Ce dimanche 24 mai est le 5ème anniversaire de l’encyclique du pape François « Laudato Si » sur l’écologie, que deux équipes paroissiales à Naussac et à Asprières ont pris le temps de lire pendant plusieurs mois. Le pape François y parle d’ « écologie intégrale », avec l’expression « tout est lié » qui revient à 9 reprises, pour affirmer le lien entre l’attention aux pauvres et à la nature (16, 70), à la paix et à la justice sociale (91, 92), à la vie humaine dans sa fragilité (embryonnaire, handicapée…) (117, 120), aux enjeux environnementaux, économiques, sociaux (138) et même institutionnels (142) ; mais aussi le lien de la communion avec Dieu, avec les autres et avec toutes les créatures (240).
La crise sanitaire du Covid-19 a aussi une cause écologique – les contacts humains avec les espèces sauvages liés à leur chasse et à la destruction de leur habitat – et des conséquences sociales et économiques (particulièrement tragiques en certains lieux, cf. en Inde et en Afrique) qui requièrent une réponse à la fois personnelle, collective et institutionnelle. Ce caractère multiforme de la crise dit la pertinence du diagnostic du « tout est lié » de Laudato Si, mais aussi de son invitation à une « conversion écologique » où il est question notamment de « ralentir la marche » (114) et « d’accepter une certaine décroissance » (193) : « Nous savons que le comportement de ceux qui consomment et détruisent toujours davantage n’est pas soutenable, tandis que d’autres ne peuvent pas vivre conformément à leur dignité humaine. C’est pourquoi l’heure est venue d’accepter une certaine décroissance dans quelques parties du monde, mettant à disposition des ressources pour une saine croissance en d’autres parties. » (193)
Quelques questions pour une mise en pratique :
Comment traduire personnellement et collectivement ce « ralentir la marche » et cette « certaine décroissance » ?
Par exemple, si je devais réduire mes dépenses actuelles d’un tiers – une proportion qui ne soit pas que symbolique -, comment m’y prendrais-je ?
Si je devais employer un tiers de mes ressources pour créer de l’activité ou pour partager, à quoi, à qui les consacrerais-je ?
Pour aller plus loin dans l’accueil de l’encyclique Laudato Si :
La conférence des évêques de France vient d’ouvrir le magazine en ligne (webzine) toutestlie.catholique.fr avec des articles passionnants, notamment pour relire la crise ou pour penser un développement plus juste.
L’hebdomadaire La Vie ouvre aussi dans son dernier n° un dossier sur Laudato Si qui vaut le détour.
Le journal La Croix vous propose de le recevoir gratuitement du 25 mai au 13 juin pour 3 semaines de réflexion pour penser et panser l’ « après-crise ».
Et si la crise actuelle nous donnait d’approfondir ce sujet pour un « après » plus résilient ?
La crise du Covid-19 ailleurs…
Notre diocèse bénéficie de l’aide de prêtres originaires d’Inde et d’Afrique, missionnaires (Fidei Donum) ou incardinés en Aveyron. Voici comment est vécue la crise du Covid-19 dans leur (sous-)continent d’origine.
En Inde
Le drame principal n’est pas la faiblesse d’un système de santé inaccessible pour les pauvres, mais le confinement et le blocage de l’économie informelle (92 % des emplois, et donc sans protection sociale) qui jettent sur les routes des dizaines de millions de migrant workerssans ressource ni moyen de transport pour revenir dans leurs villages à des centaines de km ; endettés, la faim redevient leur 1ère cause de mortalité. La phrase “Je serai sûrement mort de faim avant d’avoir le coronavirus” résume la précarité des pauvres, qu’aggrave le cyclone Amphan au N.E. de l’Inde et au Bengladesh : « le cyclone a détruit nos moyens de subsistance ». bit.ly/covid19-inde ou (en anglais) bit.ly/covid-inde-2
En Afrique
La crise alimentaire due aux conflits était déjà aiguë pour 34 millions d’africains en 2019. 36 millions de plus se retrouvent en grande insécurité alimentaire en 2020 avec l’invasion de criquets à l’est, la sécheresse au sud, tous deux liés au changement climatique, et la pandémie de Covid 19 qui bloque le commerce et affecte les pays importateurs nets de produits alimentaires en en renchérissant le coût. La famine arrive. bit.ly/covid-afrique
Avec d’autres expressions de même sens comme « Ne craignez pas », « Soyez sans crainte », c’est le commandement le plus répété dans la Bible ! … on l’y compterait 365 fois, comme pour dire la pertinence quotidienne de ces mots inauguraux du pape Jean-Paul II : « N’ayez pas peur ! » (22 octobre 1978). La Bible révèle un Dieu qui veut conjurer la peur chez l’homme, non pas pour l’en exempter – il est naturel d’avoir peur d’un danger ou d’un mal -, mais pour que la peur ne dicte plus nos décisions, ne nous fasse plus « perdre cœur » c’est-à-dire le courage, la vertu d’agir malgré la peur.
Or si toute peur – de perdre, de souffrir, de rater, de manquer… – s’enracine dans LA peur fondamentale qu’est la peur de la mort, les chrétiens qui croient en la résurrection parce qu’ils croient en celle du Christ, devraient en droit être reconnaissables à ce courage, sans pourtant que celui-ci soit leur monopole : tout homme capable de faire de sa mort un acte plus sensé que la-survie-à-tout-prix, qu’il s’agisse du fanatique ou du suicidaire, du martyr ou du djihadiste, du héros ou du sage, cet homme-là non plus ne se laisse plus déterminer par la peur, aussi obsédante soit-elle.
Il y a donc courage et courage, comme par exemple, selon Jean Jaurès, celui de persévérer dans le bien, même modeste, autant que dans la visée de l’idéal. Pour le chrétien, si la foi le met en lien personnel avec Jésus-Christ vivant, si le baptême le plonge dans la mort et la résurrection du Christ, si comme le dit frère Christian de Chergé au moine qui s’interroge devant la perspective du martyre : « Ta vie, tu l’as déjà donnée », non seulement par la consécration mais par le baptême [cf. le film Des hommes et des dieux], cette foi chrétienne devrait non seulement libérer de toute peur, mais conduire au Christ, à celui-qui-nous-a-donné-sa-vie-par-amour et qui nous donne la liberté de faire pareil à sa suite : « Jésus par sa mort, a pu réduire à l’impuissance celui qui possédait le pouvoir de la mort, c’est-à-dire le diable, et il a rendu libres tous ceux qui, par crainte de la mort, passaient toute leur vie dans une situation d’esclaves ». (He 2,14-15)
Bien des obstacles peuvent limiter de fait cette liberté, y compris chez les chrétiens. Dans son discours à l’université de Harvard (8/6/1978), la même année que le début du pontificat de Jean-Paul II, Alexandre Soljenitsyne, le célèbre dissident expulsé d’URSS, l’auteur de l’Archipel du Goulag, s’adressant à ceux qui représentaient l’Occident, le camp de la liberté, de la démocratie, faisait ce diagnostic : « Le déclin du courage est peut-être le trait le plus saillant de l’Ouest aujourd’hui pour un observateur extérieur ». Il y a des raisons à cela en Occident : l’éloignement de la mort (guerre, famine, maladie) puis son déni – que l’historien Guillaume Cuchet repère jusque dans la disparition du thème des « fins dernières » ou de l’au-delà dans la prédication des années 60 -, le primat de la revendication de ses droits sur la reconnaissance de ses devoirs, le désintérêt pour le bien commun et le repli individualiste sur la sphère privée qu’avait entrevus Tocqueville comme les périls d’une société démocratique, le bien-être d’un consumérisme outrancier qu’une dialectique du maître et de l’esclave finira par renverser…
Ne plus avoir de passion ou de cause qui justifie qu’on lui consacre sa vie, ni de devoir susceptible d’exiger qu’on fasse le sacrifice de sa vie, fait alors du maintien de son bien-être, de sa survie – ou de ceux de ses proches – la seule fin qui vaille qu’on lui sacrifie tout le reste. Sans la verticalité d’une transcendance appelant au dépassement de l’intérêt de l’individu ou du groupe, ne demeure que la réflexivité soucieuse de soi ou l’horizontalité grégaire du groupe. La crise pandémique actuelle et son traitement précautionneux si coûteux illustrent ainsi notre-hantise-de-la-mort, ou plus exactement la-hantise-de-notre-mort, car la mort lointaine des autres nous dérange peu : 25.000, le nombre des morts du corona-virus en France en trois mois de pandémie, c’est le nombre de ceux qui meurent de faim chaque jour dans le monde, alors qu’une infime fraction des efforts consentis ces jours-ci suffirait à les éviter… [cf. l’édito de Frédéric Boyer (La Croix)]
Les Anciens nous apprennent que la vertu de prudence – qui est la sagesse pratique dans l’action et non pas la précaution et encore moins l’évitement de tout risque – va avec les trois autres vertus cardinales de justice – qui s’attelle au bien d’autrui et pas seulement au sien propre -, de force – c’est-à-dire de courage face à la difficulté et ultimement face à la mort – et de tempérance – et notamment de frein mis à nos appétits égoïstes. Puissions-nous apprendre que la vie vaut « ce que nous sommes capables de risquer pour elle » (Hegel), ou de manière plus évangélique, ce pour quoi on est prêt à la donner, en entendant du Christ : « celui qui veut sauver sa vie la perdra ; mais celui qui perdra sa vie à cause de moi et de l’Évangile la sauvera » (Mc 8,35). Comme bien des professions l’ont montré dans ce temps de confinement, le don désintéressé de nous-mêmes, l’oubli de soi, la préoccupation pour les plus malheureux, le sens du sacrifice seront indispensables pour sortir de cette crise.
[cf. un article sur ce que nous apprend La Peste de Camus]
Dans ce temps de crise sanitaire et économique, les réseaux sociaux donnent de repérer en ce moment deux questions distinctes :
1- Comment résorber le chômage dans une économie en récession, parce que dépendante de la consommation de biens et services dont huit semaines de confinement nous auront fait nous passer ?
2- Pourquoi reporter aussi loin des célébrations d’Église et en premier lieu la messe ?
Leur enjeu n’est évidemment pas le même, ne serait-ce que par le nombre de personnes concernées, mais ces deux questions ont en commun de nous interroger sur ce qui est ou non « de première nécessité », des nécessités d’ordre différent, au sens des trois ordres pascaliens – des corps, des esprits, de la charité.
Pour la première question, contrairement au schéma d’un travail finalisé par ce qu’il permet de gagner et de consommer, la crise actuelle rend flagrants :
(1) l’inégalité des échanges Nord-Sud qui sacrifie le travail dans les pays pauvres et tout particulièrement en temps de récession (des centaines de milliers d’ouvrières du textile au Bengladesh sans emploi et donc sans revenu ; des quelques 40 millions de travailleurs migrants en Inde, renvoyés chez eux sans ressource parfois à des centaines de km à pied) : la crise actuelle menace les populations des pays les plus pauvres dans leurs besoins vitaux, parce que le brusque ralentissement du commerce mondial les prive de travail même sous-rémunéré, d’indispensables ressources alimentaires importées, et de débouchés pour leurs matières premières ou leurs industries de main d’œuvre. Le confinement y lamine aussi une économie informelle de survie au jour le jour, sans parler d’autres misères antérieures à cette crise, comme les guerres civiles, l’invasion de criquets à l’Est de l’Afrique, la sécheresse au Sud, la terreur djihadiste au Sahel jusqu’au Mozambique… Sur le risque de pénurie alimentaires, cf. vidéo ICI.
(2) l’impasse pour les pays riches de fonder l’emploi sur une croissance liée à une consommation de biens non nécessaires venant de l’autre bout du monde (30 millions de chômeurs aux États-Unis) : pour les pays les plus riches, alors que leurs besoins essentiels sont satisfaits, maintenir le niveau de vie et résorber le chômage, semblent requérir une croissance incompatible avec la finitude des ressources et l’équilibre écologique. Cette croissance devient hypothétique lorsque le confinement restreint chacun à ne consommer que l’essentiel, rendant vaines l’amélioration ou l’augmentation de biens ou services non nécessaires. L’économie des pays riches s’effondre lorsque l’on s’y contente de dépenser le strict nécessaire !
Tout cela montre que la vraie denrée rare pour tous, le véritable bien de première nécessité, c’est… le travail lui-même, pour lequel nous devons réviser nos objectifs, les motiver autrement, non plus par la consommation de « toujours plus » de superflu ici, rimant avec gaspillage et déséquilibres sociaux et écologiques là-bas, mais plutôt par :
(a) la satisfaction des besoins de ceux qui manquent du nécessaire : là se trouve la vraie réserve de croissance ;
(b) la chance que le travail donne de déployer son énergie et ses talents, d’être utile, de servir.
Au contraire d’une finalité du travail reposant sur ce que l’on y gagne (le hélas trop fameux : « travailler plus pour gagner plus »), il s’agirait de « travailler plus pour se donner plus ». Certes « tout travail mérite salaire ». Pourtant, les semaines passées ont montré bien des exemples d’engagement et d’héroïsme, de dévouement et de fierté au travail, bien que non corrélés avec un salaire à la hauteur. Est-ce alors utopique de faire de la satisfaction non pas de l’envie d’un superflu dont nous avons un peu appris à nous abstraire, mais des besoins vitaux des plus pauvres, le moteur d’une vraie et légitime croissance, d’un vrai travail-don-de-soi ?
Le mot fameux de J.F. Kennedy : « Ne vous demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous, mais demandez-vous ce que vous pouvez faire pour votre pays », s’applique ici et rejoint la doctrine sociale de l’Église avec son principe de « destination universelle des biens ». Aussi légitime et naturel soit-il, le droit à la propriété – en particulier des fruits du travail – est ordonné et relatif au bien le plus large que l’on puisse faire de son usage. Ce qui peut se traduire de diverses manières : consentir, non seulement de bonne grâce, mais comme un honneur, comme un lien d’appartenance à la communauté nationale, au fait de participer à cette nécessaire redistribution qu’est… l’impôt ; dans nos choix de dépenses, privilégier ce qui contribue le plus et le mieux à créer de l’activité pour ceux qui manquent de travail ; renoncer au dernier gadget technologique pour acheter tel produit local ou équitable ; adopter comme premier critère de réalisation dans mon travail, non le montant du salaire, mais l’utilité qu’il a pour les plus pauvres ici et là-bas ; même avec des projets futurs, s’interdire de thésauriser pour thésauriser ; envisager comme l’a évoqué le pape François un « salaire de base universel« …
Il se trouve que la question sur la messe a des accents analogues, avec le risque de la réclamer en la comprenant comme ce-dont-le-confinement-nous-aura-privé, voire ce-dont-tel-ou-tel-voudrait-nous-priver avec un étonnant soupçon d’atteinte à la liberté de culte alors qu’il ne s’agit que de simple précaution sanitaire. Une telle attitude reviendrait à voir dans la communion un bien surnaturel certes, mais guère mieux qu’un produit de consommation à obtenir. Avec la célébration des sacrements, avec la liturgie – étymologiquement « service public » par le peuple – la vraie question est en réalité celle du psalmiste : « comment rendrai-je au Seigneur tout le bien qu’il m’a fait ? » (Ps 115), ce qui en régime chrétien se traduit en louange (rendre grâce à Dieu) et en amour (servir son prochain), nous décentre de nos « besoins » propres et nous oriente vers le tout-Autre et vers autrui.
« Je vous exhorte donc, frères, par la tendresse de Dieu, à lui présenter votre corps – votre personne tout entière –, en sacrifice vivant, saint, capable de plaire à Dieu : c’est là, pour vous, la juste manière de lui rendre un culte. » (Rm 12,1) L’Eucharistie en est certes la source et le sommet, mais elle est célébrée pour la gloire de Dieu et le salut du monde, pour qu’un tel don de soi de notre part, en louange à Dieu et en service du frère, un tel sacrifice, soit toujours et en tout lieu effectif.
La politique est « forme éminente de la charité », « champ de la plus vaste charité » (Pie XII) en ce qu’elle vise un ordre social juste, humain, responsable, et qu’elle est un art de gouverner et d’organiser au mieux la société. Si elle requiert de conquérir et d’exercer le pouvoir, ce dernier ne peut être recherché comme une fin, mais comme moyen de servir la société : inverser fin et moyen est le signe de ce que l’on n’est plus dans la charité, que l’on s’est dévoyé de la politique.
La politique ne peut promettre une société parfaite, du fait de cette faille au cœur de chacun – à ne pas faire le bien que l’on veut, et à faire le mal que l’on ne veut pas – et que la tradition chrétienne appelle « péché originel ». « Qui veut faire l’ange fait la bête » (Pascal) et les utopies politiques dégénèrent souvent en totalitarismes sanguinaires de par leur prétention à une perfection. La meilleure organisation de la société, si tant est qu’elle existe, ne compense pas le péché ou l’égoïsme de ses membres, et notamment de ses dirigeants. Une bonne politique peut cependant contribuer à en limiter les effets, et mieux, elle peut favoriser la mobilisation du meilleur de ce dont l’homme est capable, au service du bien commun.
La politique est affaire de compromis. La modestie en politique vient de ce que le bien qu’elle vise a plusieurs dimensions, qu’il s’évalue sur de multiples critères qui peuvent être en concurrence, conduire à des disputes. Cela interdit d’absolutiser un critère au détriment des autres, ce qui est le cas dans tout extrémisme. Plutôt que d’avoir à choisir de manière binaire entre le blanc et le noir, le vrai et le faux, le bien et le mal, le débat politique oblige à choisir entre des nuances de gris, ce qui relativise la passion avec laquelle on peut s’y disputer. Contrairement à un monde parfait, où les idéaux de justice, de vérité, de bien, de beauté, d’unité… convergent harmonieusement en Dieu – ce qu’en termes médiévaux on appelait la « convertibilité des universaux » -, ici-bas, la priorité donnée à telles ou telles dimensions du bien conduit à des projets politiques différents, qui seront meilleurs sur tel point, et moins bons sur tel autre, et inévitablement, meilleurs pour telles catégories de la société, et moins bons pour telles autres.
La politique s’appuie sur un vouloir-vivre-ensemble. Pour être mis en œuvre d’une manière non purement coercitive, un projet politique suppose chez les concitoyens un consentement minimal à faire prévaloir le bien commun sur leurs intérêts catégoriels ou particuliers. Aucun projet politique ne peut prétendre réaliser le bien de la société dans toutes ses dimensions et d’une manière qui satisfasse tous ses membres de façon égale, mais il peut promouvoir un bien commun en s’appuyant sur cette solidarité minimale fondée sur le sentiment d’appartenir à une communauté de destin. Pas de projet politique possible avec une société atomisée – ou « liquide » – où n’existerait pas ce consensus de base. C’est la tâche première du dirigeant politique de favoriser ce consensus, à l’inverse d’un processus électoral qui ferait de la relation électeurs-élus un rapport de clients à fournisseurs, où les candidats prétendraient répondre aux besoins catégoriels des électeurs, plutôt que de les motiver à s’en décentrer.
En politique, l’économie est au service d’un projet commun. A l’inverse de Saint Simon et de tout technocratisme, la politique est davantage le gouvernement des hommes que l’administration des choses. Elle n’est pas que la gestion économique d’une collectivité, mais l’art d’entraîner un collectif vers un avenir désirable. Elle doit pour cela s’incarner en des hommes qui, en leur personne, par leur histoire autant que par leur projet, donnent envie d’un avenir commun.
La politique est affaire contingente. Je peux préférer tel candidat, en étant lucide non seulement sur ses limites ou celles de son projet, mais aussi sur les miennes, sur mes œillères, sur la possibilité de me tromper : je ne me définis pas par mon vote ! La politique doit « faire avec » les limites de ceux avec et pour qui elle s’exerce. Elle doit tenir compte de l’écart entre l’élaboration du projet, et ce que permettent la relative adhésion qu’il suscite dans le peuple, et les contraintes extérieures – économiques, géo-politiques, écologiques…
Quelques convictions personnelles : en me voulant chrétien, je préfère l’altruisme social, le partage des richesses, mais ceux-ci ne valent que s’ils sont librement consentis, personnellement d’abord, puis collectivement par un choix démocratique ; ils ne peuvent être imposés par une nomenklatura à la manière du communisme ; contre l’économisme, la recherche effrénée de la compétitivité, et la financiarisation de la société, je préfère une certaine décroissance – qui commence à l’échelle personnelle en acceptant de consommer moins, plus éthique du point de vue social et environnemental, quand bien même ce serait plus cher (et moins compétitif), pour s’étendre à toute la société par contagion, imitation puis réglementation, voire protectionnisme ; la souveraineté n’est pas une affaire de taille (à moins de n’en rester qu’au plan économique : celui des « économies d’échelle », de la taille critique face à la concurrence mondiale), mais de confiance en son identité : pour la France, pour le meilleur et pour le pire, cette identité inclue une prétention historique à l’universel – comme Fille aînée de l’Église et comme Patrie des Droits de l’Homme et des idéaux de la Révolution, par l’évangélisation ou par la colonisation – et donc à la laïcité qui les distingue sans les séparer ; j’assume un conservatisme à la fois sociétal et environnemental, car « tout est lié » (pape François, Laudato Si) : « Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse. » (Camus) Cela se traduit dans une éducation qui privilégie l’enseignement de savoirs, la transmission d’un patrimoine culturel dont l’histoire a trié le meilleur, plutôt que l’acquisition de compétences up-to-date qui relèvent de la formation ultérieure.
Enfin
…je ne crois pas qu’un homme providentiel puisse changer un pays,
…un pays ne vaut pas en fonction de ce qu’il produit, gagne ou consomme, mais de ce pour quoi il est prêt à se dévouer, des causes pour lesquelles il est prêt à s’engager,
…un bon dirigeant politique est moins un gestionnaire de talent que celui qui oriente le mieux la générosité, la capacité de don du pays vers les plus grandes causes,
…pour cela, il favorise le sentiment d’appartenance, la communauté de destin des citoyens qui leur permettent de se décentrer de leur individualisme, de viser plus haut, plus collectif,
…il ne peut le faire qu’en incarnant lui-même ce dévouement, ce décentrement, en donnant l’exemple,
…mon choix est tout récemment fait, sur les candidats à l’élection présidentielle et leur projet,
…ce choix est complètement discutable, critiquable, et je serai peut-être le premier à le contester dès après les élections,
…cet avis est d’autant plus relatif que je suis prêtre catholique, et que certains fidèles pourraient « bêtement » me donner un rôle d’éclairage des consciences que je n’ai pas sur une question contingente – le choix électoral – sur laquelle je n’ai ni plus ni moins à dire que chacun !
Nous avons eu samedi 10 novembre une vive discussion avec une quinzaine d’étudiants après la messe des jeunes à propos des questions sociétales en débat aujourd’hui. Pour alimenter celui sur le projet de loi de « mariage pour tous » qui a donné lieu à la « manifestation pour tous » samedi 17 novembre en divers lieux en France, et notamment à Toulouse, mais aussi et surtout celle qui aura lieu à Paris, le dimanche 13 janvier à 13h dans le 13ème arrondissement (place d’Italie), voilà des points de vue que j’ai exprimés dans des débats (enflammés) sur facebook :
La question n’est pas celle de l’égalité, mais du rapport entre droit « à » l’enfant et droit « de » l’enfant, car le mariage homosexuel ne pose problème que parce que ses promoteurs le présentent comme une nouvelle étape du « droit A l’enfant ». Avec le PACS, ses partisans disaient la main sur le coeur que l’adoption serait exclue (cf. le discours d’Elisabeth Guigou, ministre de la justice de l’époque pour défendre le PACS) ; on en parle maintenant. Dans le programme de Fr.Hollande, et il y a encore un mois, on disait que la PMA pour les couples de femmes serait exclue ; Najat Vallaud-Belkacem puis la majorité parlementaire en parlent maintenant pour le mois de mars. On dit aujourd’hui que la GPA pour un couple d’hommes serait exclue ; quand fera-t-on sauter ce tabou rétrograde-discriminant-contraire-à-l’égalité-des-droits ? C’est ce que demande explicitement Pierre Bergé : « Louer son ventre pour faire un enfant ou louer ses bras pour travailler à l’usine, quelle différence ? » Ce qui passe aux oubliettes, c’est l’égalité des enfants, le « droit DE » l’enfant à bénéficier d’un père et d’une mère…
Aussi légitime et même souhaitable soit le désir d’enfant de la part du couple, quel qu’il soit, homo ou hétéro, pour accueillir l’enfant, ce désir ne suffit pas à fonder la parentalité. On le comprend bien lorsque l’on refuse à un couple de retraités, et même à un couple de cinquantenaires l’agrément pour l’adoption d’un enfant. Au contraire, faire de l’existence d’un projet parental, du désir d’enfant de la part d’un individu ou d’un couple, quel qu’il soit, la cause formelle de l’advenue d’un enfant (le-projet-parental-comme-seul-fondement-de-l’existence-de-l’enfant), cette manière de voir nie l’enfant comme finalité en lui-même, irréductible au seul projet d’un tiers, fût-ce de ses parents. C’est ce que les chrétiens disent en disant que les parents ne sont que procréateurs, et non créateurs de leurs enfants, ce que l’on peut moquer en disant que « l’enfant ne tombe pas du ciel », mais qui peut aussi se dire plus simplement en considérant l’enfant comme un don, et non comme un dû ou un droit. Penser l’inverse, conduit effectivement à demander à la technique (PMA, GPA) ou à n’importe quel moyen (argent comme c’est le cas pour des GPA aux USA, contrainte, comme c’est déjà le cas en Europe de l’Est) de suppléer pour satisfaire le désir individuel selon une logique qui est de fait celle du libéralisme. C’est sûr que d’écrire cela va de pair chez moi, et dans la pensée de l’Eglise catholique, avec une remise en cause du « droit » à l’avortement, de la PMA, et bien sûr de la GPA… ce qui est dur à avaler à beaucoup, mais a autant de cohérence – inversée – que celle de Pierre Bergé cité par F.X. Bellamy : le choix est celui de l’une ou l’autre de ces cohérences ; le discours d’Elisabeth Guigou en 1998 voulait se le cacher…
Pour aller plus loin :
– les réponses de Xavier Lacroix aux questions du journal « Le Monde » à propos du « mariage pour tous » (26 octobre 2012).
– la conférence de Henry Couleau à Rabastens (81) le 8 novembre 2012, sur « Elle et lui, père et mère » (1h):
– une revue de presse précise suite à la manifestation du 17 novembre, sur le site lemessin.wordpress.com.
– l’enquête sur les études sur le genre en Norvège (40′) où est manifeste une posture idéologique refusant les faits contraires à une théorie qui ne veut voir dans l’identité masculine ou féminine qu’un conditionnement éducatif, social ou culturel, sans base biologique ou naturelle :
L’argumentaire du philosophe Thibaud Collin à propos du mariage homosexuel (13 décembre 2012) :
La réflexion de François-Xavier Bellamy sur la logique libérale à l’oeuvre dans le projet d’adoption, PMA (et pour Pierre Bergé, GPA) pour tous (18 décembre 2012)
La réflexion profonde d’Erwan Le Morhédec (koztoujours.fr) sur le sujet (7 janvier 2013).
Les élections présidentielles suscitent des réflexions en Eglise sur les critères de vote. Les évêques de France ont publié des « éléments de discernement » (3 octobre 2011), pour dire non pas « pour qui » voter, mais pour proposer des critères, « pour quoi » voter. Des laïcs soucieux de rendre accessible ce texte des évêques l’ont mis en forme dans le site de quellesociete2012.fr et via la vidéo ci-dessous commentée sur le blog koztoujours.fr.
Quelques remarques :
1- Mettre en priorité la vie, la famille et l’éducation, en les considérant comme « plus décisifs que d’autres », cela peut se comprendre à l’heure où il ne s’agit pas seulement de raffiner l’ « administration des choses » mais de rappeler les principes de notre vivre ensemble, pour « construire ensemble une société digne de l’homme ». Mais cela implique-t-il que les questions d’économie, de justice sociale, ou de développement (du Sud ou durable) passent en second plan ? Faut-il opposer morale privée (familiale, affective…) et publique (économique, sociale…), ou privilégier l’une par rapport à l’autre ?
2- A l’inverse, tout mettre au même plan sans pondérer les sujets, n’est pas satisfaisant, et sous des apparences de neutralité sous-entend en fait un classement. Ce qui est par exemple le cas pour certains tests d’évaluation du candidat qui nous ressemble le plus, sans coefficient de pondération, et qui ne remplacent pas l’examen en conscience des programmes des candidats.
3- D’autres critères d’évaluation auraient aussi pu être ajoutés, en lien avec la doctrine sociale de l’Eglise, comme les 16 propositions du « pacte pour une terre solidaire » du CCFD-Terre Solidaire, pour en finir avec les paradis fiscaux, responsabiliser les multinationales, lutter contre la spéculation sur les marchés agricoles et respecter les droits des migrants.
Différents outils de comparaison des programmes existent, notamment celui très bien fait de rue89 qui détaille sur 38 sujets les positions des 6 principaux candidats.
Sur le même site se trouve le beau travail de Blandine Grosjean, rédactrice en chef adjointe de Rue89, qui confronte les programmes de ces 6 candidats aux critères listés par les évêques (sauf ceux d’économie & justice, et d’Europe).
Des tests existent aussi pour confronter les programmes des candidats à ses propres convictions, avec notamment celui sur libertepolitique.com, sous forme de 20 questions où l’on doit répondre de « pas du tout d’accord » à « tout à fait d’accord », et qui donne des résultats parfois conformes à l’intuition que chacun a au départ, ou qui parfois surprennent.
De fait, de tels tests ont l’inconvénient de donner le même coefficient de pondération à toutes les questions posées, à tous les critères, alors que la plus ou moins grande importance accordée à chaque question – au-delà de la réponse qu’on lui donne – traduit déjà une préférence politique.
D’où le petit outil suivant que je me suis amusé à faire, un tableur excel à télécharger, qui reprend les 13 critères listés par les évêques, les notes données par rue89 aux candidats selon ces critères – certaines légèrement amendées… et amendables -, mais où l’on peut en plus affecter ses propres coefficients de pondération à chaque critère, ce qui peut changer le candidat réputé « proche » de ses convictions.
Ce tableau reste perfectible : j’attends vos suggestions, notamment sur d’autres propositions de notes !
Facebook est un provocateur de débat… ce soir, avec un lycéen sur la légitimité de l’utopie, si les idéologies qui ont voulu en réaliser une ont débouché sur des totalitarismes sanguinaires.
Le désir de l’absolu, la visée du Bien avec un grand B, de tout ce que tu indiques de parfait, fait partie de notre identité d’être humain, et que le livre de la Genèse signifie en disant de l’homme qu’il est créé « à l’image de Dieu », on pourrait même dire « à l’empreinte de Dieu », « capax Dei », d’une capacité destinée à être remplie par Dieu. L’homme est ainsi en creux infini, éternel insatisfait, car il est fait pour accueillir rien moins que Dieu. « Tu nous as fait pour toi, Seigneur, et notre coeur est sans repos [inquietus], tant qu’il ne demeure en toi. » (Saint Augustin, encore !) Aussi, l’inquiétude de l’homme de désirer l’infini bien au-delà de ce qu’il peut réaliser, seul ou collectivement, ne peut se résoudre que de 3 manières :
– La première est de s’illusionner sur soi, sur le monde créé, et sur ce que l’on peut y créer nous-même, en pensant que nous aurions la capacité de satisfaire nous-mêmes cette aspiration, par nos oeuvres (artistiques, scientifiques, économiques, politiques etc…) ou par la possession de telle ou telle chose (objet, diplôme, honneur…). On tombe alors dans l’idolâtrie, le fait de prendre une réalité finie pour Dieu, d’absolutiser ce qui n’est qu’un moyen, de lui demander… tout. On tombe alors au mieux dans l’activisme ou l’orgueil, la course au toujours plus, ou au pire dans le fanatisme. Bien des messianismes temporels viennent de cette illusion de pouvoir faire soi-même l’oeuvre de Dieu.
– La seconde est de renoncer à cette aspiration, à cette tension vers l’infini, en considérant au contraire de l’idolâtre, que tout est relatif, que « vanité des vanités, tout est vanité » (Ecclésiaste). C’est là une voie d’une apparente sagesse, mais qui est en fait une sagesse de médiocre, parce qu’elle renonce à ce désir d’absolu qui nous constitue comme homme, mais aussi parce qu’elle détourne de prendre au sérieux le monde tel qu’il est, le progrès qu’on peut et doit lui imprimer. C’est ce que l’on reproche à juste titre aux philosophies orientales qui insistent sur cette relativité de toutes choses, sur le fait que nous ne sommes que de passage, mais qui finalement consentent trop facilement au monde tel qu’il est.
– La troisième voie, la seule qui respecte l’homme dans son mystère, sa quête de l’absolu et sa responsabilité à l’égard du monde fini, c’est celle qui consiste à accueillir le mystère de l’Absolu qui se donne dans le relatif, de l’éternel qui se donne dans le temps, du Verbe qui se fait chair, de Dieu qui se fait homme. Il y a là une toute autre sagesse que celle qui part de soi pour s’ajuster à la relativité de toutes choses (pour moi, c’est ça le bouddhisme). C’est la Sagesse de ceux qui savent « voir Dieu en toute chose » (Saint Ignace de Loyola), qui avec les yeux de la foi savent repérer dans la finitude des créatures et de nos oeuvres, dans l’apparente pauvreté de ce « fruit de la terre et du travail des hommes », ce qui a en fait le goût de Dieu, ce qui est sacrement de Sa présence, non par sa propre vertu, mais par la consécration que lui donne le Christ. Le christianisme est de fait cette voie unique, qui ne détourne pas l’homme d’agir ici-bas, parce que c’est ici et maintenant que l’on s’exerce à aimer et, ce qui est équivalent, à rencontrer Dieu. D’où le double commandement de l’amour, où le premier des commandements est d’aimer Dieu de tout son coeur, de toute son âme, de toute son intelligence – c’est là le propre de l’homme qui désire l’absolu -, et le second qui lui est semblable – et c’est justement au niveau de ce « semblable » (Mt 22,39) que se joue le christianisme – d’aimer son prochain comme soi-même, d’être responsable de lui alors même qu’il partage ma condition de créature finie.
Voici le texte d’un exposé à la soirée du 8 mars 2007 organisée par la commission paroissiale « Vivre l’Evangile au quotidien » sur le thème de l’immigration. Un texte largement inspiré de :L’asile en France, état d’urgence, Comité épiscopal des migrations, commission sociale de l’épiscopat, Justice et Paix, France, 2002 Pour qui se dit chrétien, le sujet « Immigration, regards de chrétiens » devrait être simple pour qui prend au sérieux son maître, le Christ, qui affirme : « J’étais un étranger, et vous m’avez accueilli » (Mt 25,35) En accueillant l’étranger, l’immigré, c’est le Christ, c’est Dieu lui-même que l’on accueille. « Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. » (Mt 25,40)
D’où les invitations constantes de l’Eglise, dans sa doctrine sociale, dans ses prises de position, à promouvoir l’accueil de l’étranger, non seulement l’assistance envers les plus pauvres, comme le sont souvent les migrants, les demandeurs d’asile, les réfugiés, mais aussi un accueil fondé sur l’amour du Christ, étant sûrs que le bien fait au prochain nécessiteux est fait à Dieu lui-même. Il ne s’agit pas seulement d’avoir le souci de l’autre, mais de reconnaître qu’en cet autre, cet étranger, c’est Dieu lui-même qui s’invite, et de le servir comme tel.
Les résistances que nous ressentons en nous-mêmes à vivre davantage ce service de l’immigré, cet accueil de l’étranger témoigneraient donc de l’écart qu’il y a en nous entre foi et pratique, du chemin de conversion qu’il reste à parcourir.
Est-ce si simple ?
Le témoignage biblique atteste en fait que l’hostilité comme l’hospitalité, la fermeture comme l’ouverture à l’égard de l’étranger sont toutes deux présentes, aussi bien dans l’AT que dans le NT. Jésus lui-même ne dit-il pas lui même à la femme syro-phénicienne : « Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues d’Israël » (Mt 15,24s) ?
Il vaut la peine d’y regarder de plus près.
Les migrations tiennent une place importante dans la Bible : peuples et personnages bibliques sont souvent en déplacement, dans des migrations relues comme des étapes décisives de l’histoire de la relation de Dieu avec son peuple :
En positif :
Abraham, dont le père avait quitté Ur, en Chaldée, entend l’appel à quitter sa terre vers une destination inconnue. Il est aussi un modèle d’hospitalité envers l’étranger : quand il accueille les trois visiteurs inconnus au chêne de Mambré (Gn 18, 1-8), son hospitalité est une source de bénédiction : Sara sa femme stérile s’entend promettre un enfant.
Les fils de Jacob s’exilent en Égypte pour des raisons économiques. L’interdiction d’opprimer l’étranger est fondée sur l’expérience d’Israël en Égypte : « Tu n’opprimeras pas l’étranger. Vous savez ce qu’éprouve l’étranger, car vous-mêmes avez été étrangers au pays d’Égypte » (Ex 23,9). Le sort réservé à leurs descendants les pousse à quitter ce pays. La sortie d’Égypte est alors un exode voulu par Dieu, d’où Israël naît comme peuple, avec l’expérience de libération qui fonde sa foi. « Je suis Yahvé ton Dieu qui t’a fait sortir du pays d’Égypte, de la maison de servitude » (Dt 5,6). Jésus fera le même chemin avec sa famille pour échapper au « massacre des Innocents » (Mt 2,13-15).
Lorsqu’il fuit après avoir tué un égyptien, Moïse se conduit comme un homme en quête d’asile. Madiân devient la terre d’accueil où il reconstruit sa vie (Ex 2,11-22) en attendant que Dieu lui confie une autre mission. Élie fuit devant Jézabel « pour sauver sa vie » (1R 19). Pour eux, ce temps d’exil est l’occasion d’une expérience spirituelle : rencontre de Dieu, envoi en mission. L’émigration économique et politique marque ainsi l’histoire de plusieurs figures fondatrices du peuple d Israël.
L’Exil, la déportation à Babylone, est présenté comme une punition de Dieu pour l’infidélité de son peuple. Mais le peuple découvre aussi que Dieu ne l’abandonne pas pour autant. Si Dieu reste avec son peuple exilé, c’est qu’il n’est pas lié à une terre. Découverte par Israël du caractère universel de sa foi au cœur de l’expérience de sa particularité.
Le livre de Ruth raconte l’« intégration » réussie d’une étrangère, qui devient source de bénédiction pour le peuple, puisqu’elle sera la grand-mère du roi David. Le livre de Jonas ouvre aussi la perspective jusqu’au salut des païens ennemis.
Mais aussi, en négatif :
Le retour de l’Exil est l’occasion d’une crise où l’étranger apparaît comme une menace à l’identité d’Israël, un risque de contamination par l’idolâtrie : « Nous avons trahi notre Dieu en épousant des femmes étrangères » (Esd 10,2). Et c’est ainsi que les femmes étrangères et les enfants qui en sont nés sont renvoyés : « La race d’Israël se séparera de tous les gens de souche étrangère » (Ne 9,2).
Dans le Nouveau Testament, le conflit entre Paul et Pierre à propos de l’évangélisation des non juifs (Ga 2), montre que l’ouverture envers l’étranger n’allait pas sans problème. Mais ce conflit conduit Paul à déclarer : « Il n’y a ni Juif ni Grec, il n’y a ni esclave ni homme libre, il n’y a ni homme ni femme, car tous vous ne faites qu’un dans le Christ Jésus » (Ga 3,28).
A l’égard de l’étranger, voilà des positions en tension entre les exigences du quotidien et l’utopie de l’ouverture, entre la préoccupation du réel, la difficulté du quotidien, et l’élan, l’ouverture à l’autre étranger.
L’étranger est en Israël objet d’une législation qui à la fois le protège et l’exclue, porteur de bénédiction et menace pour Israël. Dans le Nouveau Testament, les païens apparaissent comme occasion de conflit dans l’Eglise, mais aussi de révélation de l’universalité de l’Evangile. Cette tension permanente entre hospitalité et hostilité, entre exil et terre promise, entre exode et installation, entre accueil et refus, traverse la Bible. C’est au cœur de cette tension qu’il faut lire la relation à l’étranger, l’étranger qui réside chez soi, le réfugié, le demandeur d’asile, soit politique, soit économique. Sans cette tension, un des deux pôles exclue l’autre : l’étranger ne pourrait alors être qu’exclu ou assimilé. L’accueil se joue entre les deux.
La vraie question posée dans la Bible sur l’accueil de l’immigré n’est donc pas celle de l’économie (« a-t-on les moyens d’accueillir… ? ») mais celle de l’identité (« comment être ou rester soi-même en présence de celui qui est différent ? ») :
a– L’étranger est révélateur de ce que j’ai en commun avec lui, qu’il me rappelle parce que je l’oublie : mon statut d’immigré. Dans sa profession de foi, l’israélite commence par dire qu’il est fils d’émigré : « Mon père était un Araméen errant » (Dt 26,5). « Vous savez ce qu’éprouve l’étranger, car vous-mêmes avez été étrangers au pays d’Égypte » (Ex 23,9), exilé de passage. Mais ceci n’est pas seulement une expérience passée et sur le seul plan géographique (nous venons d’ailleurs). L’expérience de foi (voire toute expérience d’ouverture à l’autre) peut être vue comme un voyage, une mise en route permanente, un pèlerinage sans fin… Parlant de ses frères chrétiens, l’auteur de la lettre à Diognète écrit : « Toute terre étrangère leur est une patrie, et toute patrie leur est une terre étrangère. Ils passent leur vie sur la terre, mais ils sont citoyens du ciel. » Un statut qui relativise toute appropriation de la terre : si le droit naturel de propriété est reconnu par la Doctrine Sociale de l’Eglise, c’est en vue d’un usage qui corresponde le mieux à la destination universelle des biens. Le statut des chrétiens leur interdit de résorber le manque fondamental qui habite l’homme – le désir de Dieu – par l’installation, la satisfaction des besoins, ou le divertissement : « L’étranger qui réside avec vous sera pour vous comme un compatriote, et tu l’aimeras comme toi-même » (Lv 19,34). Dans leur fragilité et leur insécurité, la non-maîtrise de leur destin, leur déracinement, dans leur quête vitale, les immigrés, et tout particulièrement les réfugiés, ont un rôle provocateur et prophétique à l’égard de ceux qui comme nous courent le risque de l’installation, de l’oubli de la précarité de notre « passage sur terre », illusoirement protégés de l’inquiétude de l’avenir. Que signifie alors pour nous avoir besoin du salut ? En quoi avons-nous besoin de Jésus-Christ « le Sauveur » autrement que comme moteur auxiliaire de nos projets ? L’étranger est « comme un compatriote », car la terre n’appartient pas à Israël mais à Dieu. Une égalité foncière qui doit se traduire dans la loi : « La loi sera la même pour l’homme du pays et pour l’étranger de passage au milieu de vous » (Ex 12,49).
b– L’étranger est révélateur de mon identité, de par son étrangeté, provocatrice au dialogue et à la communion dans la diversité. « « L’étranger » est le messager de Dieu qui surprend et brise la régularité et la logique de la vie quotidienne, en rendant proche celui qui est lointain. Dans les « étrangers », l’Église voit le Christ qui « plante sa tente parmi nous » (cf. Jn 1,14) et qui « frappe à notre porte » (cf. Ap 3,20). Cette rencontre – faite d’attention, d’accueil, de partage, de solidarité, de protection des droits des migrants et d’élan d’évangélisation – est le reflet de la sollicitude constante de l’Église, qui perçoit en eux des valeurs authentiques et qui les considère comme une grande richesse humaine. » Instruction romaine sur la Charité du Christ envers les migrants, 2004
c– Mais le respect de la différence peut conduire à la ségrégation ou au ghetto, à l’exclusion (« Je reconnais que tu es différent, alors, rentre chez toi, c’est là que tu seras le mieux ! ») s’il n’est dynamisé par le désir de la rencontre pour ne faire qu’une famille, qu’un peuple. Il s’agit d’être soi-même, mais pour accueillir pleinement l’autre. Le refus de l’autre procède d’ailleurs d’une insécurité, d’une incertitude sur ce qu’on est, sur la valeur universelle de ce que l’on porte, de la culture en laquelle on vit, d’un repli identitaire : « Toute intolérance procède d’un doute sur ses propres sentiments » (Jacques de Bourbon-Busset, Lettre à Laurence). Il s’agit au contraire d’accueillir de l’autre de quoi « m’unir à lui dans une vérité plus haute. » Le bonheur d’être soi est le meilleur garant d’une curiosité bienveillante à l’égard de l’autre différent. Donner le témoignage qu’il est possible de vivre ensemble en respectant nos différences, est le service d’humanité que les chrétiens, l’Église au cœur de cette humanité, veulent donner à voir. Montrer au monde qu’il est possible de vivre ensemble différents. Expérimentant pour nous-mêmes les difficultés à mettre en oeuvre ce projet, les chrétiens offrent leur expérience comme un chemin d’humanité élaboré dans la pratique, dans la peine, dans la difficulté et la joie, un chemin où la rencontre est parfois réalisée. L’Église, grâce à la diversité de ses membres, répartis sur toute la surface de la terre, grâce à sa catholicité propose un universalisme qui puise à sa vraie source : la Pentecôte (Ac 2,8-11).
Dans la Parabole du bon Samaritain, un légiste pose à Jésus la question « Qui est mon prochain ? » à la suite du rappel du commandement de l’amour « du prochain comme toi-même ». Jésus déplace la question : « qui s’est fait le prochain » de l’homme en souffrance ? Passer de la question sur les étrangers qui auraient ou non le droit de rentrer dans mon cercle et devenir mon prochain, à celle de ma sortie du cercle pour me faire le prochain de ceux qui ont besoin de moi. Non pas « que vais-je, qu’allons nous devenir si nous accueillons l’étranger ? » mais « que va-t-il devenir, si je ne l’accueille ? »
Samedi dernier, nous avons eu une rencontre interreligieuse particulièrement bienvenue, avec notamment la présence de plusieurs membres représentants de la communauté musulmane de Rodez. Près de cinq années de dialogue ont tissé entre participants musulmans et chrétiens – catholiques et protestants – des liens de fraternité et de respect. Nous avons donc pu partager posément et fraternellement sur les propos de Benoît XVI, mardi 12 septembre à Ratisbonne, et sur la polémique qui a suivi.
J’avais émis l’idée que la réaction violente de musulmans à des propos évoquant un lien possible entre Islam et violence, pouvait attester la pertinence même des propos (voire des caricatures) sur cette violence.
Un participant (non musulman, mais baha’i) avait alors répondu qu’il ne fallait pas reprocher à une bombe d’exploser, mais condamner plutôt celui qui l’a allumée, en l’occurrence le pape Benoît XVI.
Il me semble que le problème est plutôt le fait qu’il puisse y avoir une bombe : une bombe dont on doit taire l’existence de peur qu’elle n’explose ; une bombe telle qu’à son propos, penser (sous régime islamique pur), parler (en pays à majorité musulmane), dessiner ou écrire (n’importe où) revient à l’allumer.
Un autre participant (catholique) avait indiqué que l’Eglise aurait pu aussi bien rappeler que son histoire n’est pas exempte de violences commises au nom de la diffusion de sa foi.
En réalité, ce rappel a été fait : ce furent les nombreuses démarches de repentance accomplies par l’Eglise catholique avant le Jubilé de 2000 ans de christianisme. Cette reconnaissance publique de nos infidélités historiques à l’Evangile, témoigne justement que si de fait il y a eu de telles pratiques (croisades, inquisition, dragonnades…), endroit, on ne peut se réclamer du Dieu de Jésus-Christ pour commettre ces violences. Inversement, si de fait, la grande majorité des musulmans pratique sa religion dans la paix et le respect des autres religions, peut-on dire qu’en droit cette violence est contraire à la foi de l’Islam, contraire au Coran, qu’il s’agisse de violence sanglante (guerre sainte, esclavage en Afrique, razzias en Méditerranée, génocide arménien…), ou de violence plus soft liée au statut de dhimmitude des chrétiens et des juifs en terre d’Islam ? Il ne s’agit pas seulement de dire que des persécutions religieuses sont aujourd’hui davantage commises par des régimes islamistes ou des pays majoritairement musulmans (Soudan, Pakistan…), car la position de Poutine sur la Tchétchénie, ou de Bush sur la Palestine ou l’Irak pourraient être interprétées pareillement. La question de fond est en réalité celle sur ce qu’autorise ou non la foi : chrétienne (récusant à la fois Poutine et Bush comme agissant à l’inverse de l’Evangile) et musulmane (à propos du ‘Djihad’).
Voici alors quelques liens que j’ai trouvé pertinents :
– Le texte de la conférence de Benoît XVI, qu’il serait malhonnête de critiquer sans l’avoir lu, en version originale allemande, en traduction officielle anglaise ou française. La citation (de l’empereur byzantin Manuel II Paléologue) qui cause la réaction violente du monde musulman se trouve au milieu du 3ème paragraphe. « Montre moi ce que Mahomet a apporté de nouveau et tu ne trouveras que du mauvais et de l’inhumain comme ceci, qu’il a prescrit de répandre par l’épée la foi qu’il prêchait » Telle quelle, on peut comprendre que cette citation fasse réagir les musulmans. Mais : (1) Benoît XVI s’étonne lui-même dans sa conférence de la virulence de cette citation, et celle-ci ne peut donc être considérée comme reflétant sa position ; (2) la violence n’est pas justifiée, même pour réagir à un propos contraire à sa foi. Pour lire cette citation dans son contexte, il faudrait au minimum lire les 2ème, 3ème et 4ème paragraphes. Alors, de manière bien plus interpellante que la citation incriminée, ces paragraphes invitent à une réflexion de fond, sur le rapport entre la foi en un Dieu de pure transcendance, l’usage de la raison humaine pour l’accueillir, et celui de la violence pour la diffuser. De fait, l’interpellation est plus forte pour l’Islam. Qu’y a-t-il à redire ?
– Comme réaction raisonnable à une position contraire à sa foi, Benoît XVI donne lui-même un exemple chrétien à la fin du 1er paragraphe de sa conférence. Un bel exemple musulman de réaction raisonnable est la position de Mohand Halili, recteur de la mosquée d’Aix à Marseille, entendue samedi 17 septembre sur France-Info.
– Voici enfin un article portant sur le fond du débat, au risque peut-être de prolonger la polémique.
Ce petit mémento de D.S.E. est un copier-coller à partir des « en bref » du Catéchisme de l’Eglise Catholique (1998). Il a servi samedi à une présentation à des lycéens et étudiants de l’ « année Samuel ».
C’est l’occasion ici de rappeler :
– la sortie toute récente du Compendium de la Doctrine Sociale de l’Eglise, en deux versions françaises au choix : Edition vaticane ou Bayard-Cerf-Fleurus ;
– les Assises Chrétiennes de la Mondialisation qui se sont tenues ce week-end, et qui témoignent fortement de la réflexion (cf. le Livre Blanc) et de l’action des chrétiens en vue d’une mondialisation au service de l’homme.
***
a– Il existe une certaine ressemblance entre l’union des personnes divines, le Père, le Fils et le Saint Esprit, et la fraternité que les hommes doivent instaurer entre eux.
b– Le respect de la personne humaine considère autrui comme un « autre soi-même ». Il suppose le respect des droits fondamentaux qui découlent de la dignité intrinsèque de la personne.
Les différences entre les personnes appartiennent au dessein de Dieu qui veut que nous ayons besoin les uns des autres. Elles doivent encourager la charité.
c– « La personne humaine est, et doit être le principe, le sujet et la fin de toutes les institutions sociales. » (GS 25) L’homme est lui-même l’auteur, le centre et le but de toute la vie économique et sociale. Pour se développer en conformité avec sa nature, la personne humaine a besoin de la vie sociale. Certaines sociétés, comme la famille et la cité, correspondent plus immédiatement à la nature de l’homme.
Le développement véritable est celui de l’homme tout entier. Il s’agit de faire croître la capacité de chaque personne de répondre à sa vocation, donc à l’appel de Dieu (cf. CA 29).
d– La solidarité est une vertu éminemment chrétienne. Elle pratique le partage des biens spirituels plus encore que matériels. Le devoir des citoyens est de travailler avec les pouvoirs civils à l’édification de la société dans un esprit de vérité, de justice, de solidarité et de liberté.
« Tu ne voleras pas » (Dt 5,19). « Ni voleurs, ni cupides … ni rapaces n’hériteront du Royaume de Dieu » (1Co 6,10). Le septième commandement prescrit la pratique de la justice et de la charité dans la gestion des biens terrestres et des fruits du travail des hommes.
L’égale dignité des personnes humaines demande l’effort pour réduire les inégalités sociales et économiques excessives. Elle pousse à la disparition des inégalités iniques.
La loi morale proscrit les actes qui, à des fins mercantiles ou totalitaires, conduisent à asservir des êtres humains, à les acheter, à les vendre et à les échanger comme des marchandises.
e– Le bien commun comprend « l’ensemble des conditions sociales qui permettent aux groupes et aux personnes d’atteindre leur perfection, de manière plus totale et plus aisée » (GS 26) Le bien commun comporte trois éléments essentiels : le respect et la promotion des droits fondamentaux de la personne ; la prospérité ou le développement des biens spirituels et temporels de la société ; la paix et la sécurité du groupe et de ses membres.
f– Toute communauté humaine a besoin d’une autorité pour se maintenir et se développer. La communauté politique et l’autorité publique trouvent leur fondement dans la nature humaine et relèvent par là d’un ordre fixé par Dieu (GS 74) « Il n’y a d’autorité que par Dieu et celles qui existent sont établies par lui » (Rm 13,1).
L’autorité s’exerce d’une manière légitime si elle s’attache à la poursuite du bien communde la société. Pour l’atteindre, elle doit employer des moyens moralement recevables.
L’autorité politique doit se déployer dans les limites de l’ordre moral et garantir les conditions d’exercice de la liberté. La société doit favoriser l’exercice des vertus, non y faire obstacle. Une juste hiérarchie des valeurs doit l’inspirer. Le citoyen est obligé en conscience de ne pas suivre les prescriptions des autorités civiles quand ces préceptes sont contraires aux exigences de l’ordre moral. « Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes » (Ac 5,29).
Chacun doit se préoccuper de susciter et de soutenir des institutions qui améliorent les conditions de la vie humaine. Il faut encourager une large participation à des associations et des institutions d’élection. Il revient à l’Etat de défendre et de promouvoir le bien commun de la société civile. Le bien commun de la famille humaine tout entière appelle une organisation de la société internationale.
g– L’autorité publique est tenue de respecter les droits fondamentaux de la personne humaine et les conditions d’exercice de sa liberté. Selon le principe de subsidiarité, ni l’Etat ni aucune société plus vaste ne doivent se substituer à l’initiative et à la responsabilité des personnes et des corps intermédiaires.
h– Les biens de la création sont destinés au genre humain tout entier. Le droit à la propriété privée n’abolit pas ladestination universelle des biens : Les biens créés par Dieu pour tous doivent arriver en fait à tous, suivant la justice et avec l’aide de la charité.
i– La domination accordée par le Créateur sur les ressources minérales, végétales et animales de l’univers ne peut être séparé du respect des obligations morales, y compris envers les générations à venir. Les animaux sont confiés à la gérance de l’homme qui leur doit bienveillance. Ils peuvent servir à la juste satisfaction des besoins de l’homme.
j– La valeur primordiale du travailtient à l’homme même, qui en est l’auteur et le destinataire. Moyennant son travail, l’homme participe à l’œuvre de la création. Uni au Christ le travail peut être rédempteur.
k– L’aumône faite aux pauvres est un témoignage de charité fraternelle : elle est aussi une pratique de justice qui plait à Dieu. L’amour des pauvres est incompatible avec l’amour immodéré des richesses ou leur usage égoïste. Dans la multitude d’êtres humains sans pain, sans toit, sans lieu, comment ne pas reconnaître Lazare, mendiant affamé de la parabole (Lc 17,19-31) ? Comment ne pas entendre Jésus : « A moi non plus vous ne l’avez pas fait » (Mt 25,45) ?
l– Là où le péché pervertit le climat social, il faut faire appel à la conversion des cœurs et à la grâce de Dieu. La charité pousse à de justes réformes. Il n’y a pas de solution à la question sociale en dehors de l’Evangile (cf. CA 3). Toute société réfère ses jugements et sa conduite à une vision de l’homme et de sa destinée. Hors des lumières de l’Evangile sur Dieu et sur l’homme, les sociétés deviennent aisément totalitaires.