Dimanche prochain (3 mai 2020) sera le dimanche de la prière pour les vocations.
Sujet inactuel ?
Au contraire, le confinement offre le temps du discernement, et cette crise multidimensionnelle oblige à s’interroger sur le sens de notre agir : se former, s’engager, se consacrer à, travailler, consommer… pour quoi ? pour qui ?
Peut-on considérer notre vie comme une histoire tracée d’avance, sur des rails, comme le jouet de déterminismes économiques ou sociaux, ou à l’inverse comme une pure invention de soi, l’écriture solitaire de sa propre partition à partir de rien ?
En parlant de « vocation », les chrétiens affirment l’antériorité d’un appel qui ne vient pas de nous mais qui sollicite la liberté de notre réponse personnelle ; l’enjeu d’écouter une parole qui correspond d’autant plus à notre désir le plus profond que nous l’entendons comme interpellation venant d’autrui, mieux, du Tout-Autre.
Ni prédestination, ni fatigue d’être soi. Ni déterminisme, ni vertige de la liberté. Ni collectivisme, ni individualisme. Mais une bonne nouvelle : chacun est unique car attendu, espéré, précédé par l’appel aimant d’un Dieu créateur qui l’invite à être créatif avec lui, et à se découvrir fils de Dieu, et en Christ, frère des hommes, à faire de sa vie une offrande « pour la gloire de Dieu et le salut du monde » en réponse au don qu’en Jésus, Dieu a déjà fait de sa vie.
« C’est par sa réponse à l’appel de Dieu contenu dans l’être des choses que l’homme prend conscience de sa dignité transcendante. Tout homme doit donner cette réponse, car en elle il atteint le sommet de son humanité, et aucun mécanisme social ou sujet collectif ne peut se substituer à lui ». (Jean-Paul II, Centesimus Annus n°13)
Quelques lignes pour répondre au journal de la paroisse de Bozouls (12), demandant non pas un commentaire biblique sur les Béatitudes, mais un témoignage sur le bonheur de vivre…
Il m’a fallu du temps pour pouvoir me dire heureux. Non que je fusse malheureux, ce qui serait un manque de gratitude à l’égard de tous ceux qui m’ont donné de vivre, de grandir, d’étudier, de trouver ma vocation, d’avoir le choix de la manière de servir et d’aimer… comme homme, comme chrétien, comme prêtre. Mais dire et même penser ces trois mots : « Je suis heureux », semblait supposer de m’abstraire du scandale du mal, de l’injustice et de la souffrance dans lequel tant et tant sont plongés. Peut-on être heureux lorsque des hommes, des femmes, des enfants sont réduits en esclavage ou en chair à canon, défigurés par la misère et le malheur ? Une profonde insatisfaction m’habite toujours quant à la marche du monde, et elle s’étend à moi-même, de par ma complicité active ou passive à ce désordre établi. Mais cette insatisfaction n’a pas aujourd’hui la même tonalité qu’hier.
Dans les années qui ont précédé ma conversion, cette insatisfaction s’accentuait négativement d’un volontarisme, d’une quête de performance – notamment scolaire -, d’un esprit de compétition, de comparaison avec les autres, qui ôtaient aux efforts légitimes pour m’améliorer la joie de la gratuité. Alors, redevenir chrétien à l’âge de vingt ans après des années d’agnosticisme, expérimenter la miséricorde du Seigneur – avec l’évangile de Luc et le psaume 138 (139) notamment -, m’émerveiller de l’amour inconditionnel de Dieu, et partant, de la valeur et de la dignité infinie de chacun par-delà tout mérite et tout résultat, voilà ce qui a donné à mon insatisfaction de nouveaux motifs, un nouvel esprit, et d’y voir même un chemin de bonheur. Si le bonheur est moins affaire de satisfaction présente (ce qu’est le « bien-être ») que de sens, d’espoir (de « représentation de l’avenir » selon Boris Cyrulkik), et mieux, d’espérance théologale, alors je peux dire aujourd’hui que je suis profondément heureux.
Comme homme, il m’est resté d’une jeunesse très studieuse cet optimisme – certes illusoire, mais si efficace quant à la manière de voir l’avenir – de croire que toute difficulté, tout problème peut être résolu à force de temps et de travail, d’imagination créatrice et de confiance en soi.
Comme chrétien, il m’est venu de rencontrer le Christ, de méditer son mystère pascal, et par là de croire en ce que la défiance de soi, avec les manques, les échecs et le péché, loin de faire obstacle à Dieu, peuvent être pour celui qui les dépose humblement devant le Christ, l’occasion d’une conversion qui fait entrer plus avant dans son mystère. C’est là le motif d’une espérance qui traverse tout désespoir. La maladie même, dont je fais actuellement l’expérience, peut être un lieu de recentrage sur l’essentiel – nous sommes aimés de Dieu – et de décentrement de soi – pas d’inquiétude, nous pouvons aimer -, d’approfondissement d’une prière qui ne soit pas que de demande, mais de consentement à ce qui est, y compris à mourir, comme le disent le titre et le sous-titre d’un des premiers livres d’un converti, maître-ès-bonheur, mon auteur préféré, le philosophe Fabrice Hadjadj : Réussir sa mort. Anti-méthode pour vivre.
Enfin, pour suggérer de manière plus spécifique ce qui fait le bonheur d’un prêtre, je reprends ce que j’ai écrit l’an dernier après avoir énuméré ce que six ans comme curé en Ségala m’ont fait goûter et admirer d’une vie rurale dont j’ignorais presque tout : « C’est déjà un bonheur profond que de pratiquer l’admiration. Mais la vocation de prêtre n’est pas seulement d’être attentif à ce que tous apportent comme joies ou supportent comme peines. C’est aussi et surtout celle de laisser le Christ les prendre dans son offrande à Dieu lui-même, d’en faire Eucharistie. Un peu de foi catholique suffit pour faire pressentir que se joue ici l’acte de sens « plus que nécessaire » qui donne à toute joie et à toute peine d’être transfigurées par le mystère pascal. Par delà les talents et limites personnelles du prêtre, par delà sa sainteté et son péché, c’est la grandeur essentielle de sa vocation que de porter sacramentellement à son accomplissement cette noble matière faite du « fruit de la terre et du travail des hommes », de toute la vie qu’on lui porte. Puissent des chrétiens, des jeunes, être saisis par la grandeur de cette vocation… et y répondre ! » Il y a là un vrai chemin de bonheur !
A l’occasion de leur session de formation permanente du 30/4 au 4/5 à Lourdes, des « jeunes prêtres » i.e. ordonnés depuis moins de 5 ans, des provinces de Montpellier, Toulouse, Bordeaux et Poitiers, ont témoigné de ce que signifie pour eux être « disciple-missionnaire », selon l’expression du pape François dans son exhortation apostolique « Evangelii Gaudium » n°120 (2013)*
Interviews réalisés à la Cité Saint Pierre (Lourdes), le 3 mai 2017, en vue du Dimanche des Vocations (4ème dimanche de Pâques – 7 mai 2017)
*En vertu du Baptême reçu, chaque membre du Peuple de Dieu est devenu disciple missionnaire (cf. Mt 28, 19). Chaque baptisé, quelle que soit sa fonction dans l’Église et le niveau d’instruction de sa foi, est un sujet actif de l’évangélisation, et il serait inadéquat de penser à un schéma d’évangélisation utilisé pour des acteurs qualifiés, où le reste du peuple fidèle serait seulement destiné à bénéficier de leurs actions. La nouvelle évangélisation doit impliquer que chaque baptisé soit protagoniste d’une façon nouvelle. Cette conviction se transforme en un appel adressé à chaque chrétien, pour que personne ne renonce à son engagement pour l’évangélisation, car s’il a vraiment fait l’expérience de l’amour de Dieu qui le sauve, il n’a pas besoin de beaucoup de temps de préparation pour aller l’annoncer, il ne peut pas attendre d’avoir reçu beaucoup de leçons ou de longues instructions. Tout chrétien est missionnaire dans la mesure où il a rencontré l’amour de Dieu en Jésus Christ ; nous ne disons plus que nous sommes « disciples » et « missionnaires », mais toujours que nous sommes « disciples-missionnaires ». Si nous n’en sommes pas convaincus, regardons les premiers disciples, qui immédiatement, après avoir reconnu le regard de Jésus, allèrent proclamer pleins de joie : « Nous avons trouvé le Messie » (Jn 1, 41). La samaritaine, à peine eut-elle fini son dialogue avec Jésus, devint missionnaire, et beaucoup de samaritains crurent en Jésus « à cause de la parole de la femme » (Jn 4, 39). Saint Paul aussi, à partir de sa rencontre avec Jésus Christ, « aussitôt se mit à prêcher Jésus » (Ac 9, 20). Et nous, qu’attendons-nous ?«
Sur facebook, un ami transmet une question de sa nièce : « Avec un groupe, on réfléchit sur la liberté et la foi. Depuis quelques séances ce qui ressort dans notre groupe, ce sont les notions de bien et de mal, du fait de choisir Dieu ou non, d’enfer et de paradis, aujourd’hui. Mais à quoi ça sert d’avoir la foi du coup ? »
Dans ce que te dit ta nièce, j’entends l’objection suivante : avoir la notion du bien et du mal et choisir librement le bien, ne requiert ni dieu(x), ni foi, ni perspective d’une sanction (enfer ou paradis) : le libre exercice de notre conscience suffirait.
On pourrait répondre qu’un peu d’expérience de la vie nous rend plus modestes. Avec Saint Paul, nous vérifions que nous ne faisons pas le bien que nous voulons, et que nous faisons le mal que nous ne voulons pas ; qu’il y a un écart entre savoir ce qui est bien, le vouloir, et pouvoir l’accomplir. En ce sens, notre liberté n’est ni native, ni absolue. Elle doit être éclairée par une éducation qui passe par sanctions et récompenses de la part de parents, société, autorités…, pour s’exercer comme capacité à choisir le bien. Et la modestie est aussi requise de la part de toute autorité humaine, qui ne peut être dupe de la relativité de ses lois, de ses principes moraux : « Vérité en deçà des Pyrénés, erreur au-delà ». (Pascal)
La pensée démocratique « fait avec » la conscience de cette relativité. Elle y voit même une digue contre l’intolérance, le fanatisme et l’absolutisme des autorités, jamais si tentées d’abuser de leurs pouvoirs que lorsqu’elles sont absolument certaines d’être dans le « camp du Bien ». Mais on ne peut se contenter de cette modestie et de ce relativisme. La proclamation de droits de l’homme qui soient « universels », c’est-à-dire valables quelles que soient les cultures et les époques, l’intuition d’une « common decency » qui fait qu’il y a des choses qui se font, et qu’il y en a d’autres qui ne se font pas… tout cela rejoint la notion aristotélicienne et thomiste de « loi naturelle », qui renvoie à un ordre objectif, non-écrit, et donc jamais-totalement-clair-pour-la-conscience, qui précède pourtant tout discernement moral. Constatant alors que les actes bons ne sont pas toujours récompensés (« trop bon, trop c… »), on ne peut que « postuler » que la moralité des actes, la cohérence entre les actes et cet ordre moral, soit ultimement récompensée (Kant).
Cependant, faire dépendre la foi en Dieu de la nécessité de fonder l’ordre moral sur une autorité supérieure, sur un juge suprême qui le garantisse, a peu de rapport avec ce que nous chrétiens nous appelons la foi. Le Christ a lui-même contesté le pharisaïsme comme vision mercantile de la foi où l’on attendrait de Dieu qu’Il récompense nos bonnes actions par le salut. Ce volontarisme qui voudrait réaliser le bien par ses propres forces, ce salut par les oeuvres, cette prétention de maîtrise ont été dénoncés par Saint Augustin puis Luther.
La foi est d’un autre ordre : relationnel, amical, amoureux… De même que la question « A quoi ça sert d’être l’ami de… ? » signe par là-même que l’on n’est plus dans le registre de l’amitié, la question du « A quoi ça sert d’avoir la foi ? » n’est pas du tout adéquate. Elle peut éventuellement être changée en « Qu’est-ce que ça change d’être croyant ? » et il faudrait pour cela écouter le témoignage de convertis, qui peuvent mieux faire la différence entre un avant (sans la foi) et un après (avec). Mais comme la foi est toujours en processus, avec ses progrès et ses reculs, toute croissance dans la foi peut aussi donner lieu à un témoignage sur ce qu’elle produit comme « fruit » – terme plus juste que « résultat » ou « effet » – car ce « fruit » n’est toujours qu’un surcroît par rapport au seul et vrai enjeu de la foi : être en relation avec Dieu, s’en découvrir aimé et l’aimer en retour, notamment dans l’amour de nos frères. C’est la définition que donne Ste Thérèse d’Avila de la prière, de l’oraison : « un commerce intime d’amitié où l’on s’entretient souvent seul à seul avec ce Dieu dont on se sait aimé. »
Cela dit, comme c’est le binôme liberté-foi qui est questionné par ta nièce, je te redonne la « formule ignatienne de l’action » qui articule parfaitement l’une et l’autre, par delà les écueils possibles, y compris en régime chrétien, comme par exemple une foi fidéiste ou quiétiste qui justifierait un abandon irresponsable à la providence ; ou une foi qui ne serait pas libre, car rendue obligatoire pour réussir sa vie, pour obtenir le salut ; ou une liberté qui se croirait souveraine et où l’homme serait donc responsable de tout…
Cette formule est la suivante :
« Aie foi en Dieu comme si le succès de ce que tu entreprends ne dépendait que de toi. Et cependant, agis en tout comme si Dieu devait tout faire, et toi rien. » (Hevenesi 1705).
Des souvenirs d’un commentaire magistral de cette sentence par le p. Gaston Fessard s.j., voilà ce que j’en retiens : la foi chrétienne est la confiance en un Dieu qui dans toute la Bible se révèle dans sa volonté de libérer l’homme, de toute forme d’esclavage, du péché, de la mort… Parce qu’Il aime l’homme d’un amour inconditionnel, Dieu le rend libre, y compris et surtout dans la manière de répondre à cet amour : il n’y a pas d’autre prédestination que celle d’être enfants de Dieu, car à la suite du Christ – le Fils unique dont Il nous a fait à l’image – le choix des moyens nous appartient pour être davantage à sa ressemblance, et l’amour de Dieu ne nous fera pas défaut parce que nous aurons fait tel choix plutôt que tel autre. La foi en ce Dieu-là nous rend capable d’un choix libre et entier, sans pusillanimité ni demi-mesure, car posé dans un climat de confiance en un Dieu qui ne nous a pas programmé pour telle ou telle vocation, mais fait siens nos choix lorsqu’ils sont posés dans ce climat de foi. Aussi, dans la phase du discernement de ce que nous pouvons entreprendre, des oeuvres dans lesquelles nous nous lançons (pour servir Dieu et nos frères), du choix d’un état de vie pour suivre le Christ, nous faisons « comme si » tout cela ne dépendait que de nous, d’où le sérieux et la paix, et donc la véritable liberté dans lesquels s’accomplissent ces choix. Pourtant, et c’est le 2ème volet de la sentence, le véritable maître de l’Histoire, c’est Dieu, qui fait tout contribuer au bien de ceux qu’il aime : tout, c’est-à-dire succès et échecs… ce qui devrait donner à l’homme d’action chrétien la décontraction, l’humour, la souplesse, le détachement pour vivre avec bonheur les aléas de l’action.
Voici 4′ d’interview des 3 intervenants à la formation organisée par la Pastorale Familiale du diocèse de Rodez sur l’exhortation apostolique Amoris Laetitia (19/3/2016) du pape François.
Les notes que j’ai prises des interventions de Marianne Cebron (de la Pastorale Familiale du diocèse de Toulouse), fr. Gilles Danroc (dominicain) et Marie-Claude Ernst (moraliste) sont téléchargeables ICI.
Pour lire Amoris Laetitia, et notamment pour des pistes de lecture en groupe, il nous est recommandée l’édition présentée et annotée sous la direction du Service national Famille et Société de la Conférence des évêques de France (13 €) : ICI.
Sinon, le texte est aussi accessible en ligne sur le site du Vatican, ICI.
Quelques mots en forme d’action de grâce et d’au-revoir aux paroisses du Ségala que je quitterai le 1er septembre.
Prêtre, à quoi ça sert ?
Comme vous le savez, je ne serai bientôt plus votre curé à Baraqueville – ou votre « prêtre modérateur » à Naucelle. Depuis ma maladie, j’ai reçu de nombreux témoignages d’attention, d’inquiétude parfois, de prière souvent, qui m’ont fait davantage percevoir la place subtile qu’un curé occupe non seulement dans l’Église, mais dans la société. Une place pas facile à définir quand il est là – « à quoi sert-il ? » -, mais sensible quand il manque ; ni indispensable, ni facultative… comme un sacrement en fait, c’est-à-dire une présence vouée à laisser place à la Présence, parce qu’il faut que le Christ grandisse et que je diminue. (Jn 3,30) C’est le sens, pas toujours compris, de ces soirées-débats donnant la première place aux questions, de ces partages d’Evangile et dialogues contemplatifs invitant à oser prendre la parole, de ces préparations de mariage ou de baptême où le témoignage de chacun primait sur le savoir d’un seul, où la première tâche du prêtre était de s’effacer pour que la Parole de Dieu et votre parole se libèrent, avant tout enseignement certes utile…
Un art de recevoir
Un effacement plus net se profile donc aujourd’hui pour moi. La longue préparation d’une prothèse aortique – longue car problématique durant plusieurs mois de scanners, IRM et test sur l’irrigation du cerveau – et les incertitudes sur ma santé après opération, ont conduit notre évêque à vous assurer de la présence (sacramentelle !) d’un prêtre en forme, comme responsable de votre communauté paroissiale, et donc à m’en décharger à la rentrée de septembre. Je vis tout cela paisiblement en faisant mienne une formule du p. Jean Mourier, mon supérieur au Séminaire de Toulouse quant à l’art de recevoir une mission d’Eglise : « Ne rien demander, ne rien refuser ! » Une obéissance qui ouvre l’expérience personnelle de la foi et de la pastorale à celle de l’Église, bien plus large ; qui évite qu’un service devienne chose personnelle ou chasse gardée ; qui libère de la vanité de réussir autant que du désespoir d’échouer…
Curiosité et admiration
Certes, je me suis attaché au Ségala où depuis six ans pour la première fois j’exerce la responsabilité de communautés paroissiales que je n’ai pas choisies, mais que j’ai appris à aimer, fût-ce dans de rares conflits. Parisien devenu ruthénois, j’ignorais quasiment tout du monde rural, et aujourd’hui encore c’est de l’extérieur, comme un ami étranger, que j’éprouve un étonnement, une curiosité* souvent empreinte d’admiration pour l’attention que l’on y donne aux relations de famille et de voisinage, en particulier à l’égard des plus anciens et des plus fragiles ; pour la quantité et la qualité du travail requis par l’agriculture d’élevage, pour les risques incroyables que l’on y consent ; pour le dévouement des élus rencontrés ; pour les fêtes de village avec petits-déjeuners carnés (plus masculins dans leur participants) et messes patronales (plus féminines) ; pour les gratounades et les ensilages ; pour les aubades des conscrits ; pour les granges patiemment relookées en écrins familiaux ; pour les amitiés de jeunesse prolongées en affection de vieillesse ; pour les noces d’or ou de diamant célébrées ou non en Eglise ; pour le temps que des chrétiens à l’agenda chargé libèrent au service des autres – en particulier des jeunes -, de leur Eglise, ou simplement – mais c’est presque pareil – de leur église : celle de Baraqueville en sait quelque chose ; pour la solidarité en acte dans l’accueil de sans-abris ou de migrants ; pour l’hommage que l’on sait rendre à ceux ayant rejoint le Père ; pour la noblesse du monde paysan dans le deuil d’un des siens mort trop jeune…
La vocation à consacrer
« Vous nous avez apporté, mais nous vous avons aussi apporté ! » me disait récemment Marie-Thérèse Lacombe, des paroles presque liturgiques qui sous-entendent tout ce que j’ai commencé à énumérer plus haut et dont j’aurais voulu vous remercier tous, rendre grâce d’en être le témoin privilégié, car c’est déjà un bonheur profond que de pratiquer l’admiration. Mais la vocation de prêtre n’est pas seulement d’être attentif à ce que tous apportent comme joies ou supportent comme peines. C’est aussi et surtout celle de laisser le Christ les prendre dans son offrande à Dieu lui-même, d’en faire Eucharistie. Un peu de foi catholique suffit pour faire pressentir que se joue ici l’acte de sens « plus que nécessaire » qui donne à toute joie et à toute peine d’être transfigurées par le mystère pascal.
Par delà les talents et limites personnelles du prêtre, par delà sa sainteté et son péché, c’est la grandeur essentielle de sa vocation que de porter sacramentellement à son accomplissement cette noble matière faite du « fruit de la terre et du travail des hommes », de toute la vie qu’on lui porte.
Puissent des chrétiens, des jeunes, être saisis par la grandeur de cette vocation… et y répondre !
p. Raphaël Bui
* En témoignent les centaines de clips-vidéos et les dizaines de milliers de photos que j’ai prises dont quelques 30.000 sur les sites internet paroissiaux et conservées dans les albums photos ici et là…
Dimanche 26 avril, 4ème dimanche de Pâques, a lieu la journée mondiale de prière pour les vocations. Voici le témoignage de quelques jeunes prêtres (JP) des provinces de Toulouse et Montpellier – i.e. de la future nouvelle grande région – réunis à Monteillas-las-Illas (Pyrénées Orientales) pour l’une de leurs deux sessions annuelles de « JP »…
Lors de la « journée du pardon » organisée par le doyenné du Ruthénois le samedi 7 mars dernier en la Cathédrale de Rodez, de magnifiques sièges de salon avaient été installés dans les chapelles destinées aux confessions. Un beau symbole en contraste peut-être avec ce que l’on retient souvent de pénitentiel, voire d’humiliant dans la démarche de se confesser. Or tout sacrement mériterait au contraire que l’on honore de la plus belle manière ceux qui, non pas « demandent » un sacrement, mais « offrent » quelque chose d’eux-mêmes comme matière à consacrer au Christ pour qu’un sacrement puisse être célébré, dans le prolongement de l’unique sacrifice qui opère, celui de la Croix !
Honorer les parents qui présentent leur enfant au baptême, parce qu’ils reconnaissent en lui un immense don de Dieu dont ils veulent rendre grâce en le Lui consacrant. Honorer les fiancés qui se présentent au presbytère pour préparer leur mariage, parce qu’ils disent là deux choses, souvent seulement implicitement, sans en avoir parfaitement conscience : leur reconnaissance de Dieu comme source de leur amour (à condition qu’il soit libre, fidèle, indissoluble, ouvert à la vie) et à Dieu par la consécration de leur couple. Un tel couple s’offrant ainsi lui-même au Christ – via l’Eglise – fait là un acte désintéressé de dépossession de soi, pour ne plus être que gérant, jardinier, serviteur d’une réalité qui désormais appartient à Dieu. C’est là paradoxalement le meilleur fondement à son indissolubilité.
Les vocations, c’est l’affaire de tous, parce que nous sommes tous appelés à trouver notre manière unique d’aimer, de nous donner, de consacrer notre vie. Parce que la valeur de la vie se mesure à ce pour quoi on est prêt à la donner, et non à ce que l’on veut y gagner et dont la mort nous privera bientôt. La vocation, c’est alors la forme personnelle du don de soi, du service d’amour, du « sacrifice », non au sens de ‘perte douloureuse’, mais de ‘don joyeux’, de consécration de ce que nous sommes, avons et faisons, et qui donne plein sens à notre vie.
Pour les croyants, les vocations, c’est aussi l’affaire de tous, parce qu’il s’agit de chercher et de trouver sa voie, mais surtout de se laisser chercher et trouver par Dieu qui adresse un appel universel à la sainteté : un appel qui vient de plus loin que de notre aspiration au bonheur ; qui sourd à travers les gémissements du monde nous requérant à le servir ; un appel de l’Absolu à l’adorer, dans la louange et la gratitude, dans la nuit et la supplication.
Pour les chrétiens, et en particulier les catholiques, les vocations, c’est l’affaire de tous, parce que l’Eglise est Corps du Christ, et que tout baptisé est membre de ce Corps, porte-parole habilité à relayer l’appel de Dieu, à redire à chacun les paroles de Saint Paul aux Romains : « Je vous exhorte, mes frères, par la tendresse de Dieu à lui offrir votre personne et votre vie en sacrifice saint, capable de plaire à Dieu : c’est là pour vous l’adoration véritable. » (Rm 12,1) cf. Appeler à devenir prêtre
Depuis quand avons-nous…
– prié pour les vocations personnellement, en équipe, dans notre mouvement, service, paroisse ?
– parlé positivement à quelqu’un de la vocation religieuse ou presbytérale ?
– relayé auprès d’un jeune l’appel à servir le Christ, l’Eglise, le monde par le don de sa vie ?
Les vocations, ce n’est pas tabou
L’Eglise a besoin de prêtres, et pour des jeunes qui pourraient devenir prêtre, il y a un enjeu de bonheur d’y être appelés.
Pourtant, beaucoup – y compris des prêtres – sont réticents à appeler. Nous craignons parfois qu’un appel direct en « veux-tu… ? » ressemble à un recrutement qui ne respecte pas la liberté : « On n’a pas le droit d’appeler… c’est entrer dans l’intimité de quelqu’un, s’immiscer dans sa relation avec Dieu. »
En réalité, la vocation n’est pas qu’une affaire de for intérieur. C’est encore plus vrai pour un ministère, un service d’Eglise (et le diaconat et l’épiscopat le manifestent complètement), où la vocation réside entièrement dans l’appel explicite, objectif… de l’Eglise adressé à quelqu’un pour servir à telle ou telle mission, et non dans l’attrait intérieur, subjectif que l’on aurait pour tel état de vie. Il n’y a donc pas à attendre que quelqu’un y soit attiré pour l’interpeler sur une possible vocation de prêtre, si nous percevons qu’il a les « dispositions requises ».
– Echanger en équipe, en relais, en mouvement, en équipe d’animation pastorale… sur ce que l’on ferait pour appeler un jeune à être prêtre, ou accueillir sa démarche.
– Donner davantage une coloration vocationnelle aux propositions de la pastorale diocésaine des jeunes. (cf. SNEJV : un seul service national)
Appeler rend libre
Le fait d’être appelé est libérateur et permet de se construire sans cette « fatigue d’être soi » contemporaine, liée à la prétention et à l’obligation d’inventer seul sa vie.
Laisser à quelqu’un le choix et respecter sa liberté, n’implique pas de le laisser errer en se contentant de lui dire « Tu feras ton chemin », le laissant découvrir seul sa vocation. Et ne pas appeler quelqu’un, c’est aussi déjà répondre « non » à sa place… alors que tout appel et donc toute réponse – quelle qu’elle soit – porte du fruit.
– Oser poser la question de la vocation – dès la catéchèse en primaire – « Et toi, as-tu pensé… ? »
– Ecrire une lettre aux confirmands sur la vocation.
Pas de vocation chrétienne
sans relation personnelle au Christ
La réponse à sa vocation est réponse au Tout-Autre. Cela suppose une relation profonde à Dieu, une rencontre avec le Christ. Il nous faut surmonter notre timidité à annoncer le cœur de la foi, et faire en pastorale des jeunes des propositions où la prière ait la place centrale : les vocations naissent dans les lieux fertiles, où les jeunes trouvent une proposition spirituelle forte.
– S’inspirer des propositions d’autres diocèses (école de prière, initiation à l’oraison, adoration, « valise vocation » tournant dans les familles, camp retraite diocésain…).
– Proposer un accompagnement spirituel personnel aux jeunes en aumônerie, services ou mouvements.
Le temps est propice
Nous sommes à une période propice de l’Eglise comme lieu de fraternité et de partage de l’amour de Dieu. Des chrétiens sont prêts à s’engager pour inventer de nouvelles manières d’être frères en Christ. Ils ont besoin de pasteurs accessibles, simples, pratiquant la « visitation », venant chez eux, capables d’appeler… La place du prêtre est à réinventer, à vivre autrement, et c’est une aventure passionnante. Il y aura à faire des choix pastoraux pour les prêtres, mais l’implication croissante des laïcs permettra aux prêtres d’être davantage là ils doivent être, en tant que prêtres.
En soi, le métier de prêtre est épanouissant. On ne le dit pas assez, et l’activisme des prêtres peut le masquer. C’est un engagement qui demande de se donner, une source de joie du fait d’être toujours en mission, où l’ennui est absent ! Et un prêtre heureux, accessible et fécond… est appelant !
– Travailler en équipe d’animation pastorale sur ce que l’on attend du prêtre, sur d’autres styles de prêtres que curé ou modérateur.
– Communiquer davantage sur le bonheur d’être prêtre.
Sachons accueillir ce qui nous dérange
L’Eglise a de plus en plus mission de révéler ce que Dieu fait déjà dans le cœur des hommes. Un rôle d’accueil, d’authentification, qui suppose une ouverture de cœur à toutes les richesses suscitées par Dieu… La vocation est un mystère qui nous dépasse. Il n’y a pas qu’une voie. Les sensibilités doivent pouvoir coexister, se respecter. Il nous faut arrêter de coller des étiquettes, de ne défendre qu’une chapelle, au risque de perdre des vocations avec des jeunes qui ne se sentent pas chez eux dans l’Eglise.
p. Raphaël Bui
d’après les propos échangés en Services Provincial (Toulouse : 28/1/2014) et Diocésain (Rodez : 15/2/2014) des Vocations
Quelques réflexions sur la responsabilité de tous dans l’appel au ministère presbytéral
Ne nous le cachons pas, il est difficile aujourd’hui d’appeler un jeune ou un adulte à devenir prêtre. En moins de deux générations, l’affaiblissement de la place du prêtre dans la société – et peut-être aussi dans l’esprit de certains chrétiens ne voyant en lui que l’homme des sacrements, voire des obsèques -, le caractère exceptionnel d’un tel état de vie, du fait de son célibat et d’un style de vie en rupture avec la société (deux éléments qui peuvent marginalement attirer certains tempéraments valorisant cette rupture), la diminution du nombre de prêtres en France, la surcharge qui en résulte pour ceux en activité, les qualités requises pour être responsable de communauté, la longue formation qui y prépare… mais aussi une image dégradée par des scandales comme celui de prêtres pédophiles, tout cela fait de la vocation presbytérale une sorte d’anormalité. Des amis chrétiens confiaient récemment que pour bien des gens de leur entourage, le « coming out » homo d’un fils choquerait moins que l’annonce de son désir de devenir prêtre !
Et s’il pouvait être « normal » d’appeler à devenir prêtre ?
Être prêtre n’est certes pas un métier comme les autres, mais il est possible d’en parler à l’aune de critères utilisés pour juger d’autres métiers. Une enquête 2011 de l’université de Chicago sur l’indice de satisfaction professionnelle aux Etats-Unis, place les hommes d’Eglise – « clergy » – en 1ère place dans le classement des métiers qui rendent le plus heureux, devant les pompiers, les kinésithérapeutes, les écrivains, les éducateurs spécialisés… Sont invoqués par ces heureux professionnels des critères de satisfaction autres que le salaire ou le pouvoir, mais fondés plutôt sur la force et la qualité des relations liées au métier, le fait que le métier ait du sens, qu’il soit utile et que la personne qui l’exerce puisse s’y engager à fond. Certes, il s’agit des Etats-Unis où le prêtre n’a pas le même statut qu’en France, mais les critères restent les mêmes. La vie d’un prêtre – français ou américain – est profondément relationnelle, reliée à Dieu et à l’humanité, équilibrant action et contemplation, vie sociale et solitude, vie spirituelle et service d’autrui, approfondissement de la foi et annonce de celle-ci, réception et transmission de la grâce : c’est de fait un métier magnifique, ce dont nous, prêtres, ne témoignons pas assez, par pudeur, respect humain ou… activisme.
Mais cette approche en terme de métier ne suffit évidemment pas, et pourrait même verser dans le travers contemporain, à la fois individualiste et libéral, où tout ne serait finalement que recherche d’un accomplissement ou d’un épanouissement personnel, c’est-à-dire centré sur soi, et où le service d’autrui ne serait en fait qu’une manière de se réaliser, de se rechercher, de viser son propre bonheur.
Un engagement d’amour
Ëtre prêtre est en réalité une vocation, un engagement-d’amour-pour-la-vie, où la décision de devenir prêtre relève d’une liberté qui est moins d’initiative (partant de soi), que de consentement (à l’initiative d’un autre). Il s’agit moins de vouloir ou de désirer être prêtre, que de répondre à un appel du Christ antérieur à toute décision, un appel qui prolonge et spécifie l’appel adressé à tout baptisé d’être « saint », c’est-à-dire de laisser le Christ vivre en lui, de donner à sa suite sa vie par amour de Dieu et des hommes, et par là de réenchanter le monde. Pour le prêtre, cela suppose d’être disponible à servir, « si Dieu le veut et si l’Eglise l’appelle ».
Le décentrement que cela suppose peut sembler hors-norme, alors qu’il est en fait commun à toute vocation. Ainsi, contrairement à la formule consacrée (qui n’est d’ailleurs plus celle du rituel du mariage), un fiancé ne « prend » pas une femme pour épouse, mais il la « reçoit », ce qui sous-entend que la demande de cette dernière : « veux-tu être mon mari ? » soit antérieure au « oui, je te reçois comme épouse » que son fiancé lui dit ensuite. En tout engagement d’amour, tout se passe comme si l’amour de l’autre était donné gratuitement et antérieurement à l’engagement que l’on prend à son égard, en réponse à cet amour inconditionnel.
De même, être prêtre, c’est pour un chrétien une réponse possible à la question inhérente au baptême – de par la conversion que le baptême suppose ou à laquelle il dispose : « comment rendrai-je au Seigneur tout le bien qu’il m’a fait ? » (Ps 115) Se découvrir infiniment aimé de Dieu, inconditionnellement, sans réserve, jusqu’au don que le Christ fait de sa vie, implique de se savoir appelé à faire de sa vie une réponse à cet amour. C’est l’appel universel à la sainteté.
L’appel de l’Eglise
Qu’est-ce qui fait alors que pour certains, cet appel général se traduise en appel particulier à donner sa vie à l’Eglise, pour à travers elle servir Dieu et les hommes ?
L’analogie du mariage peut être éclairante, car c’est l’appel que l’Eglise adresse à un homme : « veux-tu me consacrer ta vie ? » qui est susceptible de susciter son consentement. C’est alors la vitalité d’une communauté chrétienne, l’amour évangélique dont elle vit déjà et dont un de ses membres a fait l’expérience préalable en son sein, qui donne force à l’appel qu’elle lui adresse pour servir cette vie en Christ, à vivre le don total de sa vie à l’Eglise, comme collaborateur de l’évêque, membre d’un presbyterium, pasteur attentif aux fidèles de l’Eglise et missionnaire à l’égard de tous. Cela requiert un sacré désintéressement de la part de cette communauté, de ceux qui appellent, car on n’appelle pas pour soi, mais pour un service d’Eglise au-delà de la communauté qui appelle.
La désacralisation du prêtre évoquée au début de cet article, peut être alors le préalable à une consécration qui ne soit pas la mise au pinacle d’un projet ou d’un parcours certes généreux ou extraordinaire – au risque de n’être que personnel voire individuel – mais la mise en œuvre d’un projet ecclésial dont l’Esprit Saint est le premier acteur, où le « oui » d’un homme serait relatif à l’appel que lui adresse l’Eglise (c’est-à-dire n’importe quel membre de la communauté chrétienne, avant que l’évêque authentifie cet appel), où l’audace d’appeler aurait autant d’importance que celle de répondre, où serait couronné le souci porté par tous, et non des seuls pasteurs, d’ « appeler des ouvriers pour la moisson ».
A l’inverse de ce que certains disent pour penser le célibat du prêtre, le prêtre n’est pas plus « marié » à Dieu que ne l’est tout chrétien, car l’alliance avec Dieu se réalise dans le baptême, qui greffe l’homme au Christ, qui l’y plonge tout entier. Mais, ce sont des épousailles que le prêtre vit avec l’Eglise, vécues librement, fidèlement, pour toujours et pour donner la vie, et auxquelles convient son célibat, nonobstant ce qui a pu ou pourrait varier dans la discipline de l’Eglise à cet égard.
Être pierre d’Eglise
La veille de mon ordination diaconale, une fillette de mes amis me demandait ce que c’était qu’une ordination. Lui répondant que c’était comme un mariage-avec-l’Eglise, elle me redemanda : « Comment tu vas l’embrasser, l’église ? Tu monteras sur une échelle ? » Je lui répondis dans le sens de ce que j’avais lu dans Ma vocation, le beau livre de Jean-Paul II, que ce moment serait celui de la grande prostration, visage contre le sol pour l’embrasser, pour signifier le lien indissoluble reliant le prêtre à une terre, à une culture, à une portion d’Eglise, pour faire corps avec cette terre, être pierre d’Eglise, non pas clé de voute en haut de l’édifice, mais à ras le sol, pour qu’en s’appuyant sur nous, les autres s’élèvent plus haut.