Appeler à devenir prêtre

Quelques réflexions sur la responsabilité de tous dans l’appel au ministère presbytéral

Ne nous le cachons pas, il est difficile aujourd’hui d’appeler un jeune ou un adulte à devenir prêtre. En moins de deux générations, l’affaiblissement de la place du prêtre dans la société – et peut-être aussi dans l’esprit de certains chrétiens ne voyant en lui que l’homme des sacrements, voire des obsèques -, le caractère exceptionnel d’un tel état de vie, du fait de son célibat et d’un style de vie en rupture avec la société (deux éléments qui peuvent marginalement attirer certains tempéraments valorisant cette rupture), la diminution du nombre de prêtres en France, la surcharge qui en résulte pour ceux en activité, les qualités requises pour être responsable de communauté, la longue formation qui y prépare… mais aussi une image dégradée par des scandales comme celui de prêtres pédophiles, tout cela fait de la vocation presbytérale une sorte d’anormalité. Des amis chrétiens confiaient récemment que pour bien des gens de leur entourage, le « coming out » homo d’un fils choquerait moins que l’annonce de son désir de devenir prêtre !

Et s’il pouvait être « normal » d’appeler à devenir prêtre ?

Être prêtre n’est certes pas un métier comme les autres, mais il est possible d’en parler à l’aune de critères utilisés pour juger d’autres métiers. Une enquête 2011 de l’université de Chicago sur l’indice de satisfaction professionnelle aux Etats-Unis, place les hommes d’Eglise – « clergy » – en 1ère place dans le classement des métiers qui rendent le plus heureux, devant les pompiers, les kinésithérapeutes, les écrivains, les éducateurs spécialisés…  Sont invoqués par ces heureux professionnels des critères de satisfaction autres que le salaire ou le pouvoir, mais fondés plutôt sur la force et la qualité des relations liées au métier, le fait que le métier ait du sens, qu’il soit utile et que la personne qui l’exerce puisse s’y engager à fond. Certes, il s’agit des Etats-Unis où le prêtre n’a pas le même statut qu’en France, mais les critères restent les mêmes. La vie d’un prêtre – français ou américain – est profondément relationnelle, reliée à Dieu et à l’humanité, équilibrant action et contemplation, vie sociale et solitude, vie spirituelle et service d’autrui, approfondissement de la foi et annonce de celle-ci, réception et transmission de la grâce : c’est de fait un métier magnifique, ce dont nous, prêtres, ne témoignons pas assez, par pudeur, respect humain ou… activisme.

Mais cette approche en terme de métier ne suffit évidemment pas, et pourrait même verser dans le travers contemporain, à la fois individualiste et libéral, où tout ne serait finalement que recherche d’un accomplissement ou d’un épanouissement personnel, c’est-à-dire centré sur soi, et où le service d’autrui ne serait en fait qu’une manière de se réaliser, de se rechercher, de viser son propre bonheur.

Un engagement d’amour

Ëtre prêtre est en réalité une vocation, un engagement-d’amour-pour-la-vie, où la décision de devenir prêtre relève d’une liberté qui est moins d’initiative (partant de soi), que de consentement (à l’initiative d’un autre). Il s’agit moins de vouloir ou de désirer être prêtre, que de répondre à un appel du Christ antérieur à toute décision, un appel qui prolonge et spécifie l’appel adressé à tout baptisé d’être « saint », c’est-à-dire de laisser le Christ vivre en lui, de donner à sa suite sa vie par amour de Dieu et des hommes, et par là de réenchanter le monde. Pour le prêtre, cela suppose d’être disponible à servir, « si Dieu le veut et si l’Eglise l’appelle ».

Le décentrement que cela suppose peut sembler hors-norme, alors qu’il est en fait commun à toute vocation. Ainsi, contrairement à la formule consacrée (qui n’est d’ailleurs plus celle du rituel du mariage), un fiancé ne « prend » pas une femme pour épouse, mais il la « reçoit », ce qui sous-entend que la demande de cette dernière : « veux-tu être mon mari ? » soit antérieure au « oui, je te reçois comme épouse » que son fiancé lui dit ensuite. En tout engagement d’amour, tout se passe comme si l’amour de l’autre était donné gratuitement et antérieurement à l’engagement que l’on prend à son égard, en réponse à cet amour inconditionnel.

De même, être prêtre, c’est pour un chrétien une réponse possible à la question inhérente au baptême – de par la conversion que le baptême suppose ou à laquelle il dispose : « comment rendrai-je au Seigneur tout le bien qu’il m’a fait ? » (Ps 115) Se découvrir infiniment aimé de Dieu, inconditionnellement, sans réserve, jusqu’au don que le Christ fait de sa vie, implique de se savoir appelé à faire de sa vie une réponse à cet amour. C’est l’appel universel à la sainteté.

L’appel de l’Eglise

Qu’est-ce qui fait alors que pour certains, cet appel général se traduise en appel particulier à donner sa vie à l’Eglise, pour à travers elle servir Dieu et les hommes ?

L’analogie du mariage peut être éclairante, car c’est l’appel que l’Eglise adresse à un homme : « veux-tu me consacrer ta vie ? » qui est susceptible de susciter son consentement. C’est alors la vitalité d’une communauté chrétienne, l’amour évangélique dont elle vit déjà et dont un de ses membres a fait l’expérience préalable en son sein, qui donne force à l’appel qu’elle lui adresse pour servir cette vie en Christ, à vivre le don total de sa vie à l’Eglise, comme collaborateur de l’évêque, membre d’un presbyterium, pasteur attentif aux fidèles de l’Eglise et missionnaire à l’égard de tous. Cela requiert un sacré désintéressement de la part de cette communauté, de ceux qui appellent, car on n’appelle pas pour soi, mais pour un service d’Eglise au-delà de la communauté qui appelle.

La désacralisation du prêtre évoquée au début de cet article, peut être alors le préalable à une consécration qui ne soit pas la mise au pinacle d’un projet ou d’un parcours certes généreux ou extraordinaire – au risque de n’être que personnel voire individuel – mais la mise en œuvre d’un projet ecclésial dont l’Esprit Saint est le premier acteur, où le « oui » d’un homme serait relatif à l’appel que lui adresse l’Eglise (c’est-à-dire n’importe quel membre de la communauté chrétienne, avant que l’évêque authentifie cet appel), où l’audace d’appeler aurait autant d’importance que celle de répondre, où serait couronné le souci porté par tous, et non des seuls pasteurs, d’ « appeler des ouvriers pour la moisson ».

A l’inverse de ce que certains disent pour penser le célibat du prêtre, le prêtre n’est pas plus « marié » à Dieu que ne l’est tout chrétien, car l’alliance avec Dieu se réalise dans le baptême, qui greffe l’homme au Christ, qui l’y plonge tout entier. Mais, ce sont des épousailles que le prêtre vit avec l’Eglise, vécues librement, fidèlement, pour toujours et pour donner la vie, et auxquelles convient son célibat, nonobstant ce qui a pu ou pourrait varier dans la discipline de l’Eglise à cet égard.

Être pierre d’Eglise

La veille de mon ordination diaconale, une fillette de mes amis me demandait ce que c’était qu’une ordination. Lui répondant que c’était comme un mariage-avec-l’Eglise, elle me redemanda : « Comment tu vas l’embrasser, l’église ? Tu monteras sur une échelle ? » Je lui répondis dans le sens de ce que j’avais lu dans Ma vocation, le beau livre de Jean-Paul II, que ce moment serait celui de la grande prostration, visage contre le sol pour l’embrasser, pour signifier le lien indissoluble reliant le prêtre à une terre, à une culture, à une portion d’Eglise, pour faire corps avec cette terre, être pierre d’Eglise, non pas clé de voute en haut de l’édifice, mais à ras le sol, pour qu’en s’appuyant sur nous, les autres s’élèvent plus haut.

Jeudi Saint, 28 mars 2013

p. Raphaël BUI

Service Diocésain des Vocations

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