Avec le printemps, fleurissent des mariages à l’Eglise. C’est l’occasion d’en repréciser le sens pour aujourd’hui.
A l’heure où s’affirme davantage la revendication d’une égale reconnaissance pour les diverses manières d’être en couple ou de constituer une famille, l’Eglise catholique persiste à penser que le meilleur écrin pour accueillir l’enfant, pour fonder un foyer, se trouve dans l’engagement entre un homme et une femme à s’aimer d’un amour libre, fidèle, indissoluble et fécond.
Certains contestent ces points – qui pour l’Eglise constituent les quatre piliers du mariage – mais peu remarquent que ces points n’ont en eux-mêmes rien de religieux ou de spécifiquement chrétien, car ils concernent tout autant le mariage civil. A ceux qui le contestent en disant que l’on peut divorcer d’un mariage civil, on peut répondre que le mariage civil implique lui aussi de l’indissolubilité, avec l’irréversibilité de droits et de devoirs réciproques qui demeurent entre les époux, y compris lorsqu’il y a séparation : même en ce cas, un couple marié civilement ne peut pas faire comme s’il n’y avait pas eu mariage.
Face à une telle réappréciation du mariage civil de la part de l’Eglise, et qui surprend parfois ceux que nous préparons au mariage religieux, l’interrogation voire le doute, viennent alors sur ce que le mariage religieux change par rapport au mariage civil, voire à l’engagement privé entre deux personnes qui s’aiment. Voici alors quelques ébauches de réponses.
Venant après le mariage à la mairie, le mariage à l’Eglise apporterait :
– un « plus » indéfinissable de l’ordre d’une « atmosphère », d’une « ambiance » qui donnerait plus de poids symbolique à l’engagement des époux ;
– une bénédiction, au sens où Dieu « dirait du bien » du couple constitué ;
– une « grâce sacramentelle », d’un don de Dieu qui se rendrait présent, comme c’est le cas en tout sacrement, et qui ferait grandir la foi en lui.
Tout cela est juste… mais peut aussi être critiqué !*
En quoi la force de l’engagement des époux dépendrait-elle du décor (mairie ou église) ou de la présence de figurants (témoins, clergé, invités…) ? En quoi Dieu ne dirait-il pas du bien de l’amour entre deux êtres avant leur mariage ? Dans un amour selon les quatre piliers de la liberté, de la fidélité, de l’indissolubilité et de la fécondité, déclaré en privé par un homme et une femme, Dieu n’aurait-il pas déjà tout donné ? Que reste-t-il à recevoir puisque « où sont amour et charité, Dieu est présent. » (hymne grégorienne pour le Jeudi Saint) ?
C’est là la limite d’un raisonnement en terme de « ce-que-l’on-peut-recevoir-de-plus » avec le sacrement du mariage, mais aussi avec tout sacrement. Car en toute liturgie – qui étymologiquement signifie le « service public » que l’Eglise accomplit en union avec le Christ – célébrer un sacrement ce n’est pas d’abord chercher à recevoir quelque chose qui manquerait, mais plutôt « servir » et donner rien moins que soi-même, en consacrant à Dieu ce que l’on a déjà reçu de lui, à partir du constat proprement chrétien de ce que Dieu a déjà tout donné en son Fils Jésus-Christ. Mieux encore : de ce qu’en Jésus-Christ, Dieu nous donne de quoi nous donner nous-mêmes !
Logique de gratuité, le mariage chrétien part d’une double « reconnaissance » :
– au sens d’ »identification » de Dieu comme source première de l’amour entre un homme et une femme capables de s’engager – même en privé – selon les quatre piliers ci-dessus ;
– au sens de « gratitude » à l’égard de Dieu, en lui consacrant ces dons reçus de lui que sont déjà le couple, l’amour entre époux, ceux-ci acceptant en retour la responsabilité de veiller sur ces biens qui ne leur appartiennent plus, mais qui appartiennent à Dieu et dont Dieu leur confie la gérance. Promesse de sérieux et de décontraction tout à la fois…
Dans tout sacrement, à commencer par le baptême, la question n’est pas celle de savoir si on en a « besoin » pour (s’)aimer davantage, pour être plus croyant etc… une question qui reste centrée sur soi. Elle est moins encore celle d’être aimé davantage de Dieu : Dieu est amour, et son amour infini pour chacun n’est pas déterminé par le fait d’être ou non « pratiquant ». La vraie question est plutôt celle du psalmiste : « Comment rendrai-je au Seigneur tout le bien qu’il m’a fait ? » (Ps 115) à laquelle il répond immédiatement en termes liturgiques : « J’élèverai la coupe du salut. J’invoquerai le Nom du Seigneur ! »
Comme à chaque Eucharistie, où l’assemblée dit pourquoi elle célèbre : « pour la gloire de Dieu et le salut du monde« , tout sacrement est une réponse à l’amour de Dieu déjà reçu (et reconnu tel moyennant la foi), une remise de soi, un décentrement, un « rendre gloire à Dieu » qui est le contraire du « pour moi ». Or ce n’est qu’avec le Christ qu’un tel décentrement vers le Père et vers les autres est possible : « en dehors de moi, vous ne pouvez rien faire. » (Jn 15,5) Célébrer un sacrement, c’est alors s’en remettre au Christ, lui consacrer ce que nous recevons et transformons de la Création, ce « fruit de la terre et du travail des hommes » (messe), lui consacrer cet amour que nous avons reçu de Dieu (mariage), lui consacrer cette faiblesse, cette fragilité qui nous affecte par le péché ou la maladie et que nous confions au Seigneur, certains qu’il saura bien en faire quelque chose (sacrement du pardon, sacrement des malades), lui consacrer notre énergie, notre envie de vivre, d’agir, de nous engager (confirmation), lui consacrer toute notre personne en plongeant avec lui dans cette aventure de la vie qui intègre la mort (baptême)… et recevoir en retour ce que nous avons consacré au Christ comme la plus haute des bénédictions : le fait de pouvoir « offrir notre personne et notre vie en sacrifice saint, capable de plaire à Dieu. C’est là l’adoration véritable » (Rm 12,1). La grâce de tout sacrement qui unit au Christ est qu’un tel don de soi à Dieu et au monde soit effectif. « Donne-moi seulement de t’aimer » (Saint Ignace de Loyola)
A l’occasion d’une récente rencontre commune de préparation au mariage en doyenné, un des fiancés présents a eu la sincérité de dire que s’il se mariait à l’Eglise, c’était « pour l’autre », en désignant celle avec qui lui, non croyant, allait se marier. Belle remarque finalement, car il suffit de la corriger en « pour l’Autre » et « pour les autres » pour dire la valeur sacramentelle du mariage chrétien.
* Le même genre de propos arrive lorsqu’il est question du « plus » qu’apporte le sacrement du baptême :
– la satisfaction de faire les choses comme il faut, comme la tradition le demande : la famille, l’Eglise… ;
– l’entrée dans la communauté chrétienne ;
– une bénédiction-protection contre le mal ;
– le fait de devenir enfant de Dieu.
A cela, on pourra objecter que tout être humain est enfant de Dieu dès sa conception, qu’il soit baptisé ou non, qu’il soit croyant ou non ; que le chrétien n’est pas épargné par le scandale du péché, du mal, de la souffrance et de la mort ; que les frontières de l’Eglise débordent le groupe des baptisés, ne serait-ce que parce qu’y sont admis les catéchumènes non encore baptisés ou les tout-petits « baptisés » d’un « baptême de désir » ; et enfin que toute tradition est relative à un lieu du monde et à un moment de l’histoire, et qu’à se contenter de la respecter pour la respecter, on en viendrait à n’être musulman ou bouddhiste que du seul fait d’être né au Maghreb ou en Asie, ou à l’inverse « catholique et français, toujours ».
Le baptême ne fait donc pas devenir enfant de Dieu, car c’est déjà l’identité de tous. Il rend pourtant possible de « devenir ce que nous sommes » (Saint Augustin) de vivre en cohérence avec cette identité commune, en réponse à l’amour reçu de Dieu, en reconnaissance à l’égard de cet amour. Cette vie chrétienne ne relève pas d’abord d’une supériorité morale du baptisé, mais de ce que le baptême signifie et réalise : une plongée dans le Christ, une remise de soi au Christ, qui nous partage son identité parfaite de Fils de Dieu, afin que ce ne soit plus nous qui vivions, mais le Christ qui vive en nous. (Ga 2,20) Le baptême consacre alors au Christ l’enfant de Dieu que nous sommes déjà, pour que nous vivions en fils ou en fille de Dieu, dans le Fils unique de Dieu.