les hommes, 84 ans pour les femmes. Il s’agit dès le départ d’un membre de l’espèce humaine – n’importe quel généticien le dira. Dire s’il s’agit d’une personne échappe à la compétence du savant. A partir de quand s’agit-il d’une personne humaine ? 40 jours pour un homme, 80 pour les femmes, disait-on au Moyen Âge. Au bout de x jours ou semaines ? Le comité consultatif d’éthique définit cela comme une « personne humaine potentielle ». Couper la cellule en deux est possible au début de la vie de cette cellule (en produisant deux vrais jumeaux), non ensuite. Quand commence l’existence personnelle de l’enfant ? Difficile à dire. Le tutiorisme exigerait que ce soit à la charge de celui qui nie l’identité personnelle de cette cellule, de le prouver.

Personne ne considère l’avortement comme désirable. Les dépressions post-avortement, ou à la ménopause, les reproches dans le couple liés à l’avortement… Invitation à s’engager au service de la vie, ou dans des mouvements comme Mère de miséricorde ou Agapè.